A Inès.
Mes remerciements vont tout d’abord à M. LANASRI qui a bien voulu me soutenir sur un sujet assez polémique et peu étudié. La Science-fiction n’a de place qu’à travers la littérature et son étude.
Mes remerciements vont à ma chère belle-mère qui ont su toutes les deux me soutenir sur ce projet et sur mes études en général. Elles ont su me redonner la confiance lorsque l’on peut parfois avoir des doutes et des incertitudes. Je remercie également indirectement le médecin Philippe Jombart qui m’a transmis sa passion de la littérature de science-fiction il y a plus de dix ans. Enfin, je remercie surtout ma femme Inès qui me suit dans mes projets les plus fous et les plus divers.
Ceci est une adaptation d’un mémoire de Master 2 Recherche Lettres Modernes.
La science-fiction est fortement critiquée et ce n’est pas une réelle surprise. Certains la chassent de la littérature, d’autres de la catégorie « genre », d’autres encore la classent parmi la paralittérature sous prétexte que celle-ci n’a pas ses lettres de noblesse. Sans entrer directement dans ces débats, elle est avant tout un objet d’étude littéraire puisqu’elle offre des écrits étudiables. Elle offre de la matière. On peut reprendre lesmots d’Henri Baudin qui affirme que :
« ce n’est pas de l’infralittérature, ni même à mon avis, de la paralittérature. Je ne vois pas en quoi la S.F. a quoi que ce soit de mineur par rapport au roman en général ; comme celui-ci, la science-fiction comporte une production de masse vouée à la grosse consommation, dont les lettrés oublient de tenir compte quand ils pensent au roman en soi et dont ils tiennent exclusivement compte quand ils pensent à la science-fiction1. »
Remettre en cause sa qualité littéraire n’est pas l’objet de cette étude. Ces écrits forment un objet d’étude et plus particulièrement des possibilités futures sur l’Homme et son devenir. Henri Baudin attaque ici directement les universitaires qui n’osent pas y voir un intérêt et qui ont un comportement qui n’est pas universel et qui est instable envers la littérature.
« La science-fiction n’appartient pas à la science, ni à l’esthétique, ni à la philosophie. Elle est quelque chose d’autre, où l’on pourrait reconnaître comme le dit bien Mascolo une expression remarquable de la fonction prophétique. Les prophètes de la science-fiction ont hérité l’exigence fascinante del’eschatologie2. » nous explique Maurice Blanchot cité par Jean-Marc Gouanvic dans son essai. Ce genre littéraire apparaît d’après cette remarque comme un moyen de connaître la fin de l’homme, la fiction rejoindrait une part de la vérité dans le monde réel. Bien des auteurs ont tenté de donner leur propre version des faits en nous proposant des solutions les plus diverses possibles comme la mort virale, la fuite vers une autre planète, l'attaque atomique, l’invasion extra-terrestre et bien d'autres. La fonction eschatologique de la science-fiction serait donc une manière de nous présenter une forme plausible de l’avenir. Cette fonction placerait cette littérature dans un rôle médiateur ayant pour but de révéler une vérité au lecteur. La fiction aurait un lien direct avec la réalité et un but d'en celle-ci. Cette fonction de vérité effacerait le rôle principal du divertissement, souvent mis en avant par certains critiques comme par exemple Bossuet dans son Oraison funèbre d’Henriette-Anne d’Angleterre où il expose le danger de la fiction: « Là, notre admirable princesse étudiait les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire : elle yperdait insensiblement le goût des romans, et de leurs fades héros ; et, soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisait ces froides et dangereuses fictions. »3. Bossuet oppose ici deux conceptions, celle du roman et celle de l’Histoire. Cette opposition représente celle entre le vrai et le faux, entre la fiction et la réalité. Le roman n’apporterait donc aucune réflexion sur notre temps et ne constituerait qu’un divertissement inutile, méprisable voire même néfaste. C’est justement ce que dénie toute la littérature de science-fiction qui propose une réflexion sur la société dans laquelle on vit. Elle n’offre pas le vrai mais permet une réflexion sur un comportement possible de l’homme. Elle ouvre une réflexion sur le vraisemblable. C'est-à-dire qu’elle permet une réflexion sur le réel, sur « l’envisageable » à travers la fiction. C’est cette évolution que nous essaierons de mettre en évidence au sein même de la littérature de science-fiction. Ce domaine connait des mutations et les définitions proposées par les critiques en sont perturbées. On se demandera s’il appartient toujours à la littérature de l’imaginaire, de même l’on s’interrogera s’il y a au contraire denouveaux genres. Nous prendrons pour exemples principaux cinq romans, Demain les chiens (City) de Clifford Donald Simak, Le successeur de pierre de Jean-Michel Truong, 334 de Thomas Disch, l’Homme démoli d’Alfred Bester ainsi qu’A la poursuite des slans de Van Vogt. D’autres œuvres complémentaires viendront s’ajouter à celles-ci. En comparant ces romans, nous allons entreprendre une étude du vocable science-fiction à travers le futur de l’homme et de l’humanité, en marquant deux types de sciencefiction. C.D. Simak offre un éventail très large de situations où il réduit peu à peu l’homme à une légende, unconte que l’on se raconte près d’un feu, l’homme disparait peu à peu alors que J.M. Truong nous montre le futur très proche si la manipulation n’arrête pas sa progression. La mondialisation menace l’humanité et l’homme tend à disparaître au profit d’un successeur électronique surpuissant. L’homme va disparaître, mais de quelle manière?
