Du même auteur :
- La crise du phylloxéra de la vigne en France, Éd. BoD, Paris, 2019, 212 p.
- L’agriculture traditonnelle et les paysans du Limousin, Éd. BoD, Paris, 2019, 317 p
© 2020, Roger Pouget
Édition : BoD – Books on Demand GmbH,
12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.
Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
ISBN : 978-2-3221-9486-5
Dépôt légal : janvier 2020
« L’extension de la vigne à tous les pays de la terre, là où elle peut mûrir ses fruits, est un bienfait social, une conquête pour l’humanité, et c’est un devoir pour tout homme qui connaît la vigne, sa culture et l’art de faire le vin, de vulgariser ce qu’il en fait de meilleur. »
Dr. J. Guyot
Étude des vignobles de France (Paris,1868)
Pour les connaisseurs des vins, la Corrèze ne figure pas parmi les régions viticoles françaises actuelles et il peut paraître étrange d'associer aujourd'hui son nom à celui de vignoble, même s'il est possible de rencontrer, au hasard d'une promenade sur les routes touristiques du Bassin de Brive, quelques minuscules parcelles de vigne accrochées au flanc d'un coteau ou disséminées parmi les bois et les pâturages. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, quelques îlots de jeunes vignobles (Branceilles, le Saillant, etc.) ont fait leur apparition dans le paysage de la Basse-Corrèze, témoignage d’une résurrection. intéressante que nous aborderons plus loin.
D’autre part, quelques toponymes (Vignols, Queyssac-les-Vignes ; lieux-dits les vignes, les vignottes, etc.) évoquent un lointain passé viticole de cette région où certaines pentes portent encore les traces de terrasses en pierres sèches construites par de lointains ancêtres vignerons, comme sur les « coteaux de Vertougit », à Voutezac.
Si les surfaces occupées actuellement par la vigne en Basse-Corrèze, sont fort modestes, il faut rappeler qu’avant le 19e siècle, elle était présente sur de vastes surfaces, de Juillac, Objat, Voutezac et Allassac, à Meyssac, Beaulieu et Argentat. En effet, il y a un peu plus d'un siècle, en 1875, près de 17.000 hectares de vignobles recouvraient les coteaux et les collines du Bassin de Brive. C'était, pour l'époque, une superficie considérable : dans beaucoup de communes, la vigne représentait alors la principale culture et presque tous les agriculteurs étaient réputés vignerons. Pour mieux se représenter l'importance de cette surface, il suffit de la comparer à celle du vignoble d'Alsace qui n'atteint aujourd'hui que 14.000 ha, répartis sur deux départements.
La vigne, absente de la Moyenne et de la Haute-Corrèze, régions trop élevées en altitude, était alors une source de richesse pour toute la Basse-Corrèze, puisque les vins, très estimés depuis le Moyen Âge, étaient transportés durant des siècles, à dos de mulet ou avec des attelages, vers la Haute-Corrèze, la Haute-Vienne, la Creuse et le Cantal. Mais, dans le dernier quart du 19e siècle, à la suite de l'apparition du phylloxéra, redoutable parasite qui détruisit alors la totalité du vignoble français, et grâce au développement des chemins de fer, une profonde transformation de l'agriculture s'opéra en Basse-Corrèze en l'espace d'une vingtaine d'années. Les vignerons, ruinés par la perte de leurs vignobles dévastés par le terrible phylloxéra, s'orientèrent alors vers de nouvelles cultures maraîchères et fruitières dont les produits, transportés vers les grandes villes par les voies ferrées nouvellement construites, trouvaient des débouchés très rémunérateurs. Il en fut de même pour l'élevage qui connut aussi un essor rapide pour les mêmes raisons.
Les anciennes vignes traditionnelles ayant complètement disparu à la fin du 19e siècle, un nouveau vignoble fut progressivement reconstitué avec de nouvelles variétés résistantes au phylloxéra. Mais, au début du 20e siècle, il ne représentait plus que 4.500 ha, soit 27 % de sa surface en 1875. La vigne a désormais perdu presque toute son importance économique en Basse-Corrèze et le déclin progressif du vignoble va se poursuivre inexorablement jusqu'à nos jours.
La prospérité du vignoble au 19e siècle, non seulement a marqué profondément l'économie de la Basse-Corrèze, mais a contribué à façonner les mentalités des populations rurales et à maintenir les traditions ancestrales forgées par des siècles de culture de la vigne. À l'image des autres vignobles français et étrangers, la Basse-Corrèze a été incontestablement marquée de l'empreinte de la civilisation de la vigne.
L'histoire du vignoble corrézien, de ses origines à nos jours, mérite donc d'être connue dans la mesure où elle retrace, après une période faste qualifiée d'âge d'or, les rudes épreuves que les vignerons ont affrontées (oïdium, phylloxéra, mildiou) et met en lumière leurs remarquables facultés d'adaptation qui leur ont permis de s’orienter vers de nouvelles cultures.
Cet ouvrage n'a pas la prétention de donner une image exhaustive de tous les aspects historiques, techniques et économiques du vignoble corrézien. Son objectif est avant tout de présenter l'évolution du vignoble de la Basse-Corrèze au cours des siècles, en l'éclairant par le développement de quelques aspects techniques, dans le but de faciliter la compréhension et l'interprétation de certains faits historiques, tout en complétant l'information du lecteur.
