© 2020 Lionel Ossent

Éditeur : BoD-Books on Demand GmbH

12-14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris

Impression : Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne

ISBN : 978-2322-246-502

En hommage à tous les sous-mariniers morts en service dans l'execution de leurs missions...

Aux équipages des sous-marins Minerve et Eurydice disparus en 1968 et 1970.

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ÉCOLE DES APPRENTIS MÉCANICIENS E.A.M.F ET
GROUPE DES ÉCOLES DE MÉCANICIENS G.E.M DE

SAINT MANDRIER

Le 1er mars 1965 je me trouve sur le quai de la gare de Lyon à Paris. Mes parents, ma sœur et mon frère m'accompagnent. Je quitte définitivement le cocon familial. C'est un grand jour pour moi. Je pars à l'aventure, vers une autre vie totalement inconnue. J'ai abandonné ma formation au collège d'enseignement technique de la rue de Châtillon à Paris 14ème où je me trouvais en seconde année pour l'obtention du C.A.P. D'ajusteur. J'ai décidé de rejoindre l'école des apprentis mécaniciens de la flotte EAMF à Saint-Mandrier (83) près de Toulon (83). Je souhaite embarquer à l'avenir sur un navire de la marine nationale Française. J'ignore les difficultés qui m'attendent. Je ne connais rien de ce milieu et du métier de mécanicien marine. Depuis longtemps je rêve de partir vers cet horizon. Pourquoi je ne le sais pas. D'où vient cette idée, je l'ignore. Je n'ai pas été influencé par personne. Je n'ai pas de connaissance particulière dans ce milieu. Ce souhait est venu naturellement dans mon esprit. Il est devenu depuis plusieurs mois mon objectif. J'ai toujours été attiré par la mer et le milieu maritime. Je ne voulais pas exercer un métier «sédentaire» en usine dans une entreprise de métallurgie. Le plus difficile est de quitter ma famille. J'embrasse mes parents, ma sœur et mon frère. Ils vont sûrement me manquer. J'ai la gorge serrée. Je ne le fais pas voir. Il me faut être fort. Ils plaisantent, ils m'encouragent, je n'ai pas le cœur à sourire. Je monte dans le train, à la main ma valise toute neuve métallique étincelante. Je regagne le compartiment où ma place a été réservée. Un dernier signe de la main en direction du quai pour dire au revoir à ma famille. Je suis angoissé. Il est 21 heures 46' le train s'ébranle. Me voilà parti vers le midi de la France en direction de Toulon.

Dans le compartiment où je me trouve installé se trouvent deux marins en tenue de la marine nationale. Ils ont des galons rouges sur le bas des manches. Ils ont environ 25 ans. Ils apparaissent expérimentés. Ils m'indiquent qu'ils sont mécaniciens comme le mentionne le macaron de leur spécialité sur leur avant bras gauche représentant une hélice de bateau entourée d'une roue dentée. Dans mon esprit je me dis vivement que je sois comme eux. J'en suis encore loin. Ils m'encouragent. Je leur indique ma destination. Ils sont eux mêmes passés par là, il y a quelques années. Ils regagnent leur embarcation après avoir passé leur permission en région parisienne. J'ai tout à découvrir. C'est l'inconnu qui se dessine à l'horizon. Je ne veux pas décevoir mes parents qui m'ont encouragé dans mon choix. Ils m'ont aidé dans mes démarches pour constituer mon dossier de candidature, surtout ma mère.

C'est la première fois que je prends le train sur une aussi longue distance. Nous allons voyager toute la nuit pour traverser la France en direction de la méditerranée que je ne connais pas. Nous devrions arriver à Toulon (83) vers 6 heures 30 le lendemain matin. Je ne connais que le rivage de Normandie où nous allions passer nos vacances en famille et un peu celui de l'atlantique à l’île d' Oléron. La nuit est longue dans ce train. Je sommeillais lors de l'arrivée en gare de Lyon-Perrache (69). Le jour pointait déjà à l'arrivée en gare de Marseille (13). C'est pour moi le bout du monde Toulon (83) où j'ai hâte d'arriver pour découvrir mon nouvel univers.

Le haut parleur dans le train raisonne enfin à l'arrivée en gare de Toulon : «Toulon, Toulon, 5 minutes d'arrêt» est annoncé. Beaucoup de marins en uniforme descendent du train. De nombreux pompons rouges regagnent à la hâte la sortie de la gare. A l'époque les militaires devaient voyager obligatoirement en uniforme pour bénéficier du tarif de réduction à 75%.

