The play la Tosca is entered according to act of Congress
in the year 1909, by the late V. Sardou's heirs, in the office
of the Librarian of Congress at Washington. All rights
reserved.
PERSONNAGES ACTE PREMIER ACTE II ACTE III ACTE IV ACTE V |
Baron Scarpia | MM. p. berton. |
Mario Cavaradossi | Dumény. |
Cesare Angelotti | Rosny. |
Le Marquis Attavanti | Francès. |
Eusèbe, sacristain | Lacroir. |
Vicomte de Trévilhac | Violet. |
Capréola | Jôliet. |
Cennarino | M. lacroix P. |
Trivulce | Deschamps. |
Colometti | Jegu. |
Spoletta, capitaine de carabiniers | Bouyer. |
Schiarrone, agent de police | Piron. |
Ceccho, domestique | Gaspard. |
Paisiello | Mallet. |
Diego Naselli, prince d'Aragon | Delisle. |
Un Huissier | Dumont. |
Un Sergent | Besson. |
Floria Tosca | Mme Sarah Bernhardt. |
Marie-Caroline, reine de Naples | Bauché. |
Luciana, femme de chambre de la Tosca | Durand. |
Princesse Orlonia | Auge. |
Un Monsignor | Fortin. |
La scène à Rome, le 17 juin 1800. |
L'église Saint-Andréa des jésuites à Rome. Architecture du Bernin, pleins cintres sur gros piliers carrés de marbre banc plaqué rouge... Stucs, dorures, etc... La vue est prise du transept de droite. Au fond, le chœur entouré d'une grille très ornée; et la fuite de l'abside vers la droite noyée dans l'ombre. Au premier plan à droite, porte latérale avec son tambour et ses portes battantes. Au deuxième plan, faisant angle avec un des gros piliers, la chapelle des Angelotti. Grille sur la scène, grille du côté de l'abside surmontée des armes des Angelotti. Trois anges d'argent, deux et un, sur un fond d'azur. Tout le côté gauche, est occupé par un échafaudage de peintre, appuyé sur un autel, et par un grand cadre entourant une grande toile ébauchée. Sur l'échafaudage, tout l'attirail d'un peintre, escabeaux, tabourets, brosses, palettes, étoffes, etc... On accède à cet échafaudage par un petit escalier de bois blanc. Au pied de l'escalier, un panier avec un flacon de vin, deux gobelets d'argent, du pain, un poulet froid, une serviette et des figues. Au milieu de la scène au fond, un pilier avec une madone en relief, peinte, sous un petit dais très doré. Au pied, une vasque pouvant porter des fleurs, et un trépied avec des cierges. En avant de l'échafaudage, deux tabourets.
GENNARINO, EUSEBE, sacristain.
Gennarino dort étendu tout de son long sur l'échafaudage. Eusèbe, venu du fond, s'approche de lui et fait tinter à son oreille un gros trousseau de clefs.
Eusèbe.—Eh! Gennarino!...
Gennarino, s'éveillant en sursaut.—Hein. Plaît-il?
Eusèbe.—Tu dors?...
Gennarino, se frottant les yeux.—Oui!... Je dors un peu.
Eusèbe.—Paresseux!... Je vais en faire autant, du reste... C'est l'heure de la sieste. Il est temps de fermer les portes... Où est ton patron?
Gennarino.—Il est allé jusqu'au quartier des Juifs, acheter une étoffe pour sa peinture.
Eusèbe.—Voilà bien de mon Français, qui court les rues de Rome, au mois de juin, par la grande chaleur du jour, et qui m'oblige à l'attendre.
Gennarino, debout.—Le seigneur Mario Cavaradossi n'est pas Français, père Eusèbe. Il est Romain, comme vous et moi, et de vieille famille patricienne, s'il vous plaît.
Eusèbe.-Bon, je sais ce que je dis... S'il est Romain par son père, que j'ai bien connu dans ma jeunesse, il est plus Français encore par sa mère, une Parisienne! En voilà bien la preuve. Si ton maître était un véritable Italien, travaillerait-il à l'heure où tout Romain qui se respecte est occupé à faire un somme?
