© 2020, Michael Siegmund
Édition : BoD – Books on Demand GmbH,
12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris
Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
Traduction: easytrans24.com, Dorothée Schmitt
Illustrations d’Alexandra Heberling-Hofmeister
Couverture: sous licence par Ingram Image/adpic
ISBN : 978-2-3221-9624-1
Dépôt légal : juillet 2020
Titre de l'édition originale allemande : Philosophieren mit Kindern in der Kita, BoD, Norderstedt, Allemagne, ISBN: 978-3-7519-2278-4 © 2020, Michael Siegmund
Philosopher avec les enfants devient de plus en plus populaire. Il y a encore quelques dizaines d’années, on imaginait à peine l’éventualité de parler de philosophie avec des enfants et des adolescents. (Évidemment, enfants et adultes ne se privaient pas de le faire pour autant – par ex. lorsqu’un enfant demandait « Pourquoi je suis moi ? » ou « Est-ce que Dieu existe ? ») Entre-temps, de plus en plus d’adultes ont voulu philosopher de façon plus consciente avec les enfants. Il est possible de philosopher sur tout et n’importe où : les parents peuvent philosopher à la maison sur l’existence de Dieu et la manière dont tourne le monde. Les écoles peuvent également fournir une scène de choix pour philosopher ensemble : par exemple, dans les cours d’éthique ou de religion. Je suis convaincu que l’école maternelle est aussi un endroit totalement adapté pour philosopher avec les enfants. Pourquoi ?
Pour les enfants de cet âge, la question de la découverte du monde est centrale. Ces enfants partent quotidiennement à la découverte de leur environnement. Tant de choses sont neuves et inconnues. Jour après jour, de nouveaux aspects du monde se présentent à eux. Les éducateurs et éducatrices peuvent et doivent accompagner les enfants dans cette ouverture sur le monde. Ce qui est formidable dans une (bonne) école maternelle, c’est qu’elle offre aux enfants un espace pour réaliser individuellement leur parcours de découverte. Pour cela, il faut des occasions. Les éducatrices et éducateurs peuvent offrir ces occasions aux enfants. Ainsi, ils encouragent le développement des enfants d’une manière extrêmement bénéfique.
Une école maternelle a de plus l’avantage de rassembler les personnes – enfants comme adultes. Un enfant n’est jamais seul dans une école maternelle. Il est entouré constamment et partout par de nombreux enfants et adultes. Les enfants échangent en permanence entre eux, ils parlent, réfléchissent et apprennent à se connaître les uns les autres et eux-mêmes. La pluralité des personnes présentes à l’école maternelle est une vraie richesse que chacun peut utiliser de manière productive. Lorsque ces personnes aux expériences différentes, issues de milieux sociaux différents, se rencontrent à l’école maternelle, il y a là une occasion d’échanger.
À l’école maternelle, les enfants apprennent à connaître leur propre volonté. Les enfants peuvent dire oui ou non, se décider pour ou contre quelque chose. À l’école maternelle, ils peuvent entraîner leurs compétences en matière de prise de décision. Les enfants remarquent vite qu’ils ne peuvent pas toujours agir au détriment des autres – si on prend tout le temps les petites voitures des mains des autres, il est difficile de développer des amitiés avec d’autres enfants.
Dans ce livre, j’affirme que philosopher avec les enfants à l’école maternelle réunit toutes les conditions qui viennent d’être décrites : philosopher regroupe la découverte du monde, le fait de parler et penser ensemble, et la prise de décisions. Cela mène à la question : philosopher avec des enfants à l’école maternelle, qu’est-ce que ça implique exactement ?
À ce point de la lecture, je souhaite ne pas donner une définition, mais plutôt faire une proposition de ce que philosopher avec des enfants peut être : PHILOSOPHER AVEC DES ENFANTS EST UN PROCESSUS DE RÉFLEXION/EXPRESSION OUVERT ET DYNAMIQUE AU COURS DUQUEL LES PERSONNES PEUVENT ÉLARGIR ENSEMBLE LE CHAMP DE LEURS POSSIBILITÉS.
L’ouverture signifie qu’il n’y a pas de résultat attendu ou décidé à l’avance. Philosopher ne veut pas dire transmettre un savoir.
Le dynamisme implique que les personnes doivent pourvoir bouger et être flexibles mentalement pendant qu’elles réfléchissent.
L’élargissement des possibilités signifie que l’activité de philosopher entraîne de nombreuses capacités et compétences (empathie, capacités cognitives, volonté de prendre des décisions, rhétorique, conscience de soi etc.).
J’applique donc ici un concept très large de la philosophie. Philosopher est un acte quotidien. Les enfants et les adultes peuvent y prendre beaucoup de plaisir. Philosopher est concret ici, et n’a rien à voir avec la philosophie enseignée à l’université. Il n’est pas question de transmettre l’histoire des grands philosophes et de la philosophie, mais de réfléchir et de discuter du monde.
La philosophie avec les enfants n’est pas un cours, une lecture ou un enseignement, mais plutôt une discussion et une réflexion commune, d’égal à égal.
Cette activité convient tout à fait aux enfants. Il y a plusieurs raisons à cela : ils s’étonnent de tout et ont une curiosité insatiable. Le moindre duvet sur le sol peut les passionner. Pour les enfants, le monde est un vaste terrain d’aventure. Il y a tant à découvrir, questionner et comprendre. Les adultes font bien de soutenir les enfants dans cette curiosité et ce désir de s’interroger. Philosopher est un outil parmi d’autres pour cela.
De plus, les enfants doutent beaucoup plus souvent que les adultes : est-ce vraiment comme ci ou comme ça ? Est-ce vraiment le cas ? Les adultes peuvent utiliser le doute de l’enfant pour commencer à philosopher ensemble.
J’espère que les réflexions que je viens d’évoquer vous ont donné une brève introduction sur le sujet. J’ai écrit ce livre en premier lieu pour les éducateurs et éducatrices qui souhaitent philosopher avec les enfants à l’école maternelle mais ne savent pas précisément comment cela fonctionne ni ce à quoi il faut prêter attention lors de la réflexion philosophique. J’ai souhaité prendre une orientation volontairement concrète. Il est important pour moi que ce livre soit convivial et résolument orienté vers la pratique afin de permettre autant que possible une utilisation dans votre environnement quotidien avec les enfants.
Ce livre est divisé en quatre parties qui peuvent être lues indépendamment les unes des autres.
La première partie traite les questions : qu’est-ce que philosopher avec des enfants à l’école maternelle ? Quelles sont les possibilités ? À quoi faut-il prêter attention ?
La deuxième partie parle des méthodes. Elle regroupe différents moyens pour philosopher ensemble.
La troisième partie regroupe différentes thématiques avec lesquelles vous pouvez vous amuser à philosopher facilement avec les enfants. Pour chaque thématique, vous trouverez des questions philosophiques possibles, des trucs et des astuces.
La quatrième partie compile de petites histoires à lire à voix haute ensemble. Certaines de ces histoires se rapportent aux thématiques évoquées dans la troisième partie. Les histoires permettent d’introduire de manière optimale l’activité de philosopher ensemble.
Encore une fois : le principal pour moi est que ce livre vous apporte une aide pratique et concrète. Il s’agit si vous voulez d’un supermarché de philosophie. Toutes les thématiques ne vous interpelleront pas, vous ou les enfants de votre école, de la même façon. Piochez ce qui vous plaît et essayez à votre convenance. Naturellement, vous pouvez choisir et essayer des thématiques en dehors de l’école maternelle.
Je suis tombé par hasard sur la thématique « Philosopher avec les enfants » pendant mes études de Sciences appliquées de l’enfance. Depuis des années, je philosophe régulièrement avec des enfants et des adolescents, à l’école et au collège. Au fil des années, j’ai inventé quelques jeux, tenté des thématiques, trouvé des astuces, et raconté des histoires pour introduire et soutenir ces moments de philosophie. J’ai philosophé avec des enfants et adolescents d’âges très différents. (Ou ils ont philosophé avec moi – selon les points de vue.) Parfois en grand groupe, parfois en petit groupe. Il y a eu de nombreuses conversations individuelles émouvantes et profondes sur « Dieu et le monde » et d’autres, tout aussi nombreuses, à philosopher simplement autour la courbure d’une banane ou de la trompe d’un éléphant. En philosophie, profond et léger, amusant et sérieux sont très proches. Je souhaite transmettre mon expérience – avec un appui scientifique de six années d’études.
Il n’existe pas de manière unique pour « bien » philosopher avec des enfants. Surtout, vous devez trouver votre manière, toute personnelle, de le faire. Dans ce livre, vous trouverez des suggestions et des aides pour faciliter vos débuts dans l’activité de philosopher ensemble.
Je souhaite vous encourager à philosopher avec les enfants. C’est amusant, très facile, et aide de multiples manières au développement des enfants (à l’école maternelle et ailleurs). Les enfants cachent un potentiel incroyable et philosopher ensemble peut aider à libérer ce potentiel.
Bonne lecture et amusez-vous bien dans vos essais !
