La mort dans l’âme

Martine Lady Daigre

La mort dans l’âme

Du même auteur

Une vie de chien, Éditions BoD, 2 015

Neitmar, Éditions BoD, 2 015



Dans la plaine noire

Un petit pêcher rose

Fait à lui seul le printemps

René Maublan









I




Je perçois les parfums de terre mouillée.




Mercredi 31 décembre.

Pontarlier 21 h 15.

L’ordre avait été formel.

« Il vous faut trouver du fric, des thunes, du flouze, du blé. Vous utilisez le terme que vous voulez, je m’en moque. La seule chose préoccupante est qu’il faut faire vite. Les moyens pour y arriver, je m’en fous. C’est votre taf, pas le mien. Vous voulez faire partie de l’aventure, tel est le prix à payer, l’épreuve, le Saint Graal, comme disent les gens biens. »

Pierre Martin se souvenait de ce sourire ironique qui s’était affiché sur le visage buriné de l’homme. Il se souvenait de ces yeux noirs, de ce regard dur et glacial qui avaient transpercé son corps tout en lui offrant l’espérance qu’il attendait. Enfin quelqu’un qui l’avait encouragé dans sa démarche, qui mesurait la valeur de son intégrité, de son attachement aux convictions du groupe. Il se savait malhabile, gauche, hésitant, un tantinet pleutre et, pourtant, malgré ses défauts qu’il nommait handicaps, la force qui émanait du personnage rencontré au mois de septembre lui avait redonné confiance. D’ailleurs, n’avait-il pas prononcé les mots souverains avant de se quitter : « Sachez que l’organisation vous en sera reconnaissante et, grâce à vos actes de bravoure, nous avancerons ensemble, bâtissant la nation unie d’un monde juste. »

Les phrases magiques furent un baume guérisseur.

Elles martelaient inlassablement le cerveau du jeune homme qui s’habillait dans le noir, toutes lumières éteintes de la demeure familiale. Elles l’enrobaient d’une aura révélatrice. Il avait senti grandir l’appel qui l’autorisait à combattre des montagnes. Il allait vaincre ce qui le paralysait jusqu’à aujourd’hui. Il était devenu celui que la terre avait accouché. Il possédait la noblesse de cœur des chevaliers d’antan. Il serait le justicier de ce siècle.

L’adolescent, de 16 ans révolus, se rappelait, aussi, comme si c’était hier, les recommandations du chef envers le noyau des derniers arrivants.

« Vous ne devez pas attirer l’attention ». Comme il n’était pas très grand, voire même petit comparé aux gars de sa classe qui dépassaient le 1 m 80, cette taille lui était avantageuse ce soir. Son 1 m 72 l’avait complexé toute sa scolarité du primaire, il n’aurait jamais cru qu’elle l’avantagerait un jour.

« Vous devez vous fondre dans la masse jusqu’au jour fatidique que vous aurez choisi pour votre épreuve. Méfiez-vous de votre entourage. Surveillez vos connaissances autant que vos ennemis. Méfiez-vous de vos voisins, tous des langues de vipères qui crachent leurs venins à la moindre occasion. Ce sont des lâches qui n’hésitent pas à balancer des fadaises à la police pour se mettre en valeur. »

Raison pour laquelle il s’habillait dans l’obscurité, vêtements épars sur un lit en bataille, trahissant son agitation.

Prudence.

Ne pas être visible du voisinage.

Afin de justifier son refus à participer aux réjouissances du 31 décembre, le jeune homme avait donc raconté à sa famille et à ses copains qu’il était nauséeux depuis le matin, avec des maux de ventre, en sus, à vous tordre les boyaux dans tous les sens.

Son mensonge avait porté ses fruits au-delà de ses espérances. Plus que de convaincre, il avait fait l’effet d’une bombe auprès des siens. Il faut dire qu’il n’avait pas ménagé la cuvette des w.-c. pour faire croire aux inquisiteurs à un début de gastro-entérite qui serait miraculeusement guéri demain. Une tromperie facile à entretenir tout au long de la journée. Régulièrement, il s’était enfermé dans les toilettes. La profusion de magazines qui débordaient du porte-revues procurait des heures et des heures de lecture à tous ceux qui souhaitaient s’instruire. Un large choix pouvait cependant décourager le lecteur potentiel dans sa quête d’apprendre quelque chose de nouveau. Aller savoir pourquoi sa mère avait tenu particulièrement à satisfaire l’instruction de ses invités d’un jour.