Depuis une vingtaine d’années, grâce au dynamisme de quelques jagriculteurs désireux de reprendre le flambeau de leurs ancêtres vignerons, trois nouveaux vignobles, de surface encore modeste, ont vu le jour à Branceilles, dans la région de Queyssac-les-vignes (vin paillé) et, plus récemment, sur les coteaux de la Vézère, au Saillant et à Allassac. Il est de notre intention de les présenter et de faire connaître leur réussite dans le cadre de cet ouvrage consacré à l’histoire de la vigne en Corrèze. Certes, cette renaissance de la vigne restera toujours limitée, même si elle est appelée à connaître encore une certaine expansion dans les années à venir. Mais la saturation actuelle du marché du vin en France et à l’étranger, ainsi que la concurrence que se livrent les producteurs dans toutes les régions viticoles, laissent augurer des conditions économiques de plus en plus difficiles et donc une limitation forcée de l’extension de la culture de la vigne. Il est certain que, même s’il existe encore pour lui des possibilités de développement, le vignoble corrézien ne connaîtra plus jamais l’âge d’or qu’il a vécu au 19e siècle !
En 1998, nous avons publié dans la revue Lemouzi un premier ouvrage1sur l’histoire du vignoble de la Basse-Corrèze, qui a retenu l’attention des lecteurs, d’autant plus intéressés qu’il n’existait pas sur le sujet d’ouvrage équivalent. Ce livre est actuellement épuisé depuis quelques années. Devant de nombreuses sollicitations, nous avons décidé de publier un nouvel ouvrage, entièrement refondu, comportant des données nouvelles sur la vigne et le vin dans leur contexte historique général, Pour cela, nous avons enrichi le texte d’une étude détaillée sur l’origine de la vigne et du vin au Moyen Orient, plusieurs siècles avant J.-C. et sur le développement de la culture de la vigne durant l’Antiquité au Proche-Orient, en Égypte, en Grèce, en Italie, en Gaule, avant son apparition en Basse-Corrèze durant le Moyen Âge. Par ailleurs, une analyse plus détaillée de l’historique du développement du vignoble en Basse-Corrèze sous l’influence des religieux jusqu’à la Révolution française de 1789 est présentée dans ce nouvel ouvrage.
Une large place y est accordée aux nouveaux vignobles corréziens, (Branceilles, Le Saillant d’2Allassac et Voutezac) dont la qualité des vins est maintenant bien reconnue par les consommateurs régionaux et même nationaux. C’est leur rendre la place qu’ils méritent que de les situer dans la tradition des anciens vignobles de nos ancêtres qui ont fait, pendant des siècles, la réputation de la Corrèze.
1 Roger POUGET, Les vignes de la Basse-Corrèze, Préface d’Albert Audubert, Avant-Prepaus lemosin del Robert JOUDOUX, Lemouzi, 148 bis, 1998, 151 p.
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« Si la viticulture, après la chute de l'Empire romain, a survécu à la ruine des cités qui l'avaient propagée sur le sol gaulois, et si elle a pu depuis lors, maintenir et accroître ses positions, c'est qu'elle conserve, aux yeux des hommes du Moyen Âge, le prestige dont elle jouissait dans la société antique.»
Roger DION
Histoire de la vigne et du vin en France,
des origines au 19e siècle (1959)
La Bible renferme de très nombreux textes sur le vin et la vigne, témoignant ainsi de l’importance attachée depuis fort longtemps à cette boisson qui ne laisse pas l’homme indifférent. On trouve dans l’Ecclésiastique un proverbe vantant les mérites du vin : « Bonum vinum lætificat cor hominis » (le bon vin réjouit le cœur de l’homme). C’est dire que le vin était considéré depuis des temps immémoriaux comme une boisson capable de transformer l’esprit de l’homme et de le rendre plus joyeux… si la consommation n’est pas excessive !
Hippocrate lui-même, vers 460 ans avant J.-C., recommandait l’usage modéré du vin pour la santé3. Il en est de même d’un traité médical indien, datant du 6e siècle avant J.-C., qui décrit le vin comme « tonifiant de l’esprit et du corps, antidote à l’insomnie, la mélancolie et la fatigue ».On pourrait ainsi citer, au cours du temps, de nombreux témoignages, parfois enflammés, célébrant les vertus du vin. Nous retiendrons seulement l’affirmation célèbre de Pasteur, le premier scientifique à faire une étude sérieuse sur le vin et son élaboration : « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ».
Le vin était considéré comme un stimulant de l’appétit et de la digestion, favorisant ainsi un bon état général et tonifiant l’organisme. Au XIIe siècle, le médecin juif du sultan Saladin, de Cordoue, rappelait que « le vin est la meilleure des nourritures, que la religion musulmane interdit…les bienfaits du vin sont nombreux si on l’aborde en quantité adéquate, car il garde le corps en bonne santé et guérit de nombreuses maladies ».
Les propriétés médicales du vin ont été reconnues très tôt. La présence d’alcool éthylique en fait un antiseptique efficace, utilisé pendant des siècles pour désinfecter les blessures, en attendant la distillation de l’alcool dans un alambic, invention due aux Arabes.
Mais, si le vin est l’objet de louanges méritées, ses méfaits sont également stigmatisés avec vigueur. L’abus conduit à l’ivresse qui, en devenant une habitude, mène à l’ivrognerie, « un des vices les plus malfaisants pour l’âme et l’esprit, et l’un des fléaux des plus dégradants pour le corps », d’après saint Éloi (7e siècle). Les Égyptiens, les Grecs et les Romains avaient dénoncé avec véhémence ce vice qui a toujours eu de lourdes conséquences sur la santé et le mode de vie des peuples.
La vigne existait déjà sur la terre quand les premiers hommes sont apparus, il y a près de trois millions d’années. Des feuilles fossilisées ont été retrouvées un peu partout dans différentes parties du monde. Vavilov, éminent botaniste russe du début du 20e siècle, situe le centre d’origine de l’espèce de vigne Vitis vinifera sylvestris4 en Transcaucasie, c’est-à-dire autour de la mer Caspienne. Dans les forêts de cette région, la vigne, liane vigoureuse monte à l’assaut des grands arbres où elle peut atteindre la lumière, développer ses sarments et mûrir ses fruits en grappes de raisins plus ou moins riches en sucre.
