Copyright © H. Cauchois, 2022

Edition : BoD – Books on Demand GmbH,

12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris

Impression : Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne.

ISBN : 9782322445356

Dépot légal : février 2022

Tous droits réservés

AUTORISATION DU GRAND ORIENT DE FRANCE GRAND ORIENT DE FRANCE

Suprême Conseil pour la France et les possessions françaises.
O ∴∴ de Paris, le 21 janvier 1863 (e. v.).
T∴∴ C∴∴ et R∴∴ F∴∴,

Nous sommes heureux de vous annoncer que, sur l’avis favorable émis par le Conseil de l’ordre dans sa séance du 19 du courant, notre T∴∴ III∴∴ Grand Maître, en vertu de l’article 297 des statuts généraux, vous a autorisé à faire imprimer et publier le Cours oral de Franc-Maçonnerie symbolique dont vous êtes l’auteur.

Nous faisons des vœux pour le succès de cet ouvrage, où respirent de saines doctrines maçonniques.

Recevez, T∴∴ C∴∴ F∴∴, l’assurance de mes sentiments fraternels.

Le Grand Maître adjoint de l’Ordre,

HEULLANT.
Au T∴∴ R∴∴ F∴∴ CAUCHOIS.

AVERTISSEMENT

Le Cours oral de franc-maçonnerie symbolique n’était pas destiné à la publicité.

Il a eu lieu de vive voix, comme l’indique son titre, pendant douze séances des trois années 1859, 1860 et 18611, dans la R∴∴ L∴∴ Chap∴∴ et Aréop∴∴ des Cœurs-Unis, O∴∴ de Paris, en vue seulement d’instruire les FF∴∴ initiés par cet atelier.

Depuis, plusieurs francs-maçons de différentes loges, qui avaient assisté à ce cours, ont pensé qu’il pourrait être utile à la franc-maçonnerie entière de le publier. Alors, l’auteur s’est efforcé de le reproduire, par écrit, le plus fidèlement possible, d’après ses notes et ses souvenirs.

Exposer à tous le véritable esprit de la franc-maçonnerie symbolique, révélé par ses symboles eux-mêmes, par sa doctrine et par ses œuvres ; signaler la liaison intime et méthodique de ses trois grades, considérés jusqu’ici d’une manière isolée ; donner enfin une explication morale à chacune de ses formules, demeurées jusqu’à ce jour, pour la plupart, inexpliquées, tel est le triple but de la présente publication.

Puisse-t-il être atteint, dans l’intérêt général d’un ordre qui ne peut que gagner à être bien connu.


1 Les 11 mars, 8 avril, 13 mai, 10 juin, 11 novembre, 9 décembre 1859 ; 13 janvier, 9 mars, 9 novembre, 14 décembre 1860 ; 8 mars et 8 novembre 1861.

ABRÉVIATIONS

F∴∴ Frère.
G∴∴ A∴∴ de l’Un∴∴ Grand Architecte de l’Univers.
G∴∴ Ο∴∴ Grand Orient.
MM∴∴ FF∴∴ Mes frères.
O∴∴ Orient.
Or∴∴ Orateur.
R∴∴ L∴∴ Respectable loge.
R∴∴ L∴∴ Chap∴∴ et Aréop∴∴ Respectable Loge Chapitrale et Aréopagiste.
T∴∴Ρ∴∴ Très respectable.
Vén∴∴ Vénérable.

PRÉAMBULE

(1re Séance.)

§ 1. — Idée du cours. — Son objet.

MM∴∴ FF∴∴,

« Enseignez, propagez la franc-maçonnerie, et vous aurez rendu plus de services à l’humanité que tous les législateurs ensemble. » Ces paroles d’un F∴∴ qui a vieilli dans l’étude et la pratique des doctrines de notre ordre2 sont bien de nature à stimuler le zèle des francs-maçons en général, et particulièrement de ceux qui se trouvent appelés, par leurs fonctions mêmes, à l’enseignement maçonnique.