C.D. Simak transpose le lecteur dans un temps très éloigné du nôtre contrairement à J.M. Truong où l’action se déroule en 2032. Selon lui le développement du successeur est déjà en cours et nous menace réellement. Il écrira d’ailleurs à ce sujet non plus un roman mais un essaiTotalement inhumaine où il expose son sentiment de crainte et complète la définition du successeur. Ce genre nous rapproche encore plus de la réalité. La distance temporelle est encore réduite. Dans le roman Demain les chiens l’auteur tend au contraire à éloigner le plus possible le lecteur, pour qu’il puisse réfléchir avec plus de recul sur sa propre espèce. Il expose un avis extérieur et tend à montrer ce qui a fait chuter l’homme. Le lecteur doit réfléchir sur son espèce comme si elle n’était pas la sienne. Il doit sortir de sa position anthropocentrique. D’ailleurs C.D. Simak met tout en œuvre pour y conduire le lecteur.
Nous tenterons à travers notre étude de montrer en quoi ces deux romans s’opposent sur une distance et créent deux réflexions différentes, deux types de science-fiction. Le monde complexe de Jean-Michel J.M. Truong est fortement lié avec la réalité. Il fait de nombreux emprunts de termes existants alors que C.D. Simak au contraire tend vers la fiction, une fiction qui éloigne le lecteur de son propos pour mieux s’en approcher par la suite. Le conte, la légende crée une distance par rapport à sa source qu’est l’imagination dans la réflexion. Peu à peu la science-fiction se détache de l’imaginaire et de sa forme d’originedu moins ce qu’on pourrait prétendre être celle-ci. S’en suit une réflexion sur le genre et son avenir. Moins la fiction est présente, plus le genre a des difficultés à s’affirmer et laisserait place, si l’on poursuit le raisonnement, au fur et à mesure à un autre genre, celui de l’extrapolation. Cette évolution caractériserait le début d’une menace pour la survie du genre puisqu’il est difficile d’imaginer la survie d’un genre fondé sur la fiction sans la présence de cette source. Nous verrons ici que la fiction crée des illusions sur sa présence mais l’écrit n’est pas moins fictionnel. On peut alors remarquer plusieurs degrés dans la fiction.
Nous nous pencherons donc tout d’abord sur les différentes fins de l’humanité que peut nous présenter le genre romanesque « science-fiction ». Puis nous étudierons ce qu’apporte cette distance, très diversifiée, imposée par l’auteur de façon plus ou moins marquée. Ensuite nous verrons en quoi chez Jean-Michel J.M. Truong, cette distance s’oppose au contraire très nettement à un rapprochement, à une extrapolation définissant un nouveau genre qui s’impose et qui annoncerait une éventuelle fin de la science-fiction. La mort de la science-fiction évolue parallèlement avec la fin de l’humanité. La fiction beaucoupmoins évidente marquerait cette transition. Ensuite nous rebondirons sur cette notion de « mort ». Ce genre caractérisé par la fiction et par le sens of wonder serait menacée par ce choix d’écriture. Enfin nous démontrerons au contraire que cette disparition est une innovation littéraire propre au genre qui évolue au même rythme que l’humanité et qui est fortement lié à sa propre fin. La science-fiction propose des innovations et des ingéniosités d’écriture comme le langage télépathique chez Alfred Bester ou l’utilisation de l’architecture par Thomas Disch. Jean-Michel Truong, quant à lui, marquerait un tournant,une mutation dans la littérature.
