U n e M E R d e B O U C L I E R S
(TOME 10 de l’ANNEAU DU SORCIER)
Morgan Rice
À propos de Morgan Rice
Morgan Rice est l'auteur à succès n 1 et l'auteur à succès chez USA Today de la série d'épopées fantastiques L'ANNEAU DU SORCIER, qui compte dix-sept tomes, de la série à succès n°1 SOUVENIRS D'UNE VAMPIRE, qui compte onze tomes (pour l'instant), de la série à succès n°1 LA TRILOGIE DES RESCAPÉS, thriller post-apocalyptique qui contient deux tomes (pour l'instant) et de la nouvelle série d'épopées fantastiques ROIS ET SORCIERS. Les livres de Morgan sont disponibles en édition audio et papier, et des traductions sont disponibles en plus de 25 langues.
TRANSFORMATION (Livre # 1 de Mémoires d'une vampire), ARÈNE UN (Livre # 1 de la Trilogie des rescapés) et LA QUÊTE DE HÉROS (Livre # 1 dans L'anneau du sorcier) et LE RÉVEIL DES DRAGONS (Livre # 1 de Rois et sorciers) sont disponibles en téléchargement gratuit!
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Quelques acclamations pour l’œuvre de Morgan Rice
« L'ANNEAU DU SORCIER a tous les ingrédients d'un succès immédiat : des intrigues, des contre-intrigues, du mystère, de vaillants chevaliers et des relations qui s’épanouissent entre les cœurs brisés, les tromperies et les trahisons. Ce roman vous occupera pendant des heures et satisfera toutes les tranches d'âge. À ajouter de façon permanente à la bibliothèque de tout bon lecteur de fantasy. »
--Books and Movie Reviews, Roberto Mattos
« [Une] épopée de fantasy passionnante. »
—Kirkus Reviews
« Les prémices de quelque chose de remarquable … »
--San Francisco Book Review
« Bourré d'action… L'écriture de Rice est consistante et le monde intrigant. »
--Publishers Weekly
« Une épopée inspirée… Et ce n'est que le début de ce qui promet d'être une série épique pour jeunes adultes. »
--Midwest Book Review
Du même auteur
ROIS ET SORCIERS
LE RÉVEIL DES DRAGONS (Livre n 1)
LE RÉVEIL DU VAILLANT (Livre n 2)
LE POIDS DE L'HONNEUR (Livre n 3)
UNE FORGE DE BRAVOURE (Livre n 4)
L'ANNEAU DU SORCIER
LA QUÊTE DES HÉROS (Tome 1)
LA MARCHE DES ROIS (Tome 2)
LE DESTIN DES DRAGONS (Tome 3)
UN CRI D'HONNEUR (Tome 4)
UNE PROMESSE DE GLOIRE (Tome 5)
UN PRIX DE COURAGE (Tome 6)
UN RITE D'ÉPÉES (Tome 7)
UNE CONCESSION D'ARMES (Tome 8)
UN CIEL DE SORTILÈGES (Tome 9)
UNE MER DE BOUCLIERS (Tome 10)
UN RÈGNE D'ACIER (Tome 11)
UNE TERRE DE FEU (Tome 12)
UNE LOI DE REINES (Tome 13)
UN SERMENT FRATERNEL (Tome 14)
UN RÊVE DE MORTELS (Tome 15)
UNE JOUTE DE CHEVALIERS (Tome 16)
LE DON DE BATAILLE (Tome 17)
LA TRILOGIE DES RESCAPÉS
ARÈNE UN : LA CHASSE AUX ESCLAVES (Tome 1)
DEUXIÈME ARÈNE (Tome 2)
MÉMOIRES D'UN VAMPIRE
TRANSFORMATION (Tome 1)
ADORATION (Tome 2)
TRAHISON (Tome 3)
PRÉDESTINATION (Tome 4)
DÉSIR (Tome 5)
FIANÇAILLES (Tome 6)
SERMENT (Tome 7)
TROUVÉE (Tome 8)
RENÉE (Tome 9)
ARDEMMENT DESIRÉE (Tome 10)
SOUMISE AU DESTIN (Tome 11)
Écoutez L’ANNEAU DU SORCIER en format audio!
Copyright © 2013 par Morgan Rice
Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d'auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l'autorisation préalable de l'auteur.
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Il s'agit d'une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les événements et les incidents sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n'est que pure coïncidence.
Image de couverture : Copyright Razzomgame, utilisée en vertu d'une licence accordée par Shutterstock.com.