Gennarino, préparant la palette.—Son Excellence prétend qu'il n'est pas d'heure plus favorable au travail que celle-ci, où, les portes étant closes, il n'est plus distrait par les Anglais visiteurs, et leurs ciceroni bavards, par le bourdonnement des prières, le chant des cantiques et les sons des orgues; et que, dans cette solitude et cette fraîcheur silencieuse de l'église, il se sent plus libre, plus inspiré, plus en verve!...
Eusèbe, grommelant.—Oui, pour recevoir les visites de certaine dame.
Gennarino, de même.—Vous dites?
Eusèbe.—Rien!... Après tout, c'est un généreux seigneur. Il ne quitte jamais la place sans me glisser dans la main trois ou quatre Pauli, en témoignage de son estime. Je regrette seulement, Gennarino, que le cavalier Cavaradossi n'ait pas des sentiments plus religieux.
Gennarino, confirmant.—Oh! ça!...
Eusèbe.—Car, enfin, je ne l'ai jamais vu assister aux offices, ni marier sa voix à la nôtre à l'heure des vêpres... et, depuis qu'il travaille à cette chapelle, il ne s'est pas confessé une seule fois, pas même au saint jour de Pâques.
Gennarino.—C'est pourtant vrai, père Eusèbe.
Eusèbe.—Un jacobin, Gennarino... un pur jacobin. Il a de qui tenir, d'ailleurs. Le papa Cavaradossi passait déjà pour philosophe. Il avait longtemps vécu à Paris, dans la fréquentation de l'abominable Voltaire, et autres malfaiteurs de la même bande... Prends garde, Gennarino, que le contact de l'impie ne te mène droit en enfer.
Gennarino, bâillant.—Pensez-vous, père Eusèbe, que l'on y dorme, en enfer?
Eusèbe.—Si l'on y dort!...
Gennarino.—Oui...
Eusèbe.—Au fait... y dort-on? J'avoue, garçon, que ta question me prend au dépourvu. Il faut que j'interroge sur ce point le père Caraffa, lumière de notre Eglise... Toutefois, je pencherais plutôt pour l'insomnie, qui est un supplice bien fait pour les damnés.
Gennarino, de même.—Oh! Oui!
Eusèbe.—Tu devrais au moins corriger un peu ce que la conduite de ton maître a de répréhensible, en lui suggérant l'idée d'offrir pour le sacrifice de la messe quelques flacons de ce marsala que je vois dans ta corbeille.
Gennarino.—Ce n'est pas du marsala,... c'est du gragnano.
Eusèbe, tirant le flacon et l'examinant.—Tu m'étonnes, mon enfant... A la couleur, je parierais pour du marsala.
il débouche et flaire
Gennarino.—Vous perdriez, père Eusèbe.
Eusèbe, versant le vin dans un gobelet.—Parbleu, j'en aurai le cœur net.
Il l'avale d'un trait.
Gennarino, sautant à terre.—Hé là donc!
Eusèbe, faisant claquer sa langue.—Tu as raison, mon fils,... c'est du gragnano, et du meilleur.
Gennarino, lui arrachant le flacon.—Et puis le patron dira que c'est moi!
Il rince le gobelet.
Eusèbe.—Bon!... Il est trop amoureux pour y prendre garde. (Il regarde l'heure à sa montre.) D'ailleurs, il me doit bien ce dédommagement pour le temps qu'il me fait perdre à ne pas dormir.
Gennarino, remettant le flacon et le gobelet dans la corbeille.—Il se sera arrêté à voir tes préparatifs de la fête au palais Farnèse.
Eusèbe.—Cette fête-là n'est pas pour le charmer, puisqu'elle célèbre une nouvelle victoire de nos armes sur les troupes françaises.
Gennarino.—Quelle victoire?
Eusèbe.—Bon Dieu! se peut-il que tu n'aies pas entendu parler de la reddition de Gênes?
Gennarino.—Vaguement.
Eusèbe.—C'est-à-dire que le chevalier te laisse volontairement dans l'ignorance de nos triomphes... Sache, donc, enfant, que les Français sont battus sur tous les points, et que le général Masséna, enfermé dans Gênes, a dû capituler et céder la ville aux troupes de Sa Majesté Impériale.