Élu et réélu depuis plusieurs années par la R∴∴ L∴∴ des Cœurs-Unis à la dignité d’Or∴∴, j’ai pensé, peut-être un peu tard, que le meilleur moyen d’utiliser l’enseignement qui m’était confié serait d’ouvrir un cours de franc-maçonnerie symbolique, dans lequel les trois grades d’apprenti, de compagnon et de maître, qui composent à eux seuls cette franc-maçonnerie, seraient successivement examinés et développés dans un ordre méthodique. Par là il deviendrait plus facile de comprendre le sens et la portée des instructions symboliques, et de saisir leur liaison rationnelle et progressive.

Ce projet de cours, soumis à la R∴∴ L∴∴ des Cœurs-Unis, a reçu son approbation. Il lui a paru opportun d’examiner à nouveau la franc-maçonnerie symbolique, alors que le G∴∴ O∴∴ de France a cru devoir réviser les cahiers des trois premiers grades, afin de constater et d’expliquer au besoin les modifications opérées par cette révision. Dès lors, il ne s’est plus agi que de rechercher dans quelle forme le cours devrait avoir lieu.

On avait à choisir entre deux différents modes d’instruction : l’enseignement par écrit et l’enseignement de vive voix. Le premier est d’ordinaire plus correct et plus précis que le second, mais ce dernier se prête plus facilement aux explications de détail, dans lesquelles il est quelquefois nécessaire d’entrer pour se faire mieux comprendre, aussi est-il constamment préféré pour les cours publics. D’ailleurs, le mot cours implique l’idée d’une instruction courante, et il devient fort difficile de courir lorsqu’on se trouve enchainé par un écrit. Cependant, par une singulière contradiction, les seuls cours maçonniques connus à Paris, ceux des FF∴∴ Vassal et Ragon, ont eu lieu tous deux par écrit3. La R∴∴ L∴∴ des Cœurs-Unis a pensé qu’il convenait de se conformer, pour le cours actuel, à la véritable signification de ce mot, et d’offrir ainsi aux francs-maçons l’attrait de la nouveauté. En conséquence, elle a décidé que ce cours aurait lieu oralement.

Ceci dit, MM∴∴ FF∴∴, il ne me resterait plus, si j’étais en présence d’une assemblée profane, qu’à invoquer son indulgence : mais la vôtre m’est tellement connue, vous m’en avez donné tant de preuves, que je craindrais de manquer de reconnaissance si je paraissais en douter ; je suis convaincu d’avance qu’elle ne me faillira pas dans les circonstances nombreuses où j’en aurai certainement besoin.

§ 2. — Rites et grades maçonniques.

En vous annonçant, MM∴∴FF∴∴ que le cours actuel porterait seulement sur la franc-maçonnerie symbolique, j’ai dû soulever dans vos esprits la question suivante Il y a donc plusieurs franc-maçonneries ? Hélas oui, et quoiqu’on puisse le regretter, il ne faut pas s’en étonner. Aussitôt qu’une bonne idée est émise, tout le monde veut s’en emparer ; chacun la tourne à sa manière, et, pour mieux se l’approprier, s’efforce de lui imprimer le cachet de sa personnalité De là des modifications nombreuses, des additions, des retranchements, des superfétations, puis enfin des altérations et même des contrefaçons.

C’est ainsi que la franc-maçonnerie primitive a donné naissance à une foule de rites et de grades, dont plusieurs, entièrement étrangers à son but, ont heureusement disparu. Mais aujourd’hui encore, on ne compte pas moins de 22 rites et 374 grades prétendus maçonniques, dont voici la nomenclature4 :

Parmi cette multitude de rites et de grades, plusieurs semblent fort peu conformes au véritable esprit de la doctrine maçonnique, ou du moins inutiles à ses développements. Aussi, le G∴∴ O∴∴ de France a-t-il fait un choix qui, au premier abord, paraît extrêmement radical. Sur les vingt-deux rites, il en a écarté vingt, et n’en a admis que deux ; savoir : le rite français, qui comprend dix-huit grades, et le rite écossais ancien et accepté qui, sauf de très légères différences, marche d’accord avec le rite français, jusques et compris le dixhuitième grade, et s’étend seul jusques et compris le trente-troisième grade, nec plus ultra de la franc-maçonnerie reconnue par notre sénat maçonnique5.