1 H. BAUDIN, La Science-fiction, Paris, Bordas, 1971, p. 131.
2 J.M. GOUANVIC, La science-fiction française au XXe siècle (1900-1968) essai de sociopoétique d'un genre en émergence, Editions Rodopi B.V., Amsterdam-Atlanta, GA 1994. 292 p. p.175.
3 BOSSUET, Oraison funèbre d’Henriette-Anne d’Angleterre, Paris, Librairie Hachette, 1935, p. 37.
I Différentes fins possibles : présentation de fins de l’humanité à travers des romans apocalyptiques et post-apocalyptiques. La définition de la science-fiction et ce qu’elle apporte dans la description de la disparition.
1) Historique et définitions de la science-fiction qui s’entrecroisent
Le terme « science-fiction » apparait pour la première fois dans la langue en 1851 dans un essai de William Wilson intitulé A Little Earnest Book Upon A Great Old Subject, il y exprima: “We hope it will not be long before we may have othersworks of science-fiction4”. Il sera ensuite très largement diffusé aux Etats-Unis par l’intermédiaire de l’éditeur Hugo Gernsback dans son magazine Science Woner stories puis dans un autre magazine Amazing Stories où il éditera, ce qu’on peut appeler, « les classiques du genre » comme Jules Verne ou encore H.G. Wells. Lui-même publiera un roman de science-fiction à partir de 1911, intitulé Ralph 124C 41+. Ce terme remplacera dans l’usage courant et sera le prolongement de tous les termes français comme anticipation, roman scientiste voire même utopie. Tous les aspects les plus marquants et les plus fréquents de cette littérature sont très diversifiés d’où les difficultés à définir le genre et d’où les nombreuses tentatives de définition.
En ce qui concerne la définition de la science-fiction, Jacques Goimard nous met en garde contre cette tentative. Dans L’Encyclopédie de poche de la science-fiction, il déclare que :
On m’a proposé bien des définitions de la science-fiction, aucune n’est clairement convaincante. […] C’est d’autant plus vrai que depuis sa fondation, le genre a connu bien des évolutions, subi des mutations ou des hybridations, vécu même desrévolutions la science-fiction a connu des évolutions5.
Ceci démontre que les critiques et les auteurs éprouvent eux-mêmes beaucoup de difficultés. Certains auteurs prennent la définition à contre sens et évincent cette tentative. On peut citer comme exemples de référence, deux auteurs, Norman Spinrad et Jacques Van Herp. Le premier affirme que « la sciencefiction c'est tout ce qui est publié sous le nom de science-fiction6 ». Le second exprime une contradiction notoire et surtout ne répond pas à la question ou d’u moins de façon vague: « La science-fiction n’existe pas ! Seules existent les œuvres de science-fiction 7! ».
Les définitions que l’on peut lire sont parfois floues, parfois vastes et imprécises, d’autres au contraire sont excessivement réductrices. Néanmoins certains retiennent l’attention et englobent de manière assez juste ce qu’on peut entendre par le terme de science-fiction. Cependant des définitions qui ne proposent pas de limites n’ont pas un grand intérêt de compréhension. De plus elles forment une tautologie puisqu’elles sont un contre-sens du fait même de définir un genre étant donné que le but est de fixer des frontières entre les différentes catégories. En outre nous retiendrons principalement la définition de Kingsley Amis qui englobe de façon presque exhaustive les interrogations que l’on peut faire sur le genre:
« un ouvrage de science-fiction est un récit en prose traitant d’une situation qui ne pourrait se présenter dans le monde que nous connaissons, mais dont l’existence se fonde sur l’hypothèse d’une innovation quelconque, d’origine humaine ou extra-terrestre, dans le domaine de la science ou de la technologie, disonsmême de la pseudo-science ou de la pseudo-technologie8. ».