Gennarino.—Ah!
Eusèbe, tirant un journal.—Voici d'ailleurs ce que dit la gazette!... Ecoute ceci, mon garçon, (il lit) Nous recevons de nouveaux détails sur la reddition de Gênes... Le général Masséna est sorti de la ville avec huit mille hommes seulement, plus ou moins éclopés et hors d'état de tenir la campagne. Le général Soult, prisonnier, est grièvement blessé. Les trois quarts des généraux, colonels, officiers français de tout grade, sont captifs comme lui ou blessés, ou morts. C'est un affreux désastre pour ces bandes indisciplinées qui s'intitulent effrontément l'armée française... Et ceci à la suite, (il lit.) Sa Majesté Napolitaine la reine Marie-Caroline, auguste fille de l'impératrice Marie-Thérèse, sœur de l'infortunée Marie-Antoinette, digne et glorieuse épouse de Sa Majesté Napolitaine-Ferdinand IV, notre victorieux protecteur, est venue tout exprès de Livourne où elle était de passage, allant à Vienne, pour donner, ce soir 17 juin, une grande fête au palais Farnèse, en l'honneur de cette victoire... Il y aura concert suivi de bal, avec illumination a giorno, sur la place Farnèse, et musique à tous les carrefours avoisinant le palais. On ne pourra regretter à cette solennité vraiment patriotique, que l'absence de Sa Majesté Ferdinand retenu à Naples par l'obligation d'y effacer les derniers vestiges de l'infâme République parthénopéenne. Ajoutons qu'aux dernières nouvelles, M. de Mêlas concentrait toutes ses troupes à Alexandrie. Avant peu, nous pourrons fêter une dernière et décisive victoire... Avec M. de Mêlas, Gennarino, cela n'est pas douteux... Il y a bien ce petit général Bonaparte qui serait, dit-on, à Milan; mais prendrais-tu ce général Bonaparte au sérieux, Gennarino?
Gennarino.—Moi, je ne sais pas: mais le patron, oh! oui!
Eusèbe.—Voilà encore de mon jacobin! Passe pour l'ancien Bonaparte, le vrai... Mais celui-là qui est faux...
Gennarino.—Faux?
Eusèbe.—Parfaitement. Je tiens de source certaine, que le général Bonaparte est mort en Egypte, noyé dans la mer Rouge comme Pharaon, et que celui-ci n'est autre que son frère Joseph que l'on donne pour le défunt, afin d'inspirer confiance aux soldats français, si découragés qu'ils refusent de se battre!
Gennarino.—Ainsi. Voyez!.
Eusèbe.—Oui, mon garçon, voilà où ils en sont à Paris. Et ce n'est pas tout. Sais-tu ce qu'il a imaginé, ce farceur-là?...
Gennarino.—Joseph?
Eusèbe.—Joseph!... Il fait courir, le bruit qu'il a franchi les Alpes avec tous ses canons!... Les Alpes!... Non!... C'est à mourir de rire...
Gennarino.—Voici le patron!
Les mêmes, MARIO CAVARADOSSSI
Mario, entrant par la droite portant une étoffe.—Je vous demande pardon, père Eusèbe, je suis un peu en retard.
Il monte sur son échafaudage et, pendant ce qui suit, drape son étoffe sur un mannequin.
Eusèbe, repliant son journal.—J'en profitais, Excellence, pour mettre Gennarino au courant des opérations militaires.
Mario.—Oh! Alors!
Eusèbe.—Tout est fermé... Je puis sortir, Excellence?
Mario.—Oui, oui, et toi aussi, Gennarino... Je n'ai pas besoin de toi avant la réouverture des portes.
Gennarino.—Merci, Excellence!
Eusèbe.—Votre-. Excellence aura la bonté de tirer les verrous. (Poussant Gennarino.) Allons, passe devant, paresseux!
Ils sortent par la droite. Eusèbe tire la porte...