Je quitte mes deux co-passagers lesquels m'ont communiqué quelques renseignements sur l'école des mécaniciens laquelle abrite environ 2000 élèves et stagiaires du grade de matelot à ceux d'officiers mariniers et d'officiers d'encadrement.

Saint-Mandrier est situé par la route à une quinzaine de kilomètres de Toulon. A la sortie de la gare des pancartes indiquent aux jeunes élèves de se diriger vers les autocars de la marine nationale stationnés à proximité. Dans un premier temps nous sommes conduits vers le port de plaisance où se trouve l'embarcadère. Un bateau de transport de passagers de la marine nationale doit nous acheminer vers la presqu’île de Saint-Mandrier située de l'autre côté de la rade.

Ce trajet est plus rapide que par la route tortueuse. L'E.A.M.F est située à côté d'une base aéronavale et de l'école de plongée des commandos marines. Elle est implantée à proximité du porte hélicoptères désaffecté Dixmude, amarré à proximité de l'entrée de l'école.

La traversée à bord du bateau le Pipadie, que nous aurons l'occasion d'emprunter de nombreuses fois lors de nos sorties en ville à Toulon ou au moment des permissions, est d'une vingtaine de minutes.

Nous pénétrons dans l'immense cour d'honneur toute en longueur de l'école. Elle est longée de chaque côté par de vastes bâtiments aux coursives voûtées sur plusieurs étages. On aperçoit au fond une large construction plus basse laquelle relie l'ensemble des bâtiments en forme de U. Il s'agit de l'état major de l'école. Nous avons l'impression de pénétrer davantage dans un vaste couvent plutôt que dans un casernement militaire. Les lieux nous apparaissent immenses. On aperçoit au loin de chaque côté d'autres bâtisses. Il s'agit d'ateliers, de salles de cours, de garages notamment pour des autocars, de l'infirmerie, des cuisines et réfectoires, du mess. Un terrain de sport et un gymnase complètent ces installations.

Nous sommes rapidement alignés pour l'appel. Il y a quelques manquants, lesquels ont probablement dû se désister au dernier moment. Nous sommes répartis par compagnie, composée chacune d'une centaine d'élèves. Il s'agit des compagnies 4A, 4B et 4C situées dans le même bâtiment. Le changement de compagnie s'effectue tous les 6 mois correspondant à une année de scolarité dans une école de l'éducation nationale. C'est dire que le rythme de formation dans cette école militaire est intensive du matin au soir et après des études tardives. Nous passerons ainsi de la quatrième compagnie à la troisième, puis la seconde et enfin à la première au cours de ces deux années d'instruction. A l'issue, en fonction du classement général, nous serons affectés sur une unité navigante ou à terre dans une base maritime.

Nous sommes dirigés vers le service habillement pour y percevoir notre paquetage et uniforme.

Les 300 nouveaux élèves admis proviennent de toutes les régions de France et d'outre-mer. En plus, l'école accueille d'autres élèves à maistrance bénéficiant d'une formation accélérée pour devenir rapidement officier marinier. Il sont généralement un peu plus âgés que nous et sont déjà titulaires du baccalauréat. Des gradés officiers mariniers et des quartiers maîtres chefs de 1ère classe accomplissent également dans cet établissement une qualification supérieure technique avant promotion, durant quelques mois. L'E.A.M.F deviendra par la suite le groupe des écoles de mécaniciens G.E.M regroupant ainsi toutes les formations de cette spécialité de la marine nationale.

Nous serons dotés d'un bracelet métallique chromé d'identification individuelle gravé à notre nom, portant notre numéro de matricule et notre groupe sanguin. Ce bracelet à pour but d'identifier rapidement les corps de chacun en cas de noyade, d'incendie ou d'explosion, en l'absence d'impossibilité de le faire autrement en cas de décès. Cela paraissait peu réjouissant mais existe également dans les autres corps d'armée notamment pour l'armée de terre par le port d'une plaque métallique similaire autour du cou, comme pour les nouveaux nés autour du poignée dans les nurseries des maternités pour reconnaître les bébés entre eux pour ne pas les confondre.