Les frontières sont minces entre la pseudo-science et la science car le lecteur est parfois dans l’ignorance et pense connaitre les découvertes scientifiques actuelles. Il apprendra de manière inopinée au cours de sa lecture que certaines découvertes n’appartiennent pas seulement à la fiction mais font partie de découvertes réelles. Malgré la définition, restent des difficultés notamment au niveau des frontières. Nous nous demanderons s’il faut concevoir une définition de la science-fiction qui contient toutes les œuvres soi-disant de ce genre. C’est à partir de cette interrogation que nous essaierons de comprendre les différences plus ou moins visibles entre ce que nous appellerons des sous-genres, c'est-à-dire des œuvres de science-fiction ayant une forme particulière comme chez C.D. Simak et J.M. Truong.
Certains critiques et principalement Alain-Michel Boyer et Daniel Fondanèche la classe parmi la paralittérature. Ce terme englobe ce qu’on nommait auparavant et de manière plus courante « littérature populaire », expression principalement due à son type dediffusion. Selon Henri Baudin, la science-fiction entretient une relation foisonnante avec le réel. La fin du temps humain est le thème sciencefictif par excellence.
Ce que nous retenons comme valeur principale est le fait qu’elle offre la perspective d’étudier la fin de l’Homme à travers de nombreuses solutions présentées. Les auteurs cherchent à décrire la manière dont l’Homme va périr. Les successeurs sont nombreux et offrent la possibilité de l’Homme mais aussi de la langue par l’intermédiaire de ces êtres de la postérité. La science-fiction n’a pas seulement un but de divertissement mais offre une réflexion plus oumoins aboutie sur l’humanité et son devenir. Le divertissement peut être compris ici au sens pascalien, c'est-à-dire que ce genre peut permettre au lecteur de ne pas s’écarter du droit chemin tout en ayant une lecture divertissante. Elle combine ces deux types d’action de manière plus ou moins précise.
2) Quelques exemples de romans qui usent de fins en tous genres
Les animaux apparaissent très souvent comme des successeurs potentiels de l’Homme. Il en va de soi, étant donné que l’Homme est luiaussi un animal, qui a pris le dessus par rapport aux autres en utilisant sa technique ou du moins qui se présente comme supérieur. Les interrogations sur la place de l’Homme sont nombreuses, nous citerons à titre d’exemple principal, « l’apologie de Raymond Sebond » extrait des Essais de M. De Montaigne :
« La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c'est l'homme, et quant et quant la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l'univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de lavoûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois ; et se va plantant par imagination au-dessus du cercle de la lune et ramenant le ciel sous ses pieds. C'est par la vanité de cette même imagination qu'il s'égale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions divines, qu'il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble. Comment connaît-il, par l'effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d'eux à nous conclut-il la bêtise qu'il leur attribue ?
Cette bêtise est souvent contrée dans la littérature de science-fiction où l’Homme apparait comme un être qui subit la supériorité d’une autre espèce vivante ou d’un phénomène humainet le plus souvent extra-humain. Il est représenté au contraire comme un être faible et surtout impuissant de changer la situation. Au sujet des animaux, on peut citer par exemple, le roman de Jacques Spitz, La guerre des mouches. Cet auteur reprend le concept de l’extermination de la race humaine par une autre espèce et ici en l’occurrence un insecte. D’autres auteurs font intervenir le végétal comme agent exterminateur et comme successeur de l’Homme. On peut citer par exemple La guerre du lierre de David H. Keller ou Les Dieux verts de Charles Henneberg. Ces deux romans placent la plante dans une position de force contrelaquelle l’Homme lutte sans espoir.
