De gueules, à un navire d’argent voguant sur des ondes du même, et un chef cousu d’azur, semé de fleurs de lis d’or.
Écartelé : aux 1 er 4, d’azur, au lion d’or, ayant la patte posée sur une boule du même ; aux 2 et 3, d’argent à deux bandes de gueules.
Tiercé en pal : au 1, d’or, au lion de gueules, qui est de Habsbourg ; au 2 de gueules à la fasce d’argent qui est d’Autriche ; au 3, d’or, à la bande de gueule, chargé de 3 alérions d’argent qui est de Lorraine.
D’azur, à trois fleurs de lis d’or.
D’argent, à trois chevrons de gueules.
D’Azur, à trois molettes d’or, et un chef d’argent, chargé d’un lion léopardé de gueules.
D’azur, à une crois d’or, cantonnée de dix-huit billettes du même, cinq dans chaque canton du même posées en sautoir, et quatre dans chaque canton de la pointe mise en orie.
D’or, à une barre de gueule, chargée d’un berger posé sur une terrasse avec son chien, et ayant la tête tournée vers lui, le tout d’argent.
De geules à trois bourdons d’argent posé 2 et 1.
De gueules semé de fleurs de lis d’or
Écartelé : aux 1 et 4, d’or, à une bruyère de sinople plantée sur une champagne de même, et un chef d’azur, chargé d’un soleil d’or ; aux 2 et 3, d’azur, à une croix pattée d’argent.
D’azur, à trois tours d’argent, et un lionceau d’or, posé en abîme.
Copyright © 2021 Gabriel Eysenbach (domaine public)
Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-4 point des Champs-Élysées, 75008 Paris.
Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne.
ISBN : 9782322249473
Dépôt légal : mars 2021
Tous droits réservés
De là sont venus les escus,
Les armes qu’ores on voit peintes,
Armes qui jadis furent teintes
Dans le sang des premiers vaincus ;
De là les crys et les devises,
Le métail avec les couleurs
Dont, curieux en mille guises,
Ils ont blasonné leurs valeurs.
S’il est une science qui, étudiée avec amour, ait excité un enthousiasme et une admiration portés jusqu’au culte et à la dévotion, et qui, plus tard, par un triste revirement de l’esprit humain, soit tombée dans le discrédit le plus complet, c’est à coup sûr celle du blason. L’art héraldique ne méritait, il faut le dire, ni cet excès d’honneur, ni le mépris dont postérieurement on a voulu le flétrir ; et si, de ces deux sentiments bien divers, l’engouement extrême au moyen âge, un froid dédain au commencement de ce siècle, il en est un qu’on puisse admettre, c’est le premier, à n’en point douter. Le blason formait réellement alors une science d’une haute importance sociale, qui avait ses lois, nommées lois d’armes, ses académies, les conseils des maréchaux ; et l’on exigeait des rois d’armes, ou officiers chargés d’exercer publiquement cette science, de scrupuleuses garanties d’érudition et de mérite personnel. Le blason, langue mystérieuse, langue ingénieuse et frappante, d’un usage universel pour la noblesse de la chrétienté, établissait entre tous les gentilshommes une confraternité héroïque ; c’était la pierre fondamentale de l’édifice féodal, le ciment et la clef de voûte, comme dit un vieil auteur, de la hiérarchie aristocratique. C’était encore un enseignement permanent, une exhortation constante à la jeune noblesse de marcher sur les traces de ses aïeux : reproduits et multipliés à l’infini par la gravure, la sculpture, la peinture, sur les bannières dans les combats, sur la pierre des caves sépulcrales, sur les murs de la salle du conseil, sur les meubles et sur les livrées, entourés de leurs supports, de leurs cimiers, de leurs devises, les blasons de famille étaient pour les chevaliers, dont quelquefois ils présentaient les noms sous une allégorie parlante, une personnification glorieuse, abstraite et immuable de leur race ; et, semblables à ces momies égyptiennes que les familles conservaient avec un soin religieux, par leur continuelle présence ils semblaient exhorter les fils à ne point dégénérer de leurs pères, établissant ainsi entre les descendants d’une même lignée une rivalité généreuse. Comment une science si propre à éterniser le souvenir des grandes actions, à enflammer d’une noble émulation les fils avides d’imiter leurs vaillants ancêtres, et jaloux de ne point laisser flétrir le glorieux blason qu’ils en avaient reçu, eût-elle pu ne point exciter l’admiration et l’enthousiasme ? Quoi ! la noblesse était tout alors, le roi s’honorait d’être gentilhomme avant de s’enorgueillir du titre de monarque, et l’art dont les règles absolues établissaient une barrière infranchissable entre te noble et le vilain, l’art qui consacrait les droits de la noblesse et inscrivait ses hauts faits dans le livre d’or de la chevalerie, n’eût pas été l’objet de la vénération générale ! Comment, après cela, le moyen âge, si poétique, si plein de sentiments religieux, si fervent, si enthousiaste, dans l’esprit d’absorption, de travestissement, et pour ainsi dire de centralisation, avec lequel il semblait vouloir personnifier en sa seule époque toutes les grandes renommées et toutes les actions illustres des anciens temps ; comment le moyen âge eût-il pu ne point doter les héros des siècles précédents des attributs armoriés qui jouaient alors un rôle si glorieux et si important ? Alexandre, le vainqueur de Babylone, le chevaleresque Arthur de Bretagne, forment le sujet de magnifiques épopées dont la scène se passe sous les descendants de Charlemagne : pouvait-on se dispenser de leur attribuer le blason du rang qu’ils occupaient ? Nous ne serons donc nullement surpris si la plupart des historiographes du blason lui assignent une antiquité fabuleuse ; nous n’éprouverons aucun étonnement à voir nos anciens chroniqueurs décrire sérieusement les armoiries de Jules César et de Vespasien, et nous donner comme très authentique le blason de notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné de tous ses ornements, parmi lesquels on distingue un heaume de marquis.