Sans doute, d’après l’intention du G∴∴ O∴∴ de France, ces trente-trois grades ne devraient former qu’une seule et même franc-maçonnerie ; mais la concordance de plusieurs entre eux et leur dissemblance avec les autres, les ont fait classer en quatre catégories qui, d’après le langage usuel, composent autant de franc-maçonneries distinctes, dont chacune est désignée par son élément dominant, ou par la couleur du cordon du plus haut grade qu’elle confère.

Par suite, ces trente-trois grades forment les quatre espèces de francmaçonneries suivantes :

1° La franc-maçonnerie symbolique, ou bleue, comprenant les trois premiers grades, ainsi nommée à cause des nombreux symboles qu’elle renferme, et du cordon bleu qui décore le maître.

2° La franc-maçonnerie religieuse, ou rouge, commençant au quatrième grade et finissant avec le dix-huitième ; ainsi appelée à cause de son caractère éminemment religieux, et du cordon rouge dont est décoré le rose-croix.

3° La franc-maçonnerie philosophique, ou noire, commençant au dixneuvième grade, et finissant avec le trentième, ainsi nommée à cause de son caractère essentiellement philosophique, et du cordon noir qui décore le kadosch.

4° Et la franc-maçonnerie blanche, ou administrative, comprenant les trois derniers grades, ainsi appelée à cause de son caractère exclusivement administratif, et du cordon blanc dont est décoré le trente-troisième.

Peut-être penserez-vous, MM∴∴ FF∴∴, que le cours actuel, se bornant aux trois premiers grades, vous sera d’une faible utilité, puisqu’il vous en laissera ignorer trente ? A cet égard je crois pouvoir vous dire, sans indiscrétion, que les grades se pèsent plutôt qu’ils ne se comptent, et que la qualité vaut mieux que la quantité. Or, si les grades supérieurs aux trois premiers contiennent quelques renseignements historiques et quelques développements philosophiques assez importants, les trois premiers grades renferment à eux seuls tout ce qu’il y a de vraiment essentiel dans la doctrine maçonnique ; et le maître peut, à bon droit, se considérer comme un franc-maçon parfait, lorsqu’il possède toutes les connaissances et pratique toutes les vertus enseignées par la franc-maçonnerie symbolique.


2 Le F∴∴ Desétangs, ancien vén∴∴ de la R∴∴ L∴∴ des Trinosophes, O∴∴ de Paris.

3 Voir Cours complet de maçonnerie, par le docteur Vassal, 1832 ; Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes, par J.-M. Ragon, 1843.

4 Précis sur la franc-maçonnerie, 1856, par le F∴∴ César Moreau, p. 16 et suivantes.

5 Depuis cette séance le G∴∴ O∴∴ de France a admis en principe le rite de Memphis, et a permis à ses loges de travailler aux trois grades symboliques, selon les pratiques propres à ce rite ; mais il a spécifié que les grades supérieurs ne pourront dépasser le grade de 30e, au delà duquel il n’y a plus que des grades administratifs, qui ne peuvent être accordés que par le grand collège des rites, et en se conformant aux articles 130, 137 et suivants des statuts généraux.

TITRE I

NOTIONS PRÉLIMINAIRES

Avant d’examiner les trois grades d’apprenti, de compagnon et de maître, qui composent à eux seuls toute la franc-maçonnerie symbolique, ou bleue, il est nécessaire d’exposer d’abord quelques notions préliminaires, applicables à ces trois grades symboliques, et qui nous permettront plus tard de les mieux comprendre.

Pour suivre, autant que possible, l’ordre logique selon lequel les questions générales se présentent à l’esprit du récipiendaire, nous rechercherons successivement les caractères distinctifs de la franc-maçonnerie, son origine, son but et ses mystères.