La fin de l’homme apparait à travers la littérature comme un sujet de référence très prolifique, comme un questionnement intarissable, auquel les auteurs de science-fiction ou d’autres genres font souvent appel. Toutes les possibilités sont acceptables étant donné que personne ne détient cette connaissance. Les premiers témoignages écrits sont sans doute ceux des textes religieux où par exemple dans la Bible, l’apocalypse retrace les différentes fins de l’homme lorsqu’il va disparaitre. Ce texte n’est pas écrit pour créer une sensation de peur mais pour au contraire rassurer l’homme sur sonavenir. Il essaie de donner de l’espoir à ceux qui veulent bien y croire. Le livre de l’apocalypse s’achève sur un avertissement solennel et sur la promesse du ressuscité : « je viens bientôt9. ». Les auteurs de sciencefiction font beaucoup moins de place à l’espoir en un avenir meilleur. Ils présentent tous plus ou moins un avenir sombre directement ou non inspiré d’un aspect réel de la société. La mise en garde reste mais les solutions sont souvent absentes. Après avoir donnée quelques exemples marquants et disparates, le premier sur lequel on peut se concentrer est le roman Génocides écrit par Thomas Disch en 1965. L’auteur décrit une tribu de survivants qui luttent désespérément contre l’envahisseur, une plante extra-terrestre contre laquelle ils ne peuvent rien faire. Elle est invincible et envahit tout sur son passage. Ils sont vite réduits au cannibalisme car se nourrir grâce à la sève de la Plante ne leur suffisent qu’un instant. Ils ne savent pas comment elle est apparue sur Terre. Elle provoque la fin de toutes les espèces par sa puissance envahissante. Ils lient sans cesse la mort à La plante. Elle devient l’expression synonyme d’une mort incontrôlable. Ce roman représentedès les premières pages la destruction totale empreinte d’un sentiment de nostalgie et de tristesse:
Il remerciait le ciel de n’avoir pas du assister à leur mort car même les pauvres vestiges de Tassel avaient le pouvoir de le rendre mélancolique. Jamais il n’aurait cru attacher une si grande importance à la disparition de son village. Avant l’avènement de la Plante, Tassel avait symbolisé tout ce qu’il détestait le plus : l’étroitesse d’esprit, la mesquinerie, l’ignorance sordide et un code moral remontant au Lévitique. Et voilà qu’il le pleurait comme si c’était Carthage tombée aux mains des romains et parsemée de sel, ou Babylone, la grande cité.10
Ce sentiment de disparition éternelle est présent jusqu’à la fin. Sa progression en est même accélérée par la création d’un programme d’incinération de tous les mammifères pour laisser le plus d’espace possible aux derniers hommes survivants. Ceux-ci sombrent dans la déchéance, ils mangent leurs invités après les avoir broyés pour fabriquer des saucisses. On peut remarquer ici de la dérision proche de ce qu’on peut appeler « humour noir » mais la tonalité du roman est la plupart du temps tragique. Leur seule réponse est transcendantale. Ne connaissant pas la source réelle de leur disparition,c'est-à-dire celle de la Plante, ils accusent Dieu de tous leurs maux :
Il avait fait son choix depuis une éternité. Il était comme les anciens dieux aztèques qui exigeaient des sacrifices sur leurs autels de pierre. Un dieu jaloux, vengeur ; un dieu de primitifs ; un dieu sanglant. Quel passage des Ecritures Anderson avaitil choisi dimanche dernier ? Un des petits prophètes. Elle feuilleta la grande Bible de son mari. C’était dans Nahum : « l’Eternel est un Dieu jaloux, et il se venge ; l’Eternel se venge et il est plein de fureur ; l’Eternel se venge de ses adversaires, et il garde rancune à ses ennemis11. »
Les personnages tout comme le lecteur ne connaissent pas la réelle cause de la disparition de l’homme. La Plante vient d’ailleurs et ce n’est qu’une hypothèse. La fin de l’humanité reste problématique et énigmatique. De ce fait il est intéressant de suivre les différentes étapes que l’homme traverse pour progresser vers l’inconnu. Nous reviendrons plus tard sur ce roman pour comprendre ce que devient l’homme à la fin qui n’a ici aucune échappatoire.
Dans le roman Niourk écrit en 1957 par Stephan Wul, nous sommes confrontés à la disparition de l’humanité par un cataclysme. Seule reste sur Terre une tribu dont unenfant noir qui ne cesse de rêver. L’enfant noir acquiert peu à peu une connaissance et une puissance infinie et décide enfin de refaire sa vie avec sa tribu comme au début, « la seule vie qui vaille la peine d’être vécue12. » De même que dans Génocides, l’homme disparait d’une manière mystérieuse et inconnue, on suppose seulement le cataclysme mais on ne connait pas sa cause principale. Le lecteur ne fait qu’un constat des dégâts causés.
