Édition intégrale des trois volumes :
Vol. 1 : L'Apprenti
Vol. 2 : Le Compagnon
Vol. 3 : Le Maître
Copyright © 2020 par Oswald Wirth (domaine public)
Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-point des
Champs-Élysées, 75008 Paris.
Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
ISBN : 9782322215089
Dépôt légal : août 2020
Tous droits réservés
« … La Franc-maçonnerie est appelée à refaire le monde. La tâche n’est pas au-dessus de ses forces à la condition qu’elle devienne ce qu’elle doit être. »
« … La Franc-maçonnerie vise à former des Initiés c’est-à-dire des hommes dans la plus haute acception du mot. Le Maçon doit donc opérer sur lui-même une transmutation semblable à celle des alchimistes… »
O. W.
« On me rendra justice cinquante ans après ma mort. »
Souvent, dans ses moments d’affectueux abandon, Oswald Wirth m’a répété cette phrase. Il est mort le 9 mars 1943, il y a moins de vingt ans, et déjà justice lui est rendue. Avait-elle d’ailleurs cessé de lui être rendue ? Certes les jeunes Francs-maçons ne l’avaient point connu, et son nom était auréolé comme d’une sorte de légende. La plupart de ses ouvrages étaient hors commerce, et vendus à très hauts prix aux rares acquéreurs que la Fortune avait favorisé de ses dons. On parlait de lui comme d’une sorte de saint de la Franc-maçonnerie, et, ainsi qu’il arrive pour les saints, l’hagiographie estompait ses traits et sa pensée sous le voile pieux de la fable, qu’il n’eût pas admis de son vivant, lui qui était la simplicité même.
Si l’on détruit les légendes l’homme n’en sera que plus grand, en même temps que plus proche de nous. Cette année 1962, qui va voir la réédition de tous ses livres devenus introuvables, peut marquer comme une sorte de renouveau de la Franc-maçonnerie authentique. Il n’aura donc fallu que vingt ans, et non cinquante, pour que le nom et l’œuvre d’Oswald Wirth redeviennent familiers aux jeunes qui obéissent à l’appel de la vocation initiatique. Celle dont il disait – c’est une de ses plus belles pensées, et des mieux exprimées :
« La vocation initiatique se rencontre parmi ces vagabonds spirituels qui errent dans la nuit, après avoir déserté leur école ou leur église, faute d’y trouver leur Vraie Lumière 1. »
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Sous une enveloppe charnelle unique il a existé plusieurs expressions de l’esprit de Wirth : Wirth occultiste, Wirth magnétiseur, Wirth astrologue, Wirth hermétiste, Wirth taromancien.
À l’occasion de la réédition des livres traitant de ces diverses expressions le Destin a voulu que je sois appelé à restituer mon vieux Maître en ses forme et esprit exacts. Sans la moindre affabulation, très simplement, en appuyant mes écrits sur les documents qu’il m’a légués 2.
Il est donc normal qu’aujourd’hui je ne vous parle exclusivement que d’Oswald Wirth Franc-maçon. Du Franc-Maçon qu’il a été – avec quelle foi – pendant près de soixante années entièrement consacrées à l’Ordre.
Sous mes doigts se pressent vieilles lettres, vieilles planches de convocation, vieux diplômes, vieux décors. Surtout, je relis les lignes qu’il me dictait lorsque, chaque année, nous nous retrouvions pendant plusieurs mois d’été et que le soir tombait sur le paysage mayennais dont le calme, le silence étaient propices aux confessions et aux évocations.
Aussi bien, en cette première partie je ne vais être que l’écho de ses paroles. Écoutons-le… 3
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« … 1879 ! Quelques années ont passé… Je suis comptable en Angleterre, où mes grandes distractions dominicales consistent principalement dans l’audition attentive des prédicateurs de l’Armée du Salut. Mais cette occupation, pour édifiante qu’elle soit, ne tarde pas à se révéler par trop monotone. Aussi est-ce avec satisfaction que je déniche – par quel hasard – les livres de Mazaroz 4. Celui-ci, de son métier fabricant de meubles à Paris, était un écrivain méridional, mais ses idées bizarres ne manquent pas de me séduire. Il y a notamment un traité de Franc-maçonnerie très intéressant. Pour Mazaroz, la société doit être organisée sur la base des corporations, administrée par un gouvernement corporatif. Dans une telle société, la Franc-maçonnerie doit être l’élément conciliateur, celui qui établit et maintient la paix, en vertu de ses trois points. Ces lectures se tassent dans le fond de mon esprit, d’où elles ressurgiront un jour, bien vivantes. C’est encore à Londres que je rencontre Silbermann, préparateur au Collège de France, mais dont les conceptions, tout à fait spéciales, sont pour moi l’exemple de la pensée indépendante, de ce que j’appellerai plus tard le “dépouillement des métaux”… Nous sommes alors en 1879, et j’assiste aux débuts de la théosophie. Puis, je reviens à Paris, afin de reprendre le chemin de la Suisse avant mon service militaire. Je revois Silbermann, j’apprends qu’il est Maçon et, pour la première fois, je lui pose une de ces questions qui depuis si longtemps – sans doute, inconsciemment, depuis que j’avais franchi l’âge de la pensée indépendante – se pressaient devant mon esprit critique : “La Franc-maçonnerie est-elle politique ?” Je n’ai jamais oublié la réponse que me fit Silbermann : “Non, la Franc-maçonnerie n’est pas politique. Mais, essayez de distinguer ses aspects particuliers, car elle veut être devinée. Il peut y avoir une Maçonnerie bleue, rouge, noire ou blanche, cela ne change rien à l’affaire, car même les cordons blancs, s’ils n’ont pas vécu la Maçonnerie, ne savent rien de ses mystères. Il n’y aura pour vous, si vous êtes curieux des mystères, qu’une seule solution : demandez votre admission.”