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE UN
CHAPITRE DEUX
CHAPITRE TROIS
CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE CINQ
CHAPITRE SIX
CHAPITRE SEPT
CHAPITRE HUIT
CHAPITRE NEUF
CHAPITRE DIX
CHAPITRE ONZE
CHAPITRE DOUZE
CHAPITRE TREIZE
CHAPITRE QUATORZE
CHAPITRE QUINZE
CHAPITRE SEIZE
CHAPITRE DIX-SEPT
CHAPITRE DIX-HUIT
CHAPITRE DIX-NEUF
CHAPITRE VINGT
CHAPITRE VINGT-ET-UN
CHAPITRE VINGT-DEUX
CHAPITRE VINGT-DEUX
CHAPITRE VINGT-QUATRE
CHAPITRE VINGT-CINQ
CHAPITRE VINGT-SIX
CHAPITRE VINGT-SEPT
CHAPITRE VINGT-HUIT
CHAPITRE VINGT-NEUF
CHAPITRE TRENTE
CHAPITRE TRENTE-ET-UN
CHAPITRE TRENTE-DEUX
CHAPITRE TRENTE-TROIS
CHAPITRE TRENTE-QUATRE
CHAPITRE TRENTE-CINQ
CHAPITRE TRENTE-SIX
CHAPITRE TRENTE-SEPT
CHAPITRE TRENTE-HUIT
CHAPITRE TRENTE-NEUF
CHAPITRE QUARANTE
CHAPITRE QUARANTE-ET-UN
CHAPITRE QUARANTE-DEUX
CHAPITRE QUARANTE-TROIS
CHAPITRE QUARANTE-QUATRE
Westmorland : « Oh, lors que n’avons ici
Rien que dix mille de ces hommes d’Angleterre
Qui n’ont d’ouvrage ce jour ! »
Henri V : « Non, mon beau cousin.
Moins nombreux les hommes, plus grande la part d’honneur.
Gré de Dieu, je te prie, ne souhaite homme de plus. »
--William Shakespeare
Henri V
Gwendolyn pleurait et hurlait, déchirée par la douleur.
Étendue sur le dos dans un champ de fleurs sauvages, le ventre plus douloureux qu’elle ne l’aurait cru possible, elle poussait et se tordait pour tenter de faire sortir le bébé. Une partie d’elle voulait tout arrêter, espérait avoir le temps de rejoindre la sécurité avant d’accoucher. Toutefois, au fond d’elle, elle savait que le bébé allait arriver d’un instant à l’autre, qu’elle le veuille ou non.
S’il vous plait, mon Dieu, pria-t-elle. Donne-moi quelques heures. Laisse-moi rejoindre une maison d’abord.
Mais Dieu en avait décidé autrement. Gwendolyn sentit une vague de douleur la traverser de part en part et renversa la tête. Le bébé se retourna en elle, tout près de sortir. Elle ne pourrait jamais l’arrêter.
Au lieu de lutter, elle se mit à pousser, en se forçant à prendre de grandes inspirations, comme les sages-femmes le lui avaient demandé. Cela n’avait pas l’air de marcher et Gwen poussa un gémissement d’agonie.
De nouveau, elle s’assit sur son séant pour apercevoir un signe d’humanité.
— À L’AIDE ! cria-t-elle à pleins poumons.
Aucune réponse ne vint. Gwen demeura allongée seule au milieu d’un champ, loin de toute vie, son cri perdu entre les arbres et emporté par le vent.
Gwen voulait se montrer forte mais elle était terrifiée. Pas vraiment pour elle, surtout pour le bébé. Qu’arriverait-il si personne ne la trouvait ? Même si elle finissait par accoucher toute seule, aurait-elle ensuite la force de quitter cet endroit avec son bébé ? Elle commençait à penser qu’elle mourrait ici avec son fils.
Le souvenir des Limbes traversa son esprit. La libération de Argon. Le choix que Gwen avait dû faire. Le sacrifice. La terrible décision qu’elle avait été forcée de prendre : son bébé ou son mari. En se rappelant son choix, Gwen se remit à pleurer. Pourquoi la vie demandait-elle toujours des sacrifices ?
Gwen retint sa respiration quand le bébé s’étira dans son ventre. La douleur lui transperça le corps du crâne jusqu’aux orteils. Elle eut soudain l’impression d’être un vieux chêne, scié en deux par un bûcheron.
Elle renversa la tête, le regard tourné vers le ciel et la bouche ouverte sur un cri. Elle tâcha de s’imaginer n’importe où ailleurs, essaya de conjurer une image dans sa tête, quelque chose qui lui apporterait un sentiment de paix.
Elle pensa à Thor. Elle se vit avec lui, le jour de leur première rencontre, tous deux marchant dans les champs, les mains nouées entre leurs deux corps, en compagnie de Krohn qui gambadait. Elle prit soin de donner vie à ce tableau et de se concentrer sur les détails.
