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Souvenirs de Saint-Cyr

Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066335922

Table des matières


AU LECTEUR.
A LA MUSE DE SAINT-CYR.
DOUZE JOURNÉES DE PRISON.
PREMIÈRE JOURNÉE.
DEUXIÈME JOURNÉE.
TROISIÈME JOURNÉE.
QUATRIÈME JOURNÉE.
CINQUIÈME JOURNÉE
SIXIÈME JOURNÉE.
SEPTIÈME JOURNÉE.
HUITIÈME JOURNÉE.
NEUVIÈME JOURNÉE.
DIXIÈME JOURNÉE.
ONZIÈME JOURNÉE.
DOUZIÈME JOURNÉE.
POUR ELLE!
ODE.
JADIS ET MAINTENANT.
JADIS ET MAINTENANT
L’ÉPIDÉMIE,
CHANT I er .
CHANT II.
CHANT III.
LE BONNET DE POLICE .
LE MANTEAU
L’ÉPAULETTE D’OR.
LE PAUVRE VÉTÉRAN.
LE FUSIL DU VÉTÉRAN.
A MA PIPE.
LA SALLE DES VISITES .
L’INFIRMERIE .
L’INFIRMERIE ET L’ÉCOLE .
UN CARNAVAL A SAINT-CYR.
LE CIMETIÈRE.
NOMS DES PROMOTIONS
LES NOMS DE GUERRE ,
ADIEUX
RETOUR
RESTAURATION
L’ÉPAULETTE D’OR.
OFFICIER!
LA PRISON.
LES PLANS.
LA PREMIÈRE SORTIE.
L’OFFICIER MALHEUREUX.
LE FRUIT SEC AU HOLLANDAIS.
LE DÉPART DES OFFICIERS.
CHANT DE TRIOMPHE.
LA GALETTE.
CHANT DE TRIOMPHE (DJEMMA) .
CHANT DE TRIOMPHE.
CHANT DE TRIOMPHE.
CHANT DE TRIOMPHE.
CHANT DE TRIOMPHE.
CHANT DE TRIOMPHE.
L’ANCIEN .
LE CONSCRIT.
LES DIX-HUIT COMMANDEMENTS
AUX RECRUES.
LA JOURNÉE DU CONSCRIT.
PATER DU CONSCRIT
PRIÈRE DU CONSCRIT.

A LA MUSE DE SAINT-CYR.

Table des matières

(1853.)

00006.jpgAu sein des champs
[tu pris naissance,
Aimable Muse, — et ton berceau
Jadis gardé par l’Innocence
S’abrite aujourd’hui d’un drapeau.



Longtemps, une pure harmonie,
D’Ester le rhythme gracieux,
Ainsi qu’un parfum de l’Asie,
Pour toi s’exhala vers les cieux...



Parfois encore, des charmilles
Un écho lointain nous poursuit,
Mêlant les chœurs des jeunes filles
Aux vagues concerts de la nuit.



Mais de son aile impatiente
Le temps nous presse tous les jours,
Et tout cède à sa faux tranchante:
Grâces, talents, jeunesse, amours!



Ainsi, tourterelles plaintives,
Fuyant les serres de l’autour,
Vous avez dû, pour d’autres rives,
Prendre votre vol sans retour!



Pour perpétuer d’âge en âge,
O Muse, ton culte en ces lieux,
Nous venons t’apporter l’hommage
Du fruit de nos efforts pieux.



Maint critique, à l’humeur chagrine,
Pourra, d’un style exagéré,
Gémir, en voyant que Racine
Nous légua son luth inspiré.



Pardonne-nous, — Mars dès l’aurore,
Imposant ses chants à nos voix,
Fait qu’elles sont rudes encore
Lorsqu’il leur faut chanter les bois.



Si pour embellir ta couronne,
Ces fleurs ont trop peu de fraîcheur.
Nous aurons du moins à ton trône
Inscrit ces mots: Patrie, honneur.



Et plus tard, à la fleur champêtre,
Trop fragile aux mains du guerrier,
Il nous sera donné peut-être
D’unir le rameau de laurier!

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DOUZE JOURNÉES DE PRISON.

Table des matières


INTRODUCTION

00008.jpgMA main durant ces jours
[d’une peine éphémère
N’a tracé pour personne une pensée amère...
Aussi je ne crains pas que la sage équité
Proscrive ces enfants de la Nécessité.