Le 13 novembre 1882, à Châlons-sur-Marne, je fais mon entrée dans le 106e Régiment d’Infanterie. Je m’ennuie. Je m’ennuie terriblement dans ce milieu d’où tout intellectualisme semble banni. Je pense à Silbermann. Pour échapper à l’ennui, je n’ai qu’une solution : devenir Franc-maçon.
La Loge est située rue Grande-Étape. Elle fonctionne, me dit-on, sous la direction d’un Monsieur Piet. Je vais le voir, je le presse de questions… “Rédigez votre demande – me répond-il – je la transmettrai. Mais, si vous venez chez nous par esprit de curiosité ou de connaissance, ou de quelque chose qui change de l’ordinaire, vous serez déçu. Il n’y a là rien de bien malin, et nous sommes essentiellement une association philanthropique.”
Mon premier enquêteur est un brave épicier de Châlons-sur-Marne, qui me conseille d’abord d’être patient. Le second, très sérieux, est un officier de mon régiment.
Le samedi 26 janvier 1884, je suis admis dans le sein de la fraternité maçonnique, par la Loge “la Bienfaisance châlonnaise”, relevant de l’obédience du Grand Orient de France. Une de mes premières surprises est de voir sur les Colonnes mon propre Capitaine, dont j’ignorais cette qualité, qui devait me devenir si chère.
Si pauvre que paraisse la Loge de Châlons, je lui dois cependant de grandes joies intellectuelles. Comme c’est souvent le cas en province, les Frères, peu nombreux, montrés du doigt, sont presque contraints de se replier sur eux-mêmes, et de trouver en eux les principes de la véritable Maçonnerie. C’est ainsi que je puis m’instruire près d’un vieux Maçon, ancien cuisinier autodidacte, aux trois quarts sorcier et féru d’occultisme, près duquel j’apprends beaucoup de choses que je n’eusse jamais soupçonnées jusque-là.
Vers la fin de 1884, la Loge se donne un nouveau Vénérable, Maurice Bloch, Israélite marchand de charbon, et qui, par amour-propre maçonnique, tient à ce que son Atelier reprenne une vigueur qui lui a manquée jusque-là. Il y parvient, sur tous les plans. Avec lui je commence à visiter les Loges de la région, m’instruisant ainsi de la diversité des hommes et des pensées au sein du milieu maçonnique.
En 1885, le Grand Orient envoie une circulaire aux Loges, en leur demandant d’étudier les modifications qu’il convient d’apporter aux rituels, jugés trop anciens. Je suis alors Secrétaire de la Loge, et, chargé du rapport, je conclus, à l’étonnement quasi général, au maintien des vieux rituels, avec seulement quelques rares modifications de détail, exigées par la différence des époques.
En 1886, mon service militaire terminé, je vais à Paris, où je suis affilié à la Loge “les Amis triomphants”. Je continue ma propagande pour le maintien des anciens rituels, ce qui provoque le mécontentement des “pontifes” de l’époque. Je suis bien averti : “Vous perdez votre temps, vous aurez tout le monde contre vous, les cléricaux et les Francs-Maçons.”
Je laisse donc “les Amis triomphants” triompher sans moi, et me dirige alors vers la “Grande Loge symbolique écossaise”, où, après un court passage à la Loge “les Philanthropes réunis”, je m’inscris à la Loge “Travail et vrais amis fidèles”, inscrite plus tard à la Grande Loge de France, et qui devait rester mon Atelier d’élection. »
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C’est à cette époque que se produit l’événement qui va si profondément influer sur la vie d’Oswald Wirth qu’il en demeurera marqué jusqu’à la fin de ses jours. Il rencontre Stanislas de Guaita, le maître incontesté de la jeune école occultiste de la fin du XIXe siècle. De prime abord, celui-ci manifeste des préventions presque innées à l’encontre de la Franc-maçonnerie. Préventions d’ailleurs naturelles si l’on considère le milieu social duquel est issu Stanislas de Guaita, ainsi que sa formation intellectuelle.