Les premiers hommes, à la recherche de nourriture (baies diverses, fruits, etc.) ont vite repéré les grappes de raisin dont ils ont apprécié la saveur et le jus. La grosseur naturelle des baies des variétés de vigne de cette région les a incités à les consommer comme des fruits ordinaires, comme des raisins de table actuellement5. Puis, ces premiers hommes qui, aux environs de 10 000 ans av. J.C., commençaient à domestiquer les céréales et à les cultiver pour se nourrir, entreprirent de sortir la vigne de sa forêt d’origine pour la cultiver près de leurs habitations. Tout d’abord, ils la plantèrent probablement au pied d’arbres existants, afin que les sarments puissent grimper et se développer sur les branches. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’ils eurent l’idée, en dehors de la forêt, de planter des tuteurs pour soutenir les sarments et de les tailler chaque année pour réduire leur vigueur, augmenter leur fertilité et avoir les fruits à portée de main6.
D’après les archéologues russes, la première culture de la vigne sauvage a fait son apparition en Transcaucasie, autour de la mer Caspienne (Arménie, Géorgie, Turquie orientale, Anatolie, etc.). Des fouilles ont permis de retrouver des pépins de vigne cultivée en Turquie, en Syrie, au Liban et en Jordanie, datant du néolithique, donc d’environ 10 000 ans. On en a aussi retrouvé, de la même époque, en Mésopotamie, région du Tigre et de l’Euphrate. De Mésopotamie, la culture de la vigne, développée et perfectionnée sous l’impulsion des Sumériens, peuple de paysans actifs, se propagea vers le littoral méditerranéen et l’Égypte.
Le vin ne fut pas, dès le début de la culture de la vigne, l’objectif principal recherché par les hommes, mais c’est plutôt le raisin séché au soleil, source importante de nourriture pour les populations sans cesse à la recherche d’aliments pour l’hiver.
Les légendes sont nombreuses pour expliquer l’origine du vin et l’imagination n’a pas manqué, dans de nombreux pays pour raconter la naissance de cette boisson euphorisante. Il ne paraît pas nécessaire de faire appel aux différentes légendes pour expliquer l’apparition du vin. En effet, le phénomène de la fermentation étant spontané quand le raisin a été écrasé dans un récipient, la fabrication du vin est toute naturelle et n’a pas pu échapper aux observateurs attentifs qu’étaient les premiers cultivateurs de la vigne. L’intérêt pour cette nouvelle boisson aux effets euphorisants a tout de suite attiré leur attention et les a incités à poursuivre l’expérience.
Les premiers pressoirs de l’histoire du vin. Pour extraire complètement le jus des raisins, il faut exercer une forte pression sur les grains et, pour cela, divers procédés ont été inventés : écrasement avec des pierres, torsion dans un tissu, levier de serrage, avant le pressoir à vis, d’origine récente). D’après Armand PERRIN, La civilisation de la vigne, Gallimard, Paris, 1938, 218 p.
D’après les premiers documents d’origine sumérienne, l’existence du vin en Mésopotamie, où la culture de la vigne a été signalée pour la première fois, remonte à environ 3. 000 ans av. J.-C7. Les peuples de cette époque étaient de grands buveurs de vin, mais aussi d’une autre boisson alcoolisée, la bière à base d’orge qu’ils savaient déjà produire et « qui restait néanmoins la boisson nationale ». Le vin, plus agréable à boire et, sans doute plus riche en alcool que la bière d’orge, a certainement supplanté rapidement cette dernière.
Les mésopotamiens produisaient beaucoup de vin dans les sols fertiles des oasis8 où la vigne grimpait sur les arbres et dans les collines montagneuses du nord, où elle se trouvait en compagnie de l’olivier. Au 7e siècle av. J.-C., sous le roi de Babylone, Nabuchodonosor, le vin était consommé à la cour et donné en offrande aux Dieux.
Dans le même temps, la culture de la vigne se développait dans le Proche Orient (Turquie, Liban et Syrie actuelles), notamment chez un peuple de marins (les Phéniciens) qui, grâce à leur grande activité commerciale devinrent, pendant des siècles, les fournisseurs de vin de toute la région méditerranéenne9.
Vigne mésopotamienne du VIIe siècle av. J.-C., dans le palais de Sennachérib, à Ninive.
D’après J.-B. CAHOURS D’ASPRY, op. cit.
Durant l’Antiquité, le vin a toujours eu des liens étroits avec les religions. En effet, par la magie de ses nombreuses vertus, il fut considéré comme un don des Dieux à l’homme, sans doute parce qu’il métamorphose ce dernier, qui, en pleine euphorie, a l’impression d’être plus proche des Dieux. Les Égyptiens l’attribuaient à Osiris (le seigneur du vin) et les Grecs à Dionysos (le dieu du vin). Grands buveurs de vin, souvent avec excès, les Égyptiens l’utilisaient dans leurs rites funéraires. Les pharaons s’intéressaient beaucoup à la culture de la vigne et appréciaient le vin : « dans le tombeau de Toutankhamon, mort en 1.352 av. J.-C., on trouva une cinquantaine de jarres de vin dans le mobilier funéraire qui accompagnait la momie ».10
Cueillette du raisin en Égypte, d’après une fresque du tombeau de Ramosé, à Louxor. Les vignes devaient être conduites sur des pergolas. À droite, des amphores à fond plat sont rangées sur des étagères. Photo J. C.- Blanchet.
Dans l’Antiquité, les peuples ont toujours considéré le vin comme une source de civilisation. Dans la Bible, la vigne et le vin sont cités très souvent. Les Hébreux avaient un véritable culte pour la vigne et le vin : « La vigne est un des biens les plus précieux de l’homme », d’après la Bible. « Que Dieu te donne avec la rosée du ciel et de gras terroirs, froment et vin en abondance, dit Isaac » (Genèse).