CHAPITRE I

CARACTÈRES DISTINCTIFS DE LA FRANC-MAÇONNERIE

Rien de plus difficile, on l’a dit avec raison, qu’une bonne définition. En effet, définir une chose, c’est indiquer les qualités essentielles qui la distinguent des autres, c’est-à-dire, faire connaître à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Or, fort peu de définitions réunissent ce double caractère.

Avant tout, pour bien définir, il importe de bien connaître ; autrement on s’expose aux plus graves erreurs. Nous en trouvons une preuve manifeste dans le supplément au dictionnaire de l’Académie française, édité en 1829, qui définit ainsi la franc-maçonnerie : « Société mystérieuse, prétendue cabalistique, sans but, et dont les membres se reconnaissent à certains signes et attouchements. » Cabalistique, elle qui signale à ses adeptes les partisans de la cabale comme des fous ou des charlatans ; et sans but, elle dont le triple but est le plus digne que puisse se proposer une institution humaine : « Unir, éclairer et rendre heureuse l’humanité. »

Suivant le Vén∴∴ F∴∴ Desétangs, « la franc-maçonnerie est le lien des peuples. » C’est bien là indiquer, par une fort belle image, un de ses plus heureux effets ; mais ce n’est pas faire connaître empiétement en quoi elle consiste.

Enfin, d’après le F∴∴ Vassal, ancien secrétaire général du G∴∴ O∴∴ de France ; « la franc-maçonnerie est la philosophie symbolique, » c’est-à-dire enseignée à l’aide de symboles. Ici, l’horizon s’agrandit, sans cependant atteindre les limites de la réalité. Adressons-nous donc au G∴∴O∴∴ de France, et nous en obtiendrons sans doute la définition la plus exacte de notre institution.

SECTION I. — Définition officielle de la franc-maçonnerie.

L’article le de la constitution du 10 août 1849 s’exprime en ces termes :

« La franc-maçonnerie, institution philanthropique, philosophique et progressive, a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ; elle a pour objet l’exercice de la bienfaisance, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la pratique de toutes les vertus. Sa devise a été de tout temps : « Liberté, Égalité, Fraternité. »

Cette définition avait été légèrement modifiée par l’article 1er de la constitution du 28 octobre 1854 ; mais elle se trouve textuellement reproduite dans les nouveaux cahiers des trois premiers grades publiés par le G∴∴ O∴∴ de France en 1858. La devise seule manquait dans l’instruction d’apprenti ; elle a été rétablie dans l’instruction de maître, comme un complément nécessaire, et exigé par l’article 5 de la constitution de 1854, ainsi conçu : « La franc-maçonnerie conserve toujours son ancienne devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »

Ainsi, MM∴∴ F∴∴, nous voilà en possession d’une définition officielle de la franc-maçonnerie, sanctionnée par deux constitutions6 et par les instructions qui les ont suivies. Dès lors, il ne nous reste plus, pour obtenir une juste idée de notre ordre, qu’à analyser les différentes parties de cette définition.

La philanthropie maçonnique est l’amour de l’humanité, dans sa plus grande expansion ; car elle embrasse tous les hommes, sans aucune distinction de pays, de naissance, de couleur, de fortune, de position sociale, de titres et de rangs, d’opinions politiques et religieuses.

La philosophie maçonnique ne constitue ni une école ni une secte particulière ; mais elle présente dans le symbolisme, le résumé, la quintessence de toutes les philosophies. Remontant, autant que possible, des effets aux causes, elle puise dans l’étude du monde, la connaissance de Dieu ; dans l’étude de l’homme, la connaissance de sa double nature et de sa double destination ; et dans l’étude des différents systèmes philosophiques, le moyen de les concilier tous, sur les points nécessaires à la moralité sociale, et par suite au bonheur de l’humanité.