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PREMIÈRE JOURNÉE.

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3 octobre



Est-ce le jour enfin, dont la pâle lumière
Jette un rayon douteux sur ma faible paupière?
Ou de l’astre des nuits quelque reflet menteur
Vient-il seul m’apporter sa mourante lueur?
Mais je préfère encor la nuit et son silence
Aux vains bruits d’un faux jour, sombre et sans espérance.
La nuit, on peut rêver plus en paix que le jour...
Avec elle la nuit verse un parfum d’amour,
Qui d’un cœur de vingt ans sait calmer la tristesse.
Ainsi la tendre fleur qu’un doux zéphyr caresse,
S’entr’ouvrant aux rayons d’un soleil radieux,
Semble braver l’effort de l’autan furieux.
C’est la nuit... Le marteau sur le timbre sonore
Vient de frapper un coup: il n’est qu’une heure encore!
Pour toi seul dans ces murs c’est l’heure du réveil:
Tu songeras demain, prisonnier, au sommeil...
Le sergent dort en paix, tout est calme et tranquille!
Allumons...



Tu dormais aussi, toi, grande ville,
Avec tes beaux palais et leurs coupoles d’or,
Tu dormais dans la nuit du six de thermidor,
Lorsque tes triumvirs préparaient des tempêtes
(Insensés! l’ouragan allait courber leurs têtes...);
Tu dormais: tel jadis le vieux peuple romain
Reposait, attendant les jeux du lendemain.
Ton jeu, Paris, c’était alors la guillotine!...



Parmi ceux qu’au bourreau Robespierre destine,
Au fond d’un noir cachot veille seul un proscrit.
Sur la liste de mort depuis longtemps inscrit,
Des maîtres de ses jours il connaît la justice.
Dès longtemps il est prêt à marcher au supplice.
Il sait qu’il ne lui reste à vivre qu’un instant,
Il sait qu’au point du jour la charrette l’attend;
Et pourtant il sourit comme à quelque doux rêve,
Il est heureux, il songe à ces vers qu’il achève.
Il peut donc lui laisser du moins ce souvenir!
Il mourra... mais ses vers vivront dans l’avenir!
A l’heure du repas, quand la jeune captive
Le cherchera demain, inquiète et craintive,
Il veut que, pour charmer ses regrets superflus,
L’enfant garde ce don de l’ami qui n’est plus.



Puis son front s’assombrit: il va quitter son frère,
Il ne recevra plus les baisers de sa mère.
Mais de ses yeux voilés semblent couler des pleurs!
— Sur sa tombe plus tard jettera-t-on des fleurs?
Quel sort attend son nom, la gloire ou le silence? —
Va, poëte... reprends ta noble confiance!
L’avenir est à toi, car l’immortalité
Est acquise au talent, dès qu’il l’a mérité.
Au pied de l’échafaud la gloire est ton partage:
La France recevra de toi pour héritage
Ces vers, ces derniers vers écrits dans ta prison,
Beaux épis nouveau-nés au jour de la moisson.



Pour moi, captif aussi, j’ai laissé ma pensée
Offrir un saint tribut à ta cendre glacée.
De tes vers si touchants sensible admirateur,
Dans ma prison je dois à leur charme enchanteur
Le reveil de mon âme à dormir condamnée:
Heureux par toi, je t’ai consacré ma journée.

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DEUXIÈME JOURNÉE.

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4 octobre.



Vous qui m’avez privé de la clarté des cieux,
Pourquoi vous maudirais-je? ici je suis heureux!...



Car j’aime, prisonnier en mon humble cellule,
A l’heure où se reflète un pâle crépuscule
Sur mes quatre murs blancs,
J’aime à me rappeler souvenirs qui s’effacent,
Derniers restes vivants de tous les jours qui passent
Ou tristes ou riants.



Le soir, c’est pour toute âme heure de rêverie;
C’est l’instant où l’on pleure en silence, où l’on prie
Pour ceux qui ne sont plus;
L’instant où dans les airs on entend une plainte,
L’instant où retentit au loin la cloche sainte
Qui sonne l’Angelus!