La légende de Noé, d’après la Genèse, nous apprend qu’à sa sortie de l’Arche, ce dernier planta une vigne et s’enivra de son vin. Dans les Évangiles, le vin est largement présent, témoignage de la grande importance qu’il avait à cette époque dans la vie du peuple juif du Moyen Orient. Les exemples sont très nombreux, notamment aux Noces de Cana, où Jésus accomplit un miracle en transformant l’eau en vin. L’autre évènement important est la Cène, dernier repas de Jésus durant lequel, en présence de tous ses apôtres, il transforma (transsubstantiation) le pain et le vin en corps et sang du Christ. C’est le point de départ de l’Eucharistie, base de la religion catholique, qui va ainsi faire du vin une boisson sacrée, ce qui explique le zèle déployé au cours des siècles par les congrégations religieuses pour répandre et développer la culture de la vigne en même temps qu’ils propageaient leur foi.
Chez les Grecs, le vin occupait une place privilégiée et le culte de Dionysos était très répandu. La mythologie accorde au vin une large place et les légendes diverses sur l’origine de la culture de la vigne et sur le vin abondent dans tous les textes. Pour Homère (9e siècle av. J.-C.), le vin est un « divin breuvage ». Il évoque d’ailleurs la vigne et le vin tout au long de l’Iliade. Les légendes sur Dionysos et sur l’origine de la vigne sont très nombreuses et parfois contradictoires. Il est probable qu’après une consommation un peu trop poussée du « divin breuvage », l’imagination des auteurs de légendes devenait fertile et délirante !
Histoire de Noé, 13e siècle (Basilique Saint-Marc (Venise).
En revanche, ce qui est du domaine de l’histoire, c’est qu’Alexandre de Macédoine fit planter de la vigne et encouragea sa culture dans tous les pays de l’Empire qu’il avait conquis. En Grèce, la vigne était présente sur tout le territoire et très répandue dans les îles. La civilisation de la vigne et du vin y a connu un grand développement et les Grecs figuraient parmi les plus gros consommateurs de vin de l’Antiquité.
Ce sont les Grecs qui ont appris la culture de la vigne et la fabrication du vin aux Romains, à partir de 600 ans avant J.-C. Les Étrusques, qui occupaient la province actuelle de Toscane, cultivaient déjà la vigne en la faisant grimper sur les arbres et faisaient le commerce des vins11. Les Romains, grands amateurs de vin, ont été les premiers à améliorer la culture de la vigne et à étudier les variétés (cépages). Caton l’Ancien (234- 149 av. J.-C.), dans son traité d’agriculture (De agricultura), accorde une large place à la culture de la vigne et au vin. Les poètes romains (Virgile, Horace, Catulle, etc.) n’ont pas manqué de célébrer les mérites des vins des provinces latines (vins de Pompéi, de Falerne, etc.). Horace particulièrement, qui consacra une très grande partie de son œuvre à la célébration du vin, a été désigné comme le chantre du vin. Il vouait un vrai culte au vin, insistant sur toutes ses vertus : « l’amitié, l’amour, la bravoure, l’enthousiasme…et aussi « la possibilité d’ignorer les fins dernières ».
Une véritable civilisation du vin se développa en quelques siècles. Le culte de Bacchus, dieu du vin, prit naissance, et dégénéra même en Bacchanales, où se déroulaient des scènes de débauche, au point qu’elles furent interdites « comme attentatoires à la sûreté de l’État et comme contraires à la morale et à la religion ». On peut dire que les Romains ont été des consommateurs passionnés et même excessifs de vin, comme en témoignent les nombreuses tavernes découvertes dans les ruines de Pompéi et les écrits décrivant des scènes de beuveries, fréquentes dans tous les milieux de la société y compris dans l’armée romaine.
Les Romains, s’ils buvaient beaucoup du vin qu’ils produisaient, ont toujours entretenu un commerce actif avec les pays voisins ou éloignés. Le transport s’effectuait dans des amphores en terre cuite, par chariots sur les voies romaines ou par mer à partir du port d’Ostie essentiellement.
Amphores romaines pour la conservation et le transport du vin. Ruines de Pompéi. Les amphores romaines en terre cuite, munies de deux anses au niveau du col, présentent un fond en forme de pointe qui permet un rangement et un transport plus faciles dans un socle conique.
Grandes jarres en terre cuite de deux mètres de hauteur pour conserver le vin après la fermentation. Au mois de mars suivant, le vin était transvasé dans des amphores de plus faible contenance pour le transport. D après Le vin, une histoire de goût, A. Rowley, J.-C. Ribaut, op. cit.
3 Jean-Bernard CAHOURS D’ASPRY, La vigne et le vin, histoire, légendes et symbolisme, Éd. Atlantica, 2006, 333 p.
4 Sylvestris, car il pousse à l’état sauvage dans les forêts.
5 Ces gros raisins pouvaient être consommés frais ou après séchage au soleil. Les premiers hommes pouvaient ainsi constituer des réserves de nourriture pour l’hiver.
6 Toutefois, la culture de la vigne grimpant sur les arbres vivants a continué à exister dans beaucoup de régions. C’est le cas encore aujourd’hui en Italie et au Portugal.
7 Jean-Bernard CAHOURS D’ASPRY, op. cit.
8 Encore de nos jours, dans de nombreuses oasis d’Afrique du nord (sud de la Tunisie, notamment), des vignes s’étalent en lianes souples entre les palmiers. Les raisins ne servent pas à faire du vin, mais sont consommés comme raisins de table.
9 On a découvert récemment en Phénicie, au pied de l’Anti-Liban, des pressoirs datant de 8.000 ans av.. J.-C., ainsi que des pépins de raisin à proximité.
