Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d’indépendants fougueux!
Je suis du pays dont vous êtes:
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l’habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peaux bisettes
Ressemblent à l’or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l’oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
ENVOI
O Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes!
Le poète est le Roi des Gueux.
Dors, mon fieux, dors,
Bercé, berçant.
Fait froid dehors,
Ça glace l’ sang.
Mais gna d’ chez soi
Qu’ pour ceux qu’a d’ quoi.
Le vent pince et la neige mouille,
Berçant, bercé.
Dans un chez-soi on a d’ la houille
Ou du bois d’automn’ ramassé,
Berçant, bercé,
Bercé grenouille.
Dors, mon fieux, dors,
Bercé, berçant.
Fait froid dehors,
Ça glace l’ sang.
Mais gna d’ chez soi
Qu’ pour ceux qu’a d’ quoi.
Not’ maison à nous, c’est ma hotte,
Berçant, bercé.
Et l’ vieux jupon qui t’emmaillotte
Jusqu’à ta chair est traversé,
Berçant, bercé,
Bercé marmotte.
Dors, mon fieux, dors,
Bercé, berçant.
Fait froid dehors,
Ça glace l’ sang.
Mais gna d’ chez soi
Qu’ pour ceux qu’a d’ quoi.
Ton bedon est vide et gargouille,
Berçant, bercé.
C’est pas pour nous qu’est la pot-bouille
Ni le bon pichet renversé,
Berçant, bercé,
Bercé grenouille.
Dors, mon fieux, dors,
Bercé, berçant.
Fait froid dehors,
Ça glace l’ sang.
Mais gna d’ chez soi
Qu’ pour ceux qu’a d’ quoi.
J’aurions seul’ment un p’tit feu d’ mottes,
Berçant, bercé,
T’y chauff’rais petons et menottes
Et ton derrièr’ d’ang’ tout gercé,
Berçant, bercé,
Bercé marmotte.
Dors, mon fieux, dors,
Bercé, berçant.
Fait froid dehors,
Ça glace l’ sang.
Mais gna d’ chez soi
Qu’ pour ceux qu’a d’ quoi.
Ouvrez la porte
Aux petiots qui ont bien froid.
Les petiots claquent des dents.
Ohé! ils vous écoutent!
S’il fait chaud là-dedans,
Bonnes gens,
Il fait froid sur la route.
Ouvrez la porte
Aux petiots qui ont bien faim.
Les petiots claquent des dents.
Ohé! il faut qu’ils entrent!
Vous mangez là-dedans,
Bonnes gens;
Eux n’ont rien dans le ventre.
Ouvrez la porte
Aux petiots qui ont sommeil.
Les petiots claquent des dents.
Ohé! leur faut la grange!
Vous dormez là-dedans,
Bonnes gens;
Eux, les yeux leur démangent.
Ouvrez la porte
Aux petiots qu’ont un briquet.
Les petiots grincent des dents.
Ohé! les durs d’oreille!
Nous verrons là-dedans,
Bonnes gens,
Si le feu vous réveille.
Dans le ciel clair, à tire-d’aile,
Les hirondelles
De l’autre année
Reviennent à leurs cheminées.
Et nous, nous revenons aussi,
Et nous voici
Par les chemins,
Les va-nu-pieds tendant la main.
Après le pain et la piquette
Toujours en quête,
Nous ons la gorge
Plus rouge qu’un brûlant de forge.
Donnez du pain, donnez des sous!
Car nous sons saoûls
D’aller à pied
Sans avoir rien dans le gésier.
Du pain de son! Des sous de cuivre!
C’est pour nous vivre.
Mais va-t’-fair’ fiche!
On nous prend pour des merlifiches.
Des sous! Des sous! Ou nous volons
Les beaux p’tiots blonds,
Les beaux amours,
Qu’on les vend cher aux faiseux d’tours.
Mes braves bons messieurs et dames,
Par Sainte-Marie-Notre-Dame,
Voyez le pauvre vieux stropiat.
Pater noster! Ave Maria!
Ayez pitié!
Mes braves bons messieurs et dames,
La charité des bonnes âmes!
Un p’tit sou, et Dieu vous l’ rendra.
Pater noster! Ave Maria!
Ayez pitié!
Mes braves bons messieurs et dames,
Chez ceux qui ne voient pas les larmes,
Quand Dieu le veut, grêle il y a.
Pater noster! Ave Maria!
Ayez pitié!
Mes braves bons messieurs et dames,
La vache qui vêle, ou la femme,
Si je le dis, son fruit mourra.
Pater noster! Ave Maria!
Ayez pitié!
Mes braves bons messieurs et dames,
Au jeteu d’ sorts, au preneu d’âmes,
Donnez un p’tit sou, qui qu’en a.
Pater noster! Ave Maria!
Ayez pitié!
L’épine est en fleurs; à l’épine blanche,
En me promenant, j’ai pris une branche.
J’avais emporté mon petit couteau,
Oh! Oh!
Avec mon couteau
J’ai coupé la branche
Bien haut.
Je vais dans le ru pêcher à la ligne.
Beaux poissons d’argent, je vous ferai signe.
Voyez au soleil briller mon couteau,
Oh! Oh!
Avec mon couteau
Je vous ferai signe
Dans l’eau.
Quand je serai grand, pour gagner des sommes,
J’en ferai ma lance et tûrai les hommes.
Pour fer elle aura le fer du couteau,
Oh! Oh!
Avec mon couteau
Je troûrai aux hommes
La peau.
Quand je serai vieux et la barbe blanche,
Pour béquille alors je prendrai ma branche.
Pour manche elle aura le bois du couteau,
Oh! Oh!
Avec mon couteau
Finira ma branche.
Hé ho!
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Je suis un fieux né en Flandre,
Je ne sais où.
On m’a trouvé dans la cendre
Comme un grillou.
Ma naissance fit esclandre,
Car j’étais fou.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Fou, fou, en venant au monde,
Le roi des fous!
Ma mère n’étant pas blonde,
Moi je fus roux.
Et l’on me dit à la ronde:
D’où venez-vous?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
D’où je viens, moi petit homme?
Je n’en sais rien.
Là-bas, plus haut que la Somme,
On n’est pas bien,
Car le ciel y est froid comme
Le nez d’un chien.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Je viens d’un lieu où l’on entre
Et d’où l’on sort.
C’est au plus creux de cet antre
Qu’est notre sort.
Quand ma mère ouvrit son ventre,
Je pris l’essor.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Je pris l’essor, et mes ailes
Dans le ciel bleu
Ont fondu comme chandelles
Qu’on jette au feu.
Aussi, nulle entre les belles
Ne m’aime un peu.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Mais à l’amant qui assiège,
En soupirant,
Leur cœur, plus léger qu’un liège
Sur un torrent,
Je vends pour deux liards un piège,
Crac! qui les prend.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Mon piège est un sac en serge
Noir comme un trou,
Où chante un papillon vierge
Piqué d’un clou,
Et où flambe comme un cierge
Le cœur d’un fou.
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège,
Mon joli piège?
Ah! qui donc m’achètera
Mon joli piège à rat?
Où est le prunier joli?
Cherchez-le et cherchez-l’y,
Lanturli,
Le prunier que nul n’émonde,
Le prunier pour tout le monde,
Cherchez çà et cherchez ci,
C’est ainsi,
Pour les pauvres gueux aussi.
Dans ton jardin bien rempli,
Cherchez-le et cherchez-l’y,
Lanturli,
Il n’est pas, monsieur le riche,
Qui pour tous te montres chiche,
Cherchez çà et cherchez ci,
C’est ainsi,
Pour les pauvres gueux aussi.
Il est dans le bois joli,
Cherchez-le et cherchez-l’y,
Lanturli.
C’est le beau prunier sauvage.
Il est à qui le ravage.
Cherchez çà et cherchez ci,
C’est ainsi,
Pour les pauvres gueux aussi.
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac.
Il pleut, ça mouille,
Et pas du vin!
Quel temps divin
Pour la guernouille!
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac.
Cochon, patauge!
Mais le cochon
Trouve du son
Au fond de l’auge.
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac.
Le cochon bouffe;
Toi, vieux clampin,
C’est pas le pain,
Vrai, qui t’étouffe.
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac.
Bah! sur la route
Allons plus loin.
Cherche un bon coin,
Truche une croûte.
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac.
Après la pluie
Viendra le vent.
En arrivant
Il vous essuie.
Il tomb’ dè l’eau, plic, ploc, plac,
Il tomb’ dè l’eau plein mon sac!
M’a dit la pluie: Écoute
Ce que chante ma goutte,
Ma goutte au chant perlé.
Et la goutte qui chante
M’a dit ce chant perlé:
Je ne suis pas méchante,
Je fais mûrir le blé.
Ne sois pas triste mine!
J’en veux à la famine.
Si tu tiens à ta chair,
Bénis l’eau qui t’ennuie
Et qui glace ta chair;
Car c’est grâce à la pluie
Que le pain n’est pas cher.
Le ciel toujours superbe
Serait la soif à l’herbe
Et la mort aux épis.
Quand la moisson est rare
Et le blé sans épis,
Le paysan avare
Te dit: Crève, eh! tant pis!
Mais quand avril se brouille,
Que son ciel est de rouille,
Et qu’il pleut comme il faut,
Le paysan bonasse
Dit à sa femme: il faut
Lui remplir sa besace,
Lui remplir jusqu’en haut.
M’a dit la pluie: Écoute
Ce que chante ma goutte,
Ma goutte au chant perlé.
Et la goutte qui chante
M’a dit ce chant perlé:
Je ne suis pas méchante,
Je fais mûrir le blé.
Les blés coupés sont en buriots.
Eh! hue! oh! dia! les chariots
Prendront d’main la part la meilleure.
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
Hardi! la mère et les morveux,
Battons l’ chaum’ qu’est dru comm’ nos ch’veux,
Et qu’ pas un seul épi n’y d’meure.
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
L’année est bonn’, les grains sont gros.
Fourrez-moi-z-en un sous vos crocs.
C’est-il plein, dur, et comm’ ça fleure!
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
Il en reste au ras du sillon
D’ quoi remplir plus d’un corbillon,
Assez pour empêcher qu’on n’ meure.
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
Si j’en pouvions vend’ pour queuq’ sous,
J’irions boire à la branch’ de houx
Un pichet d’vin qui sent la meure.
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
En passant auprès des buriots,
Volez un peu les proprios.
Faut du pain à ceux qu’a pas d’beurre.
C’est l’ tour des glaneurs
A c’t’ heure,
C’est l’ tour des glaneurs.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’ons l’ feu dans la boule.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Faut que l’ cidre coule.
Du cidre il faut
Dans la goule.
Du cidre il faut
Dans l’ goulot.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Verse dru, la mère.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’ons ein’ rou’ d’ derrière.
Du cidre il faut
A grand verre.
Du cidre il faut
A grand pot.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Qué qu’on a qu’on jase?
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
C’est d’l’argent d’occase.
Du cidre il faut
Jusqu’au rase.
Du cidre il faut
Jusqu’en haut.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’ons ben l’ droit d’êt’ riche.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’ pai’: qué qu’ ça vous fiche?
Du cidre il faut
Pou’ l’ vieux Miche.
Du cidre il faut
Pour Michaud
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Vous avez beau dire.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’m’emplis la tir’lire.
Du cidre il faut,
Tire, tire,
Du cidre il faut,
Larigot.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’ons soif comm’ ein’ rave.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Va encore à l’cave!
Du cidre il faut
Plein la gave,
Du cidre il faut
Plein l’gaviot.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
Tant mieux si je m’soûle.
Au cidre! au cidre! il fait chaud.
J’sons plus rond qu’ein’ boule.
Du cidre il faut
Dans la goule.
Du cidre il faut
Dans l’goulot.
J’suis ben vieux, j’ai p’us d’z yeux.
Si jmourais, ça vaudrait mieux.
Si jmourais, j’s’rais content
Un p’tit sou en attendant!
Quoi qu’ça f’rait, c’qu’on m’donn’rait?
Ça n’pourrait m’donner qu’du r’gret.
J’ai p’us b’soin, et c’pendant
Un p’tit sou en attendant!
Du pain sec, rien avec,
Ça n’pass’ p’us dans mon pauvr’ bec.
C’est trop dur. J’ai qu’ein’ dent.
Un p’tit sou en attendant!
J’vas mouri, que j’vous dis.
J’vas monter en paradis.
