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La nuit de Noël dans tous les

pays

Alphonse Chabot

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NOËL ET LES LÉGENDES QU'ON Y

RACONTE

Quelles douces heures que celles des veillées de décembre et quel

charme elles ont laissé dans nos souvenirs d'enfance ! Alors au

foyer brillent les joyeuses flambées, pendant que le vent ébranle la

maison et que la pluie bat les vitres. Vous voyez d'ici, n'est-ce pas, la

salle bien close la lampe sous son abat-jour, le feu de sarments qui

pétille avec un bruit sec, illuminant le plafond à solives. Bébé,

heureux et affairé, trottine dans la chambre ; il touche au soufflet,

renverse la pelle et regarde avec étonnement et envie son père qui

tisonne, tandis que les flammes bleuâtres, longues et minces, lèchent

l'écusson de la vieille cheminée aux teintes noires et luisantes. Assis

au coin du feu, le grand-père se chauffe tout pensif, tandis que la

marmite fait «glouglou» et que de chaque côté de son lourd

couvercle s'échappe un mince filet de vapeur. La maîtresse du logis

a quitté sa belle coiffe et pris le bonnet du soir ; debout, la main

gauche posée sur la hanche, elle tourne et retourne, de sa main droite,

sa grande cuillère de bois dans le ragoût qui «mijote» sur le fourneau.

Dans un coin de la chambre, grand'mère explique à sa petite-fille les

enluminures d'un vieil almanach déjà noirci par les années. La

vieille horloge, au large balancier de cuivre, frappe lourdement ses

coups... Telles sont à peu près les veillées d'hiver dans la plupart des

campagnes. La veillée de Noël revêt un caractère particulier, surtout

dans le Midi de la France. Elle comprend : Le repas maigre

(appelé en Provence gros souper) ; Les divertissements ; Les

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légendes.

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I.—LE REPAS MAIGRE.

«Il existe dans notre Auvergne des coutumes qui, pour être moins

éclatantes, n'en ont pas moins un charme tout particulier et un sens

profondément chrétien. La veille de Noël, la nuit venue, la table est

dressée devant le foyer. On la couvre d'une nappe bien blanche, et, au

centre d'une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre

soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la

grande armoire et revient avec une chandelle précieusement

enveloppée dans du papier gaufré. «La belle chandelle prend place

au milieu de la table. «... Les préparatifs termines, mon vieux père,

quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main

tremblante, la chandelle de Noël, l'allume, fait le signe de la croix,

puis l'éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue,

l'allume à son tour, se signe, l'éteint, puis la passe à sa femme. La

chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang

d'âge, puisse l'allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né.

Aidé par sa mère, celui-ci l'allume à son tour, se signe et, sans

l'éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille—bien

modestement—pendant tout le repas. «N'est-ce pas là le souvenir

touchant de la Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde

[Joann. I, 9.] ? «Ce rite accompli, le repas commence joyeux,

animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l'apparition

de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage

la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se

coucher, bercés par l'espoir—souvent trompé—d'aller à la Messe de

minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit,

en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d'autrefois.

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«Quand l'heure est venue, quand les habitants des villages arrivent

de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se

dirige vers l'église pour goûter les émotions toujours nouvelles de

cette bienheureuse nuit [D'après la Semaine de Clermont.].» On

nous écrit des Salces (Lozère) : «Quelquefois la ménagère, la mère

de famille, n'a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer

le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans nos montagnes, en lait

bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme,

sans exclure la rasade de vin pétillant.» La chandelle de Noël,

conservée précieusement, est allumée au matin du premier jour de

l'an, quand les parents et les amis viennent, avant l'aube, offrir leurs

voeux empressés. C'est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs

les royautés éphémères du jour de l'Épiphanie. Cette gracieuse

coutume a été célébrée par un de nos meilleurs poètes : LES

CHANDELLES DE NOËL Aujourd'hui que l'acétylène, Le gaz ou

l'électricité Ont détrôné sans nulle gêne L'antique et fumeuse clarté

De la Chandelle, Peut-on vraiment Vous parler d'elle En ce

moment ? Cependant elle vit encore Et se livre à de beaux exploits

Quand, de Minuit jusqu'à l'Aurore, Elle rayonne en maints endroits.

Venez plutôt dans la Lozère :

Au début de tout Réveillon Une Chandelle seule éclaire La

familiale collation. L'aïeule, d'une main tremblante, L'allume, se

signe... et l'éteint ; Puis, enfants, serviteurs et servante De même

font, d'un tour de main. Précieusement conservée, Dame

Chandelle, huit jours après, Avec sa mèche ravivée Éclaire encor

voeux et souhaits. Et ce n'est qu'à l'Épiphanie, A ce joyeux banquet

des Rois, Qu'à l'Étoile portant envie, Elle brille... et meurt à la

fois ! Comtesse O'MAHONY En Provence, toute la famille se

réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de

la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons

sont brillamment éclairées ; on oublie pour un jour l'économie du

luminaire ; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et

l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles

cannelées, ornées de festons. La place d'honneur appartient de droit

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au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à

table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho

fio) qui doit brûler une moitié de la nuit. Le plus jeune des enfants

de la maison, muni d'un verre de vin, fait trois libations sur la bûche,

tandis que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de

la bénédiction : Alegre ! Diou nous alegre ! Cacho-fio ven, tout

ben ven. Diou nous fague la graci de veire l'an que ven, Se sian

pas mai, siguen pas men ! Réjouissons-nous ! Que Dieu nous donne

la joie ! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens.

Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir ! Et si

l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas

moins. Tandis que la bûche flambe, on s'assied pour le plantureux

repas. «Le plus jeune enfant, avec une gentille gaucherie, bénit les

mets, en dessinant de ses mains mignonnes, lentement dirigées par

l'aïeul, un grand signe de croix au-dessus de la table. Il semble tout

naturel de choisir ce petit être innocent comme le représentant du

Christ nouveau-né [Nicolay, Hist. des croyances, t. II, p. 78.]». Ce

repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats

maigres, mais servis à profusion ; poissons frais, poissons salés,

légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges,

châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à

ce festin le nom dou gros soupa. Les enfants, qui ont obtenu, ce soir,

la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes

ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles,

on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le

Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux

serviteurs de prendre leur repas à la table du maître. Le gros souper

commence parfois tristement, et cela se conçoit : les convives se

comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque

parent à l'appel. On cause un moment des absents, on adresse un

hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la

grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces

tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin

circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les

regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du

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jour.

C'est devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête

de famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux

souvent plusieurs fois séculaires : ceux de Saboly et ceux de

Doumergue sont les plus populaires. La soirée de famille se prolonge

ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l'église pour

assister à la Messe de minuit [D'après Fred. Charpin et François

Mazuy.]. Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus

régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se

perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années,

on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des

inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer

et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne

intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé

comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.

Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de

la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les

ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes

sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de

forme élevée et conique nommé pan calendau ou pain de Noël ; il ne

doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce

pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits

rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou

bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi

que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.

Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-

même nous raconter la veillée de Noël en Provence : Fidèle aux

anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de

Noël.

Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure ; ma mère

leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile,

une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du

troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-

ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au

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feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient

que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille ; et,

parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient

à la nuit, en disant : —Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la

bûche au feu, avec vous autres. Tous ensemble, nous allions

joyeusement chercher la «bûche de Noël», qui—c'était de tradition—

devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la

file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre ;

trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés

devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la

bûche un verre de vin cuit, en disant : Allégresse ! Allégresse, Mes

beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse ! Avec Noël, tout

bien vient, Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine. Et,

sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins. Et, nous

criant tous : «Allégresse, allégresse, allégresse !» on posait l'arbre sur

les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme : A la

bûche, Boutefeu ! disait mon père en se signant. Et, tous, nous

nous mettions, à table.

Oh ! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la

famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil,

suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait

de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient ;

et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais

augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe,

qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la

triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plais

sacramentels : les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la

coquille ; la morue frite et le muge [Muge, poisson de mer appelé

aussi mulet.] aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade,

suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme :

fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis ;

puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait

jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier

pauvre qui passait. La veillée, en attendant la messe de minuit, était

longue, ce jour-là ; et, longuement, autour du feu, on y parlait des

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anciens ancêtres et on louait leurs actions [Frédéric Mistral.]. A

Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut

invariablement un plat d'anguille, une raïto, sorte de sauce au

poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de

gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à

Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens

seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant

les trois jours de fête ; on se contentait de relever la nappe quand la

repas était terminé. Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la

veillée de Noël en Provence, nous citerons la description que nous

fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.

Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une

véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence.

L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au

public, tout ce qui a trait aux moeurs locales et régionales du pays.

Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Calendalo), est

représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons,

entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table,

crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains,

horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine,

brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier

traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence. En voyant

cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de

riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent

donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la

vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé

ensanglante une arène. ... Sur la table, trois nappes, trois chandelles,

symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités,

cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé

en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels : le pain

calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un

quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on

mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la

fougasso (fouasse), galette percée de trous. Nous y voyons encore le

sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans

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l'eau-de-vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit,

ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs

festins. Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a

écrite un confrère de Bretagne [A. G., ancien curé de Malestroit.].

«Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le

réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont

pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient

encore au réveillon, parce que c'est un prétexte à ripaille, mais ils ne

se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien ! je

crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du

repas maigre.» Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont

vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la

tradition du repas maigre à la veillée de Noël ; mais pourtant ce repas

est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une

mortification. Évidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et

vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au

point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas

maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la

veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour

des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous

montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un

morceau de pain ? Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on

réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus

apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à

craindre la disette ; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me

choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte

religieux préparatoire à la fête de Noël. En Bretagne, rien de plus

frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on

fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque

personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre

et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la

vigile.

On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et

lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf

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mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus. Ce

maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et

la veillée se passe en prières. A Mohon, où j'ai été trois ans recteur,

avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter «les mille

Ave». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres

répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se

délasse un peu en chantant quelque vieux Noël ; puis on reprend la

prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires

pour faire le total des mille Ave. Voilà ce que devrait être, avec des

variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille

vraiment chrétienne : Ne prendre de nourriture que ce qui est

nécessaire pour soutenir le corps ; puis, le repas achevé, prier en

union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques

instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore

dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé.

Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra

ses droits et on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la

naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et

de la veillée ; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des

bergers et ne sera plus dans le dénûment.» Nous sommes bien de

l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de

la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre

de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du

réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.

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II.—LES DIVERTISSEMENTS.

Nous allons citer quelques divertissements auxquels donne lieu la

fête de Noël. Nous avons trouvé dans une notice sur Beaufort,

commune de l'Anjou, une très ancienne coutume dont il ne reste pas

trace dans les traditions du pays. C'était, à Beaufort, un usage que

tous les jeunes gens mariés dans l'année se réunissent la veille de

Noël, pour offrir au public un grand divertissement. A l'heure

indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé

sur une petite rivière, à l'extrémité de la ville. Là, au signal donné par

les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu

qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l'eau pour y saisir,

en nageant, une pelote que l'on avait jetée dans le courant. Les

nageurs avaient la liberté d'arracher la pelote des mains de ceux qui

l'avaient saisie les premiers ; c'était, on peut le penser, une lutte fort

longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit,