«Le grand miracle de la mondialisation est de
remettre l'homme au centre du monde»
Bertrand Badie
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Éditeur : BoD-Books on Demand GmbH
12-14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris
Impression : Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
Illustration : Berger Nana
ISBN : 978-2-322-218-219
Dépôt légal : Février 2021
Pour Papa,
Merci pour ton indéfectible confiance.
« Notre nouvel adversaire n’est pas un Etat ».
Mon maître, Bertrand BADIE
En refusant d’explorer de manière prosaïque la cindynique des enjeux de paix dans un contexte mondial globalisé, l’auteur, en durkheimien convaincu, présente dans cet ouvrage une approche conceptuelle et empirique de l’analyse des conflits. Cet essai propose un regard nouveau sur la construction du « lien social » comme bouclier de paix. En l’absence de ce socle-là, l’altérité devient la monnaie commune. Le jeu de la puissance s‘érigeant ainsi en déterminant d’une conflictualité qui trouve ses limites dans son entropie. C’est le caractère imprédictible de ces nouveaux conflits qui structure désormais les forces de la faiblesse et commande un nouveau « point de vue ».
La notion de guerre est un sujet qui demeure encore aujourd'hui délicat et controversé dans la vie civile. Cependant, l'approche de l'auteur présente une innovation majeure. En effet, l'on peut se poser la question de savoir si la guerre ne porte pas en elle un processus, beaucoup plus central chez l'homme, à fonder ce qui fait en lui son humanité. Je parle de cette humanité comme point central dans la nature humaine, c'est-à-dire une approche nécessaire et créatrice de ce qui lui permet de vivre en cité.
Et si la guerre faisait appel à la nature de l'homme par sa volonté à fonder une société ? Cette première question qui a été rapidement soulevée sous-entend que la guerre n'a pas pour but de mener à la paix. La paix est une conséquence induite possible. On a trop vite oublié que la guerre cherche la victoire, non la paix. Elle ne porte pas les folies de l'homme mais au contraire, un processus rationnel à fonder son être, dans son humanitude, dans l'acte.
Car, il n'y a rien de plus rationnel que la stratégie dans la relation des hommes en train de rechercher une victoire. Elle porte des idées qui révèlent d'un engagement de l'homme à être Homme au cœur même d'une spiritualité qui lui est supérieure (peu importe s'il est question d'humanisme ou de distance théologique plus ou moins important). Et cette démarche ne divise pas, mais recherche l'unité par ses limites. Ainsi, la victoire dans son unité rompt avec la diversité de la matière et s'impose elle-même comme un acteur rationnel. Il est bien question-là de rationalité dans la convergence du tout vers une unité.
Pourtant, la guerre menace la vie de l'homme et menace sa destruction lors des affrontements. Peut-on parler d'humanité quand cette humanité se fonde sur l'atteinte même de cette dernière ? Sur l'opposition des hommes, et non leur unité à priori ? La guerre laisse à montrer des obscurités les plus profondes de l'homme à détruire, avec toujours plus de technique, l’Homme. Elle montre surtout la capacité du progrès technique à neutraliser le progrès social dans la destruction de l'Homme. Remarquons que la réflexion de l'auteur sur la relève de la notion de guerre nécessaire se porte d'abord sur l'essence même de la guerre inévitable et fondatrice.
Cependant, sa mise en œuvre pratique n'est pas contrariée car, si la mort est une possibilité, elle reste une option dans la multitude des manières de décliner la guerre. Il s'agit, dans une société, d'un processus d'équilibre et d'influence (active ou passive). Il y a quelques années, un virus était une maladie. Aujourd'hui, un virus naturel ou non produit une guerre par lui-même. Dans un monde où l'on n'a pas besoin d'ennemis, l'homme se souvient qu'il est son pire ennemi. Mais aussi, la seule unité possible. Son humanité est diverse, mais son humanitude est « un » dans l'acte.
Faire la guerre ne passe pas forcément par la mort de l'autre, mais par la victoire au fait du rapport de force à la frontière instable de deux cités. Il peut être ainsi question de guerre économique, de guerre financière, de guerre militaire, de guerre de communications, etc.
Et la paix dans tout ça ?
Si la guerre ne mène pas à la paix, mais à l'équilibre dans la capacité supérieure de l'homme à fonder une société au regard d'une notion unique de frontière, que devient la paix dans cette démarche ? En effet, l'on "fait" la guerre mais l'on « est » en paix... Ici, la guerre nécessaire dans son acte l'est comme d'un processus induisant la paix dans sa contingence.
