Un silence brumeux flottait dans les couloirs du cloître et venait se déchirer le long des poutres. Les lambeaux s’étiraient et se froissaient lentement comme brassés par le vent. Seuls quelques murmures restaient parfois accrochés aux médaillons sculptés de nombreux blasons qui faisaient la fierté de cette belle église de Durham en l’an de grâce 1537. Encore fallait-il lever la tête pour s’en apercevoir.
Soudain, les lambeaux, si paisibles, s’enfuirent, effrayés par un cliquetis cadencé et métallique que des éclats de voix, peu communs ici, venaient couvrir. Le bruit métallique se rapprochait rapidement et au détour d’un couloir, apparut un groupe d’une dizaine d’hommes en armes, bien déterminés à accomplir leur tâche. Un moine tournait autour d’eux affolé comme une mouche prisonnière de sa gourmandise dans un pot de miel.
— Mes seigneurs, mes seigneurs ! Je vous en prie, je vous en conjure, vous ne pouvez pas faire cela !
— Il suffit, je suis las de vos jérémiades, ce sont les ordres du roi ! rétorqua le plus âgé, le plus grand, mais aussi le plus richement habillé des hommes du groupe.
Ce devait être le commandant de cette délégation car même si son habit était d’un rouge saignant orné de broderies faites au fil d’or, l’énorme chaîne qu’il portait autour du cou, et qui était terminée par une grosse croix en or incrustée de pierres précieuses, trahissait son rang.
Le moine ne voulait pas en rester là, aussi, il se redressa comme pour prendre une bouffée de courage et continua sur un ton plus strict qui n’avait pas l’air d’être apprécié.
— Il est impossible que Sa Majesté ait ordonné un tel acte, Sa Sainteté n’y consentirait pas et risquerait fort de prononcer l’excommunication !
Le chef du groupe s’arrêta brutalement. Son visage était celui d’un homme dont la fureur était contenue à un point tel, qu’on ne pouvait prévoir si elle allait exploser ou imploser. Les autres membres de la délégation s’étaient arrêtés eux aussi et demeuraient figés comme s’ils redoutaient que la colère de leur commandant ne se retournât contre eux. Ainsi pendant quelques secondes le temps disparut.
— Comment osez-vous discuter les ordres de Sa Majesté ? explosa-t-il enfin.
— Mais Votre Seigneurie, aucun homme ne pourrait se prétendre chrétien en réalisant un tel blasph…
Une claque magistrale venait de s’abattre sur lui et l’empêcha de terminer sa phrase. Le moine chancela et faillit tomber à la renverse.
— Blasphème ! Tel est le mot que vous vouliez prononcer !
C’était le plus jeune du groupe qui venait de la lui infliger et qui lui hurlait dessus. Manifestement il était d’un rang moindre. Il portait un habit sombre en velours, certainement noir ou marron au contraire des autres qui arboraient plutôt le jaune, le rose, ou le vert très à la mode en ce temps. Son bonnet à bords relevés semblait, sortir tout droit de la boutique du chapelier. Par contre, on ne pouvait pas en dire autant de la pitoyable épée qu’il portait à la hanche et qui avait subi plus de coups qu’elle n’en eût donnés.
— Monsieur Nicholas Harpsfield ! Je vous prie ! hurla l’homme en habit rouge.
— Mais Monseigneur, il ose insinuer, que dis-je, affirme que Sa Majesté n’est pas chrétienne, ou pire encore.
— J’ai parfaitement entendu et je n’ai nul besoin qu’un jeune perroquet écervelé me le rappelle ! Vous semblez oublier que vous et votre ami, êtes seulement tolérés, jeune homme ! Alors réfrénez les ardeurs de votre jeune âge et apprenez ! C’est bien pour cela que vous êtes ici, me trompé-je ?
— Non Monseigneur ! Pardonnez-moi ! fit le jeune homme en baissant la tête et en reculant d’un pas vers son ami du même âge qui en profita pour lui souffler quelques mots.
— Nicholas, je t’en prie, ne t’attire pas les mauvaises grâces du baron d’Oakham !
— Robert, qu’il s’agisse de Sir Thomas Cromwell, tout baron qu’il soit ou de quelqu’un d’autre, ce n’est pas en se comportant comme une larve qu’on élève son rang…
— Certes Nicholas, mais prends garde tout de même, il n’est pas homme de clémence.
Le baron d’Oakham s’était tourné vers le prieur et le dévisageait d’un regard d’une noirceur telle qu’on eût dit que la Mort elle-même le regardait.
— Quant à vous prieur, je n’ai rien entendu ! Mais si par malheur je surprenais de telles paroles dans votre bouche ou celle d’une autre personne, sachez que cette personne aurait à en répondre… Si elle le peut encore après que je lui eusse moi-même arraché la langue sur le champ !
— Oui Votre Grâce… En aucune manière, je ne souhaitais faire offense! Je cherche seulement à comprendre les désirs de Sa Majesté pour mieux la servir…
— Il n’y a rien à comprendre. Sa Sainteté et Sa Majesté sont en désaccord, ce n’est un secret pour personne. Cependant, il n’est pas non plus du goût de Sa Majesté de se faire spolier ses terres en y implantant des monastères, sans que Sa Sainteté ne s’en entretienne avec elle auparavant.
— Oui, bien sûr… mais de là à détruire des objets pieux, des reliques…
— Des babioles ! Vous dis-je, ce ne sont que des babioles ! La foi et la dévotion ne se trouvent pas dans ces babioles douteuses mais là ! dit-il en attrapant d’une main le moine par sa robe de bure et en lui frappant la poitrine de l’autre main pour désigner le cœur.
Le prieur se dégagea légèrement et reprit tout en réajustant sa robe.