Cela ne marchait pas… Elle ouvrit les yeux dans un sursaut, comme une pointe de douleur la ramenait à la réalité. Comment était-elle arrivée là, toute seule ? Aberthol. Aberthol lui avait parlé de sa mère mourante et Gwen s’était précipitée pour lui rendre visite. Sa mère était-elle en train de mourir ?
Gwen poussa soudain un hurlement. En baissant les yeux, elle vit la tête du bébé apparaître. Elle s’allongea à nouveau, poussa, poussa, poussa, le visage écarlate.
Enfin, elle sentit que c’était fini et un cri perça le silence.
Le cri d’un bébé.
Le ciel se couvrit alors de nuages. Sans aucun signe avant-coureur, l’agréable journée d’été se transforma en nuit d’hiver. Sous les yeux de Gwen, les deux soleils disparurent soudain, éclipsés par les deux lunes.
Une éclipse totale des deux soleils. Gwen en croyait à peine ses yeux : cela n’arrivait qu’une fois tous les dix mille ans !
À sa grande horreur, elle se retrouva plongée dans l’obscurité. Soudain, des éclairs zébrèrent le ciel noir et Gwen sentit des gravillons de glace la bombarder. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait de grêle.
Tout cela arrivait au moment de la naissance de son fils. Gwen le savait : c’était un présage. L’enfant serait plus puissant qu’elle ne pouvait l’imaginer. Il venait d’un autre royaume.
Il pleurait. Gwen tendit instinctivement les bras pour l’attirer contre sa poitrine avant qu’il ne glisse dans l’herbe et la boue, pour le protéger de la grêle.
Il poussa un gémissement et la terre se mit à trembler sous le corps de Gwen. Au loin, d’énormes rochers dégringolèrent des hauteurs de la montagne. Gwen eut l’impression de sentir le pouvoir de son enfant courir à travers elle, avant de se répandre dans tout l’univers.
Elle le serra contre elle, plus faible à chaque instant : elle perdait trop de sang. La tête lui tournait. Elle n’aurait jamais assez de force pour se relever, pour retenir son enfant qui ne cessait de pleurer contre sa poitrine. Ses jambes ne la portaient plus.
Elle allait mourir ici, dans ce champ, avec son enfant. Elle ne se souciait plus de sa propre vie, mais elle ne pouvait imaginer la mort de son enfant.
— NON ! hurla-t-elle en rassemblant ses dernières forces pour que son cri de protestation atteigne les cieux.
Elle renversa la tête, étendue sur le sol, quand un cri répondit au sien. Non pas un cri humain, mais celui d’une ancienne créature.
Gwen se sentit partir. En levant les yeux, elle vit quelque chose apparaître dans le ciel, comme une hallucination. Une bête immense, qui plongea vers elle. Gwen réalisa faiblement qu’elle connaissait cette bête et qu’elle l’aimait.
Ralibar.
Avant de ses paupières ne se ferment, elle vit Ralibar piquer vers elle : ses grands yeux verts, ses vieilles écailles écarlates, ses serres tendues vers Gwendolyn…
Luanda restait frappée d’effroi devant le cadavre de Koovia, le poing encore fermé sur la dague ensanglantée. Elle pouvait à peine comprendre son propre geste.
Un silence s’était abattu sur le hall et tous la regardaient sans broncher, stupéfaits, en jetant parfois un coup d’œil au corps de Koovia à ses pieds. L’intouchable Koovia, le grand guerrier du royaume McCloud, qui ne le cédait qu’au Roi McCloud lui-même. La tension était si épaisse qu’on aurait pu la couper avec un couteau.
Luanda était la plus choquée de tous. La paume de sa main, celle qui tenait encore la dague, lui semblait brûler. Une vague de chaleur la traversait, consumant à la fois son excitation et sa terreur à l’idée d’avoir tué un homme. Elle en était presque fière, fière d’avoir pu arrêter ce monstre avant qu’il ne lève la main sur son mari ou sur la mariée. Il l’avait bien mérité. Tous ces McClouds n’étaient que des sauvages.
Un cri perça le silence. En levant les yeux, Luanda vit un guerrier, le compagnon de Koovia, s’élancer à travers la pièce, le regard enflammé par la vengeance. Il brandit son épée, prêt à la poignarder en pleine poitrine.
Encore étourdie par son propre geste, Luanda ne sut réagir et le guerrier plongea vers elle. Elle se prépara au choc : bientôt, une lame lui percerait le cœur. Luanda n’en avait que faire. Elle avait tué cet homme et rien ne lui importait plus…
Elle ferma les yeux, prête à mourir… À sa grande surprise, un fracas métallique retentit.