10 Jean-Bernard CAHOURS D’ASPRY, op.cit.
11 L’utilisation de l’amphore avec bouchon de liège serait d’origine étrusque (600 ans av. J.C.).
Au 6e siècle avant J.-C., ce sont les Phocéens, peuple d’une colonie grecque d’Anatolie (Asie mineure), où la vigne était cultivée depuis plusieurs millénaires, qui introduisent à Massilia, colonie grecque à l'origine de Marseille, des amphores de vin en même temps que des plants de vigne. À cette époque, le commerce est très actif entre Massilia et la Grèce. Le vin devient rapidement une boisson très appréciée par les populations locales, les Gaulois, qui en importent déjà par l’intermédiaire des Romains. Les Phocéens développent les relations avec les Gaulois, font du commerce avec eux et fondent plusieurs villes qui deviendront Agde, Monaco, Hyères, Nice et Antibes. L’influence des Phocéens sur les Gaulois est telle que l’historien romain Justinius, vers 500 ans av. J.-C., affirmait que « les Gaulois ont appris des Grecs une manière de vivre civilisée…et à cultiver la vigne et l’olivier. Leur progrès fut si éclatant qu’il semblait que la Gaule était devenue une partie de la Grèce. »12
L’influence des Phocéens s’étend par les vallées du Rhône, de la Saône et de la Seine, jusqu’au nord et même jusqu’en Grande Bretagne. Elle atteint aussi, vers l’est, la Moselle et le Rhin. Mais leur activité commerciale, qui porte essentiellement sur le vin (transport d’amphores sur des bateaux) dans toute la région méditerranéenne (région de Narbonne) et la vallée du Rhône, s’accompagne de plantations de vignes avec des variétés introduites de leur région d’origine. Si bien que, avant l’invasion de Jules César, la Gaule méridionale est déjà recouverte de vignobles grâce aux Phocéens. Après la conquête par les Romains, les Gaulois, véritablement attirés par le vin, ne peuvent pas satisfaire tous leurs besoins et sont obligés d’en acheter à Rome, à prix fort, pendant une certaine période, en attendant qu’encouragés et conseillés par les Romains, ils développent et améliorent leurs propres vignobles, la fabrication du vin, devenant ainsi des marchands exportateurs. Mais, toute leur production de vin n’est pas commercialisée. Ils prennent bien soin d’en conserver suffisamment pour satisfaire leurs propres besoins de plus en plus élevés.
Les Gaulois, déjà amateurs de boissons alcoolisées (cervoise13, cidre, hydromel14), apprécient le vin et en deviennent de gros consommateurs. Pour faciliter sa conservation et le parfumer, ils y ajoutent, comme les Grecs et les Romains, de la résine, du miel, ou des plantes diverses (aloès, lavande, sarriette, myrte, anis, safran, etc.), ce qui dénature évidemment le goût. Mais il semble que cela n’a que peu d’importance pour eux, l’alcool restant, avant tout, l’élément essentiel pour atteindre l’euphorie qu’ils recherchent.
Toutes les couches de la société gauloise s’adonnent à la consommation du vin. L’armée elle-même, avant la bataille et après le combat, pour célébrer la victoire ou se consoler de la défaite, en absorbe des quantités impressionnantes ! On sert le vin, lors des banquets des notables, dans des coupes ou des cornes d’aurochs, les libations se terminant presque toujours par des scènes d’ivresse collective. Nos ancêtres gaulois n’étaient pas, loin s’en faut, des modèles de tempérance !
Le commerce du vin est particulièrement actif durant la période gallo-romaine, tout d’abord à partir de la province narbonnaise, où se trouvaient les premiers vignobles. Le transport se fait dans des amphores gauloises en terre cuite à fond plat, puis dans des tonneaux en bois. Ce sont les Gaulois qui, les premiers, ont construit des tonneaux en lattes de bois, plus robustes et plus volumineux que les amphores. Petit à petit, le tonneau gaulois détrône l’amphore pour le transport du vin. Entouré de cercles en bois de châtaignier, le tonneau, de capacité variable, est utilisé, soit sur des bateaux, soit sur des chariots tirés par une paire de bœufs ou de vaches pour les transports terrestres.
Après la conquête romaine, le commerce des vins de Massilia et de la province narbonnaise se développe par le Rhône et la Saône vers le nord et par la Garonne vers le sud-ouest, jusqu’à Bordeaux (Burdigalia). La plantation des vignes suit progressivement l’introduction du vin dans toutes ces régions et les premiers vignobles établis en Gaule, dès le Ier siècle avant J.-C, sont ceux de la vallée du Rhône (Hermitage) et de Gaillac dans le Sud-Ouest. Ensuite, apparaissent ceux de Bordeaux, de la vallée de la Loire et de Bourgogne.
Dans le même temps, des variétés de vigne, en provenance d’Italie et adaptées aux climats régionaux, sont introduites en Gaule. C’est le cas pour l’Allobrogica, variété adaptée aux régions plus froides que le centre de l’Italie, qui se développera dans la vallée du Rhône et en Bourgogne, ainsi que du Biturica, introduit en Aquitaine où il fut cultivé avec succès en raison de sa « résistance à l’humidité et aux tempêtes »15. Pour certains ampélographes, ce cépage, à l’origine incertaine, serait un ancêtre des Cabernets actuels qui font la gloire de nos vins de Bordeaux.
Bateau gaulois transpo rtant deux tonnea ux.
Deux bateliers halent la barque dirigée par un barreur.
En arrière-plan, sur une étagère, sont déposées des amphores gauloises, à fond plat. Bas-relief gallo-romain du musée Calvet d’Avignon. D’après J.-B. CAHOURS D’ASPRY.