Et puis quel lieu plus propre à la mélancolie?
Que de noms sont ici que le présent oublie
Le soir de leur matin!
Ils restent près de nous, reliques d’un autre âge,
Comme pour inviter à feuilleter leur page
Au livre du destin!



Où sont-ils maintenant, nos aînés dans l’arène?
Que nous a laissé d’eux le temps qui tout entraîne?
Peut-être un souvenir.
Et combien ont passé, dont l’horizon prospère
Semblait leur réserver au bout de la carrière
Place dans l’avenir!...

Mais pourquoi soulever le voile
Qui cache leur sort à nos yeux?...
Quand une fugitive étoile
Fuit et disparaît dans les cieux,
Allons-nous sonder le mystère
Qui de sa lueur éphémère
Prive cet astre passager?...
Allons-nous rechercher la cause
Qui fait sitôt mourir la rose
Au souffle d’un vent si léger?



Si le passé nous intéresse,
Cherchons-y souvenir plus doux!
N’appelons pas jours de tristesse,
Ils luiront assez tôt pour nous!
Ne sommes-nous pas de ce monde
Où la brise qui ride l’onde
Suffit pour éloigner du bord
Le voyageur dont le navire
Voguant sur l’aile du zéphire
Peut-être allait toucher le port!



Laissons reposer sous la pierre
Tous ceux que le temps a fauchés,
Et n’interrogeons pas la terre
Sur les secrets qu’elle a cachés:
Car le passé, c’est un abîme;
Heureux qui peut gravir la cime
Du mont qui borne son chemin,
Sans jeter un regard timide
Vers la plage où le gouffre avide
Peut l’engloutir le lendemain!

Pourtant j’aime à rêver du passé qui s’envole,
Mais du passé riant qui charme et qui console,
Et ne laisse en nos cœurs que des pensers d’amour.
J’aime à rêver de vous à la chute du jour,
Anges, qui n’êtes plus, douces, saintes colombes,
Qui dormez maintenant, qui dormez sous vos tombes;
J’aime à ressusciter pour vous les jours passés
Et tous leurs souvenirs déjà presque effacés.



J’aime à revoir ainsi la fraîche jeune fille.
Avec sa robe blanche et sa noire mantille,
Avec ses longs cheveux
Que retenait le peigne ou qui flottaient en tresses,
Avec son front si pur et les vagues tristesses
Qui voilaient ses beaux yeux.



J’aime à la voir errant, folâtre, insoucieuse,
A l’ombre d’un bosquet se pencher gracieuse
Pour cueillir une fleur;
Puis de ses doigts légers arracher feuille à feuille
Pour voir combien d’amour cette fleur qu’elle effeuille
Va promettre à son cœur!



J’aime à la voir surtout lorsque, fière et splendide
De ses nouveaux atours, la belle enfant timide
Pour charmer le grand roi
Venait tenter d’Esther le rôle difficile
Ou dans les chœurs divins, pieuse jeune fille,
Chanter l’hymne de foi.



Pour vous, anges du ciel, brillante était l’aurore!...
Sans ennui, sans douleur, vous ne comptiez encore
Que de calmes printemps!
Fleurs, vous viviez parmi les fleurs du jour écloses,
Et la brise apportait le doux parfum des roses
A vos cœurs de seize ans!

Vous avez quitté cette terre
Où les fleurs naissaient chaque jour,
Et maintenant nos cris de guerre
Ont remplacé vos chants d’amour.
Depuis ce temps, dans nos prairies
Plus de pelouses bien fleuries!
Plus de jardina! plus de bosquets!
Plus de roses! plus de verdure!
Et dans nos champs plus d’onde pure
Pour mirer vos regards coquets!
Pourtant l’air qu’ici l’on respire
A gardé des parfums si doux,
Qu’on peut croire que le zéphire
Apporte un souvenir de vous...
Lorsque la feuille se balance
Le soir, vers vous le cœur s’élance
Comme d’un vol rapide et sûr
S’élance la jeune hirondelle
Qui cherche, balançant son aile,
Un ciel brodé d’or et d’azur...



En vain chaque jour nous enlève
Un fragment des siècles passés....
Toujours je vous revois en rêve,
Avec vos longs cheveux tressés,
Vos fronts purs, vos bouches rieuses,
Dans nos plaines silencieuses
Errer quand vient l’ombre du soir,
Ou voler sur la balancelle,
Ou dans notre sainte chapelle
Prier et tenir l’encensoir.