« … Je vous félicite bien amicalement pour les succès que vous avez obtenus, spécialement comme Maître d’une Église qui est aussi inconsciente à cette heure de ses symboles que le catholicisme du sens de ses rites. Quel bien pouvez-vous faire, initié comme vous l’êtes, à l’intelligence ésotérique des emblèmes adonhiramiques ! C’est la vie à rendre à un cadavre, il ne faut pas se le dissimuler ; c’est aussi l’âme qu’il faut rendre à la Brute-Positivisme ; car qui a perdu le sens de la moralité vraie est condamné à perdre le sceptre de l’intelligence scientifique : l’Esprit ne fait alliance avec le corps matériel qu’à la faveur de l’âme qui est un mixte. Vous êtes assez cabaliste pour me comprendre…5. »
Pourtant, l’intelligence de Guaita ne peut se refuser, avec sa loyauté habituelle, à explorer les domaines que Wirth vient de lui ouvrir…
« … Je vous prêterai, si cela vous fait plaisir, des ouvrages décisifs de la vraie et primitive Maçonnerie, celle qui se confond presque, pour l’investigateur contemporain, avec les Sociétés de R + C et de philosophes inconnus…6. »
Peu à peu, Guaita abandonne ses préventions. Il reconnaît que la Maçonnerie, telle que la conçoit et la présente Oswald Wirth, est loin d’être un instrument négligeable dans le rude labeur de formation réelle des hommes.
« … En défendant le symbolisme, qui est la base réelle de la Maçonnerie, vous accomplissez une œuvre aussi louable que courageuse, et doublement digne d’un disciple d’Hermès : 1° en restituant à vos Frères le fil d’Ariane qu’ils avaient perdu, et grâce auquel les initiables pourront rentrer quelque jour dans la sainte lumière de l’Écossisme intégral ; 2° en épargnant au moins un blasphème stupide et illogique à ceux qui, n’ayant pas ce qu’il faut pour courir la carrière que vous avez fournie, sont en tout cas maintenus par le symbolisme (qui demeure pour eux lettre close) dans la logique et l’affirmation verbale du spiritualisme transcendant qui est le Principe et la raison d’être de toute association maçonnique… 7. »
Dans le même moment, Oswald Wirth publie son premier « Manuel », ce qui lui vaut cette appréciation qui prouve à quel point Stanislas de Guaita avait pu discerner la véritable Maçonnerie derrière les apparences trop humaines sous lesquelles elle est si souvent voilée par tous ceux qui confondent le profane et le sacré, ou même, plus simplement, qui ignorent le sacré…
« … Votre Manuel, mon cher ami, est à la fois très agréable à lire, très instructif et très bien pensé… Voilà un des très rares livres maçonniques que j’aie lus avec un plaisir soutenu, et qui m’aient laissé quelque chose dans l’esprit… 8. »
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Quelle était donc l’origine de ce Manuel, première ébauche de la trilogie qui devait devenir l’œuvre maîtresse d’Oswald Wirth sur le plan maçonnique, sous le titre général : La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes ?
Il m’est facile d’en retracer brièvement la naissance et l’évolution, grâce aux nombreuses notes, manuscrits et documents divers que m’a légués Oswald Wirth.
Ainsi que je l’ai dit plus haut, dès les semaines qui suivent son initiation, celui-ci comprend que les rituels alors en vigueur ne correspondent plus à rien d’authentiquement initiatique. Sous le prétexte d’une épuration à base scientiste, ils ont été dépouillés de ce qui en constituait l’essence même, et la raison d’être. En décembre 1885, le Grand-Orient de France envoie à toutes ses Loges – y compris celle de Châlons-sur-Marne – une circulaire les invitant à présenter leurs suggestions pour modifications à apporter aux rituels, jugés trop « anciens ». Et Wirth, déjà secrétaire de sa Loge, rédige un rapport dans un sens exactement inverse : il convient que soient maintenus les anciens rituels, quitte à y apporter quelques simplifications ayant pour objet de les débarrasser de tout le verbiage grandiloquent propre à presque tout le XIXe siècle. Il ne s’agit nullement de faire du neuf, comme le demande le Conseil de l’Ordre, mais de revenir aux plus anciennes traditions initiatiques dans leur totalité et leur intégralité.
Je vous laisse penser à l’effet produit par un tel rapport, que la Loge d’Oswald Wirth a fait imprimer, puis a abondamment répandu. Certes, l’idée est lancée, mais elle n’a pas encore acquis droit de cité dans le monde maçonnique.
Appelé à Paris, Wirth poursuit son travail au sein et grâce à l’appui de sa nouvelle Loge « Travail et Vrais Amis Fidèles ». Il prépare un rituel, qui, après usage, est adopté, imprimé aux frais de l’Atelier, et mis en vente, à la disposition de toutes les Loges qui le désireraient 9. Événement surprenant, et qui donne à réfléchir, la Loge rentre dans ses frais ! Il existe donc des Francs-Maçons que la Maçonnerie intéresse ?
Fort de cette expérience, Wirth crée le Groupe d’études initiatiques. Par circulaire en date du 13 février 1893, la « Grande Loge symbolique Écossaise » accorde son appui moral au « Rituel interprétatif pour le grade d’Apprenti », et en recommande l’étude à tous ses Ateliers 10.
C’est de cette ébauche qu’est sortie, en 1894, la première édition du Livre de l’Apprenti. Une deuxième édition, revue et augmentée, fut publiée par la Loge « Travail et Vrais Amis Fidèles » en 1908. Puis, les éditions se succédèrent, toutes rapidement épuisées, jusqu’à la huitième, en 1931.
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Peu de jeunes Maçons connaissent l’œuvre d’Oswald Wirth. Beaucoup, parmi les anciens qui vivent encore, ont eu leurs bibliothèques pillées, saccagées, pendant les années 1940/1944. Presque toutes les Loges ont perdu leurs archives. Mais, la nostalgie de l’esprit « wirthien » demeure.
Quelles sont donc les caractéristiques de cet esprit qui, après tant d’années, imprègne encore la maçonnerie française, et la rend si différente des maçonneries étrangères ?
Pour Oswald Wirth, la Franc-maçonnerie est un organisme vivant. Ainsi conçu il a, comme tout organisme, un corps et une âme. Nul ne comprendra Wirth s’il n’a compris la différence que fait toujours celui-ci entre la Maçonnerie et le Maçonnisme. Dans la toute première lettre qu’il m’écrivit, il commençait par me mettre immédiatement en face de ce problème fondamental :
« … Distinguons entre Maçonnisme et Maçonnerie. Celle-ci est une association d’hommes qui corporise le Maçonnisme. Celui-ci est une conception, une spiritualité qui défie toute critique.
Le Maçonnisme, auquel les Maçons non instruits tournent parfois le dos, vise au bonheur du genre humain, réalisé par le perfectionnement des individus. (Taille de la Pierre brute, base de la construction du Temple)…
Il y a faillite du régime des Grandes Loges inauguré en 1717, puisqu’il aboutit à la mésintelligence et au désaccord entre Maçons de rites opposés.
Mais, le Maçonnisme se dégagera de son corps actuel, pour tenter une autre incarnation qui ne sera pas la dernière, car tout se corrompt pour donner naissance au Fils de la Putréfaction.
Il est une Maçonnerie extérieure dont nous ne sommes pas responsables et que nous devons abandonner à ses destinées, mais il nous appartient de cultiver à l’intérieur de nous-même le Maçonnisme pur. Que chacun travaille en ce sens et le Grand-Œuvre s’accomplira. Quant aux boutiques maçonniques rivales, elles font pitié. Il faut nous élever au-dessus d’elles, pour concevoir le vaste plan du véritable Temple. Spiritualisons et tout s’éclairera…11. »
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Trente-trois années ont passé. Oswald Wirth est mort depuis près de vingt ans. Je suis moi-même au seuil de la vieillesse. Mais, jamais la chaîne n’a été rompue. Montent les générations de jeunes Francs-Maçons qui, déçus comme nous l’avons tous été par l’apparence de la Franc-maçonnerie, retrouveront, grâce à lui, le Maçonnisme authentique, esprit toujours vivant de l’Ordre éternel.
Marius LEPAGE
Laval, 13 mars 1962
1. Oswald Wirth, Les Mystères de l’Art Royal, aux Éditions Dervy.
2. — Le Tarot des Imagiers du Moyen Âge, chez Tchou.
— La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes (trois volumes : Apprenti, Compagnon, Maître), aux Éditions Dervy.
Il convient d’y ajouter la réédition des Essais de Sciences maudites, de Stanislas de Guaita, aux Éditions du Cercle du Livre précieux, dont une longue Introduction étudie la vie d’Oswald Wirth lorsqu’il était le secrétaire et l’ami de Stanislas de Guaita.
3. Le lecteur comprendra que ces lignes n’ont pas été écrites par Oswald Wirth. Mais, provenant de notes que je pris sous sa dictée, elles sont le reflet aussi précis que possible de sa pensée, et même de son langage.
4. J.-P. Mazaroz. Maître-menuisier, fut un auteur très prolifique, dans le genre socialiste-déiste – tel qu’on entendait le mot « socialiste » à la fin du XIXe siècle. – Tous ses ouvrages sont écrits en partant d’un maçonnisme tel que Wirth devait le dégager et l’exprimer quelques années plus tard. Mais, ceux qui eurent le plus d’influence sur Wirth furent les suivants, définitivement sombrés dans l’oubli : Franc-maçonnerie, religion sociale, Le Socialisme maçonnique, L’État social démocratique des paroles du Christ, La Franc-maçonnerie, Le Socialisme maçonnique, Les Sept Lumières maçonniques. À noter aussi La Science magnétique qui a peut-être influé sur la carrière de magnétiseur de Wirth.
5. Lettre de Guaita à Wirth (août 1887).
6. Lettre de Guaita à Wirth (1888).
7. Lettre de Guaita à Wirth (novembre 1888).
8. Lettre de Guaita à Wirth (décembre 1894).
9. Rituel interprétatif pour le Grade d’Apprenti. Une plaquette, 16 x 24 (80 p.). Rédigé à l’usage des Ateliers symboliques de tous les Rites et de toutes les Obédiences par le Groupe maçonnique d’études initiatiques.
10. Je possède les procès-verbaux des réunions du « Groupe maçonnique d’études initiatiques ». Ils pourront donner lieu à des études bien curieuses, mais qui n’ont pas leur place dans ce qui doit simplement être une « Introduction ».
11. Lettre d’Oswald Wirth à Marius Lepage (26 janvier 1929).
« De la création de l’homme par lui-même naît l’homme perfectionné, le Fils de l’Homme. »
O. W.
TT∴ CC∴ FF∴,
En vous initiant à ses mystères, la F∴ M∴ vous convie à devenir des hommes d’élite, des sages ou des penseurs, élevés au-dessus de la masse des êtres qui ne pensent pas.
Ne pas penser, c’est consentir à être dominé, conduit, dirigé et traité trop souvent en bête de somme.
C’est par ses facultés intellectuelles que l’homme se distingue de la brute. – La pensée le rend libre : elle lui donne l’empire du monde. – Penser, c’est régner.
Mais le penseur a toujours été un être d’exception. – Jadis, l’homme a eu le loisir de se livrer au recueillement, il s’est perdu dans le rêve ; de nos jours, il tombe dans un excès contraire. La lutte pour la vie l’absorbe, au point qu’il ne lui reste aucun temps pour méditer avec calme et cultiver l’Art suprême de la Pensée.
Or cet Art, appelé le Grand Art, l’Art Royal ou Art par excellence, il appartient à la F∴ M∴ de le faire revivre parmi nous.
L’intellectualité moderne ne peut pas continuer à se débattre entre deux enseignements qui excluent l’un et l’autre la pensée : entre les églises basées sur la foi aveugle et les écoles qui décrètent les dogmes de nos nouvelles croyances scientifiques.
Alors que tout conspire pour épargner à nos contemporains la peine de penser, il est indispensable qu’une institution puissante ravive le flambeau des traditions qui s’oublient. – Il nous faut des penseurs, et ce n’est pas notre enseignement universitaire qui en forme.
Le penseur n’est pas l’homme qui sait beaucoup. Il n’a point la mémoire surchargée de souvenirs encombrants. C’est un esprit libre, qu’il n’est besoin de catéchiser ni d’endoctriner.
Le penseur se fait lui-même : il est le fils de ses œuvres. – La F∴ M∴ le sait, aussi évite-t-elle d’inculquer des dogmes. – Contrairement à toutes les églises, elle ne se prétend point en possession de la Vérité. – En Maçonnerie, on se borne à mettre en garde contre l’erreur, puis on exhorte chacun à chercher le Vrai, le Juste et le Beau.
La F∴ M∴ répugne aux phrases et aux formules, dont les esprits vulgaires s’emparent pour s’attifer de tous les oripeaux d’un faux savoir. –
Elle veut obliger ses adeptes à penser et ne propose, en conséquence, son enseignement que voilé sous des allégories et des symboles. Elle invite ainsi à réfléchir, afin qu’on s’applique à comprendre et à deviner.
Efforcez-vous donc, TT∴ CC∴ FF∴ de vous montrer devins, dans le sens le plus élevé du mot. – Vous ne saurez en Maçonnerie que ce que vous aurez trouvé vous-mêmes.
Rigoureusement, il devrait être superflu de vous en dire plus long. – Mais, étant donné les dispositions si peu méditatives de notre temps, des Maçons expérimentés ont cru devoir venir en aide à la pesanteur trop commune de l’esprit actuel.
Ils ont donc entrepris de rendre LA F∴ M∴ INTELLIGIBLE À SES ADEPTES. – Après avoir publié déjà un Rituel interprétatif pour le grade d’Apprenti, ils font paraître le présent Manuel qui est suivi du LIVRE DU COMPAGNON et du LIVRE DU MAÎTRE.
Leur tâche est ingrate, mais ils comptent sur l’appui et le concours de tous ceux qui sentent le besoin d’une régénération initiatique de la F∴ M∴ – Ils se montreront profondément reconnaissants des conseils et des renseignements qu’on voudra bien faire parvenir à la L∴ TRAVAIL ET VRAIS AMIS FIDÈLES.
Oswald WIRTH.
Lorsqu’un Maçon se présente pour prendre part aux travaux d’une L∴, il n’obtient l’entrée du T∴ qu’après avoir été tuilé par le F∴ G∴ E∴
En entrant, il exécute la marche et les saluts d’usage, puis il reste debout et à l’ordre entre les deux colonnes, jusqu’à ce qu’il soit invité à prendre place.
À cette occasion, le Vén∴ pourra poser au Fr∴ Vis∴ les questions suivantes, auxquelles il devra savoir répondre :
D. – Mon Fr∴, d’où venez-vous ?
R. – De la L∴ Saint-Jean, Vén∴ M∴
D. – Que fait-on à la L∴ Saint-Jean ?
R. – On y élève des temples à la vertu, et l’on y creuse des cachots pour les vices.
D. – Qu’en apportez-vous ?
R. – Salut, prospérité et bon accueil à tous les frères.
D. – Que venez-vous faire ici ?
R. – Vaincre mes passions, soumettre ma volonté à mes devoirs et faire de nouveaux progrès dans la Maçonnerie.
Le Vén∴ – Prenez place, mon Fr∴, et soyez le bienvenu au sein de cet atelier qui reçoit avec reconnaissance le concours de vos lumières.
Les auteurs qui ont étudié la F∴ M∴ dans son ésotérisme, c’est-à-dire dans son enseignement caché, ont beaucoup insisté sur l’importance de la question : D’où venez-vous ?
Elle doit être prise par le penseur dans le sens le plus élevé et conduire ainsi au problème de l’origine des choses.
L’Apprenti doit chercher d’où nous venons, tout comme le Compagnon devra se demander ce que nous sommes et le Maître où nous allons.
Ces trois questions formulent l’éternelle énigme que toute science et toute philosophie tendent continuellement à résoudre. Nos efforts ne peuvent aboutir qu’à des solutions provisoires, destinées à apaiser momentanément notre soif de curiosité. Mais bientôt nous concevons la vanité des réponses dont nous nous étions contentés, et nous cherchons toujours sans nous bercer jamais d’illusion en croyant que nous avons trouvé.
Semblable au légendaire Juif errant, l’esprit humain marche toujours. Mais lorsque les hommes se groupent entre eux, leur lien social découle essentiellement des idées qu’ils se font du passé, du présent et de l’avenir des choses.
Il y a donc obligation pour le penseur d’éclairer à ce point de vue ses contemporains. Comme Œdipe, il doit savoir répondre aux interrogations du Sphinx, à moins qu’à l’exemple d’Hercule il ne sache tromper la faim de Cerbère, en lançant à pleines poignées la terre du sol dans la triple gueule du gardien des enfers.
La question d’où venez-vous ? n’a pas uniquement une portée philosophique : le Rituel y répond en nous reportant à l’histoire de la Franc-maçonnerie. – Notre institution dérive, en effet, des confraternités de Saint-Jean, titre que portaient au Moyen Âge les corporations constructives auxquelles nous devons tous les chefs-d’œuvre de l’architecture ogivale.
On a en outre voulu voir dans Saint-Jean le Janus des Latins. Ce dieu à double visage symbolisait le principe permanent, pour qui le passé et l’avenir ne font qu’un. Son image doit engager les Maçons à regarder en arrière, en même temps qu’en avant ; car, pour préparer à l’humanité les voies du progrès, il faut tenir compte des leçons de l’Histoire.
Certaines idées sont susceptibles d’exercer une puissance attractive sur les individus isolés. Elles les groupent et deviennent ainsi le pivot intellectuel d’une association.
Mais celle-ci ne saurait être constituée par le seul fait d’un groupement dépourvu de toute stabilité et de toute cohésion. Pour transformer une agrégation d’individualités disparates en un tout permanent, l’intervention d’une loi organique instituant la vie collective est indispensable.
En toute association il faut donc distinguer l’idée et la forme.
L’idée ou l’esprit agit en tant que générateur abstrait : c’est le père de la collectivité, dont la mère est représentée par le principe plastique qui lui donne sa forme.
Ces deux éléments de génération et d’organisation sont représentés en Maçonnerie par deux colonnes, dont la première (masculine-active) fait allusion à ce qui établit et fonde, tandis que la seconde (féminine-passive) se rapporte à ce qui consolide et maintient.
L’historien, s’il s’éclaire des lumières de la philosophie, ne peut faire abstraction de ces deux facteurs essentiels. Pour lui, les annales de notre institution remontent au-delà de l’année 1717, date de la fondation de la F∴ M∴ moderne ; car les idées, qui ont alors réussi à prendre corps, avaient inspiré, à des époques antérieures, de nombreuses tentatives de créations similaires.
Une collectivité qui se fonde ne saurait, d’autre part, improviser son organisation. Tout être se constitue conformément à son espèce, et il bénéficie en cela de l’expérience ancestrale. Tout nouveau-né devient ainsi l’héritier d’une race antique, qui revit en lui, comme il a vécu lui-même dans toute la chaîne de ses devanciers.
En se plaçant à ce point de vue, il est permis d’assigner à la F∴ M∴ une origine des plus anciennes, car elle se rattache à toutes les confraternités initiatiques du passé.
Mais celles-ci paraissent issues des premières associations de constructeurs, comme on peut en juger d’après les circonstances qui ont donné naissance à l’art de bâtir.
La F∴ M∴ ne se livre plus, de nos jours, à des travaux de construction matérielle, mais elle dérive directement d’une confrérie de tailleurs de pierres et d’architectes, dont les ramifications s’étendaient au Moyen Âge sur toute l’Europe occidentale.
En se transmettant les secrets de leur art, ces constructeurs se conformaient à des usages anciens. Ils pratiquaient des rites initiatiques, que les légendes corporatives faisaient remonter à la plus haute Antiquité.
Nous devons nous garder de prendre à la lettre ces traditions naïves. Elles tiennent du mythe et cachent le plus souvent un sens allégorique 1.
Mais il suffit de réfléchir à l’influence exercée primitivement par l’art de bâtir, pour se faire une idée juste du rôle civilisateur que les plus anciennes associations maçonniques ont nécessairement joué.
Ces associations se sont constituées dès que l’architecture est devenue un art. Elles furent appelées, sans doute, à construire tout d’abord les murs des villes primitives. Ces remparts en pierres taillées n’ont pu être l’œuvre que d’ouvriers exercés et groupés en tribus. On se figure volontiers ces artisans se transportant d’un lieu à l’autre pour exercer leur profession là où ils étaient appelés.
Ils ne pouvaient manquer d’être associés pour deux raisons : d’abord, parce que toute construction importante ne saurait être l’œuvre d’individus isolés, et ensuite parce que la pratique de l’art de bâtir exige une initiation professionnelle.
Il est donc évident que, dès les temps les plus reculés, les maçons ont formé des groupements corporatifs, et que, par la force même des choses, ils se sont divisés en Apprentis, Compagnons et Maîtres.