— Oui assurément, mais nos rustres, vilains et autres manants ont parfois besoin de ce genre de choses pour conserver la foi.
— Eh bien n’est-il pas de votre charge d’éduquer ces fripouilles et de leur montrer la voie vers notre Seigneur ?
— Oui bien sûr… Je …
— Il suffit maintenant, prieur ! J’ai d’autres lieux à visiter et je commence à m’impatienter ! Montrez-moi donc l’endroit où vous avez mis les soi-disant reliques de Saint Cuthbert !
— Oui, oui, certainement Votre Seigneurie, suivez-moi !
Le pauvre moine avait compris qu’il était totalement inutile de s’opposer à cet homme et qu’il ne lui restait plus qu’à obéir ou perdre la vie. Aussi d’un pas résigné, il ouvrit la marche devant la poignée de soldats et les quelques gentilshommes qui constituaient la petite troupe. Au bout de quelques minutes de marche dans les corridors, ils arrivèrent dans une grande pièce qui ne pouvait être que l’autel de l’église. Les nones avaient été célébrées et nous étions encore loin des vêpres, aussi, l’autel était désert. Seuls deux moines s’occupaient à allumer des cierges avec la sérénité propre à ce lieu.
— C’est ici, dit le prieur.
— Où cela ? s’étonna Sir Cromwell.
— Juste à vos pieds, Monseigneur, fit le moine en montrant du doigt une grande dalle sur laquelle on pouvait deviner au milieu des inscriptions latines, un nom.
— Fort bien ! Gardes, allez-y, ouvrez-moi cette pierre tombale !
Quatre gardes s’exécutèrent immédiatement et glissèrent leur pique dans les fentes pour mieux dégager les contours de la dalle tandis que deux autres commencèrent à frapper les coins de la pierre à l’aide de burins et de marteaux. La procédure semblait bien rodée. Les deux moines qui se trouvaient là, s’étaient retournés et n’osaient plus bouger devant un tel spectacle auquel ils étaient fort peu accoutumés. Au bout d’une vingtaine de minutes, les gardes purent passer une bonne corde dans les trous fraîchement réalisés et commencèrent à tirer pour soulever la plaque de pierre. Très rapidement, on put voir l’intérieur du tombeau. Il était garni d’un simple sarcophage en pierre venu d’un autre temps mais parfaitement conservé sans aucune autre inscription que le nom de son locataire : Saint Cuthbert.
Les gardes s’arrêtèrent après avoir dégagé le sarcophage et regardèrent Sir Thomas Cromwell comme pour attendre son assentiment.
— Eh bien, qu’attendez-vous ? Ouvrez-moi ça qu’on en finisse ! tonna-t-il.
Encore une fois les gardes ne se firent pas prier pour exécuter les ordres de leur chef. Une fois le couvercle ôté, ils ressortirent du tombeau. L’intérieur de celui-ci était bien visible à présent et quelques rayons de soleil décidèrent de percer les vitraux pour illuminer l’endroit d’une lumière pleine de couleurs, qui contrasta avec la pénombre dans laquelle était plongé le reste du bâtiment.
Le prieur, suffisamment ému pour que l’on puisse percevoir une larme lui couler sur la joue, s’approcha pour mieux voir. Mais au lieu de s’en tenir là, celui-ci tomba à genoux, en se signant plusieurs fois et en commençant à prier avec une telle intensité que Sir Thomas Cromwell s’en étonna. Les deux autres moines s’approchèrent eux aussi et l’imitèrent en tout point.
— Et voilà donc nos moines en dévotion devant quelques ossements, quelle pitié !
— Monseigneur, regardez, ce n’est pas normal, fit le jeune Nicholas Harpsfield.
Les trois gentilshommes s’approchèrent à leur tour et furent estomaqués parce qu’ils voyaient.
— Comment est-ce possible, Robert ? Quelle est donc cette supercherie ?
— Je ne comprends pas non plus, Nicholas ! C’est miraculeux !
— Ne dites pas de bêtises, voyons, ce n’est pas la première fois qu’un cadavre se trouve en si bel état en sa dernière demeure ! dit l’homme en rouge sur un ton qui ne semblait guère convaincre les deux autres.
— Certes, Votre Seigneurie, mais il est mort depuis… exactement 850 ans et je n’ai jamais vu une telle conservation des chairs.
— Oui regardez mieux, il semble même être encore vivant qu’on croirait qu’il nous sourit.
— Cessez vos balivernes, Nicholas ! Allez voir plutôt ce qu’il en retourne. Je suis sûr qu’il doit y avoir de la cire pour créer cette illusion !
Les soldats murmuraient dans leur coin, un peu à l’écart du tombeau. Nicholas Harpsfield s’exécuta et se glissa dans le trou pour y examiner la sépulture de plus près.
— Aucune trace de cire, Votre Seigneurie !
— Allons donc, regardez-mieux, je suis certain d’y voir un trucage !
— Je vous assure, il s’agit bien de chairs…
— Mais touchez donc, vous en serez certain, que craignez-vous enfin ?
Le jeune Nicholas Harpsfield osa à peine effleurer la tunique du cadavre. Il pensait qu’il était déjà très étrange qu’un tel homme eût porté une tunique aussi simple, presque celle d’un moine ordinaire. Ensuite, voyant le regard agacé de Sir Cromwell, il prit plus d’assurance et commença à tâter plus fermement les membres du corps. Ceux-ci étaient suffisamment souples pour qu’on puisse sentir des muscles gorgés de sang.
— Je vous assure, Votre Seigneurie, ce corps est en parfait état, je n’y vois aucun artifice !
— Prieur ! Que pouvez-vous me dire là-dessus ? demanda Sir Cromwell.