Dans ces deux romans, la disparition de l’homme se résume en deux mots « Plante » et « cataclysme ». Aucun détail n’entre en jeu pour expliquer plus précisément le rôle de l’homme dans sa disparition, il semble d’ailleurs qu’il n’est pas un rôle déterminant dans cette fin. De même pour le roman La planète des singes de Pierre Boulle, l’homme a disparu mais on ne sait pas de quelle manière. L’auteur propose un phénomène inverse où l’homme devient peu à peu un animal alors que le singe devient de plus en plus intelligent et finit par réduire l’homme à son propre rang. L’homme est réduit à un statut d’esclave et d’animal de laboratoire comme le sont certains singes aujourd’hui. Les personnages se retrouvent à la place des observésalors qu’ils sont ou étaient des observateurs. Ils régressent à l’état animal et n’ont plus jamais la possibilité de revivre la situation initiale. Il y a en quelque sorte un reversement carnavalesque de la société, pour reprendre les termes de Bakhtine, qui est ici irréversible. Dans ces trois romans, la fin de l’Homme est due à un agent extérieur. On suppose que l’Homme est déculpabilisé de son sort. Il n’est pas maitre de son avenir, n’étant pas capable de pouvoir gérer sa propre disparition.
Dans La nuit du jugement de Catherine L. Moore, les hommes sont projetés dans une guerreintergalactique entre les derniers peuples qui règnent. La plus terrible des armes vient d’être élaborée, elle peut tuer n’importe qui dans n’importe quel endroit sans se soucier de la distance ou d’un quelconque obstacle puisqu’elle est reliée directement avec l’esprit de la personne choisie. Rien ni personne ne peut y échapper. Cette arme est le fruit des hommes aidés de quelques autres peuples extra-terrestres. Une arme représente le déclin de toute une civilisation. L’homme est capable de déclencher la fin du monde. Ici il est à la source de sa propre fin. Cette fin est pourtant déjà décidée par les Anciens qui observent la dernièreguerre. Le successeur attend sagement son tour en laissant croire à l’homme qu’il est encore maitre de son destin. La fin de l’humanité est déjà engagée avant même la fin de la guerre. Ici l’Homme pense être capable de créer sa propre fin, il n’est pourtant qu’un objet manipulé. Ce roman est construit sur l’illusion et sur la mise en abyme. Encore ici il n’est pas maitre de son destin même s’il en a l’illusion. Cette arme pourrait s’apparenter à la bombe atomique et faire un net parallèle avec notre situation actuelle. La réalité est cachée sous la fiction.
Enfin nous arrivons au roman auquel nous consacrerons plus de temps,c'est-à-dire Demain les chiens de C.D. Simak. Ici la fin de l’homme est multiple de même que les successeurs, sans que jamais l’auteur ne se concentre sur l’un d’entre eux. Dans les romans brièvement cités, l’auteur se concentre sur une fin possible, sur une réaction possible de l’homme. C.D. Simak tente d’en envisager plusieurs à la fois voire toutes sans jamais en développer une plus qu’une autre. Il émet des hypothèses et des jugements sans préciser quel sera l’avenir de l’Homme. L’histoire principale est celle de la disparition de la société des hommes au profit de chiens mutants, chiens auxquels l’Hommeaurait lui-même donné la parole en leur greffant un appareil phonatoire humain. La culture de ces chiens a été dirigée par le robot Jenkins, lui-même fabriqué par l’Homme. Il a manqué sa chance pour survivre, une autre espèce a pris sa place. Difficile de définir après une première lecture ce qui fait disparaitre l’homme puisque l’auteur nous propose plusieurs fins possibles. Les villes sont désertées au profit de la campagne car les déplacements sont très rapides, personnels et rien ne pousse l’homme à se rassembler. Les villes deviennent des endroits dangereux où une population de moins en moins nombreuse et en recherche d’identitécontinue à les occuper. Ils ont également développé une agriculture hydroponique où les légumes poussent dans des réservoirs. La ville qui pouvait représenter la société humaine est :
[…] un anachronisme. Les hydroponiques et l’hélicoptère ont sonné son glas. La cité a d’abord été un emplacement tribal, l’endroit où les membres de la tribu se rassemblaient pour se protéger les uns des autres. […] Mais tout cela n’est plus vrai aujourd’hui. Grâce à l’avion familial, cent cinquante kilomètres représentent une distance plus petite que cinq kilomètres en 193013.
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