Quant à leur mission civilisatrice, elle s’est manifestée à un double point de vue :
D’une part, les villes, protégées contre les assauts de la brutalité barbare par de solides murailles, devinrent des foyers d’activité pacifique, des asiles inviolables réservés à une élite plus cultivée que la multitude du dehors.
D’un autre côté, les maçons donnèrent l’exemple de l’association en vue d’un travail commun.
On peut donc affirmer que l’Architecture est mère de toute civilisation 2 et c’est à juste titre que les anciens maçons considéraient leur art comme le premier et le plus estimable de tous.
Primitivement tout a revêtu un caractère religieux. Mais l’art de bâtir était plus particulièrement empreint d’un caractère divin. Les hommes qui s’y livraient exerçaient un sacerdoce. Ils étaient prêtres à leur manière. – En taillant des pierres et en les assemblant pour élever des édifices sacrés, ils croyaient rendre un culte à la divinité.
Toute construction utile était sainte : la détruire était un sacrilège et les plus anciennes inscriptions menacent de la vengeance des dieux tout homme impie qui s’attaquerait aux monuments.
Les constructeurs avaient une religion à eux, entièrement basée sur l’art de bâtir. L’univers était à leurs yeux un immense chantier de construction, où chaque être est appelé par ses efforts à l’édification d’un monument unique. – On se figurait un travail incessant, n’ayant jamais commencé et ne devant jamais finir, mais s’exécutant de toutes parts selon les données d’un même plan.
De là vient l’idée du Grand Œuvre visant à la construction d’un Temple idéal, réalisant de plus en plus la perfection. De là, en outre, l’usage traditionnel parmi les maçons de consacrer leurs travaux à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers.
Nous ne possédons que des renseignements précaires sur les plus anciennes corporations constructives des peuples d’Orient. Mais il est singulier de rencontrer dans l’écriture accadienne le triangle Δ comme signe de la syllabe rou qui a le sens de faire, bâtir. – Si ce n’est qu’une simple coïncidence, elle est tout au moins frappante et les Maçons enthousiastes pourront y voir un indice de la haute Antiquité de leur symbolisme, car les monuments chaldéens dont il s’agit remontent à plus de 4 500 ans avant notre ère.
Les auteurs inconnus des plus anciens livres sacrés de la Chine n’ignoraient pas, d’ailleurs, la valeur symbolique du compas et de l’équerre, insignes du sage qui possède les secrets du Premier Constructeur et sait se conduire conformément à ses intentions 3.
En Égypte, le sacerdoce enseignait les sciences et les arts. Certains initiés étaient plus spécialement ingénieurs et architectes. Les artisans placés sous leurs ordres n’avaient droit à aucune initiative.
Les sculpteurs et les tailleurs de pierres furent beaucoup plus libres en Syrie. Ils y formaient des associations religieuses qui parcouraient toute l’Asie Mineure pour élever partout des temples, selon la convenance des différents cultes.
C’est ainsi que vers l’an 1000 avant J.-C., Hiram, roi de Tyr, put envoyer à Salomon les ouvriers nécessaires à la construction du Temple de Jérusalem, du palais royal et des murs de la cité. Ces mêmes constructeurs prirent part également à la fondation de Palmyre.
Plus tard, l’architecture était exercée par des confréries professionnelles analogues à celles dont Numa Pompilius perfectionna l’organisation vers l’an 715 avant l’ère chrétienne.
Le législateur romain constitua des collèges de constructeurs, chargés d’exécuter tous les travaux publics. Ces corporations avaient leur autonomie et la loi leur garantissait de nombreux privilèges. Chacune d’elles pratiquait ses cérémonies religieuses particulières, appropriées au métier exercé par ses membres 4. Ceux-ci exerçaient toutes les professions nécessaires à l’architecture religieuse, civile, militaire, navale et hydraulique.
Ces confraternités laborieuses se répandirent dans tout l’empire. Elles suivaient la marche des légions romaines pour construire des ponts, des routes, des aqueducs, des camps retranchés, des villes, des temples, des amphithéâtres, etc. Partout elles contribuaient à civiliser les peuples vaincus, en les instruisant dans les arts de la paix. Elles subsistèrent, florissantes jusqu’à l’invasion des barbares, en pratiquant des rites secrets ayant un caractère religieux. Ce furent des religions sanctifiant le travail.
Au IIIe siècle, Théophraste nous les dépeint dans les termes suivants : « D’après les traditions de la statuaire antique, les sculpteurs et tailleurs de pierres voyageaient d’un bout à l’autre de la terre avec les outils nécessaires pour travailler le marbre, l’ivoire, le bois, l’or et les autres métaux. La matière informe leur était fournie par les temples qu’ils élevaient sur des modèles divins 5. »
Les religions professionnelles étaient conformes au génie du polythéisme gréco-romain ; aussi, tant qu’il régna, nul ne put songer à demander compte aux corporations architecturales de leur enseignement religieux particulier. Il n’en fut plus de même lorsque le Christianisme, devenu avec Constantin religion d’État, prétendit fonder l’unité du culte et de la croyance.
Le Suprême Architecte de l’Univers cadrait, sans doute, avec le monothéisme, qu’il semblait avoir devancé. Mais cette simplicité, ce vague propice aux adaptations contradictoires, ne devaient plus satisfaire la nouvelle religion qui formulait des dogmes impérieux et précis, auxquels, de toute nécessité, il fallait désormais se soumettre.