Transport de tonneaux de vin au Moyen Àge. Des chariots lourdement chargés, par de solides attelages de bœufs, livraient le vin dans les villes. C’était un commerce très actif. D’après Le vin une histoire de goût, op. cit. supra.
Le développement de la culture de la vigne dans de nombreuses régions de la Gaule, après la conquête romaine, fut rapide car le vin représentait une valeur marchande appréciée qui rapportait des revenus importants : « le vin, à cette époque, c’était de l’or » disait alors Suétone, écrivain latin qui déplorait la concurrence entre les vins romains et les vins gaulois.
Devant le succès de la culture de la vigne, qui connaissait alors un essor rapide, allant jusqu’à concurrencer les surfaces réservées aux cultures vivrières, un édit de l'empereur romain Domitien, au Ier siècle de notre ère, interdit la plantation de nouvelles vignes en Italie et en Gaule, dans les terres riches et fertiles réservées à la culture du blé. En effet, pour faire face à l’accroissement rapide de la consommation du vin à Rome et dans tout l’Empire, les vignes, en pleine extension ont tendance à envahir les sols fertiles des plaines, favorables aux céréales et plus faciles à cultiver, dans lesquels les rendements en vin sont plus élevés. Cet édit ordonne également l’arrachage des vignes dans les provinces qui font une concurrence aux vins romains. La Gaule est concernée, mais les Gaulois, à l’esprit frondeur et belliqueux, résisteront et l’édit d’interdiction n’aura pratiquement pas d’effet sur l’expansion du vignoble gaulois.
Arrachage des vignes en Gaule, en application de l’édit de l’Empereur Domitien, en 92 après J.C. Cette interdiction n’aura en fait aucun effet significatif sur le vignoble gaulois qui conservera sa prospérité.
Il faudra attendre la fin du 3e siècle pour retrouver un peu de libéralisme de la part de l'empereur romain Probus. Ce dernier, en effet, donne à tous les Gaulois l'autorisation de planter des vignes et de produire du vin en toute liberté, sans restriction, ni limitation. Encouragée par cette incitation bienvenue, la plantation des vignes connaît dès lors une progression très rapide et la Gaule se couvre de nouveaux vignobles (Bourgogne, vallées de la Loire et de la Seine, Centre-Ouest). D'après l'historien latin Aurélius Victor, « Probus remplit la Gaule de vignobles ». C'est vraiment à partir de ce moment-là que le vignoble gaulois prend son véritable essor, sous l'impulsion des Romains.
Au 4e siècle après J.-C., le début de l’invasion de la Gaule par les Barbares venus de l’est de l’Europe (Vandales, Wisigoths, etc.) ouvre une période de déclin pour les vignobles déjà établis, car l’insécurité généralisée qui en résulte n’est pas favorable au développement de la culture de la vigne. Beaucoup de vignes sont détruites ou abandonnées pendant cette sombre période.
Il faudra attendre le milieu du 8e siècle et Pépin-le-Bref pour assister à un regain d’influence des ecclésiastiques et notamment des évêques. Soucieux d’assurer l’approvisionnement en vin de l’Église pour les besoins du culte, ces derniers ont veillé sans cesse au maintien des vignobles à proximité des églises et des monastères. C’est grâce à eux que beaucoup de vignes purent se maintenir, tant bien que mal, pendant les invasions des barbares.
Les moines, en particulier, ont joué un rôle essentiel en défrichant des forêts et des terres incultes près de leurs abbayes pour y planter du blé mais aussi de la vigne, ce qui leur a valu d’ailleurs le nom glorieux de « moines défricheurs ». Leur but était de disposer de champs et de vignobles le plus près possible de leur abbaye car les transports de blé et de vin étaient alors très difficiles. Le choix de l’emplacement des abbayes était souvent fait en fonction de la possibilité de planter un vignoble, si possible à proximité ou tout au moins à une distance permettant facilement le transport du vin. Dans la plupart des monastères, on trouvait d’ailleurs une cave équipée de cuves et de tonneaux pour la fabrication et la conservation du vin.
Les moines de Cluny furent les premiers à propager la culture de la vigne. « Tout moine conquérant avait dans sa besace son bréviaire et son fagot de boutures »16. Ce sont ensuite les cisterciens qui jouèrent le rôle le plus actif en fondant de très nombreuses abbayes équipées d’une cave (près de 400 en Europe). Les bénédictins, pour leur part, sont à l’origine de vignobles célèbres en Bourgogne, en Champagne, ainsi que dans la vallée de la Loire et en Bordelais. Il est certain que la viticulture française doit en grande partie aux religieux (moines de tous ordres et évêques) la création des grands vignobles les plus célèbres de la moitié nord du pays et leur expansion durant les premiers siècles de notre ère.
La hiérarchie de l’Église catholique a donc joué un rôle prépondérant dans la création des vignobles dans toutes les régions françaises où elle s’est implantée, comme le rapporte Roger Dion17 : « C’est la France entière qu’il faudrait parcourir si on voulait n ‘omettre aucun des vignobles jadis créés par la viticulture ecclésiastique médiévale. Évêques, archevêques et abbés ne cessèrent de mériter, jusqu’à la fin de l’ancienne monarchie, ce titre de pater vinearum, père des vignes, dont un lettré contemporain de Charlemagne, avait salué l’un d’eux. »
Moines au travail dans une de leurs vignes au Moyen Âge. Dans les monastères, beaucoup de congrégations religieuses obligeaient les moines à participer aux travaux manuels et notamment à ceux du vignoble et de la cave. Il en est encore de même aujourd’hui dans quelques monastères français.