Guerre et paix ne sont plus nécessairement liées, la guerre recherche la victoire, mais guerre et paix occupent des équilibres. La paix occupe l'espace d'une « non-guerre » dans son processus d'ajustement permanent vers une rupture prochaine. Dans la guerre comme en l’homme, cette adaptation supérieure tient au fait que la rupture ne s'oppose pas à la continuité. Elle en fait partie car, l'homme fonde son être dans son devenir. L'homme pense, et fonde le bien. Il y place ses ambitions mêmes les plus individuelles dans la cohérence d'un tout : la cité. La guerre fonde défend et intègre les cités, dans l'ajustement de leurs différences, aux limites qui les définissent. Il est donc question de continuité dans la rupture aux frontières.
La guerre dans son équilibre nous pousse ainsi à penser un processus d'équilibre dynamique là où la paix pousse à penser un équilibre stable. Dans la mesure où le monde change et évolue rapidement, l'équilibre stable de la paix qui pensait tendre vers l'idéal permanent devient un équilibre temporaire... Alors que, la guerre dans son processus d'adaptation devient une condition à l'ajustement permanent. Si la diplomatie est un acteur essentiel pour penser la paix directement, l'auteur propose aujourd'hui de penser la guerre dans ses frontières de nature politique, militaire, financière, ou autres, afin d'encadrer les relations de force et faciliter ces ajustements. En effet, la guerre est multiple dans son essence même à chercher à fonder l'Homme. Dans sa réalité, elle peut aussi le protéger et ne pas mener à sa destruction. Penser les guerres est une manière de penser les paix (comme un équilibre temporaire) qui pourrait tendre de manière, cette fois-ci pragmatique, à devenir permanente.
Loïc Noël BARON, PhD/Aud
Les accords d’Evian signés le 18 mars 1962 sont venus mettre un terme à la Guerre d’indépendance en Algérie. Proclamations de principe, ces accords jettent les bases et définissent les cadres d’une Algérie et d’un État algérien en devenir avec lequel la France espère établir des relations de coopération nouvelle. L’on ne peut cependant s’empêcher de constater que c’est au moment de la défaite militaire du Front de libération nationale (FLN) que l’opinion publique en France s’est retournée, pour aboutir à ces accords qui stipulent notamment que : « la consultation d’autodétermination permettra aux électeurs de faire savoir s’ils veulent que l’Algérie soit indépendante et, dans ce cas, s’ils veulent que la France et l’Algérie coopèrent dans les conditions définies par les présentes déclarations1». Cet épisode de notre histoire post-westphalienne2 vient mettre sous le joug l’écart naissant entre victoire militaire et victoire politique.
Quelques années plus tard, en 1967, alors que d’un point de vue militaire la guerre ne tournait pas à l’avantage des « Viet Cong »3 et l’armée nord-vietnamienne incapable de concurrencer la puissance de feu américaine et sa mobilité, la grande offensive du Têt marque un tournant dans ce conflit entre le Vietnam du Sud et le Vietnam du Nord, sous fond de guerre froide. L'offensive du Têt commença doucement à la mi-janvier 1968 dans la zone la plus reculée du Sud-Vietnam au Nord-Ouest. Mais le 31 janvier, les combats éclatèrent dans tout le pays. Les combats rudes étaient rapportés par des journalistes qui, pour la première fois dans l’histoire de la guerre, rapportaient quasi journalièrement, les faits et méfaits de la guerre. Entre vérité et contre-vérité, les pertes en vies humaines dans les rangs des soldats américains allaient choquer l’opinion publique qui devenait de plus en plus réfractaire à l’idée d’un engagement dans une guerre si lointaine. Le débat d’ampleur national qui secoua les USA après les premières attaques communistes du Têt suggéra que le peuple américain n’apporterait pas son support à une guerre longue, indécise, et sans but précis. En fait, l’opinion publique américaine fut totalement abasourdie par les attaques nord-vietnamiennes. Les leaders du gouvernement américain l’avaient persuadée que la guerre était en train d’être gagnée, ce qui pour finir était vrai à la fin de l’année 1967. Cependant, l’opinion publique subit une sorte de dislocation psychologique à cause de l’offensive du Têt. La réalité des attaques, du moins l’image qu’en rapportèrent les médias, était presque à l’opposé de celle qu’avait en tête le peuple américain. Aucun civil n’avait imaginé qu’une attaque coordonnée de cette ampleur et de cette violence puisse avoir lieu.