Le règlement de l'école est porté à notre connaissance. Il est basé sur le respect stricte de la discipline militaire. Une visite médicale d'incorporation nous est soumise bien qu'une précédente ait déjà été effectuée au moment de notre sélection dans nos régions d'origine.

Nous prenons place ensuite dans nos chambrées respectives. Il s' agit en réalité, pour chaque compagnie, d'un vaste dortoir unique où se trouvent alignés deux rangées de lits métalliques superposés appelés communément dans la marine nationale, bannette. Chaque rangée de bannettes est séparée par des armoires métalliques dans sa partie centrale. Chaque élève dispose d'une petite armoire étroite à une seule porte pour y ranger l'essentiel de son paquetage. Les effets civils sont entreposés dans nos valises personnelles lesquelles seront stockées dans un local annexe en guise de bagagerie. A l'extrémité de chaque chambrée se trouvaient les sanitaires, et une vaste salle d'eau collective dotée de plusieurs robinetteries alignées les unes à côtés des autres pour la toilette quotidienne.

Les douches également collectives étaient situées dans une autre salle du bâtiment. Elles sont programmées à des heures déterminées pour tout le monde en fonction des activités journalières notamment lors de la sortie des ateliers ou après les épreuves sportives et entraînements militaires sur le terrain. Ces installations ne permettaient pas une intimité au moment des toilettes corporelles. Nous devions nous habituer à cette vie en collectivité et faire fi de notre pudeur, bien que cela paraissait d'un autre temps.

A l'intérieur de l'école tous les élèves étaient vêtus d'une tenue de travail commune en bleu de chauffe. Celle-ci se composait d'un pantalon à pont de marin en toile légère bleu clair, d'une vareuse assorties de la même étoffe, d'une chemisette grise avec encre de marine sur la poitrine et d'un calo de la même toile légère que le pantalon et la vareuse. Des brodequins en cuir brut à cirer en noir devaient être portés toute la journée. Cette tenue ressemblait davantage à celle portée par des bagnards qu'à une véritable tenue militaire. Dans les années à venir elle sera modifiée. Pour les sorties l'uniforme traditionnel de marin bleu marine avec le maillot rayé bleu et blanc était beaucoup plus seyant. Celui-ci était complété du célèbre bachis de marin à pompon rouge, du caban de marine et de deux paires de chaussures en cuir basses noires et à tiges. Après les effets militaires perçus ce sera le tour de la literie, draps, couvertures militaires, couvre-lits en toile grise et polochon.

Le paquetage devait être rangé dans l'étroite armoire métallique individuelle implantée au pied de chaque lit. Chaque jour les lits devaient être faits au carré au réveil à 6 heures du matin. Celui-ci s'effectuait à la sonnerie du clairon comme pour toutes les activités de la journée, qu'il s'agisse du réveil, de l'appel journalier, du déjeuner, de la fin des cours, appelé le dégagé, le dîner et le couvre feu. L'appel des élèves consignés et punis était également annoncé au clairon par une sonnerie distincte.

Les fusiliers marins étaient chargés de faire appliquer les sanctions infligées. Celles-ci consistaient à subir des épreuves physiques éprouvantes, comme le parcours du combattant, des marches commandos ou en canard, des pompes, des abdominaux. Les punis ayant fait l'objet d'un rapport devaient passer la nuit dans une cellule collective allongés sur une planche en bois inclinée, inconfortable, durant un nombre de jours déterminé suivant la sanction prononcée.