J’vas mouri dans l’instant.
Un p’tit sou en attendant!
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Que l’bon Dieu vous console!
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
V’là les mangeux d’fav’rolle.
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Que l’bon Dieu vous console!
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
V’là les mangeux d’fav’rolle.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
J’allons pas en carriole.
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
V’là les mangeux d’fav’rolle.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
J’allons pas en carriole.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
J’ons d’la chance d’traviole.
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens.
J’allons pas en carriole.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
J’ons d’la chance d’traviole.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Faut-il un air de viole?
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
J’ons d’la chance d’traviole.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Faut-il un air de viole?
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Que l’diab’ vous patafiole!
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Faut-il un air de viole?
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Que l’diab’ vous patafiole!
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Quand on n’me donn’ pas, j’vole.
V’là les mendigots, les indigents.
Bon jour bon an, les bonn’s gens,
Que l’diab’ vous patafiole!
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Pour les avoir, quell’ misère!
Ah! les pauv’s gens, que j’les plains!
Souvent c’est nous que j’sons pleins
Et c’est eux qu’leu vent’ se serre.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Quel travail à grand orchestre!
C’est pas fait pour les envier.
Ça va d’puis l’premier d’janvier
Jusqu’au soir de Saint-Sylvestre.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
V’là la charrue et la herse.
La glèbe est dure à r’tourner.
On gagn’ rud’ment son dîner
A fair’ ce cochon d’commerce.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Puis vient l’dur moment des s’mailles;
Et l’bon grain qu’on jette au vent
Ne s’rait pas d’trop l’p’us souvent
Pour la mère et les marmailles.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Si l’ beau temps est en déroute,
S’il pleut fort ou s’il n’ pleut pas,
L’ blé reste enterré là-bas
Et n’ rend pas l’ quart de c’ qu’il coûte.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Puis c’est la moisson qu’arrive.
On n’ dort p’us qu’ein’ heur’ par nuit.
Et c’tapendant l’ bon temps fuit,
L’ bon temps fuit p’us vit’ qu’ein’ grive.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
On espère un peu d’ clémence,
On va rire, on a du gain.
J’ t’en fich’! V’là d’jà l’an prochain!
Pas d’ repos: faut qu’on r’commence.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
C’est pas comm’ ça pour nous autres.
Les champs noyés ou roussis,
J’ m’en moquons; j’ons pas d’ soucis,
Car j’ons pas d’ foins ni d’épeautres.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Puis j’ons pas l’échin’ bossue
A forç’ d’ nous plier en deux,
Et c’est vraiment hasardeux
Quand y en a-z-un d’ nous qui sue.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Allez, allez, la canaille,
Trimez dur, ferme, et longtemps!
A vous r’luquer j’ sons contents.
C’est pour nous qu’ tout ça travaille.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Allez, allez, dans la terre
J’tez vot’ blé! Mais quel guignon!
Faudra m’ couper mon quignon
Dans vot’ pain d’ propriétaire.
Qui qu’est gueux?
C’est-il nous
Ou ben ceux
Qu’a des sous?
Allez, allez, fait’s vot’ meule!
Moi, c’t hiver j’y f’rai mon pieu,
Et p’t’-êt’ que j’y foutrai l’ feu
En allumant mon brûl’-gueule.
Qui qu’est gueux?
C’est pas nous.
C’est ben ceux
Qu’a des sous.
Je n’étais qu’une plante inutile, un roseau.
Aussi je végétais, si frêle, qu’un oiseau
En se posant sur moi pouvait briser ma vie.
Maintenant je suis flûte et l’on me porte envie.
Car un vieux vagabond, voyant que je pleurais,
Un matin en passant m’arracha du marais,
De mon cœur qu’il vida fit un tuyau sonore,
Le mit sécher un an, puis, le perçant encore,
Il y fixa la gamme avec huit trous égaux;
Et depuis, quand sa lèvre aux souffles musicaux
Éveille les chansons au creux de mon silence,
Je tressaille, je vibre, et la note s’élance;
Le chapelet des sons va s’égrenant dans l’air;
On dirait le babil d’une source au flot clair;
Et dans ce flot chantant qu’un vague écho répète
Je sais noyer le cœur de l’homme et de la bête.