Le moine arrêta de marmonner ses prières et répondit:
— Votre Seigneurie, vous devez savoir que le tombeau fût ouvert par deux fois, en 698 puis en 1104 et par deux fois d’autres constatèrent ce que vous voyez là. Tout est consigné dans les archives de l’Église, c’est véritablement miraculeux.
— Allons donc, j’ai vu moi-même des animaux morts trouvés dans la glace qui, une fois fondue, étaient parfaitement intacts… Et puis j’ai aussi ouï dire que dans certaines contrées lointaines, des peuples savaient donner à leurs morts l’apparence du vivant ! Alors ne donnez pas du miraculeux là où il n’y en a pas !
— Pourtant Votre Seigneurie, c’est consigné par l’Église.
— Balivernes !
Pendant ces quelques palabres, Nicholas Harpsfield continuait d’inspecter le cadavre.
— Nicholas, je ne crois pas qu’il soit prudent de profaner ce corps !
— Je ne fais rien de mal, Robert, mais on dirait que quelque chose brille entre ses mains… Je veux juste voir ce que c’est.
Nicholas essaya d’écarter les mains de Saint Cuthbert pour mieux y glisser les doigts.
— Je sens quelque chose de chaud…
— Que faites-vous, Monsieur Harpsfield ? dit soudain Sir Cromwell qui venait de réaliser les agissements du jeune homme.
— Je crois qu’il y a quelque chose qui mérite attention, Votre Seigneurie… j’essaye de…
Mais il ne put continuer de parler. Son corps s’était raidi et il ne pouvait plus bouger bien qu’il eût conscience de tout ce qui se passait autour de lui. Il perçut une vague de chaleur lui remonter le long du bras sans qu’il puisse se dégager puis il sentit la panique l’envahir.
Une lueur bleuâtre était en train de remonter le long de son bras et commençait à totalement couvrir son corps.
— Qu’elle est cette diablerie ?
— Nicholas, sors de là ! lui cria Robert qui avait reculé par prudence.
Cependant, Nicholas ne pouvait rien faire, il se sentit défaillir et finalement perdit conscience. Il eut l’impression de tomber dans un gouffre sans fin baigné par cette lumière bleue qui l’aveuglait de plus en plus. Il n’entendait plus rien de ce qu’il se passait autour de lui, et ne voyait rien non plus, sauf cette lumière intense. Il se crut mort.
— Mourir à 17 ans ce n’est pas un mal si l’on est appelé par Dieu, pensa-il.
À ce moment il sentit sa chute se ralentir puis s’arrêter en douceur, la lumière se faisait progressivement plus supportable et il pouvait enfin voir où il était.
Autour de lui, il n’était que plaines verdoyantes, le ciel était d’un bleu intense et une brise douce et chaude venait lui caresser le visage. Un petit peu plus loin, il pouvait apercevoir la mer. Il en était certain, il pouvait entendre le ressac.
— Je ne savais pas qu’au Paradis il y avait l’océan !
Un bruit de bêlement attira son attention. Non loin de lui, un mouton gambadait vers le haut de la colline. Il décida de le suivre, ne serait-ce que pour avoir une vue d’ensemble une fois là-haut. Arrivé au sommet, il vit un peu plus bas une personne à genou, certainement en train de prier, face à une espèce de tube noir assez long qui aurait pu contenir au moins deux hommes allongés. Il s’approcha de celle-ci qui ne l’avait pas entendu venir et lui posa doucement la main sur l’épaule pour ne pas l’effrayer. La personne se retourna et lui sourit comme s’il avait perçu sa présence. Il reconnut immédiatement Saint Cuthbert. Il n’y avait aucun doute! Certes son visage était plus jeune, beaucoup plus jeune, c’était celui d’un enfant, mais n’était-il pas au paradis ? Celui-ci ne semblait pas troublé par cette rencontre et il se remit à prier en se tournant à nouveau vers l’objet. Nicholas crut comprendre qu’il l’invitait à l’imiter, ce qu’il fit immédiatement.
Il n’avait ni chaud, ni froid, il était bien, tout lui était que sérénité et apaisement. Il n’eut pas longtemps à prier qu’un halo bleu sortit du tube dont on ne sait où et prit forme humaine. Du moins, il lui semblait apercevoir à travers la lumière un être au visage doux et barbu. Était-ce Dieu lui-même?
L’enfant s’arrêta de prier et tendit les mains vers cet être magnifique, comme s’il s’attendait à recevoir un présent.
Une lumière apparut au creux des petites mains et un objet long et doré commença à se matérialiser. C’était une corne d’or ! Nicholas n’aurait pas su dire s’il était question d’une corne de guerre ou d’une corne pour boire mais ce qu’il voyait brillait de tous les feux divins. La lumière continua son œuvre et une deuxième corne pratiquement jumelle de la première, quoi que plus petite, apparut elle aussi. Les deux objets étaient richement décorés de curieux dessins entrecoupés de drôles d’inscriptions qui pouvaient être des lettres. Il n’avait pas reconnu le latin, ni le grecque mais il était persuadé d’avoir déjà vu ce genre d’inscription quelque part, une langue ancienne qu’il avait certainement étudiée ou survolée lors d’un cours au New College d’Oxford.
Saint Cuthbert se tourna alors vers Nicholas et lui confia les cornes, mais ses mains étaient encore pleines de lumière. Il devait certainement apparaître encore quelque chose d’autre. L’enfant reprit sa position, les mains tournées vers le tube et un cristal d’un bleu profond incomparable à ce qu’il connaissait déjà, se matérialisa au creux de la petite main infantile.