Il est facile de concevoir que la science héraldique fut au moyen âge l’objet d’une sorte de culte ; on comprend non moins aisément l’acharnement avec lequel on s’est attaché, à la fin du siècle dernier et au commencement de celui où nous vivons, à rabaisser, à dénigrer cet art qu’on traitait de frivole, à le représenter comme une espèce de passe-temps propre uniquement à amuser les loisirs des intelligences futiles et sans portée. L’esprit révolutionnaire, auquel était odieux le moindre souvenir du passé, qui attaquait avec fureur toutes les institutions de l’âge féodal, avait naturellement dû envelopper l’art du blason dans la proscription dont fut frappé tout ce qui était noble ou de vieille date.
Aujourd’hui la noblesse n’est plus en France qu’une distinction purement honorifique : les privilèges qu’elle possédait autrefois, l’autorité dont elle était revêtue, le prestige qui l’entourait, les immenses domaines qu’elle se transmettait sans morcellement de générations en générations, le respect de la hiérarchie, tout ce qui semblait enfin assurer sa durée, ce qui faisait sa grandeur et sa puissance, tout cela a été englouti dans l’abîme des révolutions. Qu’il nous soit donc permis d’esquisser le tableau des immenses services que cette noblesse a rendus à la France, d’emprunter à nos annales le récit des actes héroïques qu’elle y a inscrits en si grand nombre !
Reportons nos regards sur le passé : combien l’histoire de cet ordre, auquel appartinrent pendant près de huit siècles les destinées de la France, n’offre-t-elle pas de pages admirables, d’exemples de dévouement sublime, de modèles de valeur, de courtoisie, d’affabilité, de grandeur et de patriotisme !
L’histoire de la noblesse, en effet, depuis Hugues Capet jusqu’au règne de Louis XIV, n’est rien autre chose que l’histoire de la France entière. Royauté, église, communes, tout émane d’elle, tout se rattache à elle : c’est la noblesse qui donne à Hugues Capet le droit de porter le sceptre enlevé aux indignes descendants de Charlemagne ; c’est elle qui fonde les monastères, édifie les églises, dote les abbayes ; c’est elle encore qui, concédant aux serfs de ses domaines des actes d’affranchissement, et aux bourgs des chartes de communauté, enfante le peuple : un jour il dévorera sa mère.
La noblesse, qu’un injuste préjugé accusa si longtemps de mépriser les lettres et d’ériger en titre d’honneur l’ignorance la plus crasse, a imprimé au monde, en grande partie, le mouvement civilisateur qui élève si haut l’ère moderne.
Ne sont-ce pas ces seigneurs taxés trop légèrement d’égoïsme et de cupidité, qui les premiers, à la voix du souverain Pontife, s’écrièrent : Diex li volt, et quittant leurs riches domaines, les castels où ils menaient vie noble et joyeuse, laissèrent à la garde de Dieu leurs femmes et leurs enfants, déployèrent au vent leurs bannières, et, la croix rouge sur l’épaule, vinrent mourir pour la foi en Palestine ?
À Bouvines, à Crécy, à Poitiers, à Azincourt, sur tant de champs de bataille où le sang français coula par torrents, qui voit-on toujours au premier rang, là où le danger est le plus grand, là où la mort, comme le moissonneur qui abat sa récolte, fauche sans se lasser jamais et jonche le sol de cadavres ? c’est cette vaillante noblesse qui meurt en riant et de joyeux propos à la bouche !
Et lorsque la patrie, livrée à ces orgueilleux insulaires qu’après cinq cents ans nous retrouvons encore en face de nous comme nos plus ardents ennemis, semble à jamais perdue ; quand un monarque anglais souille de sa présence le palais des rois très chrétiens, et que le peuple égaré repousse le prince appelé au trône par sa naissance, personnification vivante de la nationalité française, n’est-ce point encore la noblesse qui se range autour de l’héritier fugitif, et dont l’épée chasse l’étranger et reconquiert à Charles VII le sceptre de ses pères ?
Guerres d’Italie, luttes contre la domination espagnole, dissensions intestines, querelles religieuses, dans tous ces grands mouvements qui depuis lors jusqu’à nous ont agité le monde, toujours le principal rôle n’appartint-il pas à la noblesse ?
Or est-il possible d’en bien étudier l’histoire, de démêler l’origine des chefs, héros de tant de pages éclatantes inscrites dans nos annales, de suivre avec intérêt la filiation des maisons si fécondes en grands hommes pendant toute la durée du moyen âge, si la science héraldique ne vient en aide aux investigations de l’historien ou de l’antiquaire, et ne lui ouvre, pour ainsi dire, l’accès à une nouvelle voie de recherches intéressantes ? La science du blason est indispensable aux études historiques et archéologiques. Il faut, pour bien comprendre et juger cette époque du moyen âge si brillante et si colorée, pouvoir lire ce langage emblématique commun à tous les peuples de l’Europe, langage dont les signes disent l’histoire d’un monument souvent mieux que de nombreuses pages.
Avec quelle joie, d’ailleurs, l’intelligence n’assiste-t-elle pas à l’existence animée de ces temps pleins de poésie où l’homme de guerre, l’homme d’église, le bourgeois, le trouvère, la douce châtelaine, le pieux pèlerin, se pressaient aux abords du champ clos du tournoi pour assister aux pas d’armes depuis longtemps annoncés ! avec quel bonheur ne se promène-t-on pas dans le vaste et poétique champ de ces innombrables symboles qui témoignent du courage de nos ancêtres !
D’ailleurs encore, si la France est notre patrie, la France n’est pas seule au monde, tout, ce que nous avons détruit chez nous n’a pas disparu chez les autres nations. Il faut bien nous persuader qu’en franchissant la Manche, le Rhin, les Alpes, et les mers même, nous retrouvons partout, fort et vivace, le poétique et mystérieux langage du blason, et que nous paraissons au delà de nos frontières n’avoir pas complété notre instruction en négligeant de nous familiariser avec une étude utile et curieuse. Il ne faudrait pas non plus supposer que cette étude ne présentât d’utilité qu’aux hommes titrés qui peuvent avoir des relations par leurs fonctions et leur position avec la noblesse étrangère ; ce serait commettre une grave erreur ; en effet, les historiens, les antiquaires, les numismates, les poètes, les peintres, les gens de lettres, les sculpteurs, les graveurs, les architectes, les touristes, doivent connaître la science héraldique, doivent savoir blasonner une armoirie, à peine de tomber dans de déplorables erreurs.