Bronson avait fait un pas en avant et paré le coup avec son épée. Luanda resta stupéfaite : elle n’aurait jamais imaginé qu’il ait une telle force de caractère ou qu’il soit capable d’arrêter un coup si puissant avec une seule main valide. La tendresse qu’il éprouvait encore à son égard la surprenait plus que tout le reste : il était prêt à risquer sa vie pour elle.
Bronson fit adroitement tournoyer son épée. Même avec une seule main, il avait suffisamment d’adresse et de force pour poignarder le guerrier en plein cœur, tuant son adversaire sur le coup.
Luanda en crut à peine ses yeux. Encore une fois, Bronson lui sauvait la vie. Elle sentit une vague d’amour et de gratitude la traverser. Peut-être était-il plus fort qu’elle ne l’avait imaginé…
Des cris retentirent de tous côtés, alors que McClouds et MacGils se jetaient les uns sur les autres, pressés de savoir lesquels d’entre eux sortiraient vainqueurs. Les fausses civilités qui avaient émaillées les noces et le banquet disparaissaient définitivement. C’était la guerre : guerriers contre guerriers échauffés par la boisson et la rage, devant l’affront commis par ce McCloud qui avait osé lever la main sur la mariée.
Les hommes bondirent par-dessus les longues tables, pressés de tuer, et se jetèrent les uns sur les autres, toutes lames dehors, avant de rouler sur les assiettes, renversant le vin et la nourriture. Il y avait tant de monde que les combattants étaient au coude à coude et avaient à peine assez de place pour manœuvrer. Bientôt un chaos sanglant prit d’assaut le hall.
Luanda tâcha de reprendre ses esprits. Tout allait si vite ! Motivés par la soif de sang, les hommes grouillaient autour d’elle. Cependant, aucun d’entre eux ne prit le temps d’observer ce qui se passait réellement. Luanda, elle, embrassa la scène du regard. Elle seule remarqua les McClouds qui se glissaient aux quatre coins de la pièce, verrouillant les portes une par une, avant de s’éclipser.
Les cheveux de Luanda se dressèrent sur sa nuque quand elle comprit ce qui se passait. Les McClouds enfermaient les invités dans le hall et fuyaient pour une raison connue d’eux seuls. Les yeux écarquillés d’effroi, elle les vit se saisir de torches et comprit avec horreur qu’ils avaient l’intention de brûler le hall et tous les invités – même leurs propres soldats.
Elle aurait dû savoir… Les McClouds étaient impitoyables. Ils auraient fait n’importe quoi pour remporter la victoire.
Luanda balaya la pièce du regard. Une porte demeurait encore ouverte.
Elle se jeta dans la mêlée pour l’atteindre, poussant les hommes à coups de coude. Un McCloud se précipita, lui aussi, et elle accéléra l’allure, bien décidée à ne pas le laisser faire.
Le McCloud ne la vit pas venir. Il tendit la main vers la poutre de bois, prêt à barrer la porte. Luanda le chargea en brandissant sa dague et le poignarda dans le dos.
L’homme poussa un cri strident, la tête renversée, avant de s’écrouler.
Luanda saisit la poutre et la jeta au loin, ouvrit la porte à la volée et se précipita dehors.
Elle attendit quelques secondes, le temps que son regard s’habitue à l’obscurité. Enfin, elle aperçut les McClouds regroupés à l’extérieur, armés de torches. Ils étaient sur le point de mettre le feu. Luanda resta pétrifiée d’horreur. Elle ne pouvait pas les laisser faire !
Elle tourna les talons et plongea à nouveau dans la mêlée, à la recherche de Bronson qu’elle tira loin de la bagarre.
— Les McClouds ! s’écria-t-elle. Ils se préparent à brûler le hall ! Aide-moi ! Fais-les sortir ! MAINTENANT !
Quand il comprit ce qui se passait, Bronson écarquilla les yeux d’horreur. Sans hésiter un seul instant, il se précipita vers les chefs MacGils, les tira loin du conflit et se mit à hurler en montrant frénétiquement la porte ouverte. Tous suivirent des yeux son doigt tendu. Quand ils comprirent, ils s’empressèrent de rallier leurs hommes.
À la grande satisfaction de Luanda, les MacGils mirent fin au combat et coururent vers la porte ouverte.
Alors qu’ils s’organisaient, Luanda et Bronson ne perdirent pas un seul instant. Ils se précipitèrent vers la porte qu’à leur grande horreur, un autre McCloud tentait de verrouiller. Cette fois, ils n’arriveraient pas à temps pour l’arrêter…
Bronson réagit très vite. Il leva son épée, prit son élan et la jeta.
La lame vola à travers les airs et tournoya sur elle-même avant de se planter dans le dos du McCloud.
Celui-ci poussa un hurlement et s’écroula. Bronson se précipita pour ouvrir à nouveau la porte.