Les motifs de punitions étaient généralement pour des manquements au règlement intérieur, ou pour des notations jugées insuffisantes. Ces punitions étaient assorties d'une coupe de cheveux particulièrement dégradante s'agissant de la boule à zéro. Par la suite avec le temps ce genre de sanctions ont été supprimées étant considérées dévalorisantes. Certains élèves un peu plus indisciplinés étaient abonnés à ce régime sévère. L'un de nos camarades passait régulièrement ses nuits en cellule. Les épreuves sportives imposées pour lui étaient un véritable défi. Il les exécutait avec aisance, sans sourcilier avec une certaine désinvolture déconcertante. Lors de notations estimées insuffisantes, le tarif était généralement de 8 jours à ce régime. Certains professeurs civils ne se souciaient pas des conséquences de leurs notations et ne cherchaient pas à éviter ce genre de punition, bien au contraire. Ils ne faisaient pas la distinction entre la mauvaise volonté et les difficultés d'assimilation de certaines matières, plus difficile pour certains. Ces punitions étaient mal perçues et n'allaient pas forcément dans le bon sens n'étant pas toujours justifiées. Les consignes étaient attribuées pour les fautes légères. Elles se soldaient par une interdiction de sortie en fin de semaine. La journée d'activité à l'école était généralement rythmée de la même manière du levé au coucher. Les matinées étaient le plus souvent réservées aux cours théoriques d'enseignement général en salle et les après-midi à la formation manuelle et technologique en atelier. Des activités sportives pour les volontaires, en dehors des cours, pouvaient être pratiquées en fin d'après-midi avant le dîner. Je pratiquerai personnellement le judo quotidiennement, et occasionnellement le footing et le football. Le judo permettait de participer à des compétitions les week-ends en milieu civil, avec des clubs extérieurs de la cote d'azur à Saint-Tropez, à Canne, à Nice ou à Fréjus. La chapelle de l'école située sur les hauteurs de la colline, permettait pour les volontaires de bénéficier des offices religieux en fin de semaine. Un aumônier militaire officiait à cette occasion. Les repas journaliers étaient servis sous forme de cafétéria aux cuisines et consommés au réfectoire .

Chaque portion du menu était déposée sur un plateau métallique multiforme servant d'assiette. Les servitudes journalières étaient assurées à tour de rôle par toutes les compagnies existantes. Cela durait une semaine consécutive. Les corvées consistaient aux services des repas aux nettoyages des cuisines, des réfectoires, des installations des parties communes, à l'entretien des espaces verts. Il y avait également à assurer les gardes des issues et locaux sensibles de l'école, plus des patrouilles aux abords de l'établissement et en ville lors des sorties des élèves et stagiaires. Durant cette semaine d'astreinte les cours étaient suspendus pour toute la compagnie désignée.

L'enseignement général composé principalement des mathématiques, dessins industriels, était assuré par des professeurs civils détachés par l'éducation nationale. Ils enseignaient à tous les niveaux aux bénéfices de toutes les compagnies et différents stagiaires. Ils venaient chaque matin faire leurs cours comme dans une école civile.

La formation professionnelle et technologique étaient l'apanage des instructeurs officiers mariniers accrédités à cette fonction. La formation militaire était du domaine des officiers mariniers, fusiliers marins, détachés pour accomplir cette mission. Nous devions rapidement apprendre tous les grades de toutes les armées, Terre, Air, Mer et de la Gendarmerie. Le maniement des armes à l'aide du fusil MAS 36 ou 51 et la marche pour les défilés étaient la principale instruction militaire enseignée par ces sous officiers. Nous aurons l'occasion à plusieurs reprises de défiler sur les Champs Élysées à Paris pour le 14 juillet et lors des obsèques, en 1967, du maréchal JUIN, dernier maréchal de France, lequel s'est illustré particulièrement en 1943 comme commandant le corps expéditionnaire Français. Maréchal depuis 1952, il commanda entre autre les forces atlantiques du secteur central de l'Europe.

Nous passerons de nombreuses heures aux entraînements de ces défilés, les écoles militaires étant régulièrement représentées à chaque cérémonie patriotique, que se soit à Paris ou dans les principales villes de garnison, notamment dans le midi de la France, sur la côte d'azur où l'on ne manquait pas de nous solliciter pour représenter la marine nationale lors de diverses festivités. Nous devions nous entraîner régulièrement pour assurer ces représentations dans un ensemble irréprochable.

La formation manuelle consistait, dans un premier temps, à préparer le certificat technique d'aptitude professionnel, C.A.P, d''une des spécialités de la métallurgie comme ajusteur, tourneur, fraiseur ou soudeur, comme au collège d'enseignement technique. Ce certificat acquis permettait de poursuivre la formation proprement dite de mécanicien marine. L'objectif était d'acquérir le brevet élémentaire de mécanicien apparenté à un brevet professionnel dans le civil. La moyenne générale de toutes les matières enseignées permettait d'établir le classement définitif en fin instruction, déterminant pour le choix des affectations offertes à la sortie de l'école.