L’être dans la lumière bleue sourit à l’enfant et disparut aussi rapidement qu’il était arrivé. L’enfant glissa le cristal dans une poche de sa tunique et se tourna encore une fois vers Nicholas en lui tendant les mains comme pour lui demander de lui rendre les deux cornes. Aucun son n’avait été échangé entre les deux êtres mais chacun semblait comprendre les pensées de l’autre et les mots étaient complètement inutiles. Nicholas encore tout troublé par ce qu’il venait de vivre, lui remit presque sans réfléchir les deux objets en or comme s’il avait été guidé par la foi. Dès que ce fût fait, le long tube noir se changea instantanément en poussière. À peine eut-il le temps de s’en rendre compte que l’enfant disparut lui aussi comme par enchantement.
— Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cela signifie ? n’arrêtait-il pas de se demander.
Autour de lui, il n’y avait plus personne, ni même le mouton qu’il avait suivi. Il se redressa et observa les alentours qui lui paraissaient étrangement familiers. Bien sûr ! Il se souvint qu’ils avaient longé la côte avec Sir Cromwell pour rejoindre Durham. Il reconnaissait à présent Lindisfarne ! Soudain il se sentit devenir léger, aussi léger que la brume qui commençait à apparaître le long du rivage. La brume devenait de plus en plus épaisse et se transforma rapidement en un épais brouillard au travers duquel il ne pouvait absolument rien voir. Au sol, il aperçut quand même quelques pavés. Il était à présent à l’intérieur d’un monument. Le bruit du ressac était couvert par des bruits de métal qui s’entrechoquaient et des cris bien caractéristiques. On se battait à l’épée à l’extérieur! Le brouillard sembla alors prendre une couleur rougeoyante puis se dissipa complètement.
La pièce était faiblement éclairée et il faisait frais, aussi frais que le petit matin anglais au printemps. Manifestement, il était à l’intérieur d’une vieille chapelle ou d’une église, peut-être même un monastère, il ne put dire avec exactitude la nature du bâtiment mais il était certain d’être à l’intérieur d’un monument chrétien car il put apercevoir dans la pénombre un crucifix.
Il n’était pas seul ! Deux moines étaient à côté de lui et ne semblaient nullement lui prêter attention. Le voyaient-ils seulement? Ils étaient a priori trop occupés à s’affairer sur un sarcophage de pierre. De qui s’agissait-il? Nicholas se glissa sans mal à proximité du tombeau sans inquiéter ni troubler les deux moines. Il se mouvait tel un fantôme, était-ce son âme? Il contempla le corps bien visible à l’intérieur du sarcophage: il s’agissait encore de Saint Cuthbert! Cette fois il avait le même visage que celui qu’il avait vu à Durham et il était bien mort. Il tenait dans sa main le cristal de l’enfant. Les deux moines s’arrêtèrent d’un seul coup, complètement effrayés. Deux vikings venaient subitement d’apparaître en courant au sortir d’un corridor qu’il n’avait tout d’abord pas remarqué. Les deux vikings échangèrent quelques mots en vieil anglais ce qui sembla apaiser les moines. Cependant quelque chose se produisit et les quatre personnes regardaient à présent dans la même direction. Nicholas fit de même et vit que le halo bleu était réapparu, mais cette fois le visage à l’intérieur n’était pas tout à fait le même, peut-être plus vieux… Il y eut des paroles échangées entre les vikings et cette lueur bleue, tantôt en latin, tantôt en vieil anglais et tantôt dans une langue qui lui était totalement inconnue. Quoiqu’il en soit il ne comprit pas un traître mot de ce qu’il se disait. Soudain il y eut un grand tremblement et le toit du bâtiment s’effondra laissant un trou suffisamment grand pour y voir le ciel. Il était rouge et rempli de fumée. Des objets volaient dans tous les sens, sans doute l’œuvre des catapultes. Le halo de lumière bleue avait disparu. D’énormes blocs de pierre se détachèrent alors de ce qui restait du toit et vinrent tomber directement sur les gens qui se trouvaient là pour les écraser. Mais une espèce de dôme lumineux se matérialisa autour d’eux et retint les cailloux dans leur chute. Les débris flottaient dans l’air comme retenus par la main divine.
Il regarda alors Saint Cuthbert. Le cristal dans sa main lançait des jets de lumière bleue dans tous les sens.
Un des vikings dit quelque chose aux moines en latin qui s’enfuirent aussitôt emportant avec eux le cristal et d’autres choses dans le caveau.
Nicholas se sentit alors plus lourd, il était en train de perdre à nouveau connaissance…
— Nicholas ! Nicholas ! Réponds-moi !
— Diantre, Nicholas Harpsfield, reprenez-vous !
Il discerna la voix autoritaire de Sir Cromwell et celle plus familière et plus amicale de son ami Robert. Il ouvrit les yeux et constata qu’il se trouvait dans les bras de son ami qui lui tapotait la joue et reconnut l’église de Durham. Il se releva doucement avec toutes les précautions propres à quelqu’un qui vient de s’évanouir et qui appréhende de défaillir à nouveau.
— Que s’est-il passé, Robert ? dit-il en sortant de sa torpeur.
— Eh bien c’est difficile à dire, Nicholas, tu es devenu d’un seul coup raide comme un tronc d’arbre et une lumière bleue a envahi ton corps.
— Nous avons juste eu le temps de vous sortir de là et la lumière a disparu, reprit Sir Cromwell, mais vous êtes demeuré inconscient.
— Ce n’est que l’expression de la parole de Dieu ! dit le prieur qui se penchait sur lui. Nul n’a le droit de profaner une église ni de s’en prendre à ses saints !
— Oui, j’ai vu la lumière de Dieu ! J’ai vu aussi la puissance divine.
— Mais que dis-tu donc, Nicholas ?
— Je te dis que j’ai vu Dieu !
— Ce garçon est fou ! Il a reçu un coup sur la tête en tombant, voilà tout !
— Non Votre Seigneurie, je suis sûr que ce garçon a perçu la parole divine.