Parcourez les galeries historiques du palais de Versailles ; ouvrez les volumes de cette collection vraiment nationale qui a pour but de remettre en lumière les noms les plus célèbres de nos guerriers, les armoiries de nos anciens preux. Écussons et insignes, tout est jeté dans le même moule. Les écus ont la même forme, et les blasons le même type que s’ils étaient tous du XVIe au XVIIIe siècle ; ils manquent absolument du caractère de leur époque. Si la représentation d’objets autrefois vénérés et source puissante d’émulation et de gloire est ainsi faussée, c’est qu’on les traite avec trop de dédain pour les étudier : que d’artistes ont besoin de leçons sur ce point ! Au moins, à Versailles, les métaux et les émaux n’ont-ils pas été dénaturés ; mais il n’en est pas ainsi partout, et l’on a vu, dans un tableau de la naissance de Henri IV, déployer les chaînes de Navarre en champ d’azur. On ne verrait pas, sur la place Louis XV, Rouen gratter les fleurs de lis d’or de son chef, et Lille, tout en ayant le courage de conserver sa grande fleur de lis d’argent, l’étaler sur un champ d’azur au lieu d’un champ de gueules ; on ne verrait pas la ville de Paris, non seulement répudier son noble chef semé de France, mais transformer en azur le champ de gueules où flotte sa nef d’argent.
Non, sans la connaissance du blason, il est impossible d’avoir une intelligence vive et claire du moyen âge ; il est bien souvent impossible, sans le secours des symboles héraldiques, de déterminer l’époque où fut fondé un monument, d’en désigner le pieux auteur, malgré l’écu armorié qui timbre le portail de l’église ou du castel qu’on a devant les yeux.
Ainsi, de deux choses l’une : ou il faut, comme les fervents révolutionnaires de 93 ou les exagérés de 1830, proscrire absolument les armoiries ; ou il faut apprendre à s’en servir d’une manière exacte, intelligible et conforme à l’histoire dont elles retracent les souvenirs. C’est ce dernier but que je me propose en publiant ce livre. Je n’ai pas, à la vérité, la prétention de faire de mes lecteurs des généalogistes ou des savants en blason de la force de M. de Refuge, gentilhomme de la chambre de S. M. Louis XV, que mon grand-père me citait toujours comme modèle. Refuge était un très honnête homme, très vertueux, avec de l’esprit, parfaitement modeste, et d’une grande valeur. C’était l’homme le plus instruit de l’Europe dans la science héraldique et en toutes sortes de généalogies, et de tous les pays, depuis les têtes couronnées jusqu’aux simples particuliers, avec une mémoire qui ne se méprenait jamais sur les armes, les noms, les degrés ni les branches, sur aucune date, sur les alliances, ni sur ce que chacun était devenu. Il était fort réservé là-dessus, mais sincère quand il faisait tant que de parler. On peut dire que sa mémoire épouvantait. Un jour, un courrier qu’il reçut à Metz d’un seigneur allemand de l’autre côté du Rhin, en pensa tomber à la renverse en lui rendant son paquet de la part de son maître. « J’ai l’honneur de le connaître, » lui dit M. de Refuge, « bien que je ne l’aie jamais vu et ne lui aie jamais parlé ; » et tout de suite il lui fit la description des armes et lui détailla toute la généalogie.
Je ne prétends point, mes chers lecteurs, vous faire acquérir une telle science ; mais j’espère, du moins, ne pas vous laisser totalement étrangers à l’art du blason et à la signification des termes héraldiques, et pour dissimuler autant que possible l’aridité de cette étude, j’aurai soin d’y entremêler les nombreux traits d’histoire, les anecdotes intéressantes sur l’origine des familles, qu’une lecture à demi séculaire a entassés dans ma mémoire :
Cosi all’ egro fanciul porgiamo aspersi
Di soavi licor gli orli del vaso ;
Succhi amari, ingannato, intanto ei beve,
E dail’ inganno suo vita riceve.
Puisse en ce livres aussi l’orle gracieusement dentelée dissimuler la sévérité, l’aspérité du fond !
Le mot blason exprime à la fois les figures emblématiques qui couvrent l’écu d’un gentilhomme et la science qui a pour objet de nommer, d’expliquer ces mêmes figures et d’en régler la disposition.
Le blason, les armoiries existent depuis que les hommes se sont divisés en congrégations particulières ; car dès lors il y a eu lutte entre ces congrégations, il y a eu collision, il y a eu vainqueurs et vaincus ; et l’armoirie n’étant qu’un signe extérieur qui avait mission de raviver sans cesse le souvenir du fait passé, souvent le vainqueur a dû se parer du symbole de sa victoire. De plus, ces congrégations furent régies par des chefs dès l’instant de leur formation, et les chefs, afin de se distinguer de la foule, portèrent des signes extérieurs, des emblèmes de leur force, de leur puissance. L’un prit pour symbole un lion qu’il croyait égaler en courage, l’autre un serpent dont il prétendait avoir la ruse et la prudence : de là les armoiries, de là le blason. Aussi un grand nombre d’auteurs qui nous ont laissé des traités sur cette matière, adoptant l’étymologie trouvée par un vieux linguiste qui fait dériver, à raide d’une ingénieuse métathèse, le mot blason du mot hébreu sobal (porter), ont-ils attribué aux armoiries une origine aussi ancienne que le monde !