Par douzaines, les MacGils coururent vers eux et les rejoignirent. Lentement, le hall se vida, à mesure que les hommes fuyaient, sous les regards éberlués des soldats McClouds qui se demandaient pourquoi leurs ennemis quittaient le champ de bataille.
Quand tous furent dehors, Luanda referma la porte, verrouillant la porte de l’extérieur avec l’aide de quelques hommes, barrant la route aux McClouds restés à l’intérieur.
Les hommes qui s’apprêtaient à brûler le hall finirent par remarquer l’agitation. Ils lâchèrent leurs torches et se saisirent de leurs épées.
Bronson et ses compagnons ne leur en laissèrent pas le temps. Ils chargèrent à leur tour, de tous côtés, tuant les hommes qui se débattaient avec leurs armes, embarrassés par les torches. Cependant, la plupart des soldats McClouds étaient toujours à l’intérieur et le petit groupe qui se trouvait à l’extérieur ne faisait pas le poids face aux MacGils enragés, qui les tuèrent rapidement.
Luanda s’approcha de Bronson. Les hommes MacGils, essoufflés et heureux d’en réchapper, se tournèrent vers elle avec un respect renouvelé : ils savaient qu’ils lui devaient la vie.
Des coups se firent entendre alors contre les portes : les McClouds piégés à l’intérieur tentaient de fuir. Les MacGils se tournèrent lentement vers Bronson, l’air incertain.
— Il faut réprimer la rébellion, dit Luanda avec force. Tu dois les traiter comme ils nous auraient traités : avec brutalié.
Bronson cligna des yeux et elle vit qu’il hésitait.
— Leur plan a échoué, dit-il. Ils sont pris au piège. Prisonniers. Nous allons les arrêter.
Luanda secoua la tête avec assurance.
— NON ! cria-t-elle. Ces hommes te regardent. Ils te considèrent comme leur chef. Ici, c’est la brutalité qui règne. Nous ne sommes pas à la Cour du Roi. La brutalité demande le respect. Nous ne pouvons pas les laisser vivre, il faut faire un exemple !
Bronson eut un geste de recul, horrifié.
— Que dis-tu ? Que nous devrions les brûler vifs ? Que nous devrions leur faire connaître le sort qu’ils voulaient nous infliger ?
Luanda serra les dents.
— Si tu ne le fais pas, je te préviens : un jour ou l’autre, ce sont eux qui nous tueront.
Les MacGils se rassemblaient autour d’eux, à l’écoute. Luanda se sentait bouillir de frustration. Elle aimait Bronson. Après tout, il lui avait sauvé la vie. Cependant, elle haïssait la faiblesse et la naïveté dont il faisait preuve parfois.
Elle en avait assez que les hommes règnent à sa place et prennent de mauvaises décisions. Elle voulait gouverner. Elle serait meilleure qu’eux, elle le savait. Il fallait une femme pour régner sur un monde d’hommes.
Toute sa vie, elle avait été mise à l’écart, mais c’était fini : c’était son intervention qui avait sauvé les hommes MacGils et elle était fille de roi – la première née.
Comme Bronson restait les bras ballants, Luanda comprit qu’il ne ferait rien.
Elle n’y tint plus. En poussant un cri de frustration, elle saisit la torche que tenait un des domestiques. Dans le silence et sous le regard stupéfait des hommes, elle jeta le flambeau de toutes ses forces.
La flamme illumina la nuit en filant dans les airs, avant d’atterrir sur le toit de chaume.
À la grande satisfaction de Luanda, le feu se propagea immédiatement.
Les MacGils poussèrent des cris d’encouragement et tous suivirent son exemple : ils ramassèrent les torches et les lancèrent. Bientôt, les flammes s’élevèrent et la chaleur lécha leurs visages, illuminant la nuit. Le hall des fêtes prit feu, en proie à l’incendie.
Les cris des McClouds piégés à l’intérieur se firent entendre, déchirants. Bronson eut un sursaut d’effroi, mais Luanda resta debout, froide, impitoyable, les mains sur les hanches, satisfaite d’entendre leur agonie.
Elle se tourna vers Bronson qui la regardait, bouche bée.
— Voilà, dit-elle, ce que régner signifie.