À l’unanimité, Pierre Martin avait été fui comme la peste.

Résultat très positif. Il avait pu éviter le sempiternel réveillon, savourer cette solitude inespérée. Il était resté tranquille, peinard. Il avait pu s’isoler dans sa chambre dès la fin de la matinée. Il avait eu le loisir de peaufiner son plan d’attaque. Son heure de gloire était enfin venue. Il le pressentait.

Ils ne vont pas être déçus, les compatriotes, pensa-t-il, en continuant à s’affairer dans la pièce.

Il l’attendait avec impatience, ce jour J, comme d’autres attendaient les douze coups de minuit qui changeraient leurs quotidiens sous la baguette magique de la nouvelle année. Pour lui, la magie, ce fut l’électricité produite par sa rencontre avec le chef. Il avait fait sa connaissance au début de l’automne grâce à l’entremise de son copain, Charles Henri de la Boissière, fils unique d’une des relations professionnelles de sa mère. De trois ans son aîné, par ses belles manières et son look un tantinet bourgeois, cette progéniture de médecin généraliste et de mère au foyer enchantait son monde, avec un patronyme à particule de surcroît. Les traits de son caractère : ambitieux, consciencieux et désireux de plaire, s’opposait à ceux de l’adolescent : désinvolte, sournois et paresseux.

Quel bourge, ce Charles, qui s’encanaille avec le peuple, s’exclama-t-il à haute voix. Un étudiant en fac de droit, en deuxième année, s’il vous plaît. Il réussira à être avocat, lui, et un grand, un de ceux qui se pavanent devant les caméras de télévision en costume cravate, la fierté de son connard de toubib. Et les parents qui n’ont rien compris dans cet univers de tarés. Le père passe son temps à faire des courbettes en ouvrant la porte de son taxi à des clients qui le toisent, et la mère s’échine à laver le cul des gens dans sa maison de retraite sans avoir d’autres prétentions que son dévouement. Pour les remerciements qu’ils en obtiennent tous les deux. Qu’ils aillent brûler en enfer avec leur savoir vivre et leur hypocrisie. Ne suis pas dupe, moi. Je ne cherche pas à gravir les échelons de la classe sociale selon leur genre. Il est obsolète le modèle. J’ai des ambitions qui sont au-dessus de leur valeur morale.

La chance lui avait donc souri un après-midi de septembre. Bientôt, il montrerait au monde qui il était réellement. En attendant, le groupe avait besoin d’argent pour mener à bien sa mission. C’était devenu vital aujourd’hui. Les prospectus glissés dans la boîte aux lettres, chaque semaine pour le rachat de métaux précieux, avaient fini par le convaincre. Un paiement immédiat en cash et sans rendez-vous. Une discrétion assurée et un bonus pécuniaire avec la présentation du flyer. Le chef serait content, il sifflerait d’admiration.

Il lui était inutile de se creuser les méninges, il savait où se procurer de l’or. Un lieu facile d’accès, dans un périmètre isolé, visité il y avait quelque temps déjà. La vente du métal serait importante, il en était persuadé.

21 h 25.

Il était presque prêt. Il lui restait encore à faire une chose indispensable.

D’un geste assuré, il enleva les trois gros classeurs gris alignés par ordre alphabétique sur l’étagère. Il les regarda en haussant les épaules. Cours d’hôtellerie en vue de décrocher un bac professionnel. Un avenir tracé qui remplirait une vie, selon les dires de ses enseignants.

Approbation parentale à 100 %.

Aucune objection mise à part la sienne.

Il les posa sur son bureau, à côté de son ordinateur portable. À la clarté lunaire, il déplaça lentement l’épais livre d’œnologie pour s’emparer d’un sac en velours bordeaux dissimulé derrière. Délicatement, il dénoua le lien qui dévoila un fourreau finement ciselé, cadeau de son nouvel ami et chef de bande, offert en guise d’intronisation. Il s’empara du poignard au manche d’os qui le renfermait. Il passa ses doigts sur le tranchant de la lame courbe en acier trempé, qu’il avait affûté la veille, lorsque ses vieux étaient sortis pour les préparatifs de la Saint Sylvestre. La jouissance qu’il ressentit en touchant l’objet exacerba sa motivation, bien supérieure à l’orgasme sexuel qu’il avait éprouvé avec ces femmes vulgaires, faciles, souvent mariées, des putes à deux balles qui s’envoyaient en l’air avec un jeune sous prétexte de lui apprendre l’expérience. L’expérience, lui, il l’avait acquise avec ses frères, d’un autre genre, de celle qui vous forgeait un homme, un vrai.