— Sottises… Jamais les divagations d’un homme n’ont été commanditées par Dieu.
C’était bien là l’esprit pragmatique de Sir Cromwell ! Rien de ce qu’il pouvait connaître n’était miraculeux.
— Je vous assure, je suis certain que Dieu m’a délivré un message, Dieu me demande…
— Silence Harpsfield ! Je n’ai nulle envie d’écouter les délires d’un homme qui a reçu un coup sur la tête !
— Mais enfin Votre Seigneurie, vous ne pouvez nier qu’il y a bien eu miracle ?
— Prieur, il ne m’appartient pas de décider si miracle il y a eu ou pas, ni vous-même du reste. Par contre je vous concède qu’il y a étrangeté sur la chose.
— Oui Votre Seigneurie est clairvoyante… Que faisons-nous pour les reliques ?
— Hum…
Pour la première fois, le baron d’Oakham hésita sur la décision qu’il devait prendre. Il avait reçu l’ordre du roi lui-même de démanteler les monastères du royaume et d’éparpiller ou de détruire les reliques qui s’y trouvaient. Devait-il risquer la fureur du roi, qui comme lui, ne souffrait d’aucune clémence en cas de désobéissance ? Ou bien devait-il détruire quelque chose qu’il ne comprenait pas et risquer de s’attirer les foudres de la puissance divine ? Le problème était épineux. Il fallait contenter les deux parties et user de finesse.
— Nicholas, que sont pour vous des reliques ?
— Comment ?
— Je vous demande de me dire ce que vous appelez des reliques !
— Votre Grâce, je ne suis pas expert en la matière, et le prieur ici présent saurait mieux vous renseigner.
— Monsieur Harpsfield, dois-je comprendre qu’il est en votre plaisir de me mécontenter aujourd’hui ?
— Certes non Monseigneur! répondit immédiatement Nicholas de peur d’être mis en pièce par son chef. Pour moi, ce sont les ossements d’un saint ou bien quelque chose qui lui aurait appartenu, Monseigneur.
— Bien ! Et vous Robert ?
— Pareillement Votre Seigneurie, je n’aurais pas mieux dit !
— Fort bien… Quant à vous, prieur, quelle est votre opinion sur le sujet? dit-il en affichant un curieux sourire aux lèvres qui fit froid dans le dos au pauvre moine.
— Je dirais de même, Votre Grâce, ces gentilshommes ont fort bien parlé.
Le baron d’Oakham regarda fixement les deux moines qui se tenaient au côté du prieur. Il n’eut pas besoin de leur poser la moindre question, les deux moines firent immédiatement un signe d’approbation en acquiesçant.
— Fort bien tout cela ! Tout est réglé !
Tous se regardèrent les uns les autres comme pour essayer de se rassurer dans le regard de l’autre, ou de percevoir un signe qui leur fit comprendre les paroles de Sir Cromwell. Tout le monde semblait perdu, mais personne n’osa faire répéter le baron. Pourtant le prieur se risqua timidement à s’adresser à Sa Seigneurie :
— Plaît-il ?
— Comment cela ?
La conversation commençait mal et le ton qu’y mettait le baron garantissait l’arrivée imminente d’un désastre.
— Euh… Cela plairait-il à Votre Seigneurie de bien vouloir nous éclairer sur ses intentions afin que nous puissions la suivre ?
Le prieur pensait agir avec habileté. Déjà le baron l’avait menacé de lui arracher la langue lui-même, aussi n’avait-il pas très envie de passer par l’épée ou pire encore en abordant ce personnage avec rudesse.
— Avez-vous vu des reliques à l’intérieur de ce caveau?
— Eh bien... Pas au sens que nous avons dit tout à l’heure, Votre Grâce !
Le pauvre prieur ne savait plus s’il devait jouer de « Sa Seigneurie » ou du « Votre Grâce » tant la tension se faisait sentir et des gouttes de sueur perlaient le long de son cou.
— Nous sommes donc d’accord !
L’atmosphère se détendit d’un coup. Chacun venait de comprendre la finesse de la ruse du baron d’Oakham pour se sortir de ce mauvais pas, sans mécontenter ni Dieu ni le roi !
— Les ordres du roi sont formels ! Je dois détruire toutes les reliques que je trouverais ! Or ici, je n’ai rien trouvé. Il y a bien un sarcophage avec un corps à l’intérieur mais pas d’ossements ! N’est-ce pas ?
Tous acquiescèrent, soulagés par les paroles de Sir Cromwell.
— Quant au miracle ! Il ne m’appartient pas de le déterminer et je ne saurais que dire. Il appartient à l’Église de régler ses affaires. Aussi je vous engage à tenir votre langue !
Le baron d’Oakham venait de reprendre son visage macabre qui ne laissait aucun doute à qui aurait eu l’idée saugrenue de le contredire ou qui aurait la stupide idée de lui désobéir. Les gardes, qui avaient été jusque-là si discrets comprirent immédiatement qu’il fallait se mettre en ordre de marche. Aussi ils se mirent en rang et marchèrent au pas cadencé pour se placer derrière le baron. Nicholas s’adressa alors à son ami tout doucement de sorte qu’il ne soit pas entendu par Sir Cromwell.
— Il nous faut trouver les cornes d’or !
— Que dis-tu ?
— Dieu m’a choisi pour ordonner la justice divine !
— Quoi ?
— Les cornes je te dis, il nous faut trouver les cornes de Dieu !
— Je ne comprends rien à ce que tu dis, je pense qu’il faut te reposer.
— Robert, de retour à Oxford nous contacterons le cercle de nos amis du New College et alors je vous expliquerai tout.