A cette heure le vent fait-il plier le saule,
J’entends comme le bruit d’une robe qui frôle...
Si quelque son lointain retentit dans les airs,
Ce sont vos fraîches voix qui forment des concerts..
Douces illusions! souvenirs d’un autre âge!
Dans mon cœur aujourd’hui vit encor votre image.
Pour moi, penser à vous, c’est voir dans ma prison
Un beau ciel succéder à mon sombre horizon.

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TROISIÈME JOURNÉE.

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8 octobre.



SONNET.


Si, poussé par le vent vers la rive étrangère,
Le pauvre nautonier s’est éloigné du port,
Joyeux il voit l’esquif se rapprocher du bord,
Caressé mollement par la brise légère.



— Après les bruits du jour, le silence du soir!
Sur l’horizon des eaux, le calme après l’orage! —
Pense-t-il en voyant le terme du voyage...
Et près du gouvernail, tranquille il va s’asseoir.



Ainsi le faible cœur qu’une douleur profonde
Dès sa plus tendre enfance a bercé chaque jour,
Qui s’est vu sans appui lancé seul dans le monde,



S’il vient dans sa souffrance à connaître l’amour,
Vers le port du bonheur entrevoit son retour,
Et se livre sans crainte aux caprices de l’onde.

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QUATRIÈME JOURNÉE.

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9 octobre.



Ce soir, le ciel est sombre... et ses épais nuages
Pour la nuit qui s’approche annoncent des orages!
Il fait froid aujourd’hui dans ma triste prison!...
Novembre va bientôt paraître à l’horizon.



Voilà l’hiver, Paris... qui ramène les fêtes:
Pour plus d’un bal déjà les parures sont prêtes!
Le beau monde revient des climats étrangers
Se promener encor sous tes frais orangers;
Tes salons, repeuplés de belles jeunes filles,
Dans quelques jours verront renaître les quadrilles...



Des chefs-d’œuvre nouveaux commence la saison:
Chaque théâtre espère une riche moisson;
Et bientôt, enrichi par l’art, notre musée
Offrira ses trésors à la foule empressée.



Voilà l’hiver, Paris... et ses mille plaisirs,
Qui du riche bientôt charmeront les loisirs!...
L’on prépare déjà dans tes splendides salles
Tout l’appareil pompeux des folles saturnales;
Étincelant déjà, les lustres les plus beaux
Remplacent de l’été les modestes flambeaux;
Le gaz brille tout seul au sein des galeries
Où j’ai tant promené mes vagues rêveries,
Et, par ses mille becs rejetant sa clarté,
Éclaire les lambris d’un reflet argenté.



Voilà l’hiver, Paris... heureux qui peut tranquille
Goûter tous les plaisirs qu’alors offre la ville;
Et, libre de son sort, sans travaux et sans soins,
De son cœur satisfaire à son gré les besoins;
Courir de bal en bal et de fêtes en fêtes;
Optimiste parfait, se rire des tempêtes;
Et vivant à l’abri des chances du destin,
Proclamer que la vie est un joyeux festin!



CINQUIÈME JOURNÉE

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10 octobre.

L’oiseau volage
Qui fuit sa cage
N’est pas, je gage,
Plus gai que moi
Lorsque sans peine
Brisant sa chaîne
Mon cœur m’entraîne
Vers toi!



La sainte Église,
A Dieu soumise,
Livre à la brise
Un chant de foi
Moins vrai, ma chère,
Que ma prière
Volant légère
Vers toi!



La jeune aurore
Qui pâle encore
De mon mur dore
L’humble paroi
Est moins riante,
O ma charmante,
Et moins brillante
Que toi!



L’herbe fleurie
De la prairie
Est tôt flétrie,
Mais cette loi
Qui vite enlève
Aux fleurs leur séve
Est comme un rêve
Pour toi!



Dans sa richesse
La noble altesse
Qui fière presse
Son palefroi
Serait joyeuse
D’être, orgueilleuse,
Si gracieuse
Que toi!



Pour moi qui t’aime,
Je paîrais même
D’un diadème,
Si j’étais roi,
O mon idole!
Douce parole
De toi!

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