Les distinctions, dès les temps les plus reculés, comme au moyen âge, furent empruntées à deux genres distincts, les couleurs et les signes. Elles n’étaient point encore alors devenues un système, une science ; mais elles existaient déjà, et l’on voit la haute antiquité en faire un usage constant.
En Orient, le blason du royaume, le symbole des castes qui le divisent, c’est la ville elle-même dans ses divisions ; Ecbatane, par exemple, aux sept enceintes, aux sept couleurs. « Dejocès, dit Hérodote, fit bâtir par les Mèdes une ville grande et forte ; elle avait sept enceintes circulaires, s’élevant les unes au-dessus des autres et peintes chacune d’une couleur différente. La première était blanche ; la seconde noire, la troisième pourpre, la quatrième bleue, la cinquième écarlate ; enfin les deux dernières étaient, l’une argentée et l’autre dorée. »
Le moins oriental des peuples asiatiques, les Turcs, ont gardé quelque chose de ces traditions. Partis de la vie pastorale, ils ont fait de la tente immobilisée le symbole de l’empire. Cette tente a quatre colonnes, qui sont le grand vizir et les trois principaux ministres. Elle a deux portes, la porte du gouvernement, la porte de la béatitude : les soins de la terre, le repos du ciel.
À Rome et à Constantinople, les factions du cirque étaient désignées par leurs couleurs : c’étaient les blancs et les rouges, et plus tard les bleus et les verts.
Les juges à Athènes et à Platée, à Rome les candidats et presque tous les magistrats étaient revêtus d’une robe blanche : le pourpre était la couleur des dieux et des rois. Le Seigneur dit aussi à Moïse : « Parlez aux enfants d’Israël, et dites-leur qu’ils mettent des franges aux coins de leurs manteaux, et qu’ils y joignent des bandes de couleur d’hyacinthe, afin que les voyant ils se souviennent de tous les commandements du Seigneur. »
Mahomet avait un manteau noir, que les califes revêtaient, et qui est conservé dans le trésor : de Constantinople. Un turban vert désigne encore aujourd’hui, parmi les Turcs, un descendant du prophète. Au moyen âge les Juifs étaient astreints à coudre sur leurs habits une rouelle de drap jaune.
Les peuples affectionnent aussi certaines couleurs pour leurs vêtements. Rome, dit Martial, aime les couleurs sombres :
Roma magis fuscis vestitur, Gallia russis.
Dans la Bretagne, comme dans l’Espagne, les vêtements noirs dominent ; les autres populations celtiques préfèrent les couleurs éclatantes et bigarrées. Chaque clan écossais a un modèle particulier de tartan, aux couleurs spéciales, et il est admirable que ces clans les aient conservées, malgré les lois les plus sévères. Le mot tartan vient du gallique tarstin ou tarsuin, de travers ; de là le français tyretaine, qu’on trouve déjà dans le roman de la Rose comme faisant partie de l’habillement des femmes. Le tartan écossais se retrouve chez les anciens Gaulois :
Sculatæ, virgatæ vestes.
Chez les Irlandais et les Calédoniens, le roi avait le droit de porter sept couleurs, le druide six, le noble quatre.
En France, le blanc était réservé pour le deuil des veuves de rois. La veuve de saint Louis fut appelée Blanche à cause de son long veuvage. Dans un acte de 1398, tiré des Olim du parlement, Charles VI appelle Blanche sa mère, Jeanne de Bourbon. Il semble que ce fut d’abord une chose particulière aux Espagnols de porter le deuil en noir.
Pierre le Vénérable témoigne sa surprise d’avoir trouvé parmi eux cet usage.
Chez toutes les nations où avait lieu la division en castes, chacune de ces castes était distinguée, selon son rang, par une couleur spéciale ; au moyen âge, certaines nuances étaient particulièrement affectées à désigner un ordre distinct ou une destination déterminée ; ainsi la couleur militaire de l’écarlate, que les guerriers avaient eue chez les Romains, devint l’attribut exclusif du manteau long et traînant qui, enveloppant toute la personne, était uniquement réservé au chevalier, comme la plus auguste et la plus noble décoration qu’il pût avoir lorsqu’il n’était point paré de ses armes.
Plus tard les magistrats supérieurs et les docteurs participèrent, avec les chevaliers, au droit de porter l’habillement écarlate, parure qui a fait dire à un poète
Douce dame, je viens de vous apprendre,
Sa science est toujours en riche habit,
Vaillance aussi.
Cette question d’Eustache Deschamps à dame Vérité fait entendre que de son temps ceux qui s’élevaient au-dessus des autres par la science et par la valeur, les chevaliers et les docteurs ou les magistrats, avaient le même costume lorsqu’on n’était point en guerre.
L’usage de l’écarlate, affecté aux plus éminents personnages, tant dans la guerre que dans les lettres, le privilège de porter la couleur rouge réservé aux chevaliers et aux docteurs, introduisit probablement dans notre langue le mot rouge pour hautain, arrogant, surtout lorsqu’on vit Artevelle, chef des Gantois révoltés et victorieux, se vêtir, dit Froissard, de sanguines robes et d’écarlate. Dans un ouvrage en vers du XVe siècle, on lit : Les plus rouges y sont pris. Rouge est mis pour vain, fier, glorieux, et Brantôme s’est encore servi de ce mot dans le même sens en parlant de l’affaire des Suisses à Novare contre Henri de la Trémoille, qui fut un grand exploit et un grand heur de guerre dont ils devinrent si rouges et si insolents, qu’ils méprisaient toutes nations et pensaient battre tout le monde.
Cette acception du mot rouge en a formé un autre par une légère transposition de lettres. Rogue, au lieu de rouge, est employé pour arrogance, vanité, insolence.
Le vert était la couleur des chevaliers errants, c’est-à-dire des preux qui allaient à la quête d’aventures pour redresser les torts, venger les opprimés, exterminer les brigands qui dévastaient le royaume ; ou plutôt, en dehors des fictions romanesques qui ont rendu si fameuse la Table ronde, donnons ce nom aux jeunes chevaliers qui se faisaient un devoir de consacrer les premières années de leur installation dans l’ordre, à visiter les pays lointains et les cours étrangères, afin de s’y rendre chevaliers parfaits. Le vert dont ils étaient vêtus annonçait la verdeur de leur printemps, comme la vigueur de leur courage.