Les médias étaient présents sur le terrain, couvrant pour la première fois une guerre « en direct » et avaient un pouvoir immense d’influencer l’opinion et donc, en partie, les choix du gouvernement.
Le 31 mars 1968, Lyndon JOHNSON4 annonça qu’il ne se présenterait pas pour un second mandat présidentiel, et déclara presqu’une halte dans les bombardements sur le Nord-Vietnam en exhortant Hanoi à accepter des négociations pour la paix. La suite des évènements a été l’annexion du Sud-Vietnam en 1975, par des communistes. Ceux-ci étaient galvanisés par les évènements politiques post-retrait des USA, ayant menés à l’évacuation du dernier contingent américain et de quelques sud-vietnamiens privilégiés, par hélicoptère, à partir du toit de l’ambassade américaine de Saigon, lors de l’opération Frequent Wind, le 30 Avril 1975. La défaite tactique lors de l’offensive du Têt a conduit à une défaite politique.
Ces deux évènements qui sont passés inaperçus dans l’analyse de la guerre, viennent remettre en question la conception westphalienne de cette dernière. Au cœur de cette myopie stratégique, l’incapacité des sciences sociales à sortir des canaux empiriques pour s’adapter au changement. En effet, la science politique est essentiellement continuiste. Elle a tendance à décrire les phénomènes contemporains grâce à des outils qui ont forgé son essence. Et si ces paradigmes devaient changer ?
Les « traités de Westphalie », signés en 1648 à Münster, ville allemande située dans le nord du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, marquent un tournant décisif dans les relations entre les Etats. Le système international né de ces traités mettait fin à la guerre de 30 ans en 1648. Selon ces traités, on reconnaît l'Etat comme forme privilégiée d'organisation politique des sociétés et la naissance du système interétatique moderne, fondé sur trois principes :
- La souveraineté externe (aucun Etat ne reconnaît d'autorité au-dessus de lui et tout Etat reconnaît tout autre Etat comme son égal) ;
- La souveraineté interne (tout Etat dispose de l'autorité exclusive sur son territoire et la population qui s'y trouve et aucun Etat ne s'immisce dans les affaires internes d'un autre Etat) ;
- L’équilibre des puissances (aucun Etat ne doit disposer des forces lui permettant de s'imposer à l'ensemble des autres Etats, et, tout Etat s'efforce à ce qu'aucun autre Etat ne parvienne à l'hégémonie).
La messe était dite.
Le système international a donc fonctionné pendant au moins quatre siècles sur ce principe immuable d’entité politique territoriale, souveraine, juxtaposée et compétitive. Par le jeu de cette compétition, la guerre venait figer ce système en s’érigeant comme une monnaie commune. En effet, la souveraineté n’étant pas compatible avec un droit international, car soupçonné d’illégitimité, la guerre venait assurer la fonction de régulation de cet équilibre. En réglant la compétition entre les Etats, la guerre avait pour but de garantir les intérêts nationaux respectifs. Ainsi, la culture westphalienne a construit l’international comme étant synonyme de guerre. Raymond ARON5 définira la paix comme une « entre deux guerre ». Cette définition négative de la paix comme étant la non-guerre vient confirmer cet état de l’international comme compétition de puissance.
Toutefois, depuis la deuxième guerre mondiale et les épisodes post-coloniaux, certains paradigmes viennent remettre en cause cette dualité Etat-Guerre. La mondialisation et ses avatars de nouveaux acteurs refondent le système international avec des évènements qui ne correspondent plus à la grammaire étatique énoncée plus haut. La mondialisation est venue créer un espace mondial caractérisé par l’interdépendance, l’inclusion et la mobilité. Par ces aspects, l’analyse d’un évènement local impose de faire le va-et-vient avec le sous-régional, le régional et l’international. Cette imbrication inédite de la société mondialisée, couplée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, nous font définitivement entrer dans une nouvelle ère des relations internationales.
D’un paradigme où la guerre permettait de construire l’Etat suivant le modèle de Charles TILLY (War Making and State Making), avec pour corollaire, l’Etat qui s’est aussi construit par la guerre, dans un système international de compétition défini par Thomas HOBBES comme étant un combat de gladiateur (Partie I), la nouvelle ère des relations internationales nous soumet désormais à des conflits qui ne sont pas d’essence étatique.
Alors, comment comprendre ces nouveaux conflits avec la montée de l’intégrisme religieux, les guerres de nationalisme et toutes les autres formes de situations belligènes avec les outils d’analyse classiques, alors qu’elles ne sont pas d’extraction politique ? (Partie II).