Le progrès maçonnique ne consiste pas dans un amour immodéré d’innovations, car la franc-maçonnerie sait fort bien qu’à côté du bienfait d’améliorer se trouve le danger d’innover ; et elle sait aussi que, pour être durable, le progrès ne doit s’opérer qu’avec une sage lenteur. Mais on ne voit jamais ses adeptes, à l’instar de certaines gens, au char de la raison s’attelant par derrière ; leurs aspirations naturelles et leurs constants efforts sont dirigés vers le progrès des lumières, c’est-à-dire le progrès dans le bien, dans la moralité humaine, dans le chemin de la vertu.

L’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme constituent les deux bases essentielles de la franc-maçonnerie, et sont aussi celles de toutes les philosophies et de toutes les religions, sainement comprises ; elles doivent donc former un lien naturel de concordance entre elles.

L’existence de Dieu est indispensable pour expliquer le monde physique, intellectuel et moral ; c’est ce qui a fait dire au philosophe de Ferney « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer7 »

Cette existence se manifeste à nos regards par toutes les merveilles de la création, et principalement par la voûte céleste, qui excite sans cesse notre admiration. Cœli enarrant gloriam Dei, les cieux racontent la gloire de Dieu ; ou, suivant la traduction poétique de Jean-Baptiste Rousseau8 :

Les cieux instruisent la terre
À révérer leur auteur ;
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.

Aussi, l’existence de Dieu a-t-elle été admise dans tous les temps et dans tous les pays ; et si quelques esprits vulgaires ont pu être abusés par le polythéisme, l’unité divine n’a pas cessé d’être enseignée par les initiateurs et reconnue par les initiés.

Aujourd’hui, toutes les nations civilisées reconnaissent qu’il n’y a qu’un seul Dieu ; mais elles lui prêtent encore des caractères bien différents, comme pour justifier cette ancienne remarque philosophique : « Si. Dieu a fait les hommes à son image, ceux-ci le lui ont bien rendu, et ils l’ont fait à la leur, en lui supposant la plupart de leurs mauvaises passions. »

Le Dieu des francs-maçons est un, universel, incréé, éternel, souverainement puissant, intelligent et indulgent. Créateur de tout ce qui existe par sa seule puissance, il dirige le monde par sa suprême intelligence, et traite l’humanité avec une indulgence toute paternelle. Source de toute lumière et de toute justice, type de toutes les perfections, il est ineffable par son essence et ne peut être désigné que par l’un de ses attributs ; voilà pourquoi les francsmaçons se contentent de le qualifier en ces termes : « Le Grand Architecte de l’Univers. »

L’immortalité de l’âme ne saurait être considérée comme une pure invention de la vanité humaine. Non-seulement elle est nécessaire à la moralité sociale, mais elle est un besoin du cœur, de l’esprit et du jugement. Contemplez une mère auprès du tombeau de son fils unique, et cherchez à quelle source il lui est possible de puiser des consolations ; vous reconnaîtrez bientôt que c’est uniquement dans l’espérance de se réunir un jour à l’enfant chéri dont elle déplore la perte. Écoutez un sage, parvenu au sommet de la science humaine, et répétant avec Socrate : « Ce que je sais c’est que je ne sais rien ; » vous comprendrez qu’un savoir si péniblement acquis et cependant si incomplet, doit recevoir ailleurs un digne complément. Considérez enfin la partie matérielle de l’homme, changeant de forme sans s’anéantir, et demandez-vous alors comment la partie immatérielle pourrait subir l’anéantissement ? Ne serait-ce pas là un renversement de l’ordre naturel, une anomalie inexplicable, une choquante contradiction. Que sera-ce donc si l’homme vertueux succombe sous les coups de lâches meurtriers ? alors la justice divine exigera nécessairement la punition des coupables et la récompense de leur innocente victime.

Aussi les hommes de tous les temps et de tous les pays ont-ils compris qu’ils étaient appelés à se survivre, et ils n’ont différé entre eux à cet égard que par la manière de formuler leur croyance. Le panthéisme et la métempsycose elle-même n’étaient que des genres différents d’immortalité.

Les francs-maçons croient que l’âme immortelle retrouvera dans une existence nouvelle les objets de ses plus chères affections en cette vie ; qu’elle ira compléter, auprès du G∴∴ A∴∴ de les connaissances qu’ici-bas elle n’a pu qu’effleurer ; et qu’elle sera punie ou récompensée, suivant le mérite ou le démérite de ses œuvres.