Terminer la brigade.

Fini les railleries inconsidérées.

Stop.

Fini les recettes à appliquer scrupuleusement. Sa recette à lui était bien réelle. Il allait la mijoter, la savourer, en apprécier les saveurs exquises, en extraire les sucs, la cuisiner à feu doux vers l’ascension finale.

Il ne lui restait plus qu’à revoir l’inventaire de son sac à dos : une hachette, des tournevis plats et cruciformes, un marteau, une pince, un chiffon, une clé à molette qui pourrait servir, une corde, une lampe de poche cylindrique et une barre de fer de 50 cm qui s’accordait à la perfection avec le pied-de-biche fabrication maison. L’atelier paternel regorgeait d’outils avec son établi et son étau.

Pour un chauffeur ringard, il est bien fourni, le père, lâcha l’adolescent. Le bric-à-brac du parfait cambrioleur, s’imagina-t-il, en proie à une hardiesse qu’il se découvrit.

L’arme blanche rejoignit l’outillage.

Il ne souhaita plus s’attarder.

Il enfila sa doudoune et attrapa ses gants de motard. Il lissa, par automatisme, ses cheveux châtains coupés en brosse sur le dessus de son crâne.

Pantalon en toile de jean d’importation américaine authentique, casque intégral et baskets. Il était bleu marine et noir de la tête aux pieds. Le reflet que lui renvoyait la glace de son armoire satisfaisait sa vision du camouflage. Il quitta la chambre.

Ses doigts cherchèrent la rampe. Il s’y cramponna pour ne point trébucher avec son barda, digne du fier soldat qu’il incarnait. Il descendit l’escalier en bois jusqu’à atteindre le feuillage du ficus de l’entrée censé accueillir la maisonnée et apporter de l’oxygène à l’air ambiant. Il s’interrogea, une fois de plus, quant à l’efficacité de la photosynthèse dans un endroit cloisonné comme celui-ci, sombre et exigu.

En rajustant sa tenue, il tourna à gauche, pénétrant dans la cuisine.

Il pouvait se repérer comme un félin dans la nuit. Il connaissait les obstacles qui auraient pu l’entraver pour avoir arpenté la pièce de façon méthodique quotidiennement. Il lui incombait toujours le rangement de la vaisselle et des denrées alimentaires après les repas. De ce fait, il était le dernier à quitter la table. Encore plus maintenant qu’il avait reçu en cadeau, pour Noël, sa tablette tactile. D’ailleurs, elle traînait sur le plan de travail, reluisant au clair de lune, d’un blanc laiteux, contrastant avec le carrelage en grès. Regrettant de devoir la délaisser, il ouvrit la porte de communication avec le garage et la referma aussitôt en la verrouillant.

Surtout ne pas être bruyant.

Il poussa la massive porte en chêne vers l’extérieur avec son pied droit tandis qu’il sortait son scooter tant bien que mal.

Putain ! Pas facile d’être un héros par les temps qui courent, tempêta-t-il. Je suis du mauvais côté. Je ne peux pas ouvrir en grand sans risquer d’être pris en flag. Eh, merde !

Des graviers crissèrent dans la cour mais la musique des voisins en couvrit le son, y compris celui du portillon en fer noir qui avait la fâcheuse tendance à grincer.

Personne en observation derrière les rideaux. À cette heure, chacun vaquait à ses occupations à l’intérieur des maisons du lotissement faiblement éclairées par les guirlandes clignotantes. Il discerna néanmoins des silhouettes en marchant à côté du vélomoteur. Prudent, il ne mettrait le moteur en route que sur la nationale. Il avait seulement 200 mètres à parcourir à la lueur des réverbères.

Malgré la température basse en cette soirée festive, il n’avait pas froid. Au contraire, des gouttes de sueur coulaient le long de son dos. Le pull-over était trop épais.

Merde, j’ai trop chaud. Je suis engoncé dans ces fringues, se plaignit-il en poussant.

Vingt minutes s’étaient écoulées. Il roulait maintenant à plein régime, le dos courbé vers l’avant, son sac coincé entre ses mollets. Il souriait à sa vie future, exposant sa mine radieuse à ces individus qui ne le connaissait point et qui allait, sous peu, apprendre à le connaître.

Vers Dommartin 22 h 05.