Reece marchait aux côtés de Stara, épaule contre épaule. Leurs mains se frôlaient à chaque pas entre leurs deux corps. Ils parcouraient un interminable champ de fleurs aux couleurs éclatantes, en haut de la montagne. Le panorama était splendide. Ils marchaient en silence. Un million d’émotions contradictoires submergeaient le cœur de Reece. Tant et si bien qu’il ne savait plus quoi dire…
Il pensait encore à cet instant, quand son regard avait trouvé celui de Stara, de l’autre côté du lac de montagne. Il avait renvoyé tous ces gens pour se retrouver seul avec elle. Beaucoup s’étaient montrés réticents, surtout Matus qui connaissait bien leur histoire, mais Reece avait insisté. L’attrait de Stara était presque magnétique : elle attirait Reece. Il voulait lui parler seul à seul, comprendre pourquoi elle le regardait avec tant d’amour, le même amour qu’il ressentait encore pour elle... Comprendre si tout cela était réel. Comprendre ce qui leur arrivait.
Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Par où commencer ? Que faire ? Sa raison lui criait de tourner les talons et de partir en courant, aussi loin d’elle que possible, et de prendre le bateau pour l’oublier à tout jamais. Retrouver sa fiancée qui l’attendait. Après tout, Selese l’aimait et il aimait Selese. Leur mariage aurait bientôt lieu.
C’était ce qu’il y avait de plus sage à faire. La bonne chose à faire.
Cependant, les émotions submergeaient sa raison. Sa passion refusait de se soumettre à la logique. Elle le forçait à demeurer aux côtés de Stara et à marcher avec elle à travers ces champs. Il n’avait jamais vraiment compris cette partie incontrôlable de lui-même qui l’avait poussé toute sa vie à suivre son cœur. Motivé par elle, il n’avait pas toujours pris les bonnes décisions… Mais, quand un éclair de passion si puissant le traversait, Reece était incapable d’y résister.
Comme il marchait aux côtés de Stara, il se demanda si elle ressentait la même chose. Sa main effleurait la sienne à chacun de leurs pas et il devinait l’ombre d’un sourire à la commissure de ses lèvres. Il était difficile de connaître ses pensées. Reece se souvenait qu’il était resté pétrifié devant elle le jour de leur première rencontre. Il n’avait pensé à rien d’autre qu’elle pendant des jours. Quelque chose dans son regard translucide, dans sa posture fière et noble, celle d’une louve qui le fixait du regard, émerveillait Reece.
Malgré leur jeune âge, ils avaient toujours su qu’une relation entre cousins était interdite, mais cela ne les avait jamais arrêtés. Il y avait quelque chose entre eux, quelque chose de fort qui les poussait l’un vers l’autre et peu importait l’opinion des autres. Enfants, ils étaient immédiatement devenus les meilleurs amis du monde, l’un recherchant toujours la compagnie de l’autre plutôt que celle de ses cousins ou de ses amis. Quand la famille se rendait aux Isles Boréales, Reece passait tout son temps avec elle. Elle faisait de même et l’attendait longuement, perchée sur la falaise, dans l’attente de son arrivée.
Au début, ils n’avaient été que des amis… Une nuit fatidique, sous un ciel tapissé d’étoiles, enfin, tout avait changé. Malgré l’interdiction et le tabou, leur lien s’était renforcé. Il était devenu plus fort, plus grand, irrésistible.
Quant il quittait les Isles, Reece rêvait d’elle, jusqu’à broyer du noir au cours de nombreuses nuits blanches. Allongé sur son lit, il se représentait en pensée son visage et priait pour que disparaissent l’océan et la loi qui les séparaient.
Elle ressentait la même chose que lui et lui envoyait d’innombrables lettres, emportées par une armée de faucons, chacun de ses mots confessant son amour. Il lui répondait toujours, mais sans jamais égaler son éloquence.
Le jour qui avait sonné la fin de l’entente entre les MacGils avait été la pire journée de toute la vie de Reece. Le poison destiné au père de Reece avait tué le fils aîné de Tirus. Cela n’avait pas empêché Tirus de jeter le blâme sur son frère aîné, achevant de briser le lien entre leurs deux familles. Reece et Stara avaient tous deux reçus l’interdiction de communiquer avec leurs cousins ou de leur rendre visite. Ce jour-là, leurs deux cœurs étaient morts un peu, à l’intérieur. Longtemps, Reece s’était demandé s’il la reverrait un jour. Il savait qu’elle avait ressenti la même chose.
Un jour, elle avait cessé de lui écrire. Sans doute, quelqu’un avait intercepté ses lettres, mais Reece ne pouvait en être sûr. Il suspectait que ses courriers, eux aussi, ne parvenaient plus à leur destinataire. Un jour, il s’était obligé à bannir tout souvenir d’elle de ses pensées. Cela n’empêchait pas son image de surgir de temps à autre. Il n’avait jamais vraiment cessé de se demander ce qu’elle était devenue. Pensait-elle à lui, de temps en temps ? S’était-elle mariée ?