La bienfaisance maçonnique doit s’exercer à l’égard de tous les hommes, puisqu’ils sont tous frères, comme enfants du même Dieu. Elle comprend nonseulement les secours pécuniaires, mais encore tous les moyens d’assistance physique, intellectuelle et morale. Si votre frère souffre, hâtez-vous de le secourir ; s’il est plongé dans les ténèbres de l’ignorance, portez-lui le flambeau de la vérité ; s’il a eu le malheur de se laisser entraîner par de mauvais conseils, efforcez-vous de le ramener par de bons exemples.

Certes, il ne faudrait pas réduire la franc-maçonnerie à n’être qu’un bureau de bienfaisance ou une société de secours mutuels ; car, si respectables et si utiles que soient ces institutions, elles se trouvent régies par des lois bien différentes de celles de notre ordre, et n’ont pas, à beaucoup près, la même portée philosophique.

La morale maçonnique n’est ni catholique, ni protestante, ni juive, ni mahométane, elle est universelle. Pour mériter ce titre, elle s’attache d’abord de préférence aux points sur lesquels les moralistes de tous les pays et de toutes les religions sont d’accord ; puis ensuite elle s’efforce d’harmoniser les opinions les plus contraires en apparence, en faisant cesser les malentendus qui sont la cause la plus ordinaire des prétendues contradictions.

L’étude des sciences et des arts est considérée par la franc-maçonnerie comme nécessaire à l’intelligence de sa philosophie symbolique, au développement et au progrès de l’esprit humain et à la moralisation sociale. Sans prétendre former des savants ni des artistes, elle s’honore en accueillant ceux qui peuvent le mieux l’éclairer par leurs lumières et la charmer par leurs talents. Sa science principale consiste dans la connaissance du monde ; et son art suprême est de faire vivre en bonne intelligence les hommes de toutes les opinions, de tous les partis, de tous les cultes.

La pratique de toutes les vertus, voilà surtout l’objet essentiel de la francmaçonnerie. Aux bonnes leçons joignant les bons exemples, c’est par la théorie et la pratique de la vertu qu’elle s’efforce de conduire ses adeptes à un double bonheur dans ce monde et dans l’autre.

La devise : Liberté, Égalité, Fraternité, est pour la franc-maçonnerie l’expression, non pas d’une théorie politique, mais d’un dogme philosophique. Aussi, la constitution de 1854, articles 2 et 3, rappelle à tous les francs-maçons que, travaillant seulement dans le domaine des idées, ils doivent respecter les lois du pays qu’ils habitent, la foi religieuse et les sympathies politiques de tous les hommes, et s’interdire, dans leurs réunions, toute discussion à ce sujet9.

La liberté maçonnique n’a rien de commun avec la licence, qui n’est autre chose qu’un despotisme déguisé. La franc-maçonnerie n’ignore pas que la liberté de chacun est limitée par la liberté de tous ; et que, si ces deux libertés se trouvent opposées l’une à l’autre, l’intérêt particulier doit céder à l’intérêt général. Mais elle appelle de tous ses vœux et favorise de tous ses efforts le libre développement de toutes les facultés humaines, compatible avec le maintien du bon ordre ; et elle considère comme un devoir de signaler et de flétrir les actes attentatoires à la liberté individuelle et à la liberté de conscience, qui dégénèrent trop souvent en une véritable barbarie.

Comment comprendre qu’aujourd’hui l’esclavage puisse encore subsister chez plusieurs nations civilisées, et notamment dans les États-Unis d’Amérique !

À Rome, un enfant juif, de la famille Mortara, a été enlevé à la religion de ses pères, parce qu’il a plu à une servante de le baptiser catholique ; et, pour empêcher tout retour à sa religion native, il a été jeté dans un couvent de catéchumènes, au mépris de tous les droits de la puissance paternelle.