Cette circonstance n’avait point été omise au tournoi que Charles VI donna en 1380 à Saint-Denis, pour la nouvelle chevalerie du roi de Sicile et de son frère le comte du Maine. L’auteur qui nous en, fait la description représente ainsi les vingt-deux chevaliers qui furent les principaux acteurs des joutes, auxquelles on observa religieusement les formalités de l’antique chevalerie :
Ils avoient l’escu verd pendu au col avec la devise gravée en or du roi des Cattes, et estoient suivis chacun de leur escuyer qui portoit leurs armets et leurs lances ; et afin d’enchérir plustost que de rien oublier de tout ce qui se publie de plus magnifique, des joustes et des pas d’armes des anciens paladins et chevaliers errants, ils attendirent les dames que le roi avoit destinées pour les conduire aux lices, et qui s’y estoient préparées avec des habits de la même livrée qui estoit d’un verd brun, brodé d’or et de perles.
L’Allemagne barbare et féodale aimait le vert, la couleur de la terre, d’une terre verdoyante. La France féodale, mais non moins religieuse, a préféré les couleurs du ciel.
Les signes ont une antiquité non moins reculée. Pour l’origine des armoiries, en effet, on est allé jusqu’à Noé ; je crois même qu’on a cité Adam comme l’inventeur du blason, et l’on pouvait à bon droit, comme conséquence extrême d’une logique rigoureuse, remonter au premier homme, si l’adoption d’un symbole constitue l’art héraldique ; car, ainsi que je l’ai déjà dit, il y a eu lutte dès la formation d’une première société, et par suite enfantement d’emblèmes ; en ne faisant aucune différence entre les emblèmes et les armoiries, des savants ont été tout naturellement conduits à trouver le blason, tel qu’il se produisit au moyen âge, debout sur les tentes du camp des Israélites.
Déjà après Noé, effectivement, les enfants de Seth, pour se distinguer de la race maudite de Caïn, avaient pris pour symboles les figures de diverses choses naturelles, comme des fruits, des plantes et des animaux ; et les enfants de Caïn s’étaient distingués par les instruments des arts mécaniques qu’ils professaient. Tubal, le créateur des trompettes d’airain, portait pour signe distinctif une représentation figurée de l’instrument qu’il avait inventé.
On formerait une bibliothèque entière de livres consacrés à des controverses sur l’étymologie du mot blason et sur l’antiquité de cette science. Tous les peuples anciens ont trouvé de zélés partisans qui leur voulurent faire honneur de l’invention des armoiries. L’Égypte, cette terre classique des hiéroglyphes et des emblèmes, dit l’un, est certainement l’inventrice des images symboliques, des armoiries. — Non, reprend l’autre, c’est au peuple de Dieu qu’était réservé cet honneur. Lorsque les Hébreux, conduits par Moïse, échappèrent, par une suite de miracles, éclatante manifestation de la protection divine, à la tyrannie des Pharaons, ne campèrent-ils point par tribus ou familles, distinguées par leurs enseignes et drapeaux ? Les douze tribus ne portaient-elles pas des armoiries, ainsi qu’il résulte des expressions de Jacob, prédisant à ses enfants ce qui leur devait arriver après sa mort ? La tribu de Juda portait un lion, puisque Jacob dit au chef de cette tribu, catulus leonis Juda ; la tribu de Zabulon une ancre, Issachar un âne, Dan un serpent, Gad un homme armé, Siméon une épée, Aser des tourteaux, Nephthali un cerf élevé. Joseph n’avait-il pas pour armoirie un soleil et une lune avec des pommes d’or, Ephraïm une tête de taureau, Manassès des cornes de rhinocéros, Ruben des Mandragores ?
Ouvrons le livre, ou, comme le dit l’auteur dans sa dédicace, le livret de Philippas d’Aquin, aux explications du camp des Israélites, nous y trouverons une curieuse gravure sur bois représentant les douze tribus avec leurs drapeaux armoriés.
Chaque tribu avait sa pierre sur le pectoral du pontife ; cette pierre précieuse, de couleur distincte, donnait le fond de chaque drapeau, et sur chaque drapeau il y avait l’un des signes énumérés tout à l’heure, et qui rappelait un souvenir cher à la tribu.
Le P. Petra Sancta, l’ingénieux inventeur, comme nous le verrons plus tard, de l’emploi des différents traits pour exprimer les couleurs, veut, lui, que ce soient les Assyriens qui les premiers aient trouvé les armoiries. Nemrod, en effet, portait pour ornement et pour signum de sa puissance un bélier ; les armes des rois d’Assyrie étaient une colombe d’argent, et c’est peut-être à ce blason des rois et reines de Babylone, de Ninus, de Sémiramis et de Nabuchodonosor, que le prophète Jérémie fait allusion dans ces paroles aux Juifs : Dereliquit quasi leo umbraculum suum, quia facta est terra eorum in desolationem, à facie irœ colombœ et à facie irœ furoris ejus. Janus portait un sceptre royal surmonté d’un œil ouvert ; Anubis, un chien passant ; un aigle d’or était le blason royal des Mèdes.
N’allez pas croire cependant que dès ces temps là les armoiries et le blason existassent formés de toutes pièces. Non, ils n’étaient encore qu’à l’état d’emblèmes ; l’art héraldique ne les coordonnait pas encore et n’écrivait point avec eux les relations des faits historiques comme dans le moyen âge. Il n’y avait là rien de fixe, d’assuré, d’héréditaire ; chaque guerrier faisait choix du signe qui s’adaptait le mieux à sa conformation physique ou à son caractère, et le fils n’était nullement tenu de conserver le signe paternel.