Douglas était songeur et rien ne semblait pouvoir le perturber. Comment cette mission avait-elle pu se transformer en un tel fiasco ? Assis au fond de l’hélicoptère, le menton enfoncé dans ses mains jointes, il se tapotait le nez avec l’index, ça l’aidait à réfléchir. Dans sa tête, les images défilaient sans arrêt comme dans le métro à l’heure de pointe. Il essayait pourtant de les attraper au vol mais à chaque fois il n’arrivait pas à saisir le détail qui le dérangeait. Il revoyait bien Matthaeus lui prendre le pistolet des mains et tirer sur la jeune Anna, puis Éric qui le propulse comme un vulgaire ballot de paille à travers la pièce avec une force inouïe... Comment avait-il pu être aussi aveugle au sujet de Matthaeus, son avidité, sa folie ? Il n’avait rien vu venir ! C’était pour lui la première fois qu’il manquait de discernement et c’était peut-être aussi pour lui le signe de raccrocher, de prendre sa retraite… Quoi qu’il en fût, le résultat était sans appel : Matthaeus se trouvait dans un sale état, s’il n’était pas déjà mort, quant à Anna, la pauvre, elle l’était certainement. La balle qu’elle avait reçue était fatale, il connaissait que trop bien ce genre de blessure. Il laissait deux morts derrière lui, et ça, il n’arrivait pas à le digérer.
Douglas n’avait pas l’habitude de se poser de telles questions qui torturaient sa conscience. D’ordinaire, il s’arrangeait pour réussir ses missions sans que personne n’en pâtisse vraiment, ou ne soit blessé, sauf peut-être légèrement. C’était en quelque sorte sa marque de fabrique. Pour la première fois de sa vie, des gens avaient souffert à cause de lui et pour la première fois de sa vie, il pensait sérieusement à raccrocher. Il n’avait jamais songé à finir en beauté, mais raccrocher sur un échec ne le réjouissait pas non plus. Et puis, Éric l’intriguait. Comment ce jeune homme pouvait-il être en possession du Draupnir ? Et d’ailleurs était-ce vraiment le pouvoir du Draupnir ? Avait-il déjà trouvé les cornes ? Fallait-il se méfier de lui ou au contraire le considérer comme un allié ?
Il avait beau prendre les questions par tous les bouts, les enfiler les unes à la suite des autres, dans l’ordre ou dans le désordre, chercher les éléments qui lui avaient échappé, rien ! Il ne trouvait rien de valable, aucune réponse ne le satisfaisait vraiment. La seule chose qu’il avait réussi à faire, c’était d’attraper un de ces maux de tête à vous rouler par terre.
De toute façon, pour le moment, il avait un autre problème, plus urgent celui-là et il avait tout intérêt à trouver une parade ou une réponse qui satisfasse le grand Maître. Il ne le connaissait que trop bien, lui et ses explosions de colère, ses décisions prises à l’emporte-pièce et trop souvent de manière radicale, d’ailleurs. Aussi, lui fallait-il cacher tout ce qui se rapportait à Éric… Beaucoup trop dangereux !
Il jeta machinalement un coup d’œil par le hublot de la porte de l’hélicoptère. Dehors la nuit était encore noire, néanmoins il pouvait discerner quelques petites lumières qui brillaient à la surface de l’eau. Certainement des bateaux de pêche qui jetaient là leurs filets. Bien plus loin vers l’horizon, des lueurs indiquaient que le soleil n’allait pas tarder à faire son apparition tandis que sur la gauche il aperçut d’autres lumières plus intenses. Ils ne devaient plus être très loin des côtes anglaises ! Encore une petite demi-heure, tout au plus, et ils seraient arrivés. Le débriefing promettait d’être salé…
Une voix rude claqua dans sa tête et l’arracha de ses pensées.
— Alors Douglas ? Pas fâché de rentrer ?
C’était Nathan! Ah celui-là! Il en tenait une couche. Le parfait stéréotype du mercenaire: costaud et stupide, bien que très bon combattant, et c’était bien là le problème ! Le grand Maître l’avait pris pour être son bras droit, mais en fait, il le chargeait surtout de toutes ses sales besognes. Nathan et ses un mètre quatre-vingt-dix, c’était le genre bulldozer qui ne s’arrête pas, à moins de lui loger une balle entre les deux yeux! Et il fallait bien avouer que l’idée lui avait parfois traversé l’esprit. Cependant Douglas n’était pas homme à céder à la violence sans une vraie bonne raison. Cet homme de Néandertal avait bien dû faire une centaine de campagnes avant de se faire virer de l’armée. Même l’armée n’en voulait plus, c’est dire! Enfin c’est ce qui se racontait. Mais vrai ou faux, il valait mieux l’avoir dans son équipe!
— Hein ? Ah ! Non bien sûr !
— Ras-le-bol du hareng, hein ?
— Mais quel rapport avec le hareng ? se demanda Douglas.
Nathan se croyait spirituel et aimait faire des plaisanteries qui ne valaient guère mieux qu’un pet de lapin, ses conversations ne volaient pas non plus très haut, alors discuter avec son poisson rouge eut été infiniment plus enrichissant !
— Ah le hareng! Oui, rien ne vaut un bon hamburger, répondit Douglas, qui comprit, enfin, qu’il faisait allusion aux spécialités culinaires danoises.
— Ha ha ha ! Oui, un bon hamburger ! Sans hareng !
Ce n’est pas possible, qu’est-ce qu’il pouvait être stupide ! Douglas espérait que le voyage ne s’éternise pas trop, car il n’aurait pas supporté longtemps ce genre de discussions débiles. Le type primate ça va cinq minutes ! Machinalement, à tâtons, il chercha sa chevalière qu’il portait habituellement au doigt, mais il ne la sentit pas.
— Ce n’est pas possible ! s’étouffa-t-il.
— Quoi qu’est-ce qu’il a ? fit Nathan.
— Ma chevalière ! Elle n’est plus là !