Toutes sortes d'embarcations étaient proposées à la fin des deux années d'instruction, sur des navires de surface du plus important au plus petits. Il était proposé des postes sur les portes avions ou hélicoptères, les frégates, les avisos, les escorteurs d'escadre ou rapide, les corvettes, les dragueurs océaniques ou de mines et côtiers, les patrouilleurs, les gabares, les pétroliers, les bâtiments ateliers de soutiens logistiques B.S.L, les remorqueurs de haute mer... D'autres affectations dans les arsenaux, dans des ateliers de réparation et de maintenance pouvaient aussi être choisies. Quelques unes concernaient également les sous marins. Le challenge était donc important car il conditionnait notre future vie dans la marine. Il fallait éviter une affectation non désirée dans un lieu lointain isolé de toute population comme les îles de Kerguelen au sud de l'océan indien ou en nouvelle Calédonie, dépourvus de toute commodité.

La plupart d'entre nous avons été affectés sur des bateaux ayant leur port d'attache en France, à Brest, Cherbourg-Octeville, Toulon, Lorient ou à Rochefort pour ceux de l'aéronavale. Quelques uns ont dû se contenter d'une affectation lointaine en outre mer.

Le stage que nous avions effectué sur le navire de surface, l'escorteur d'escadre Maillé Brézet, sera déterminant pour moi. Une affectation sur ce genre de navire, pourtant généralement prisé, était en ce qui me concerne à éviter. Le mal de mer insupportable que nous avons eu conditionnera mon choix. Lors de cette sortie en mer, laquelle avait pour objectif de nous rendre compte de ce que représentait la navigation à bord d'un navire, nous étions postés à la proue, au poste avant, où l'on ressent le plus les effets du roulis et de la houle. Le mal de mer par ce gros temps nous a tous totalement anéanti. Celui-ci s'est traduit par des vomissements incessants, des malaises, des montées de chaleur et des pertes d'équilibre durant des heures. En qualité de mécanicien nous devions normalement passer la majeure partie de notre temps au compartiment propulsion composé de la chaufferie et de la turbine. Il s'agissait de la partie du bord où la température ambiante était la plus élevée et ou les odeurs de vapeurs étaient le plus ressenties.

Nous étions physiquement tous diminués, nous empêchant de bénéficier dans de bonnes conditions de ce stage d'observation et d'adaptation. Nous passions notre temps sur le pont à vomir à la recherche du grand air. Lors du retour à Toulon au port d'attache, nous avons du attendre plusieurs heures pour que notre métabolisme perturbé se rétablisse normalement. Ces sensations insupportables seront déterminantes au moment de mon choix d'affection à la sortie de l'école.

Les tirs d'obus aux canons par cet escorteur étaient impressionnants. Chaque salve faisait vibrer fortement le bateau. Nous avions l'impression qu'il se produisait un véritable tremblement de terre de forte amplitude. J'étais inquiet pour l'avenir si je devais naviguer des années sur un tel navire ou même sur un autre bateau de surface similaire. Je me posais la question comment vivre dans de telles conditions sur ce genre d'embarcation de surface sans être physiquement perturbé en permanence. Les membres de l'équipage nous rassuraient en nous indiquant que le corps s'habituait à la longue aux turbulences du navire et que le mal de mer pouvait être combattu par la prise de substances médicamenteuses. Nous n'étions pas convaincu par ces propos. Je restais perplexe. Cette première expérience de navigation en haute mer, par mauvais temps, restera gravée dans ma mémoire. Les fusiliers marins étaient chargés à l'école également de faire respecter la discipline militaire. Ils étaient craints. Les épreuves de marches commandos, les entraînements intensifs de défilés au pas cadencé , les maniements d'armes, étaient redoutés. Gare à ceux qui n'exécutaient pas correctement ces manœuvres. Nous étions dans ce domaine en permanence sous pression par la crainte de sanctions en cas de mauvaise exécution. Les consignes étaient la principale menace à éviter. Toutes les matières enseignées étaient sanctionnées et appréciées par une notation numérique. Un coefficient plus ou moins important était attribué en fonction de l'importance de le matière utile à notre formation de mécanicien. La technologie et l'enseignement pratique manuel avaient le coefficient le plus élevé, suivi par les mathématiques, la géométrie, la trigonométrie, le dessin industriel. Il fallait donc éviter dans ces domaines précis un décrochage afin de ne pas subir une baisse de la moyenne générale. Certains professeurs étaient très sévères dans leurs notations. Il ne faisaient pas de cadeau. La bonne volonté ne suffisait pas toujours pour rester performant dans tous les domaines. Nous ne disposions pas de temps suffisant pour revenir sur les parties du programme enseigné incomprises. Il fallait suivre le rythme imposé, sans broncher. Cela n'était pas évident d' assimiler tout le programme prévu dans de telles conditions.