Sincèrement, Michael Siegmund
Philosopher avec les enfants à l’école maternelle ? Ça marche vraiment ? À quoi ça ressemble ?
J’ai vécu cela mille fois : nombre d’adultes qui abordent l’activité de « philosopher avec les enfants à l’école maternelle » sont à la fois curieux et sceptiques. D’un côté, ils trouvent passionnante l’idée de philosopher avec des enfants. De l’autre, il y a une certaine part de scepticisme : est-ce qu’un enfant si jeune peut déjà philosopher comme les « grands », c’est-à-dire un enfant d’école élémentaire, un adolescent ou un adulte ? Je réponds : oui et non.
Les enfants de maternelle apprennent à connaître le monde. Naturellement, ils n’ont pas (encore) pu accumuler autant d’expérience que les adultes. Les enfants en bas âge sont au tout début de leur vie. Il y a beaucoup de choses qu’ils ne savent pas encore et beaucoup de choses pour lesquelles ils doivent encore s’entraîner. Cependant : les enfants de maternelle posent des questions, quotidiennement, se découvrent eux-mêmes et explorent leur environnement. Ils veulent découvrir le monde. Les enfants ont leur propre monde. Ils doutent et s’étonnent dès la naissance. Ils sont curieux (bien plus que la plupart des adultes). C’est le terrain idéal pour philosopher ensemble. À cet égard, les enfants en bas âge, avec leur soif de connaissance et de découverte, leur curiosité insatiable et leur joie de la nouveauté, sont des philosophes bien « meilleurs » que la plupart des adultes, pour qui le monde semble ennuyeux et familier. En philosophant avec des enfants à l’école maternelle, il ne s’agit pas de parler aux enfants de Nietzsche ou de Socrate. Il s’agit pour les adultes d’accompagner les enfants dans leur désir de poser des questions, leurs doutes et leurs étonnements, et de « parler avec eux de Dieu et du monde ». Prenons un exemple simple :
Un garçon de cinq ans vous demande pourquoi le soleil brille autant. Vous pouvez alors lui donner une réponse standard et simple : « C’est parce que... » ou, de manière plus ambitieuse, vous aventurer dans des explications physiques de l’effet de la lumière d’une façon qui convienne aux enfants. Toutefois, il est plus simple et plus efficace de lui retourner la question « Pourquoi ? ». Demandez-lui simplement : « Qu’est-ce que tu en penses : pourquoi le soleil brille autant ? À ton avis ? » et « À quoi ressemblerait un monde où le soleil ne brillerait plus ? Comment les personnes se sentiraient alors ? » ou « Est-ce que tu as besoin du soleil pour être heureux ? » et « De quoi as-tu besoin pour être heureux ? »
En retournant la question à l’enfant et en formulant d’autres questions, vous pouvez obtenir des réponses très originales. Certaines de ces réponses peuvent être poétiques ou farfelues, d’autres profondément philosophiques. Les enfants aiment les jeux de l’esprit parce qu’ils doutent sans cesse et remettent tout en question. La question initiale peut donc parfois se transformer en une aventure philosophique passionnante.
Le principe du retour de question ne se limite pas au soleil et au bonheur, mais peut toucher tous les domaines imaginables. Il n’est pas nécessaire de poser des questions explicitement philosophiques telles que « Dieu existe-t-il ? » ou « Pourquoi suis-je venu au monde ? ». Il est tout à fait possible de poser des questions banales et du quotidien. L’important est que vous, en tant qu’adultes, puissiez retourner les questions enfantines lorsque vous avez le sentiment qu’une discussion intéressante peut se développer.
Bien sûr, vous pouvez aussi formuler vos propres questions. Demandez directement aux enfants si Dieu existe, si les enfants ou les adultes s’amusent le plus dans la vie, ce qu’est le bonheur ou ce qu’est l’amour, pourquoi le soleil se lève le matin, s’il y a de la vie dans l’espace... De nombreuses questions peuvent potentiellement mener à une discussion philosophique. Comme dit précédemment : il ne faut pas obligatoirement poser des questions explicitement philosophiques. Les questions fortement basées sur le quotidien peuvent parfois être d’excellentes entrées en matière pour philosopher. Cela dépend seulement de votre ouverture aux questions et aux réflexions des enfants. Votre attitude est déterminante :
Nous avons déjà pu le voir dans l’exemple du soleil qui brille : vous pouviez répondre à l’enfant « Ne pose pas de questions idiotes ! », « Je n’en sais rien, moi ! », « Tu en poses de ces questions... »... ou parler avec l’enfant. Votre attitude envers