Il est fort improbable qu'un commerce régulier et important de vin en direction de cette lointaine province gauloise ait eu lieu à partir des régions méditerranéennes, en raison du mauvais état des voies de communication à cette époque et de l'absence de voies navigables, seul moyen de transport possible d’une lourde marchandise sur une longue distance. Toutefois, des restes d’amphores, retrouvées dans la région d’Argentat et dans d’autres lieux de la région, donnent à penser que des transports par voie terrestre (à dos de mulet ou avec des chariots) ont eu lieu à certaines époques. Au moment de la conquête de la Gaule par Jules César, la région est peuplée par les Lémovices, issus d'un mélange entre les Celtes et les Ligures. Ce peuple gaulois se livre alors au labour des champs et à l'élevage des porcs et des moutons. Il ne connaît pas encore la vigne.
C'est au 6e siècle après J.-C. qu'est mentionnée la présence des premiers vignobles dans le Bassin de Brive18. Dans la région d'Allassac et d’Yssandon, les moines des abbayes de Vigeois, d'Uzerche et de Solignac, les chanoines du chapitre d'Eymoutiers, ainsi que les évêques de Limoges, font cultiver des vignes sur des terres qui sont leur propriété. C'est à Voutezac, en particulier, que ces derniers possèdent leurs meilleurs vignobles. Sur cette paroisse, il semble que la notoriété des vins des coteaux de Vertougit est déjà bien établie dès le Moyen Âge : d’après la légende, les moines de l'Abbaye de Cluny se seraient réservé la récolte d'un clos de ce célèbre terroir19.
Pour Michel Rouche,20 la culture de la vigne en Aquitaine prend son essor du 5e au 7e siècle : « Un véritable vignoble apparaît même sur les bords de la Vézère et de la Corrèze, dans le Brivadois21. Si le Limousin comporte des petites vignes domaniales, sa partie méridionale, d'Uzerche à Brive, paraît être vouée à la viticulture. Yrieix possède en effet des vignes à Chabrignac, Sioussac, Louignac, Nazac et Astaillac, qu'il fait cultiver par des esclaves et des affranchis spécialement attachés à ces terres. Son Testament ne parle de vignes que pour cette contrée particulière du Limousin, autour du castrum d'Yssandon. Six ans plus tard, en 578, Chilpéric décrète une imposition d'une amphore de vin par arpent. Il en résulte une révolte en Limousin, révolte qui n'a pu éclater que dans une région de vignobles, celle précisément qui nous occupe. De plus, le dernier continuateur de Frédégaire précise, qu'en 763, Pépin entra dans le Limousin, dévasta presque toute cette région, dépeupla beaucoup de monastères, s'avançant jusqu'à Yssandon, principal centre de nombreux vignobles d'Aquitaine. Il le prit et le détruisit. Il dévasta et prit tous ces vignobles d'où presque toute l'Aquitaine, les églises comme les monastères, les riches comme les pauvres, avaient l'habitude de tirer leur vin. » Ainsi, au 6e comme au 8e siècle, le Brivadois était considéré par les contemporains comme la plus forte région productrice de vin de toute l'Aquitaine. Ce vignoble, créé certainement aux 5e et 6e siècles, ne disparut pas sous les coups des Francs au 8e siècle puisqu'il en est question dans les sources jusqu'au 16e siècle.»22
Au 10e siècle, les vignobles ecclésiastiques connaissent déjà un important développement. Marcel Lachiver rapporte qu'au 11e siècle, les chanoines de Saint-Jean d'Aureil, près de Limoges, possèdent des vignes à Juillac, Chabrignac et Saint-Bonnet-la-Rivière.
Enroulement de pampres.
Retable de Naves (19)
Les Duhamel, fin XVIIe siècle (1652 ?-1704). Seilhac (19). Photo J.-F. Amelot.
Vierge à l’Enfant aux raisins.
Époque Louis XIV. Église de Seilhac (19) Photo J.-F. Amelot.
Paysage actuel d’un ancien vignoble de Mendigour, à Voutezac (19) : cabane entourée de deux petites vignes. Ä l’arrière plan, coteaux autrefois plantés en vigne et aujourd’hui recouverts d’une forêt de sapins et de pâturages. Photo R. Pouget.
Le vignoble de Vignols et les chanoines du chapitre de Limoges
P. Eyrolles23 rapporte que « d’après le cartulaire de Limoges, Pépin-le-Bref, chatouillé par le remords ou plutôt par la crainte, signa le capitulaire de Saintes par lequel il proclamait la reconstruction des églises et le rétablissement des biens ecclésiastiques. Par l’acte de 76624, il donna au Chapitre de Limoges la seigneurie et les terres de Vignols en dédommagement des pertes subies. Les chanoines ne lâchèrent jamais cette proie et, pendant plus de mille ans, prélevèrent droits et dîmes sur Vignols et quelques localités comme Objat et Juillac. » Ce n’est qu’à la Révolution de 1789 que les chapitres furent supprimés et les biens ecclésiastiques vendus comme biens nationaux. Vignols fut alors libéré de la tutelle exercée par le chapitre de Limoges pendant plus de mille ans.
Durant cette très longue période, les chanoines ont prélevé chaque année les droits seigneuriaux et la dîme qui, en 1711, toujours d’après P. Eyrolles, rapporta « trois cent soixante et une charges et deux gerles…sur 3 160 charges de vin (ou 1. 600 barriques) » récoltées sur l’ensemble du vignoble de Vignols, soit plus de 10 % de la totalité de la récolte annuelle de vin. Si l’on inclut le montant perçu au titre des droits seigneuriaux, le même auteur mentionne qu’« en 1777, l’état du vingtième estimait le revenu annuel du chapitre de Vignols à 5.267 livres ; ils (les chanoines) versaient 300 livres au curé, 3 livres aux pauvres et se partageaient le reste, laissant s’écrouler faute de réparations le presbytère, l’église et les chapelles…qui n’étaient d’aucun rapport». P. Eyrolles en conclut que « ces seigneurs ecclésiastiques furent les plus mauvais gérants de propriétés qui puissent se voir. ». Les chanoines de Limoges ne firent jamais rien pour contribuer à améliorer le sort des habitants de la paroisse de Vignols qu’ils ont exploités sans vergogne pendant plus de 10 siècles. On pourrait, sans risque d’erreur, parler ici de « colonialisme avant la lettre ». Ce n’est pas le cas d’autres institutions religieuses qui géraient des vignobles dans des paroisses voisines, où, dans un esprit de charité, elles ont contribué, par des dons réguliers, à améliorer les conditions de vie des habitants.