Lors des premières semaines, plusieurs élèves ont décroché. Ils ont démissionné. Ils n'acceptaient pas de subir de telles contraintes, qu'elles soient disciplinaires ou la méthode d'enseignement. Ils sont retournés dans leur foyer. Il n'était pas question pour moi d'en arriver là.

Deux années à un tel régime allaient être longues, mais nous n'avions pas le choix que de nous soumettre aux différentes contraintes et de subir les conditions imposées. Après quelques mois de formation nous avons signé notre premier contrat d'engagement dans la marine nationale pour une durée de 5 ans après formation. Une prime était octroyée à cette occasion. En cas de rupture de contrat, après cette signature, tous les frais d'équipement, d'habillement, d'hébergement, de nourriture, ainsi que cette prime devaient être remboursés à l'état. On se devait de réfléchir avant de prendre une telle décision de démission irréversible. En ce qui me concerne cela était inconcevable, cela aurait été un véritable échec et une frustration importante. Il n'était donc pas question pour moi de remettre en cause ce choix initial d'orientation de carrière en question et de décevoir ma famille, même si nous l'avons pensé à un moment donné. Nous devions poursuivre cette formation dans les conditions imposées et lutter contre les moments de découragement passager, sans désemparer. Nous nous sommes soutenus mutuellement afin de franchir les différentes étapes les unes après les autres et passer ainsi les obstacles . Les semaines et les mois se sont écoulés pour en arriver à la fin de ces deux années de formation dans les meilleures conditions

Nous ne pouvions connaître préalablement le rythme, le régime et les difficultés rencontrées auxquels nous serions soumis.

Certains appelaient le Groupe des écoles de mécaniciens comme étant l'école du crime. Ils faisaient peut être référence à la sévérité qui régnait dans cet établissement. Celui-ci, à son origine, à sa construction, en 1669, a été un hôpital nommé «Saint Louis» réservé pour les marins de retour de campagne. Désaffecté en 1875, il redeviendra hôpital maritime en 1918. Il fermera définitivement ses portes en 1936. Le site sera affecté à l'école des mécaniciens de la flotte.

Nous avons appris auprès de certains instructeurs et au contact des autres élèves, certaines nouvelles valeurs humaines. Nous avons rencontré de nombreux jeunes de toutes conditions sociales en provenance de tous les coins de France et d ' outre mers lesquels avaient soif aussi d'aventures. Nous avons pu côtoyer des sportifs, des musiciens, certains philosophes, des artistes, des intellectuels, des littéraires. C'est de cette manière que notre état d'esprit a sûrement évolué et que notre caractère s'est forgé. Nous ne pourrons oublier les moments difficiles, les diverses frustrations vécues, les obstacles rencontrés, le manque d' affection familiale, au moment de l'adolescence où l'on en a besoin. Nous avons du faire face à tous ces phénomènes. Nous devrons tenter de ne conserver dans notre esprit que les meilleurs moments passés auprès de nos camarades pour avancer dans la vie. Nous ne pourrons pas oublier cette école, laquelle nous a vraisemblablement apporté quelques notions humaines supplémentaires utiles dans notre vie.

La vie en collectivité dans ces conditions est souvent difficile. Elle nous a permis de la découvrir et d'avoir un autre regard sur les autres. Cette période de notre vie a été incontestablement une expérience particulière qui nous sera utile pour l'avenir. Nous ne pouvons éluder aujourd'hui ce souvenir inoubliable, lequel a jalonné notre parcours.

Je gardais en mémoire ces deux marins mécaniciens d'expérience côtoyés dans le train qui nous acheminait vers Toulon. Ils m'avaient précisé que cette école avait une réputation d' être sévère, difficile pour les jeunes apprentis sortants des écoles de l'éducation nationale, arrivants du milieu civil. Ils m'avaient indiqué que par la suite la discipline dans la marine n'avait plus rien à voir avec celle pratiquée dans cet établissement. Celle-ci était bien plus souple m'assuraient ils et bien moins contraignante. Il fallait donc en passer par là et subir ce régime draconien pour franchir toutes les étapes et épreuves imposées. Cela n'est pas évident à 16 ou 17 ans de subir une discipline impitoyable militaire, aussi jeune, lorsque l'on aspire à cet âge là à plus de liberté, d'indépendance et à davantage d'expression libre. Nous avons tous eu des moments de cafards qu'il fallait surmonter pour ne pas se décourager.