MARIO, CESARE Angelotti
Mario resté seul, après avoir disposé son étoffe, descend de l'échafaudage pour voir l'effet de loin. Puis tout en sifflotant, il remonte sur l'échafaudage et corrige les plis de la draperie; après quoi il ôte sa veste, pose son tabouret, et s'apprête à travailler... Dès qu'il est remonté sur son estrade, Angelotti paraît derrière la grille de la chapelle à droite, qu'il rouvre sans bruit et sort sans être vu par Mario qui lui tourne le dos; puis il descend vers la porte, et prête l'oreille. A ce moment, Mario, agenouillé pour choisir des vessies dans sa boîte, l'aperçoit, et, sans changer de posture, l'interpelle.
Mario.—Tiens!... Quelqu'un?...
Angelotti, se retournant.—Plus bas, je vous prié... Sommes-nous seuls?
Mario.—Oui. Ah ça, qui diable êtes-vous, avec ces allures de malfaiteur?
Angelotti,—Un malfaiteur, en effet, pour certaines gens, mais pour vous, non... si j'en crois ce que disaient cet homme et cet enfant.
Mario, descendant de l'estrade.—Tout cela ne m'apprend pas qui vous été...
Angelotti, résolument.—Eh bien, soit!... Advienne que pourra! Je suis un prisonnier évadé du château Saint-Ange!
Mario.—Vous?
Angelotti, vivement.—Et mon nom ne vous est peut-être pas inconnu. J'étais à Naples un des plus ardents défenseurs de la République parthénopéenne, et, quand elle a succombé, je me suis réfugié à Rome... où l'on m'a fait consul de la République romaine, égorgée comme l'autre... Vous avez pu lire sur toutes les listes de proscription ce nom qui est le mien: Cesare...
Mario, vivement.—Angelotti?...
Angelotti.—Oui!
Mario, courant à la porte et tirant les verrous.—Ah! bon Dieu!... Que ne le disiez-vous plus tôt?
Angelotti.—Dieu soit loué! je ne me suis pas trompé sur votre compte...
Mario.—Ah! certes, non! Mais comment êtes-vous caché dans cette église?...
Angelotti.—Comment et pourquoi, je vous le dirai; mais, par grâce, quelques gouttes de ce vin... Je n'ai rien pris depuis hier, et je n'en puis plus de fatigue et de besoin.
Il s'assied sur l'escabeau.
Mario, allant vivement au panier, et lui versant à boire dans un gobelet.—Ah! Certes!... Tenez!... Buvez!... Buvez vite!
Angelotti.—Merci! Ne retirez pas votre main... Quand on n'a plus commerce depuis longtemps qu'avec des geôliers, des bourreaux et autres animaux malfaisants, vous ne sauriez croire quel plaisir c'est de serrer enfin dans sa main la main d'un homme. (il vide le gobelet.) Ce vin me ranime.
Mario, retournant à son panier.—J'ai mieux à VOUS offrir!... Heureusement. (Il rapporte le panier qu'il vide en parlait.) Et comment avez-vous pu vous évader?
Angelotti, prêt à manger.—Je n'y suis pour rien... (S'interrompant pour regarder autour de lui.) Mais êtes-vous bien sur?...
Mario.—L'église est vide et close de toute part... Le sacristain lui-même ne peut rentrer par cette porte que si j'en tire les verrous. Nous avons devant nous deux bonnes heures de sécurité pour le moins.
Angelotti, mangeant.—Je n'ai pas, vous disais-je, le mérite de mon évasion, qui est l'œuvre de ma sœur, la marquise Attavanti... La connaissez-vous?
Mario.—De vue seulement.
Angelotti.—C'est elle qui a tout fait! Hier à la tombée du jour, un porte-clefs gagné par elle, le nommé Trebelli, m'a apporté ces vêtements dans mon cachot dont il m'a ouvert la porte après avoir détaché mes fers. On travaille en ce moment, au château Saint-Ange, à réparer les dégâts de l'occupation française. J'ai pu me mêler, à la sortie des ouvrières, et gagner au large. Mais, à cette heure-là, les portes de la ville sont fermées, de l'Angélus du soir à l'Angélus