1 Accords d’Évian II. Déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie. A) Déclaration générale Chapitre Premier de l’organisation des pouvoirs publics pendant la période transitoire et des garanties de l’autodétermination.).
2 En référence aux traités de Westphalie signés le 24 octobre 1648 qui ont mis fin à la guerre de Trente Ans et rétabli l'ordre dans les affaires religieuses et politiques de l'Europe.
3 Communiste Vietnamien.
4 36ème Président des Etats-Unis d’Amérique.
5 Philosophe et sociologue français, 1905-1983.
Si l’on observe l’histoire de l’humanité, on se rend compte que les périodes de paix sont extrêmement rares et que la guerre est le socle de notre histoire. Selon R. Kolb, « sur 33 siècles d’histoire, approximativement 31 siècles sont des siècles de guerre, et approximativement 2 siècles sont des siècles de paix »6. Ce qui n’a finalement rien d’étonnant puisque, on le sait jusqu’à très récemment, dans l’histoire de l’humanité, c’est-à-dire jusqu’au début du XXème siècle, « on ne veut voir dans la guerre qu’une manifestation de la souveraineté des Etats »7 : on parle alors de « liberté de faire la guerre »8.
Les seules tentatives de limitation du recours à la guerre viennent, dans l’Occident chrétien, des théologiens du XVIème et XVIIème siècle comme Saint Augustin ou Saint Thomas qui ont tenté d’établir une distinction entre la guerre juste et la guerre injuste en essayant de promouvoir la première et de bannir la seconde. Mais, pour être tout à fait complet, on peut signaler des actions antérieures des philosophes comme Platon et Aristote, qui avaient tenté de « rationnaliser l’entrée en guerre » en faisant notamment la distinction entre les grecs et les barbares, dénonçant les guerres fratricides entre les grecs.9
S’érigeant comme monnaie commune du jeu international, la guerre s’est construite comme ADN de celui-ci ; la sécurité internationale se construisant par ce fait autour de la guerre. C’est en cela qu’une compréhension de la théorie de la sécurité internationale s’avère nécessaire pour cerner les subtilités de cette union incestueuse entre guerre et Etat (Chapitre 1).
Par ailleurs, parce qu’elle est une continuation de la politique, la guerre au sens Clausewitzien devient un outil politique (Chapitre 2).
6 R. Kolb, Jus in Belo, le droit international des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 2003, p.5
7 P. DAILLER, A. PELLET, Droit international public, 6ème éd, Paris, LGDJ, 1990, p.893
8 Ibidem
9 A. SAGOT, La guerre juste, un lien entre morale, violence et droit international, Mémoire IEP-Grenoble, 2005, 120p.
Qu’est-ce que la sécurité ? Est-ce qu’elle a une quelconque spécificité dans le domaine des relations internationales par rapport à d’autres domaines ? Est-elle abordée d’une façon spécifique dans les Relations Internationales (RI) ? Pourquoi la théoriser ? Pourquoi avoir plusieurs théories de la sécurité internationale plutôt qu’une seule ? Quels rapports entretiennent les théories de la sécurité avec les pratiques de sécurité ? De la sécurité à la guerre, comment en extraire l’ADN du jeu international ?
Il y a un intérêt à réfléchir sur la « sécurité internationale ». Cette expression peut sembler évidente tant elle évoque la paix, la coopération internationale et l’entente entre les peuples, alors qu’en réalité, il s’agit d’une expression polysémique, aux multiples facettes, contradictoire, incertaine et contestée.
Il y a donc deux écueils à éviter. Le premier consiste à donner à priori un sens univoque, figé et objectif à ce qu’est la sécurité internationale et les notions qui lui sont liées : menace, risque, ennemi, danger, protection, défense. Pour un certain nombre de raisons que nous chercherons à éclairer, cette idée est fausse. Le deuxième écueil consisterait à dire que parce que la sécurité revêt plusieurs significations, connotations contextuelles et dimensions, elle est un concept vide de sens, une notion qui ne produit aucun effet, un mot qui ne fait référence à aucune réalité tangible ou observable. Cette idée est également erronée. En effet, il s’agit au contraire d’un concept central aux relations internationales, à la fois les relations internationales (avec des lettres minuscules) comme relations entre les nations, les Etats, les collectivités, les communautés politiques ou les régions et les Relations Internationales (RI, en majuscules) comme branche spécifique de la discipline académique de la science politique. C’est précisément pour éviter ces deux écueils qu’il semble opportun de développer une réflexion théorique autour du concept de sécurité dans les relations internationales.