L’emblématique, car c’est le nom qu’il faut donner à cette mode, bien différente de l’art héraldique, traversa les républiques grecque et romaine, et y prit de l’extension ; Eschyle nous décrit les boucliers des sept chefs qui combattirent devant Thèbes, et tous les sept portaient un attribut distinctif :
Le peuple, dit le père de la tragédie grecque, dans ses sept Chefs, le peuple aux boucliers blancs, s’élance en bon ordre, en faisant entendre son cri de guerre, au delà de nos remparts, marchant sur notre ville.
Sept chefs de l’armée, distingués par l’éclat de leurs armures guerrières, sont à la tête des différents corps.
Le premier chef, celui qui doit attaquer les portes de Prætus, c’est Tydée.
Poussant des cris énergiques, il agite trois aigrettes ombreuses qui flottent comme une chevelure de son casque ; des clochettes d’airain, suspendues à son bouclier, sonnent l’épouvante. Il a sur ce même bouclier cet emblème fastueux : le ciel ciselé, flamboyant d’étoiles ; puis, au milieu, l’on remarque plein d’éclat l’œil de la nuit, le premier des astres.
Le second chef qui attaquera la porte d’Électre, c’est Capanée.
Il a pour emblème un homme nu, armé de feu, et dans les mains duquel brille une torche ; il crie en lettres d’or (voilà bien l’âme de la devise) : Je brûlerai la ville.
Le troisième chef porte un bouclier orné d’emblèmes extraordinaires : c’est un homme armé de toutes pièces, qui monte les degrés d’une échelle pour renverser la tour de l’ennemi ; et il crie en lettres d’or : Que Mars même ne le repousserait pas.
Le quatrième chef tourne un grand cercle lumineux, c’est l’orbe de son bouclier.
Et ce n’était pas un mauvais peintre d’emblèmes qui a représenté sur son bouclier Typhon vomissant une noire fumée de sa bouche au souffle de feu ; puis autour du cercle creux de ce bouclier sont incrustés des serpents entrelacés.
Étéocle opposera Hyperbius à ce cinquième chef ; Hyperbius qui porte aussi un emblème sur son bouclier :
Sur le bouclier d’Hyperbius on voit, fermement assis, Jupiter tenant un trait enflammé dans sa main.
Le cinquième chef porte aussi son emblème sur son bouclier d’airain, rempart circulaire de son corps :
Le sphinx sanguinaire, opprobre de cette ville, doué et resplendissant d’un éclat qui éblouit. Le monstre tient un enfant de Cadmus sous ses griffes, qui sont autant de pointes acérées dirigées contre sa victime.
Le sixième chef est un devin plein de sagesse qui ne porte point d’emblème sur son écu ; il ne veut point s’annoncer pour brave, mais il veut l’être.
Le septième chef est le propre père d’Étéocle ; voici la description de son bouclier.
Il a un bouclier de forme nouvelle, bien fait, portant un double emblème habilement fixé qui représente une femme guidant un guerrier ciselé en or ; elle modère ses pas et dit (dans l’âme de la devise) : Je suis la justice, je ranimerai cet homme ; je lui rendrai sa patrie et l’héritage de ses pères.
Les Argonautes, qui, sous la conduite de Jason, prirent part à la conquête de la Toison d’or, avaient tous adopté un symbole particulier.
Alexandre le Grand, voulant honorer ceux de ses capitaines et soldats qui s’étaient distingués par quelques actions d’éclat, leur accorda certains emblèmes particuliers qu’ils devaient porter sur leurs armes ; il défendit expressément au reste de ses sujets de prendre ces distinctions sans une autorisation formelle de sa part, et se réserva exclusivement le droit de les conférer.
Virgile et Ovide nous représentent leurs héros portant sur leurs boucliers et sur leurs casques diverses figures qui les faisaient aisément reconnaître dans les combats.
Énée est monté sur un rocher après une tempête qui a dispersé sa flotte, et il cherche s’il ne reconnaîtrait pas quelques-uns de ses navires aux signes distinctifs, aux symboles (arma) peints sur la poupe de celui de Lapys, par exemple, ou de celui de Caïcus.
On voit qu’arma ne veut pas dire ici directement armes de guerre offensives, mais bien insignes, et le mot arma me semble en ce sens bien significatif.
Les Samnites, dit Tite-Live, s’ingénièrent à relever l’éclat de leurs troupes par des armes ornées d’emblèmes nouveaux. Ils formèrent deux légions, dont l’une était armée de boucliers d’argent, et l’autre de boucliers d’or.
Tous les peuples ont eu des symboles figurés ou enseignes nationales ; pour étendards ils avaient généralement adopté des figures d’animaux, soit pour rappeler d’anciennes traditions, soit pour inspirer la terreur :
Les Athéniens avaient une chouette ;
Les Thraces, une mort ;
Les Carthaginois avaient une tête de cheval ;
Le symbole des Daces était un dragon ;
Celui des Saxons, un coursier bondissant ;
Celui des Goths, un ours ;
Le chef des druides avait des cerfs pour emblème ; les druides du collège d’Autun (apparemment à cause de la vertu qu’ils attribuaient à l’œuf du serpent), avaient, disent nos vieux blasonneurs, pour symbole, d’azur, à deux serpents d’argent surmonté d’un gui de chêne, garni de ses glands de sinople. (Pardon, si je me sers ici de termes que vous ne comprenez peut-être pas encore ; mais veuillez vous donner la peine de me lire jusqu’au bout, et j’ose espérer qu’ils ne seront plus pour vous une énigme.)
Les Romains eurent la louve, le corbeau, puis l’aigle.
Les légions avaient, chacune, un symbole particulier, une figure emblématique qui lui était propre et exclusive.
Il y avait, entre autres, la légion foudroyante et la légion dragonnaire, ainsi nommées parce que les soldats de l’une avaient un foudre sur leur bouclier, et les soldats de l’autre un dragon. C’était en même temps le symbole fixé au sommet de l’étendard de chacune.
Les Gaulois, auxiliaires de César, avaient pour signe l’alouette, hiéroglyphe de la vigilance. Leurs boucliers étaient aussi ornés de figures d’animaux.