— Ah ? Et c’est de qu’elle arme ?
— Comment ça qu’elle arme ?
— Oui, Westpoint, SAS, CIA ?
— Mais non, ce n’est pas l’emblème d’une école militaire, c’est juste quelque chose de sentimental ! rétorqua Douglas visiblement agacé par les paroles du Néandertalien qu’il avait en face.
— Sentimental ? Un porte-bonheur ?
Décidément, cet abruti ne comprenait rien à rien, c’était insupportable ! Douglas préféra lui répondre quelque chose qu’il pouvait comprendre.
— Oui c’est ça ! Je ne fais aucun saut sans elle …
— Ah ! Je comprends, mais là on ne saute pas, tu n’as rien à craindre !
— Pff… Oui, oui, je sais, merci !
Une lumière rouge venait de s’allumer dans l’habitacle et éclairait faiblement leurs visages en leur donnant un air bizarre. C’était le signe qu’il fallait se préparer.
— 3 minutes avant l’objectif ! dit une voix grésillante dans le casque.
Nathan se leva, prit deux harnais dans le filet accroché à la carlingue et en tendit un à Douglas.
— Je n’ai pas besoin de te montrer ? Tu sais encore faire ça ?
— Merci ça va !
Les deux hommes enfilèrent rapidement leur harnais et ajustèrent les sangles comme il se doit. Nathan vint alors contrôler le harnachement de son binôme et Douglas en fit de même pour lui.
— Parés ! dit Nathan dans le micro de son casque.
La lumière rouge céda alors la place à une verte qui ne les mettait pas plus en valeur. Ils allaient pouvoir descendre. Nathan ouvrit la porte latérale et une bouffée d’air frais envahit subitement l’habitacle.
— Un peu d’air frais, ça fait du bien !
— C’est sûr ! répondit Douglas.
La fraîcheur de l’air était effectivement revigorante mais surtout elle avait réussi à faire disparaître presque instantanément son mal de tête, du moins le croyait-il.
Nathan débloqua le treuil électrique et actionna le mécanisme pour vérifier qu’il était bien fonctionnel. Celui-ci grinça quelque peu mais sembla répondre correctement aux sollicitations, ce qui eut l’air de satisfaire le mercenaire. La petite porte qui menait au cockpit s’ouvrit et le copilote apparut.
— Un coup de main les gars ?
— Tu nous descends ? fit Nathan avec le sourire d’un gamin qui va à la fête foraine pour la première fois.
— Allez, c’est parti ! Donnez-moi vos casques…
Les deux hommes s’exécutèrent et lui confièrent leurs casques. Ensuite le copilote attrapa le mousqueton du treuil et l’accrocha à la boucle prévue à cet effet dans le harnais de Nathan.
— Il n’y a pas de vent ce soir ! C’est du velours ! lui cria-t-il.
— OK, J’Y VAIS ! hurla Nathan.
L’hélicoptère s’était mis en vol stationnaire au-dessus de Durham. Le bruit du moteur n’était pas assourdissant comme la plupart de ces gros appareils militaires car le pilote venait d’actionner le mode furtif pour plus de discrétion. Les habitants n’auraient sans doute pas apprécié d’être réveillés à cette heure-ci par le vacarme d’une tuyère. Ainsi seules les vibrations du moteur et le bruit des palmes fendant l’air, indiquaient que l’appareil était en marche. Nathan tourna le dos au vide puis se jeta à l’extérieur suspendu par le filin du treuil. Le copilote actionna immédiatement le mécanisme et Nathan descendit en filant à travers les volutes de poussières. Au bout d’une minute, le filin remonta le harnachement de son ancien occupant. Le copilote décrocha le harnais et tendit le mousqueton à Douglas.
— À toi, maintenant, Douglas !
— Ok !
Douglas s’approcha du copilote puis il accrocha lui-même le mousqueton mais celui-ci vérifia quand même la fixation.
— Ok! À la prochaine! lui dit-il en effectuant un petit salut de la main.
— Oui c’est ça, à la prochaine ! fit Douglas qui décidément n’appréciait pas trop ce genre d’acrobaties même s’il en avait l’habitude.
Douglas se mit en position et le copilote le fit descendre aussi vite que son compagnon de vol. Une fois à terre, Douglas ôta son harnais qui remonta tout aussi rapidement qu’il était descendu. D’ailleurs, il eut juste le temps de le voir disparaître que le pilote remit les gaz et l’hélicoptère s’éloigna du secteur.
— Le grand Maître nous attend, il faut y aller ! dit Nathan qui déjà se dirigeait vers le cloître.
Douglas eut à peine le temps de réajuster sa veste qu’il dût lui emboîter le pas et traverser le gazon.
C’était un endroit magnifique ! Le cloître était éclairé de partout et donnait une petite note magique au lieu. La charpente était magistralement mise en valeur, les petits médaillons et les blasons sculptés dans les entretoises étaient bien visibles, on pouvait même en décrire précisément les détails. C’était d’ailleurs une des particularités de cette église, très prisée par les touristes.
Douglas se hâta de rejoindre Nathan, qui, après avoir traversé quelques couloirs arrivait déjà à la porte de la bibliothèque à côté de l’ancien dortoir des moines. Elle n’était pas verrouillée et il l’ouvrit sans aucune difficulté. Douglas était déjà venu là à plusieurs reprises, mais à chaque fois il était impressionné par le nombre de livres qui s’y trouvaient.