Fidèles à leurs traditions, les constructeurs se gardèrent bien d’entrer en révolte contre la foi officielle 6. Ils se firent baptiser, tout en se réservant d’adapter secrètement le Christianisme aux doctrines de la métaphysique architecturale. Ainsi prit naissance une hérésie occulte, parente du gnosticisme, qui s’abstint soigneusement de toute manifestation extérieure. Tout au plus en trouverait-on un indice dans cette facilité singulière avec laquelle les artistes byzantins et cophtes se mettaient indifféremment au service, d’abord des différentes sectes chrétiennes, puis des Musulmans.
Extérieurement soumises à l’absolutisme chrétien, les associations constructives purent prospérer sous l’égide de l’Empire d’Orient, alors qu’elles disparurent en Occident, submergées sous les flots des invasions barbares. Une période vint, où l’on fut bien plus préoccupé de détruire les édifices anciens, que d’en élever de nouveaux.
Le Christianisme, cependant, ne tarda pas à s’imposer aux envahisseurs. L’architecture religieuse fut alors remise en honneur et de nouvelles écoles de constructeurs se constituèrent peu à peu. Elles donnèrent naissance au style roman.
Pendant de longs siècles, toute l’Europe occidentale fut en proie à la brutalité de guerriers ignorants, qui ne tremblaient que devant les fantômes de leur imagination grossière. Le clergé chrétien, appliquant en cela les traditions de tous les sacerdoces, apprit très rapidement à dominer ces esprits enclins aux terreurs superstitieuses. Il eut la hardiesse de menacer les conquérants farouches au nom d’un Juge céleste, dont la rigueur impitoyable ne pouvait être fléchie qu’à la faveur de donations pieuses. Ce fut là pour l’Église la source d’immenses richesses.
On vit alors le Christianisme s’entourer d’un appareil fastueux. Après avoir grandi dans l’abnégation et dans la pauvreté, il voulut séduire par la magnificence. Les temples anciens, jadis saccagés par la cupidité des barbares ou renversés par la fureur iconoclaste des nouveaux croyants, devaient être relevés à la gloire du Dieu des Chrétiens. Comme on n’avait jamais cessé entièrement de bâtir, les procédés du métier s’étaient conservés parmi les artisans ; mais lorsqu’il fut question de construire des édifices appropriés aux exigences imprévues du culte chrétien, on manqua tout d’abord d’architectes.
Des moines instruits furent appelés ainsi à étudier l’architecture et leur habileté à tracer des plans ne tarda pas à s’affirmer. Certains abbés, en particulier ceux de la congrégation de Cluny, déployèrent même sous ce rapport un véritable talent. Rivalisant entre eux, ces prélats ne se contentèrent bientôt plus de constructions techniquement grossières, pour l’exécution desquelles ils pouvaient avoir recours à des artisans de rencontre, sédentaires ou nomades. Lorsque, de simples murs en briques ou en moellons, ils voulurent passer aux assemblages de pierres de taille, il leur fallut de toute nécessité former des artistes véritables, surtout quand l’ambition leur vint de frapper les esprits par la hardiesse de voûtes de plus en plus complexes.
Les moines furent ainsi conduits à s’adjoindre, d’une manière permanente, des laïcs tailleurs de pierres, qui, en qualité de frères convers, portaient le froc et recevaient leur subsistance du couvent.
Parmi les ouvriers soumis à la discipline monastique, les mieux doués ne manquèrent pas de s’assimiler des connaissances suffisantes pour leur permettre de diriger eux-mêmes les travaux de leurs compagnons. Il se forma ainsi des architectes laïques, d’un esprit d’autant plus indépendant qu’ils prenaient davantage conscience de leurs capacités et de leur talent. Leur autorité ne tarda pas à primer celle des moines, qui virent peu à peu les confréries constructives se soustraire à leur tutelle.
Des associations autonomes, rappelant à certains égards les collèges romains, purent ainsi se constituer. Cette évolution semble s’être accomplie tout d’abord en Lombardie, où les traditions antiques, toujours restées vivaces, ont pu d’autant plus facilement être remises en honneur que, par l’intermédiaire de Venise, l’influence byzantine s’exerçait puissamment dans cette région. Ce qui est certain, c’est que la ville de Côme resta longtemps le centre où affluaient les artistes soucieux de se perfectionner en l’art de bâtir. Leur ambition était de se faire initier aux secrets des magistri comacini, titre étendu au XIe siècle, d’une manière générique, à tous les constructeurs.
On prétend, qu’en vue de faire consacrer leur indépendance, les associations architecturales laïques, unies entre elles par les liens d’une étroite solidarité, auraient sollicité du pape le monopole exclusif pour la construction de tous les édifices religieux de la chrétienté. Voulant encourager une aussi pieuse entreprise, la Cour de Rome aurait pris la confraternité maçonnique sous sa protection spéciale, en déclarant que ses membres devaient être partout exempts d’impôts et de corvées. Ce seraient ces franchises, que l’on dit octroyées par Nicolas II en 1277 et confirmées par Benoît XII en 1334, qui auraient valu aux protégés du Saint-Siège, le nom de Francs-maçons 7.
Histoire de l’Architecture