À Stockholm, trois dames fort honorables ont subi l’expulsion de leur patrie et la confiscation de leurs biens, parce qu’elles s’étaient fait recevoir catholiques, en abjurant le protestantisme.

Et à Djeddah, le consul de France et plusieurs autres Français ont été traîtreusement égorgés par des musulmans fanatiques, qui n’avaient d’autres griefs à reprocher à leurs victimes que la qualité chrétiens.

L’égalité maçonnique est bien loin de diminuer le respect dû aux autorités constituées, car la franc-maçonnerie rappelle sans cesse aux gouvernés que la hiérarchie sociale est indispensable pour protéger leurs personnes et leurs propriétés, et que la principale force des chefs consiste dans la vénération qui les entoure ; mais, en même temps, elle s’efforce de prémunir les gouvernants contre les funestes égarements de l’orgueil, en les faisant souvenir qu’ils ne sont élevés au-dessus de leur semblables que pour leur être utiles, et que leur véritable grandeur dépend bien moins de leurs fonctions mêmes que de la manière dont ils les exercent. À ses yeux, tous les hommes, pétris du même limon, soumis aux mêmes besoins, aux mêmes infirmités et à la mort, qui fait évanouir toutes les distinctions puériles de la vanité, ne se distinguent réellement les uns des autres que par leurs qualités morales ; et elle redit souvent avec Voltaire10 :

Les mortels sont égaux, ce n’est point la naissance,
C’est la seule vertu qui fait leur différence.

La fraternité maçonnique, au lieu d’être restreinte à une profession, à une secte, à un pays quelconque, s’étend à tous les hommes, quelles que soient leur condition, leur corporation, leur patrie. Le franc-maçon, citoyen du monde, ne voit dans l’univers qu’un seul peuple de frères, et dans l’humanité qu’une seule famille, dont il s’efforce d’unir tous les membres, en leur rappelant sans cesse la triple fraternité, résultant de leur communauté d’origine, de besoins et de destination. Si l’union fait la force, cela est vrai surtout pour l’union fraternelle établie par la franc-maçonnerie, qui constitue le véritable lien des peuples ; et cette union ne sera complètement réalisée que lorsque la bannière de la fraternité maçonnique flottera sur le monde entier.

SECTION II. — La franc-maçonnerie moderne et les mystères anciens.

La franc-maçonnerie moderne ressemble aux mystères anciens par certaines formes et certains emblèmes mystérieux ; mais elle en diffère sous plusieurs rapports.

D’abord elle n’a point deux doctrines : l’une ésotérique pour le vulgaire, et l’autre isotérique pour les seuls initiés ; elle n’a qu’une seule doctrine, expliquée spécialement à ses adeptes par les discours prononcés dans les ateliers, et portée à la connaissance de tous les lecteurs, francs-maçons ou profanes, par les publications maçonniques.

Par suite, on ne la voit adorer ni le soleil, ni la lune, ni aucun autre objet de la création ; mais elle réserve exclusivement son adoration pour le G∴∴ A∴∴ de l’Un∴∴, créateur des mondes et de l’humanité, source unique de la lumière physique, intellectuelle et morale, de la science, de la sagesse et de la vertu.

Elle ne se borne pas à retracer, par ses symboles et ses emblèmes, les grands phénomènes de la nature matérielle et ses diverses transformations ; mais au dogme insuffisant de la métempsycose des corps elle a pris soin d’ajouter le dogme si consolant, si moral et si rationnel de l’immortalité des âmes.

Loin de vouloir concentrer les lumières dans l’intérieur des temples, elle s’efforce au contraire de les répandre au dehors, par tous les moyens en son pouvoir ; et, au lieu de restreindre l’initiation à certaines classes privilégiées, elle appelle tous les hommes offrant des garanties suffisantes de moralité à jouir des bienfaits de la fraternité maçonnique.

SECTION III. — La franc-maçonnerie comparée aux religions reconnues.

La franc-maçonnerie constitue-t-elle une religion ?