Les Parthes, pour se distinguer, dessinaient des lettres sur leurs habits.
Aux Thermopyles, dit Pausanias, les Gaulois ne pouvaient se reconnaître, la nuit étant trop sombre pour qu’ils distinguassent les figures peintes sur leurs boucliers.
Les Germains, selon Tacite, avaient de semblables figures.
Les légions bretonnes, au service de Rome, portaient sur leurs boucliers l’étoile, le croissant, le griffon, le dragon à deux têtes, le serpent à deux têtes, et autres figures héraldiques.
Les premiers Gaulois qui parurent à Rome comme gladiateurs avaient un poisson (un dragon ?) au cimier de leur casque, et étaient appelés mirmillons.
Les races celtiques qui habitaient les montagnes de la Calédonie connaissaient, de temps immémorial, l’usage des armoiries. Les clans écossais se cueillaient sur leurs landes et dans leurs montagnes des armoiries végétales d’une triste et vivace verdure : l’if funèbre, le pin aux feuilles en flèches, le houx piquant comme une claymore, le gui qui vit d’autrui, le chardon qui accroche volontiers le passant du Border. Trois plumes de l’aile d’un aigle distinguaient le chef, deux le capitaine, une le simple guerrier.
Les Francs aussi, sous la première et la seconde race, avaient pour enseignes nationales un lion. Le lion est l’emblème de la force et de la domination. Le palais de nos rois contenait ordinairement un palais des lions. Les villes reines de Gand, de Bayon et de Berne, nourrissaient des lions, des ours, vivantes et rugissantes armoiries. Ces animaux nationaux étaient nourris aux frais de l’État, comme les animaux sacrés de l’Égypte et les fétiches des nègres. Une féodale abbaye de Flandre entretenait un aigle immortel (perpetua aquila). À Amiens, et ailleurs, nageaient en liberté les cygnes du roi, non moins blancs, non moins royaux que les lis.
Pour démontrer d’une manière plus évidente encore que nous n’avons été que des imitateurs en fait de distinctions sociales et d’armoiries, jetons un rapide coup d’œil sur les principales marques d’honneur chez les Romains. Nous verrons les mœurs, les coutumes, les récompenses changer de nature dans la société catholique féodale ; mais au fond ne sont-ce pas toujours les mêmes principes de distinction ? Un seul élément nouveau mérite d’y être signalé : c’est l’influence de la femme, dont la condition était si abaissée dans l’antiquité, et que releva au moyen âge le sentiment chrétien et l’esprit germanique.
Aristocratie de naissance, nobiles, illustres, speciosi, splendidi ; chevalerie, ordo eguestris ; droit d’armoiries même, jus imaginum, et usage des anneaux gravés, nous retrouvons à Rome toutes les distinctions sociales qui prévalurent au moyen âge mais au moyen âge elles étaient dégagées de cet ignoble polythéisme, de ce sensualisme désordonné que devait renverser la loi de Jésus-Christ. Ceux qui avaient exercé des magistratures Curules, telles que celles de consul, de préteur, de censeur ou d’édile curule ; ceux aussi dont les ancêtres avaient exercé ces fonctions honorables étaient appelés NOBILES. Ils jouissaient du droit de faire dessiner leurs images, JUS IMAGUM ; leurs descendants les conservaient avec un soin extrême, et les faisaient porter devant eux aux funérailles.
Au bas de ces images on faisait inscrire les honneurs, titres et exploits par lesquels on s’était illustré.
Ce droit d’images fut d’abord accordé aux seuls patriciens (patrons ayant clients ou protégés) ; mais les plébéiens l’obtinrent dans la suite, lors de leur admission aux dignités curules.
L’ordre des chevaliers romains a été un ordre distinct dès le commencement de la république romaine. Ces chevaliers étaient choisis parmi les patriciens et les plébéiens indistinctement.
On nommait illustres, speciosi, splendidi, ceux qui descendaient des anciennes familles. Une assez grande fortune était exigée pour entrer dans l’ordre des chevaliers.
Les marques distinctives d’un chevalier romain étaient, 1° un cheval donné par la république ; 2° un anneau d’or ; 3° la tunique amusa clavia ; 4° une place réservée au spectacle.
Les chevaliers remplirent quelque temps les fonctions de juges, et ils prirent à ferme les revenus publics.
Tous les ans, à Rome, le 15 juillet, il se faisait une cavalcade de chevaliers ; ils portaient dans leurs mains les ornements militaires (ce sont bien là de vraies décorations) qu’ils avaient reçus des généraux pour prix de leur valeur.
Puis ils passaient la revue du censeur ; si quelques chevaliers étaient déréglés dans leurs mœurs, s’ils avaient diminué leur fortuné ou mal soigné leurs chevaux, le censeur ordonnait que ces chevaux fussent vendus, ce qui annonçait la dégradation de l’ordre équestre.
On donnait le nom d’equestris ordinis princeps au chevalier dont le nom était le premier inscrit dans le livre du censeur.
La lettre qui garnissait le cothurne du sénateur était une marque distinctive qui, avec les autres insignia, servait à mettre en relief celui qui concourait à donner les lois au peuple, celui qui avait mission de veiller à la sûreté de l’État, celui que sa position plaçait dans les rangs de l’aristocratie.
Les sénateurs avaient pour marques distinctives (insignia), 1° le laticlave, latus clavus, ou tunica lati clavia, c’est-à-dire une tunique ou veste bordée sur le devant d’une bande de pourpre semblable à un ruban. Cette espèce de frange avait une certaine largeur pour la distinguer de celle des chevaliers qui la portaient étroite ; 2° des cothurnes noirs, espèce de chaussure qui atteignait le milieu de la jambe, et qui était garnie d’une lettre G en argent placée sur le haut du pied : de là calceos mutare, devenir sénateur ; 3° une place particulière au spectacle, appelée orchestra.