La pièce était tout en longueur et au milieu, une bibliothèque basse qui servait aussi de table, à moins que ce fût le contraire, venait envahir toute la surface, ne laissant qu’un petit passage de chaque côté pour les visiteurs. C’était le paradis du livre. Des gros, des petits, des vieux, partout il y avait des livres : sur la table, dans les étagères, tantôt ouverts, tantôt fermés, parfois en pile, en vrac ou bien sagement alignés sous la table. Un simple coup d’œil sur certaines couvertures, laminées par le temps et l’humidité, permettait de se faire une idée bien précise de l’âge du livre. Au milieu de tout ce capharnaüm, il n’aurait pas été surprenant de trouver un vieil ermite centenaire et bougonnant qui vivrait là. Sur les murs étaient accrochés des portraits d’ecclésiastiques, de nobles ou de bourgeois datant du Moyen Âge et entre deux toiles, une grande tenture d’un autre âge venait revêtir les pierres, certainement pour servir un tant soit peu d’isolant.
Nathan disparut sous l’une des tentures et on entendit un cliquetis suivi d’un bruit de mécanisme, puis sa tête d’ahuri réapparut.
— Bien alors ? Qu’est-ce que tu fabriques ? Avance !
— Tu vois bien que j’arrive ! Ça va !
Douglas n’avait pas vraiment hâte de le suivre dans ces escaliers étroits et sombres. Il aurait mille fois préféré un bon lit bien au chaud. La nuit avait été pour lui suffisamment rude comme ça, et il commençait sérieusement à en ressentir les effets. Néanmoins, il le suivit et descendit les escaliers en moins de temps qu’il faut pour le dire pour atteindre la grande crypte.
Là, une bonne cinquantaine de personnes encapuchonnées dans des robes violettes répétaient en chœur des versets en latin. Bien alignées, elles portaient la main droite sur le cœur tandis que le bras gauche, poing fermé, était tendu droit devant elles. Il avait toujours trouvé ça malsain, mais il s’était bien gardé de le dire. Une dizaine d’énormes cierges plantés sur d’imposants chandeliers, avaient été disposés tout autour de la crypte le long des poteaux soutenant les énormes voûtes. Leur flamme était assez grande et la lumière qu’elle dégageait, était assez intense. Malgré tout, on n’y voyait pratiquement rien, il en aurait fallu bien plus pour parvenir à deviner le visage d’une de ces personnes. Seul un petit autel, où s’agitait par moment un vieillard en robe noire autour d’une table en pierre, était bien éclairé.
La cérémonie commençait toujours très tôt le matin lorsque le soleil n’était pas encore levé et se terminait systématiquement au petit jour. En général, cela ne durait guère plus de deux heures. Deux heures de bras en l’air, de sermons en latin et en anglais, de grands signes de ralliement, de chants et c’en était fini. Les choses importantes ne se discutaient jamais pendant ce simulacre de grande messe mais plutôt avant ou après, dans la salle qui jouxtait la grande crypte et où seuls quelques rares initiés ou privilégiés avait le droit d’entrer.
Encore quelques versets et l’assemblée serait dissoute. Nathan et Douglas se faisaient tout petits au fond de la pièce en attendant patiemment la fin de la cérémonie.
Soudain, un silence très pesant s’installa. On aurait dit que subitement tout le monde s’était rendu compte de leur présence. Au bout d’une bonne minute qui leur sembla interminable, toutes les personnes présentes se retournèrent en même temps comme si elles avaient été téléguidées. Elles faisaient maintenant face à Douglas et Nathan qui restaient impassibles. Elles demeurèrent immobiles encore un instant, puis une à une, elles passèrent lentement devant Douglas pour remonter l’escalier par où ils étaient venus. Bien que leurs visages eussent été cachés par la grande capuche sur leur tête et que la lumière fût bien trop faible pour y voir clair, Douglas reconnut quand même quelques personnalités notables de Grande Bretagne, dont le « Commissioner » de Scotland Yard, le grand chef de la police londonienne.
Une fois la pièce vide, le vieillard s’adressa à eux.
— Eh bien ! Venez, tous les deux, vous voyez bien que j’ai terminé !
Nathan s’exécuta immédiatement, suivi de Douglas qui sentait petit à petit l’angoisse remonter lentement le long de sa gorge tandis que le vieillard se servît un verre d’eau avec la cruche qui se trouvait là. Les deux hommes se tenaient maintenant devant la table en pierre pratiquement au garde à vous et attendaient que le vieillard leur parle.
C’était un homme assez nerveux, pas très grand et plutôt rondouillard. Les rares cheveux blancs qui stagnaient encore sur son crâne dégoulinaient de sueur. Sa peau était maculée de tâches rosâtres et brunes, trahissant un âge très avancé et impossible à déterminer. Pourtant son œil était vif. Douglas lui avait toujours trouvé un regard étrange, et même par moment on aurait dit qu’il luisait. Le vieillard but son verre d’un trait et le reposa assez fortement sur la table en pierre.
— Au rapport Douglas, au rapport ! piaffa-t-il.
— Oui monsieur, bien sûr… répondit Douglas sur un ton très académique pendant que Nathan s’était éloigné à la recherche d’un siège dans le fond de la pièce. Il revint d’ailleurs rapidement et déplia assez bruyamment une chaise en bois dans laquelle il se vautra la jambe bringuebalant sur l’accoudoir.
— Eh bien, j’attends !
— Oui mais je ne sais pas par où commencer…
— Ont-ils trouvé les cornes ?
— Eh bien non, monsieur…
— Mais enfin, ce professeur Christiansen a-t-il trouvé les pages manquantes de Snorri, oui ou non ? lança nerveusement le grand Maître.
— Oui monsieur, il semblerait… Mais les tablettes qu’ils ont trouvées sont assez difficiles à déchiffrer… Vous savez, il y a ce symbole qui…
— Oui je sais déjà tout cela. Pourquoi n’as-tu pas rapporté le message ?
— C’est à cause de Matthaeus, je vous avais averti monsieur !
— Oui, oui, je sais bien qu’il n’est pas très fiable !