Alfred Tennyson

Genièvre

Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066078164

Table des matières


La première de couverture
Page de titre
Texte

POÈME TRADUIT DE L'ANGLAIS

PAR FRANCISQUE MICHEL

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX

AVEC NEUF GRAVURES SUR ACIER

D'APRÈS

LES DESSINS DE GUSTAVE DORÉ

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77
1868

Et encore le soir, devant son cheval, le cercle voltigeant des fées tournoyait et se dispersait.

A

NAPOLÉON III

EMPEREUR DES FRANÇAIS

CE LIVRE

ŒUVRE DU GÉNIE COMBINÉ

DE L'ANGLETERRE ET DE LA FRANCE

ET PRODUIT D'UNE AMITIÉ ENTRE LES DEUX PEUPLES

QUI DOIT SURTOUT SA FORCE

A UNE AUGUSTE IMPULSION

EST DÉDIÉ

PAR SON TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR

J. BERTRAND PAYNE


La Reine Genièvre avait fui la cour, et, dans la sainte maison d'Almesbury, assise, elle pleurait, sans personne auprès d'elle, si ce n'est une jeune novice. Une lampe basse brûlait entre elles deux d'un éclat rougi par le brouillard qui se répandait alentour; car, partout au dehors sous une lune invisible, quoique dans son plein, un brouillard blanc connue un linceul se collait au sol inanimé, et la terre était silencieuse.

C'est là que Genièvre s'était réfugiée. L'auteur de sa fuite était messire Modred. Cet homme, neveu du Roi et son plus proche parent, était toujours aux aguets les yeux fixés sur le trône, pareil à un animal rusé, prêt à s'élancer et n'attendant que l'occasion. Il s'efforçait d'amoindrir la popularité du Roi avec des sourires silencieux de dénigrement; il conspirait avec les seigneurs du Cheval blanc, païens de la postérité d'Hengist; il cherchait à bouleverser la Table ronde d'Arthur et à y souffler une discorde utile à ses perfides desseins, tous animés par une profonde haine pour Lancelot.

Or, il arriva qu'un matin, quand toute la cour vêtue de vert, sauf les plumes qui rivalisaient avec la fleur de mai, était allée, suivant son habitude, cueillir l'aubépine, à son retour, Modred, toujours vêtu de vert, tout yeux et tout oreilles, grimpa sur le haut du mur du jardin pour surprendre, s'il était possible, quelque scandale secret; il vit la Reine assise entre Énide, la meilleure personne de sa cour, et la roquette Viviane, la plus rusée et la plus méchante. Il n'en vit pas davantage; car messire Lancelot, passant par là, devina son dessein. Et de même que la main du jardinier enlève des choux une verte chenille, ainsi Lancelot arracha du mur élevé et du bosquet en fleur Modred par le talon et le lança comme un vermisseau sur le chemin; mais quand il eut reconnu le prince, quoique souillé de poussière, respectant le sang royal même dans un méchant homme, il s'excusa autant qu'il put, et cela, en vrai chevalier, sans raillerie: car dans ce temps-là, aucun chevalier de la noblesse d'Arthur ne se permettait un pareil jeu; mais si un homme était boiteux ou bossu, la raillerie lui était permise, comme faisant partie de sa difformité, par ceux que Dieu avait créés avec tous leurs membres et une belle taille; le Roi et sa Table ronde, tous lui répondaient avec douceur. Donc, messire Lancelot aida le prince à se relever. Celui-ci épousseta vivement deux ou trois fois ses genoux, sourit et s'en alla; mais, à dater de ce moment, la petite violence qui lui avait été faite rongea sou cœur et l'agita comme le vent aigu qui, tout le long du jour, agite un petit étang saumâtre autour d'une pierre sur la côte stérile.


Là, ils se donnèrent un baiser et se séparèrent en larmes.