Lors de notre première permission, de quelques jours seulement, au moment des fêtes de pâques, mes parents, ma sœur et mon frère sont venus me retrouver à Saint-Mandrier pour passer ces congés avec moi. Ils ont traversé toute la France par la route depuis la région parisienne où nous habitions pour venir m'encourager. Ils n'avaient jamais fait autant de route à la fois. Ils étaient fiers lors de nos promenades dans la région, alors que je portais l'uniforme de marin pour leur faire plaisir. Ce bon moment passé en famille m'a incontestablement ressourcé. Il était vraiment nécessaire pour le moral. Les semaines à venir seront par la suite beaucoup moins moroses. Nous poursuivrons les journées d'instruction avec plus d'entrain et de conviction.

Une épreuve inconnue nous attendait. Il s'agissait de la vaccination au T.A.B.D.T concernant la prévention contre la tuberculose, la typhoïde, le typhus et autres maladies infectieuses pouvant être contractées dans les pays étrangers lors des futures escales. Les effets secondaires de ce vaccin, cinq produits injectés, en une seule fois, dans l'épaule sont redoutables. Il s'agit de forte fièvre, de douleurs paralysantes, une impossibilité de se mouvoir normalement pendant 48 heures. Nous devions rester couché pour souffrir le moins possible. Ce vaccin faisait l'objet d'un rappel quelques semaines plus tard.

Une autre anecdote handicapante marquera également mes premiers mois à cette l'école. Comme je pratiquais le judo avec plusieurs autres camarades, chaque soir après les cours, nous nous entraînions avec un professeur, ceinture noire, sur le tatami du gymnase. Nous préparions les futures compétitions. L'un des camarades qui pratiquait également ce sport a voulu m'expliquer une prise de hanche en me faisant une démonstration. Nous étions à ce moment là à la queue leu leu, à attendre de recevoir notre plateau repas pour nous rendre au réfectoire pour dîner. Lorsqu'il m'a démontré cette prise de hanche, j'ai chuté la tête la première sur le revêtement de sol en ciment. J'ai voulu par réflexe me protéger la tête avec mon bras gauche en avant. Celui-ci s'est retourné en arrière en touchant le sol. Il s'est littéralement déboîté au niveau du coude. Cela était impressionnant d'avoir ainsi le bras à l'envers. J'ai été transporté d'urgence en ambulance militaire à l' hôpital Sainte Anne de Toulon pour y être opéré sous anesthésie générale. Après plus de cinquante années écoulées depuis cet accident je me souviens encore aujourd'hui des douleurs intensives endurées durant tout le transport, consécutives aux vibrations du véhicule. Après la remise en place de mon bras, celui-ci a été immobilisé plusieurs jours sur ma poitrine en écharpe le temps de la cicatrisation interne et la résorption de l'important hématome du coude. J'ai du subir quelques jours d'hospitalisation avant d'être soumis à une rééducation intensive douloureuse pendant plusieurs semaines. Je devais à cet effet me rendre régulièrement à nouveau à cet hôpital militaire, pour y subir les séances prescrites, plusieurs fois par semaine. Cela avait pour incidence de me faire manquer les cours d'une demi journée à chaque fois. Il fallait donc rattraper le retard emmagasiné pour ne pas être doublement pénalisé et éviter de décrocher. Toutes les activités manuelles, physiques et bien sur sportives durant plusieurs semaines ont du être interrompues.

La formation maritime était particulièrement appréciée. Il s'agissait de pratiquer l'aviron sur de grande chaloupes à 16 rameurs. On devait s'initier à ramer correctement en coordination. Des joutes inter-compagnies avaient lieu. Nous apprenions également à godiller sur de petites embarcations, au large de la presqu’île de Saint-Mandrier, par beau temps. Nous avons été amenés à apprendre à confectionner les différents nœuds marins, du plus simple aux plus compliqués, sur toutes sortes de cordages. Cette formation agréable se déroulait au grand air à contrario des autres matières qui se déroulaient dans des ateliers surchauffés ou dans des salles de cours non climatisées, notamment en période estivale. Cette initiation maritime était nécessaire pour tous les marins, quelque soit leur spécialité. Elle était dispensée par des officiers mariniers ayant la spécialité de manœuvrier.