A MADAME
PRÉFACE
PERSONNAGES
ACTE PREMIER
SCÈNE I. — CHRYSALDE, ARNOLPHE
SCÈNE II. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE, dans la maison.
SCÈNE III. — ARNOLPHE, GEORGETTE
SCÈNE IV. — ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE V. — ARNOLPHE, seul.
SCÈNE VI. — HORACE, ARNOLPHE
SCÈNE VII. — ARNOLPHE, seul.
ACTE SECOND
SCÈNE I. — ARNOLPHE, seul.
SCÈNE II. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE III. — ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE IV. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE V. — ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE VI. — ARNOLPHE, AGNÈS
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I. — ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE II. — ARNOLPHE, AGNÈS
PREMIÈRE MAXIME
DEUXIÈME MAXIME
TROISIÈME MAXIME
QUATRIÈME MAXIME
CINQUIÈME MAXIME
SIXIÈME MAXIME
SEPTIÈME MAXIME
HUITIÈME MAXIME
NEUVIÈME MAXIME
DIXIÈME MAXIME
ONZIÈME MAXIME...
SCÈNE III. — ARNOLPHE, seul.
SCÈNE IV. — HORACE, ARNOLPHE
SCÈNE V. — ARNOLPHE, seul.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I. — ARNOLPHE, seul.
SCÈNE II. — UN NOTAIRE, ARNOLPHE
SCÈNE III. — LE NOTAIRE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE IV. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE V. — ARNOLPHE, seul.
SCÈNE VI. — HORACE, ARNOLPHE
SCÈNE VII. — ARNOLPHE, seul
SCÈNE VIII. — CHRYSALDE, ARNOLPHE
SCÈNE IX. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE II. — HORACE, ARNOLPHE
SCÈNE III. — AGNÈS, ARNOLPHE, HORACE
SCÈNE IV. — ARNOLPHE, AGNÈS
SCÈNE V. — ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN
SCÈNE VI. — ARNOLPHE, HORACE
SCÈNE VII. — ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE
SCÈNE VIII. — ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE, GEORGETTE
SCÈNE IX. — AGNÈS, ORONTE, ENRIQUE, ARNOLPHE, HORACE, CHRYSALDE, ALAIN, GEORGETTE
SCÈNE X. — ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, AGNÈS, HORACE
MOLIÈRE
L’ÉCOLE DES FEMMES
COMÉDIE EN CINQ ACTES
Henriette d’Angleterre, première femme de MONSIEUR, frère de Louis XIV, petite-fille de Henri IV dont l’oraison funèbre a été prononcée par Bossuet. Elle mourut à Saint-Cloud le 30 juin 1670, à l’âge de vingt-six ans.
Madame,
Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu’il me faut dédier un livre, et je me trouve si peu fait au style d’épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur, qui seroit en ma place, trouveroit d’abord cent belles choses à dire de VOTRE ALTESSE ROYALE, sur ce titre de l’École des Femmes, et l’offre qu’il vous en feroit. Mais, pour moi, MADAME, je vous avoue mon foible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées ; et, quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que VOTRE ALTESSE ROYALE pourrait avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n’est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, MADAME, ne saute que trop aux yeux ; et, de quelque côté qu’on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, MADAME, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l’esprit, et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l’âme, qui, si l’on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l’honneur d’approcher de vous : je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez ; cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paraître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, MADAME, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes ; et ce sont choses, à mon avis, et d’une trop vaste étendue et d’un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer dans une épître et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, MADAME, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu’il m’est possible, que je suis,
DE VOTRE ALTESSE ROYALE,
MADAME>,
Le très-humble, très-obéissant, et très-obligé serviteur,
MOLIÈRE.
Bien des gens ont frondé d’abord cette comédie ; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu’on en a pu dire n’a pu faire qu’elle n’ait eu un succès dont je me contente.
Je sais qu’on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs et rende raison de mon ouvrage ; et sans doute que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres ; mais il se trouve qu’une grande partie des choses que j’aurois à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j’ai faite en dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai.
L’idée de ce dialogue, ou, si l’on veut, de cette petite comédie1, me vint après les deux où trois premières représentations de ma pièce.
1
La Critique de l’École des Femmes, jouée le 1er juin 1663.
Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir, et d’abord une personne de qualité, dont l’esprit est assez connu dans le monde, et qui me fait l’honneur de m’aimer, trouva le projet assez à son gré, non-seulement pour me solliciter d’y mettre la main, mais encore pour l’y mettre lui-même ; et je fus étonné que deux jours après il me montra toute l’affaire exécutée d’une manière à la vérité beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi ; et j’eus peur que, si je produisois cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m’accusât d’avoir mendié les louanges qu’on m’y donnoit. Cependant cela m’empêcha, par quelque considération, d’achever ce que j’avois commencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera ; et cette incertitude est cause que je ne mets point dans cette préface ce qu’on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire paroître. S’il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens ; car, pour moi, je m’en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie ; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste soit de même.
ARNOLPHE, autrement M. DE LA SOUCHE.
AGNÈS, jeune fille innocente élevée par Arnolphe.
HORACE, amant d’Agnès.
ALAIN, paysan, valet d’Arnolphe.
GEORGETTE, paysanne, servante d’Arnolphe.
CHRYSALDE, ami d’Arnolphe.
ENRIQUE, beau-frère de Chrysalde.
ORONTE, père d’Horace et grand ami d’Arnolphe.
UN NOTAIRE.
La scène est dans une place de ville.
ACTE PREMIER
CHRYSALDE
Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main ?
ARNOLPHE
Oui. Je veux terminer la chose dans demain.
CHRYSALDE
Nous sommes ici seuls, et l’on peut, ce me semble,
Sans craindre d’être ouïs, y discourir ensemble.
Voulez-vous qu’en ami je vous ouvre mon cœur ?
Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur,
Et, de quelque façon que vous tourniez l’affaire,
Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.
ARNOLPHE
Il est vrai, notre ami. Peut-être que chez vous
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous ;
Et votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient partout l’infaillible apanage.
CHRYSALDE
Ce sont coups de hasard, dont on n’est point garant ;
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu’on en prend.
Mais, quand je crains pour vous, c’est cette raillerie
Dont cent pauvres maris ont souffert la furie :
Car enfin, vous savez qu’il n’est grands, ni petits,
Que de votre critique on ait vus garantis ;
Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,
De faire cent éclats des intrigues secrètes...
ARNOLPHE
Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi
Où l’on ait des maris si patients qu’ici ?
Est-ce qu’on n’en voit pas de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ?
L’un amasse du bien dont sa femme fait part
A ceux qui prennent soin de le faire cornard ;
L’autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,
Voit faire tous les jours des présents à sa femme,
Et d’aucun soin jaloux n’a l’esprit combattu,
Parce qu’elle lui dit que c’est pour sa vertu.
Dit qu’elle gagne au jeu l’argent qu’elle dépense ;
Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,
Sur les gains qu’elle fait rend des grâces à Dieu :
Enfin, ce sont partout des sujets de satire,
Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire ?
Puis-je pas de nos sots...
CHRYSALDE
Oui ; mais qui rit d’autrui
Doit craindre qu’en revanche on rie aussi de lui.
J’entends parler le monde, et des gens se délassent
A venir débiter les choses qui se passent ;
Mais, quoique l’on divulgue aux endroits où je suis,
Jamais on ne m’a vu triompher de ces bruits.
J’y suis assez modeste ; et bien qu’aux occurrences
Je puisse condamner certaines tolérances,
Que mon dessein ne soit de souffrir nullement
Ce que quelques maris souffrent paisiblement,
Pourtant je n’ai jamais affecté de le dire ;
Car enfin il faut craindre un revers de satire,
Et l’on ne doit jamais jurer sur de tels cas
De ce qu’on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène,
Il seroit arrivé quelque disgrâce humaine,
Après mon procédé, je suis presque certain
Qu’on se contentera de s’en rire sous main ;
Et peut-être qu’encor j’aurai cet avantage,
Que quelques bonnes gens diront que c’est dommage.
Mais de vous, cher compère, il en est autrement ;
Je vous le dis encor, vous risquez diablement.
Comme sur les maris accusés de souffrance
De tout temps votre langue a daubé d’importance,
Qu’on vous a vu contre eux un diable déchaîné,
Vous devez marcher droit, pour n’être point berné ;
Et, s’il faut que sur vous on ait la moindre prise,
Gare qu’aux carrefours on ne vous tympanise,
Et...
ARNOLPHE
Mon Dieu ! notre ami, ne vous tourmentez point :
Bien huppé qui pourra m’attraper sur ce point.
Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user les femmes.
Et comme on est dupé par leurs dextérités,
Contre cet accident j’ai pris mes sûretés ;
Et celle que j’épouse a toute l’innocence
Qui peut sauver mon front de maligne influence.
CHRYSALDE
Et que prétendez-vous qu’une sotte, en un mot...
ARNOLPHE