Cette question, depuis fort longtemps et très souvent agitée, a soulevé de nos jours une si vive controverse, qu’il devient impossible de la passer sous silence ; mais, plus on l’examine avec attention, et plus on acquiert la profonde conviction qu’elle n’est pas susceptible d’une solution absolue.

En effet, l’Académie définit le mot RELIGION en ces termes : « La croyance qu’on a dans la Divinité, et le culte qu’on lui rend en conséquence. » Or, la franc-maçonnerie a pour base essentielle la croyance en un Dieu unique, créateur de tout ce qui existe, père commun de tous les mortels, qui doit récompenser les bons et punir les méchants par l’immortalité de l’âme ; et elle honore l’Être suprême en toute circonstance, puisque tous ses actes ont lieu à la gloire du G∴∴ A∴∴ de l’Un∴∴, dont elle invoque les lumières pour éclairer ses travaux, et l’assistance pour les accomplir. Elle semble donc réunir les deux conditions exigées pour constituer une religion.

Il y a plus, suivant l’opinion de ses adeptes, aucune institution humaine ne justifie aussi bien que la franc-maçonnerie le sens étymologique du mot religion ; car aucune ne réussit comme elle à relier les créatures au créateur, par les liens de l’amour, du respect et de la reconnaissance, et à relier les créatures entre elles, par les liens de la fraternité originelle, de la bienfaisance et de l’amitié.

Par suite, il ne faut pas s’étonner que la plupart des francs-maçons considèrent comme une religion la franc-maçonnerie, qui développe et fortifie dans leurs cœurs les sentiments religieux.

Cependant, si l’on compare la franc-maçonnerie à toutes les religions reconnues, il est impossible de n’être pas frappé des nombreuses différences qui l’en distinguent.

D’abord, à côté de la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme, toutes les religions ont placé une série de dogmes spéciaux, reconnus impénétrables à la raison, mais qui forment autant d’articles de foi ; et comme ces dogmes varient suivant les différentes religions, et que chacune d’elles se déclare infaillible en vertu d’une révélation divine, elles sont nécessairement arrivées à une exclusion réciproque.

De plus, les formes établies pour honorer la Divinité ne sont pas moins variables que les dogmes eux-mêmes ; et chaque religionnaire croirait mal servir Dieu, s’il ne se conformait pas, pour son culte, aux pratiques spéciales que sa religion a prescrites.

La franc-maçonnerie, au contraire, ne prescrit et n’exclut aucun dogme ni aucun culte particulier. Croire en Dieu et en l’immortalité de l’âme, voilà la seule profession de foi qu’elle exige des candidats à l’initiation ; parce que cette double croyance, base essentielle de toute religion, comme de toute philosophie, est indispensable pour garantir la moralité des récipiendaires. Du reste, elle admet toutes les religions, tous les cultes, et elle s’efforce de les harmoniser par sa tolérance, en les dégageant de fanatisme et de superstition.

Dès lors il demeure évident que la franc-maçonnerie, telle qu’elle est organisée, ne saurait être assimilée à aucune des religions reconnues.

Mais, en présence de son but, éminemment religieux et de ses résultats philanthropiques, comment comprendre que la franc-maçonnerie ait pu être considérée, à différentes époques, comme ennemie du trône et de l’autel, et ait encouru, par suite, les persécutions de plusieurs souverains et les excommunications de plusieurs papes ?

Sans remonter au delà du dix-huitième siècle, voici l’indication sommaire des principaux faits à cet égard :

14 sept. 1137. Sentence du Châtelet de Paris, qui interdit les réunions maçonniques.

4 mai. 1738. Bulle de damnation et d’excommunication du pape Clément XII contre les francs-maçons.

27 déc. 1738. Arrestation de plusieurs francs-maçons réunis à Paris pour célébrer la fête de l’ordre.

8 mars 1745. Ordonnance des magistrats de Berne contre les francs-maçons.

18 mai 1751. Confirmation, par le pape Benoît XIV, de la bulle de Clément XII, renouvelée depuis par les papes Pie VII, Léon XII et Pie IX.

2 juillet 1751. Édit de Charles III, roi de Naples, contre les francs-maçons.