Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions paraît-il : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, tout aussi décisive, s’accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises. De l’essor des nouvelles technologies, le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître et moi aussi.
Alors on fait quoi ?
On avance puisque c’est ça la vie.
Il m’arrive de fermer les yeux et de me retrouver dans cet antre. C’est donc ça la paix. Un univers juste derrière les paupières qu’il suffit de fermer pour y voyager. Séjourner dans les prairies, marcher au bord des lacs. Se sentir léger, voler, se dissoudre.
Éprouver son corps, sa matérialité, épuiser son souffle et le voir se régénérer, devenir infini : palpiter, se sentir vivant. Être avec les potes, partager le temps, faire corps, construire un langage commun, être solidaires, accomplir quelque chose ensemble.
Puis la poésie, l’amour, la beauté, la peine et l’espérance. Une âme effeuillée par le souffle des vents, sensible aux êtres et aux choses, écorchée par le fracas du monde, conservant l’aube qui monte dans ses nervures. Pendant longtemps j’habitais l’une de faces de la lune ; le tremblement devant la beauté, l’aspiration à l’harmonie. Je ne souhaitais qu’une partie de la réalité, qu’un fragment du monde : celui qui m’offrait paix, repos et lisse beauté. Je n’étais pas encore guéri d’un idéalisme romantique qui souvent affecte l’adolescence et parfois même l’âge adulte. Avec les années, la vie s’épaissit de crépuscules et d’aubes, de tragédies intimes et d’accomplissements, de quêtes entre ferveur et lucidité.
Il y a un mur, pourquoi ? Sans ses propriétés physiques de mur, sans matérialité. Pour ce qui est de l’apercevoir, je le vois sans distorsion mais je fonce dedans comme à l’accoutumé sans qu’il ne soit ni solide ni visible récoltant bosses et ecchymoses mais la cicatrice, elle, ne guérit pas.
Si je compte sur les doigts d’une main je peux nommer Frédérique, je ne sais pas tout de son caractère. Nous avons certes de bonnes heures parmi celles que nous avons passés l’un près de l’autre ; mais je ne crois pas que nous en ayons eu de meilleures que celles que nous avons passés loin l’un de l’autre.
Pour ce qui est arrivé, c’est arrivé. Et après ? Eh bien entre-temps, on oublie. On revient à ses divertissements, à ses machinations, à ses obsessions, et on va de l’avant.
Plus jeune avec mes amis, nous échappions au temps, émus que nous étions d’être libres comme l’air. Libres. C’est le mot qui convient. Comme si nos destinées n’avaient d’autre raison d’être que de les réchauffer de mon cœur marqué au fer blanc.
Mon cœur, il s’emballe sans frein aux nids de la débauche. Je ne vis pleinement que réellement tout à l’excès.
En fait, je crois que « j’ai mal aux autres », maintenant que ma sensibilité est ma force, je veux croire encore en la beauté du monde. Mais il me semble raisonnable de ne pas s’en soucier, qu’on me prouverait le contraire ce serait mourir un peu.
Un étage en dessous des autres j’y ai fait un tour, on les voit tous complètement fous t’explique la meuf avec ses deux chiens dans son camion mal isolé. C’est qu’elle est une des seules à vivre normalement.
Il me faut éclairer à défaut de briller, de me laisser aller à la mélancolie de ces instants précieux qui se sont évanouis dans les brumes de l’oubli. Tourner la page.
J’ai l’impression que tous les fragments de mon corps sont faits de morts ressuscités, être seul et pourtant plein des autres, leur rendre vie en vivant de tout mon être.
Tout se perd dans le brouillard du passé.
L’indépendance dans le mode de vie et même dans la jouissance de la vie ne constitue plus, désormais, un objectif, tant la plupart des gens ne s’aperçoivent pas à quel point ils sont devenus des particules, des atomes d’une violence gigantesque.
La force d’âme acquise n’est pas une fois pour toutes et nôtre à jamais. Il faut la ressusciter chaque matin et l’exercer avec soin. Il faut aussi la nourrir de quelques succès. Je bois comme un templier. L'appétit vient en mangeant, la soif s'en va en buvant. Pantagruélisme est certaine gaieté d'esprit confite en mépris des choses fortuites.
Ma grand-mère reste tête haute, ses derniers espoirs n’ont pas fuis, chaque jour son courage et sa force d’âme ressuscitent, rongée par le cancer son énergie ne l’a pas abandonné tandis que moi j’attends le prochain assaut de la vie.