Vignols est vraiment un cas particulier qui ne semble pas avoir d’équivalent dans la région de la Basse-Corrèze, durant une période aussi longue et avec des contraintes aussi sévères.
À Saint-Solve, sur des coteaux voisins, éminement favorables, Henri Daurat25 signale la présence de vignes appartenant aux moines d’Uzerche, aux Abbés de Saint-Léonard (Haute-Vienne), aux Carmes de Limoges ainsi qu’aux Jésuites de Limoges. Ces communautés religieuses perçoivent des paysans qui cultivent les vignes des rentes en vin.
Les vignes de la Chartreuse du Glandier (19)
Vers 1219, Archambaud VI, vicomte de Comborn, pour expier un crime, donne à l’ordre des Chartreux le château du Glandier et son domaine sur lequel il construit une importante chartreuse. Comme il est coutume à cette époque que chaque monastère dispose d’un vignoble pour son approvisionnement en vin, les chartreux du Glandier plantent des vignes dans la paroisse voisine de Voutezac, déjà réputée pour la qualité de ses vins. D’après l’abbé M. Échamel26 : « les Chartreux de la Chartreuse de Glandier, qui se trouve à quelques kilomètres de Voutezac, possédaient, dès 1219, des vignes à Murat et dans d'autres villages de la paroisse de Voutezac : Sajueix, Vertougit, Mendigour, etc. » À Murat, paroisse de Voutezac, les vignes faisaient partie d’une manse, « avec ses terres et ses vignes, dans une position riante et fertile ». En 1231, les Chartreux deviennent propriétaires du vignoble voisin de La Jaubertie. En 1737, la famille Bordas, qui gère à la fois Murat et La Jaubertie, verse une rente annuelle de 180 livres aux Chartreux du Glandier, et fournit « 20 charges de vin bon et marchand, que le Père Procureur enverra chercher dans le cellier27 des preneurs. »
Pour Yves Soulingeas28, « La Chartreuse du Glandier était de tous les établissements religieux celui dont le vignoble était le plus étendu : 17 hectares de vignes à Voutezac.
Au moment de la Révolution de 1789, les biens des Chartreux du Glandier furent confisqués et vendus. La manse de Murat fut alors achetée par un vigneron qui continua la culture du vignoble.
À Objat, paroisse voisine de Voutezac, la Commanderie de l'Ordre de Malte possède des biens et « Le tènement de Charriéras fournit seul tout le vin de la communauté, une dîme d'environ 50 charges. " 29 Cette dîme est perçue par "un chevalier de Malte habitant Villeneaux, paroisse de Beyssenac, où il possédait une église. » La Commanderie de l'Ordre du Saint-Sépulcre, puis de Malte, de Lavinadière (commune de Soudaine-Lavinadière) a également sous sa dépendance des terres plantées en vignes en Basse-Corrèze, comme en témoigne A. Vayssière, qui décrit l'organisation de l'Ordre en Limousin au 17e siècle30: « Au Prieuré-Commanderie de Lavinadière appartenaient encore plusieurs rentes foncières assises dans les paroisses de Voutezac, d'Objat et d'Allassac ; une vigne de quarante journaux, appelée la ‘’Méjounie’’, située à Voutezac, au-dessus du Saillant et le quart de la vendange récoltée dans divers vignobles d'une étendue d'environ cent cinquante journaux. Le Commandeur avait fait construire dans ce lieu une maison pour son fermier et un pressoir. » La Commanderie de Lavinadière perçoit également « une certaine quantité de vin fourni par les tenanciers du village de la Constantinie, de la paroisse d'Objat. ».
La paroisse de Voutezac était celle où le pourcentage de vignes appartenant à diverses communautés religieuses était le plus élevé, certainement en raison de l’antériorité de la culture de la vigne, mais aussi à cause de la réputation très ancienne de ses vins.
Ostensoir gravé dans le grès. Ce symbole orne le linteau voûté de la porte du cellier construit par l’Ordre du Saint-Sépulcre à La Mégenie (Voutezac), avant le 17e siècle3. Un incendie a détruit les bâtiments d’exploitation de cette très encienne demeure.
Curemonte, village médiéval, et ses trois châteaux : au premier plan, un vignoble traditionnel sur échalas, tel qu’il existait avant le phylloxéra. Photo J.-F. Amelot.
Frise de pampres. Retable de Curemonte (19). 17e siècle. Photo de J.-F. Amelot.
En Limousin, l'Église reçoit l'appui des nobles et des seigneurs, attirés eux aussi par le vin qu'ils consomment généreusement à toutes les occasions. Suivant l'exemple des ecclésiastiques, ils développent à leur tour les plantations de vigne dans des terroirs favorables, souvent loin de chez eux, et en confient la culture à des vignerons locaux. Ils seront imités plus tard par les bourgeois et les notables, intéressés à leur tour par le vin, source très appréciable de revenu. D'après Roger Dion31, « Au Moyen Âge, la culture de la vigne reste un ornement nécessaire à toute existence de haut rang et, par là-même, l'une des expressions sensibles de toute dignité sociale. ».
Les vignobles du Bas-Limousin ont d'ailleurs leur préférence, comme en témoigne J. Dutrech32: ». C’est ainsi qu’à Saint-Solve, d’après H. Daurat33