Pierre Martin avait déjà parcouru les trois quarts de la distance qui le séparait de son objectif. Les quelques personnes qu’il avait pu croiser aux feux tricolores avant de quitter la ville, n’avaient pas réussi à capter son attention. Son esprit était focalisé sur une pensée unique : réussir. Elle virait à l’obsession.

Les décorations communales lui procuraient une sensation de supériorité. Elles lui traçaient la voie. Elles étaient les lumières qui illuminaient son passage et le portaient aux nues.

Il se sentait plus fort, ce soir, beaucoup plus qu’il ne l’aurait imaginé. La haine qu’il éprouvait envers le monde occidental coulait dans ses veines et le nourrissait. Elle le sustentait à chaque minute et, particulièrement, maintenant.

Il approchait. Il comptait les virages. Il cherchait le panneau routier.

Un frisson d’impatience parcourut son corps.

Il avait hâte de prouver à sa nouvelle famille ses capacités de dur à cuire. Il voulait la surprendre. Il souhaitait suggérer l’admiration et la fierté des siens, contrairement à l’affirmation parentale qui lui serinait que, sans instruction et sans diplôme, il n’arriverait à rien dans la vie.

Comme s’il pouvait me forcer à bosser, mes vieux, dit-il en éclatant de rire dans le casque embué. Merde ! J’ai failli rater l’intersection. Ne fais pas le con, mec, les cons, ce sont les autres, ne l’oublie jamais !

Il s’en était persuadé. Les abrutis qui n’avaient pas su écouter la parole, c’était les autres, surtout pas lui. Lui, il avait pigé de suite les mots prononcés par le chef. Ils avaient été limpides comme de l’eau de roche, ces mots. Ils avaient résonné dans sa tête. Il les avait bus comme le petit-lait nourrissant l’enfant qui venait de naître. Et c’était bien une renaissance qui s’accomplirait dans quelques minutes.

En attendant l’instant propice, il gravissait le sentier. La pleine lune suffisait pour discerner le paysage. Phare éteint, moteur au ralenti, le scooter peinait à monter la côte. Il brinquebalait sur les cailloux et les mottes de terre aussi dures que la pierre. La température avait encore perdu quelques degrés.

Faudrait pas qu’il gèle, marmonna le jeune en tenant d’une main ferme le guidon.

Il repéra le chêne centenaire au détour d’un virage. Et, soudain, il la vit, égale à ses souvenirs. Au milieu de la clairière, elle se dressait avec la statue de la sainte coiffant la cheminée. Un muret l’entourant délimitait l’enclos. La chapelle Niai-Nion resplendissait au firmament, entourée par les épicéas centenaires et les hêtres au port altier.

C’est une sacrée aubaine qu’elle se situe en retrait de Dommartin. Ça me facilite la tâche, clama-t-il sans aucune retenue. Et la municipalité a amélioré l’accès depuis que nous sommes venus avec les vieux. Putain de veine que j’ai !

Il avança de quelques mètres vers ce parc miniature jusqu’à toucher les premières pierres de l’enceinte en partie recouvertes de mousse. Il arrêta le moteur vers une zone d’ombre. Sac à l’épaule, il l’adossa au mur humide.

Ne mets pas la béquille, mec. Marche à l’instinct, se persuada-t-il. Si tu dois filer en douce, un coup de pas de bol, faut prévoir, on est jamais trop prudent, ceinture et bretelle. Fais gaffe, Martin, ça, c’est de la parlotte à la Charles Henri. Tu vas glisser dans le langage châtié. Reprends-toi, mec, où les potes se foutront de ta gueule.

Il s’aventura pour une inspection minutieuse du bâtiment. Il eut vite fait le tour des mètres carrés. L’édifice était loin d’être volumineux avec ses trois ouvertures.

Il observa. Il respira l’odeur de l’humus.

Il entendit le hululement de la chouette Tengmalm, typique de la contrée.

Il leva la tête vers les fenêtres.

Trop hautes. Inaccessibles. Protégées du vandalisme par des barreaux de fer datant d’Érode.

Il opta pour la seule et unique entrée : une porte métallique attaquée par la rouille en de nombreux endroits dont la partie ajourée permettait, aux pèlerins de passage, de découvrir l’intérieur. Lampe de poche à la main, il regarda attentivement la serrure. Il n’était pas le premier à convoiter le butin. Quelqu’un avait tenté l’expérience avant lui. Il remarqua les traces de son prédécesseur qui avait commencé l’ouvrage. Il lui restait à terminer l’œuvre.