La revoir aujourd’hui avait fait ressurgir son tourment. Il semblait encore frais dans le cœur de Reece, brûlant, comme s’ils n’avaient jamais été séparés. Elle était plus âgée, plus ronde, plus belle, si c’était possible. Elle était devenue une femme. Son regard était aussi perçant que dans ses souvenirs. Reece y devinait son amour et se sentait transporté à l’idée qu’elle ressentait la même chose que lui.
Reece voulut penser à Selese. Il lui devait au moins ça, mais cela semblait impossible.
Il s’avança jusqu’au bord de la montagne, aux côtés de Stara, sans savoir que dire. Comment combler le vide laissé par des années d’éloignement ?
— J’ai appris que tu allais bientôt te marier, dit enfin Stara.
Reece sentit son estomac se nouer. Penser à ses noces le faisait toujours frétiller d’impatience mais ces mots sortis de la bouche de Stara le heurtaient comme un coup de poignard. Il avait l’impression de l’avoir trahie.
— Je suis désolée, répondit-il.
Que dire de plus ? Il voulait ajouter : Je ne l’aime pas. C’était une erreur. Je veux tout recommencer. C’est toi que je veux épouser.
Mais il aimait vraiment Selese. Il ne pouvait se le cacher. Il éprouvait pour elle un amour différent, peut-être pas aussi intense que la passion qu’il ressentait pour Stara. Reece ne savait plus que penser… Lequel de ses sentiments était le plus fort ? Pouvait-on comparer deux amours ? L’amour ne se suffisait-il pas à lui-même ? Pouvait-il être plus ou moins fort ?
— Tu l’aimes ? demanda Stara.
Reece prit une grande inspiration, noyé dans une tempête d’émotions. Que répondre ? Ils marchèrent encore un instant, le temps que Reece rassemble ses pensées. Enfin, il dit d’une voix angoissée :
— Oui. Je ne peux le nier.
Pour la première fois, il prit la main de Stara. Elle se tourna vers lui.
— Mais je t’aime aussi, ajouta-t-il.
Les yeux de Stara s’emplirent d’espoir.
— Tu m’aimes plus qu’elle ? demanda-t-elle.
Reece y réfléchit longuement.
— Je t’ai aimée toute ma vie, dit-il enfin. Tu es le seul visage de l’amour que je connaisse. Tu es ce que représente l’amour à mes yeux. J’aime Selese mais, avec toi… Tu fais comme partie de moi. La moitié de mon âme. Quelque chose dont je ne peux me séparer.
Stara sourit. Elle prit sa main et poursuivit sa promenade à ses côtés, un petit sourire aux lèvres.
— Tu n’imagines pas combien de nuits j’ai passé à me languir de toi, avoua-t-elle en détournant le regard. Mes mots emportés sur les ailes des faucons subtilisés par mon père. Après la dispute, je n’ai pas pu t’écrire. J’ai essayé de m’embarquer sur un bateau une fois ou deux, mais en vain.
Ses propos bouleversaient Reece. Il n’aurait jamais cru que… Il s’était toujours demandé ce que Stara avait bien pu penser de lui, après la dispute de leurs deux familles. En entendant ces mots, il sentait une nouvelle vague d’amour le pousser vers elle. Il n’avait donc pas été la seule âme déchirée par cette terrible nuit. Il n’était pas fou. Le lien qui les unissait était bien réel.
— Et je n’ai jamais cessé de rêver de toi, répondit Reece.
Ils atteignirent enfin le sommet du pic et s’arrêtèrent, le regard tourné vers les Isles Boréales. De ce point de vue, ils pouvaient voir au-delà de l’archipel, au-delà de la brume s’élevant des vagues, jusqu’à la flotte de Gwendolyn entre les récifs.
Ils restèrent silencieux longtemps, leurs mains nouées entre leurs deux corps, savourant l’instant. Savourant le fait d’être ensemble, enfin, après toutes ses années, après que la vie et les gens aient tout tenté pour les séparer.
— Enfin, nous voilà… Et pourtant, nous nous retrouvons le jour où tu es le plus loin de moi, prêt à te marier. Il faut croire que ce n’est pas notre destin d’être ensemble.
— Mais je suis là, répondit Reece. Peut-être que le destin essaye de nous dire quelque chose ?
Elle serra sa main et Reece serra la sienne. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il se sentait perdu, comme jamais auparavant. Était-ce sa destinée ? Était-il écrit qu’il rencontrerait Stara juste avant son mariage, pour l’empêcher de commettre une terrible erreur ? Le destin essayait-il de les rapprocher à nouveau, après tout ce temps ?
Il ne pouvait s’empêcher de le croire. Leur rencontre ressemblait à un signe du destin. Peut-être sa dernière chance avant de se marier…
— Ceux que le destin réunit, l’homme ne peut les séparer, dit Stara.