Enfin, les plus braves parmi les guerriers étaient distingués par des couronnes civiques, les enfants nobles par des robes de pourpre et des bulles d’or qu’ils portaient au cou.
Si de ces insignes, de ces marques distinctives, nous passons à l’usage des anneaux, c’est ici que nous trouverons des habitudes, des coutumes qui offrent les rapports les plus frappants avec l’usage des armoiries et des cachets armoriés. Le cachet, chargé d’emblèmes, se transmettait dans la famille, et l’emblème d’un grand n’aurait point été impunément adopté par un autre.
Aucun bijou n’était plus généralement porté que ces anneaux ou bagues (annuli) ; il paraît que cet usage avait été emprunté des Sabins. Les sénateurs et les chevaliers portaient des anneaux d’or, ainsi que les tribuns légionnaires.
Les plébéiens portaient des anneaux de fer, à moins qu’ils n’eussent obtenu des anneaux d’or pour leur bravoure à la guerre ou pour quelques services importants. Sous les empereurs on accorda plus facilement cette distinction, et souvent pour des raisons frivoles.
Les bagues étaient enrichies de pierres précieuses ; on y faisait graver le portrait de ses ancêtres, de ses amis, de quelque prince ou de quelque homme célèbre, l’emblème de quelque événement remarquable ou d’autres pareils sujets. Sylla s’était fait faire une bague où Bocchus, roi de Mauritanie, était représenté lui livrant Jugurtha, cause première de sa rivalité avec Marius. Sur la bague de Pompée étaient gravés trois trophées, emblèmes de ses trois triomphes sur les trois parties du monde. La figure d’une Vénus armée ornait l’anneau de César. Auguste eut d’abord un sphinx gravé sur son anneau, puis la figure d’Alexandre, puis enfin la sienne. Ses successeurs continuèrent à se servir de son anneau.
On se servait ordinairement du chaton des bagues pour sceller les lettres et les dépêches.
On donnait son anneau pour gage de concours à une action collective : donc cet anneau avait un emblème particulier.
Cet amour des distinctions est tellement inné au cœur de l’homme, que le blason, simple ou compliqué, a dû toujours exister (et vous comprenez bien la différence qui existe entre l’un et l’autre : le premier est celui des temps anciens, à l’état d’emblématique ; le second, comme art héraldique, appartient au moyen âge). Quand Christophe Colomb revint des Caraïbes, on annonça qu’il en avait trouvé l’usage en vigueur chez les peuples d’au delà de la mer océane. Il y avait dans cette annonce beaucoup de cette exagération commune aux Espagnols ; il n’y avait pas cependant erreur complète ; car bien au delà de la mer océane, au delà des Amériques, dites-moi ce que les Polynésiens sculptent sur leurs visages, sur leurs corps, si ce ne sont des armoiries ? Là-bas, le visage d’un guerrier est un écu ; chaque linéament n’y est tracé qu’après un combat et en souvenir d’un ennemi tué et mangé. Les chefs, les rois, portent un tatouage plus serré que celui de leurs sujets : ce tatouage est leur sceau. S’ils vendent, s’ils concèdent à un étranger un terrain, un objet, et qu’il y ait lieu à dresser un contrat de vente, ces hommes, qui ne savent pas écrire, le signent cependant : ils trempent un morceau de bois dans l’encre, et avec ce morceau de bois ils tracent d’une main ferme, au bas du contrat, l’image, le dessin fidèle du tatouage de leur figure : n’est-ce pas une espèce de blason ?
J’ai eu hâte déjà de vous avertir de prendre bien garde à la différence qui existe entre ce qu’on a volontiers confondu avec le blason, ou art héraldique du moyen âge, c’est-à-dire les images symboliques, les représentations figurées, l’emblématique enfin des temps anciens, tant je craignais que vous ne vinssiez à vous méprendre à cause de la similitude que peuvent offrir ces deux choses ; au moyen âge, le blason est devenu un art régulier, une science formulée, et surtout les distinctions adoptées se sont transmises sans altération, héréditairement, de générations en générations, comme une partie, et la plus importante même du patrimoine paternel ; et le droit d’aînesse, qui régissait l’ordre de succession, s’est étendu, comme nous le verrons plus tard, aux armoiries, auxquelles les cadets ont dû faire une brisure en signe d’infériorité.
Il est bien évident maintenant pour nous que la plupart des auteurs qui ont écrit sur les armoiries en général, n’en ont fait remonter l’origine jusqu’à l’antiquité, la plus reculée que parce qu’ils les ont confondues avec les images symboliques, qui, dès les premiers temps, furent employées dans les enseignes militaires des nations et dans l’armure des guerriers. On convient aujourd’hui qu’à les considérer précisément comme des marques héréditaires de noblesse et de dignité, l’usage n’en saurait être plus ancien que le XIe siècle.
Mais quelle circonstance a donné naissance à l’art héraldique ? à quelle institution se rattache l’origine réelle des armoiries ? Ici la question se complique, et les critiques se divisent.
Les uns en rapportent l’origine aux tournois, où ceux qui se présentaient pour entrer en lice prouvaient la noblesse de leur extraction par l’écu de leurs armes ; les autres prétendent que les armoiries furent introduites à l’occasion des croisades, où la différence des bannières servit à distinguer les chevaliers et à faciliter le ralliement de leurs vassaux ; d’autres, enfin, ne veulent les rattacher ni à la chevalerie, ni à la fréquence des tournois et des pas d’armes, mais bien au désir qu’eut alors la noblesse issue de l’aristocratie créée par les fiefs, de se distinguer de la nouvelle par des témoignages d’une grandeur de race. Le partage rapide des patrimoines (1068 à 1074) forçait le gentilhomme à se contenter d’une portion de terre bien plus petite qu’autrefois. Les bourgeois acquéraient des richesses nouvelles par le commerce, par l’industrie ; les conditions semblaient plus rapprochées, et les nobles, envieux de l’élévation de ces parvenus, cherchèrent à se séparer d’eux par des barrières artificielles.
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