Ingénieuse idée le pied de biche et la barre, constata-t-il. La gâche a été forcée. Je n’ai plus qu’à l’agrandir. Trop fastoche !

Un grincement lugubre dans la nuit répondit à l’oiseau nocturne.

Il ramassa ses affaires et se faufila à l’intérieur.

Coup d’œil circulaire.

Sur le mur du fond, derrière l’autel en pierre, il distingua le blason. Il l’avait cherché dès son entrée dans la chapelle. Il était au milieu de la fresque. C’était bien celui que lui avait montré son père lors de leur dernière visite. Une chance que la famille ait été invitée, à l’époque, par l’association de Pontarlier pour la sauvegarde du patrimoine local. À sa droite, dans la niche, l’objet de ses désirs, oublié et poussiéreux, luisait aux rayons lunaires.

Il attrapa le reliquaire aux moult toiles d’araignées contenant un morceau de la couronne du Christ. Il l’entoura avec le chiffon emporté et l’enferma dans son bagage.

Inutile de s’attarder. Faut foutre le camp en vitesse, décida-t-il sur le champ. Dans moins d’une heure, je serais peinard ; les pieds en éventail, à jouer avec mon iPad, en attendant que les vieux rentrent à moitié bourrés. Le fiston idéal comme l’aristocrate, le Charles Henri. Tu parles, Charles ! Maintenant, active-toi les méninges, mec, il faut planquer ce truc. Je n’ai pas deux plombes pour y réfléchir.

Il enfourcha son bolide.

La descente s’accompagna de jurons envers la première neige de la saison.

Les flocons tourbillonnaient autour de lui. Ils s’accrochaient aux branches basses, s’attardaient sur les tiges des fougères et venaient tapisser, en douceur, les feuilles tombées à l’automne. Ils recouvraient les traces du voleur après son passage. Demain, le grand manteau blanc s’étendrait sur le vallon. Personne ne se rendrait compte de son vandalisme.

Tandis qu’il roulait prudemment sur la chaussée, approchant de son domicile, une idée perverse germa dans son cerveau. Un sourire cynique transfigura son visage. Il avait enfin trouvé la solution à son problème. Il allait ranger le butin dans une cache bénie des dieux.

Pontarlier 23 h 32.

Pierre Martin circulait, serein, dans la zone pavillonnaire.

Il réalisa en croisant le véhicule des Monterrand, les voisins de la zone B, que la fête s’était invitée dans le lotissement pendant son absence.

Les gesticulations en ombre chinoise visibles par endroits attestaient des danses endiablées, flûtes de champagne à bout de bras. En l’espace de deux heures, la frénésie contagieuse s’était emparée des hommes, des femmes, des enfants et même des vieillards.

Vus à travers la visière.

Mépris envers cette faune qui s’amusait, vils animaux des temps modernes comme susurrait le chef. Tous des dépravés, affirmait son mentor. Ils ignoraient les conseils prodigués depuis des décennies.

Un fait devenu une affirmation, songea-t-il, devant chez lui.

Il se moquait, dorénavant, du bruit occasionné.

Il ouvrit, sans ménagement, portillon et garage, referma à clé d’un geste prompt. Motocyclette rangée à sa place habituelle, il fila directement dans son antre. Il se décida à allumer sa lampe de bureau jaune poussin, dans l’unique intention de signaler une présence.

Quelle déco à chier de la mère ! Bientôt, ce sera fini cet univers de merde avec ces papiers peints d’un bleu délavé et ces moulures couleur bleu marine, critiqua l’adolescent, d’une voix aigrie, adossé à la chaise orange sur roulettes. Terminé le « oui » maman et le « bien » père. Et si on me questionne sur l’obscurité de la piaule depuis deux heures, je raconterai que j’ai roupillé très longtemps, que j’ai attendu que le mal de ventre passe, que je n’ai pas osé bouger de peur de retourner aux chiottes. Faut pas me la faire, à moi. Le nouveau Pierre va leur montrer qui il est, à tous ces cons.

Rempli d’ardeur par ses propos, il extirpa de son sac le poignard. Il contempla, nostalgique, la lame effilée qui n’avait pas encore servi. L’espérance de son utilisation prochaine lui donna le courage de s’en séparer. Il repositionna son livre d’œnologie et les classeurs gris.

Invisibilité parfaite du précieux couteau.

Rester à accomplir la phase finale.

Ironie.

Les épines dormaient sur un coussin de velours bordeaux, semblable au sac de son arme blanche, tel un écrin de mort.