Ses mots trouvèrent un écho dans le cœur de Reece, qui plongea son regard dans le sien, comme hypnotisé.
— Tant d’événements ont essayé de nous éloigner l’un de l’autre, dit Stara. Nos clans. Nos pays. Un océan. Le temps… Mais rien de tout cela n’a pu nous séparer. Les années ont passé, mais notre amour brûle toujours. Est-ce une coïncidence que tu m’aperçoives avant ton mariage ? Le destin veut nous dire quelque chose. Il n’est pas trop tard.
Reece se tourna vers elle, le cœur battant. Les yeux translucides de Stara réfléchissaient la couleur du ciel et de l’océan, remplis d’amour. Il ne savait plus que faire… Il n’arrivait plus à penser.
— Peut-être que je devrais annuler mes noces, dit-il.
— Ce n’est pas à moi de te le dire, répondit-elle. Tu dois trouver la réponse dans ton cœur.
— Ici et maintenant, mon cœur me dire que tu es la seule femme que j’aime. La seule que j’ai jamais aimée.
Elle plongea son regard sincère dans le sien.
— Je n’en ai jamais aimé un autre, dit-elle.
Reece ne put se retenir : il pencha la tête et ses lèvres trouvèrent celles de Stara. Le monde disparut autour d’eux, remplacé par l’amour, quand elle répondit à son baiser.
Ils s’embrassèrent jusqu’à en avoir le souffle coupé. Reece comprit alors, malgré toutes les protestations de sa raison, qu’il ne pourrait jamais épouser une autre femme que Stara.
Gwendolyn se tenait sur un pont doré. Agrippée à la rambarde, elle se penchait par-dessus bord pour apercevoir les bouillons furieux de la rivière sous ses pieds. Les rapides grondaient et les vagues s’élevaient de plus en plus haut. Elle sentait déjà les gouttes mouiller ses jambes.
— Gwendolyn, mon amour.
Gwen se retourna et vit Thorgrin debout sur la rive, environ six mètres plus loin. Il souriait et tendait la main vers elle.
— Viens à moi, supplia-t-il. Traverse la rivière.
Soulagée de le voir, Gwen commença à marcher vers lui, mais une petite voix douce l’arrêta :
— Mère…
Gwen fit volte-face. De l’autre côté, sur l’autre rive, se trouvait un petit garçon d’environ dix ans, aux yeux gris, grand pour son âge, fier, large d’épaules, la mâchoire volontaire. À l’image de son père. Il portait une magnifique armure dorée, faite d’un métal qu’elle ne reconnut pas, et des armes de guerrier à la ceinture. Une aura de pouvoir émanait de lui. Un pouvoir que rien ne pourrait arrêter.
— Mère, j’ai besoin de toi, dit-il.
Le garçon tendit la main vers elle et Gwen fit instinctivement un pas vers lui, avant de s’arrêter net. Elle fit courir son regard entre Thor et son fils, comme tous deux tendaient les bras vers elle, déchirée par le choix. Où aller ?
Soudain, le pont s’écroula sous elle.
Elle poussa un cri strident en plongeant dans les rapides.
La température glacée de l’eau la transperça comme un coup de couteau et elle se débattit pour échapper au courant, la bouche ouverte à la recherche de l’air. Elle leva les yeux vers son fils et son mari, chacun debout sur une rive de la rivière. Ils lui tendaient la main. Ils avaient besoin d’elle.
— Thorgrin ! hurla-t-elle avant d’ajouter : Mon fils !
Elle tenta d’agripper leurs deux mains mais, bientôt, le courant la fit basculer dans une cascade.
Elle poussa un cri en perdant de vue ses êtres chers et en dégringolant vers les récifs acérés.
Gwen s’éveilla en hurlant.
Couverte d’une pellicule de sueur froide, elle balaya la pièce du regard, en se demandant où elle se trouvait.
Elle était étendue dans un lit, au milieu d’une chambre de château faiblement éclairée par des torches. Elle cligna des yeux plusieurs fois, en tâchant de comprendre, le souffle court. Lentement, elle réalisait que tout ceci n’avait été qu’un rêve. Un horrible cauchemar.
Ses yeux s’ajustèrent à l’obscurité et elle remarqua les domestiques. Illepra et Selese étaient à son chevet et faisaient courir des compresses froides sur ses bras et ses jambes. Selese épongeait tendrement son front.
— Chut…, souffla-t-elle. Ce n’était qu’un rêve, Madame.
Gwendolyn sentit une main serrer la sienne et son cœur déborda de joie quand elle aperçut Thorgrin à genoux près d’elle, visiblement heureux de la voir réveillée.
— Mon amour, dit-il. Tu vas bien.
Gwendolyn cligna des yeux. Que faisait-elle ici ? Pourquoi était-elle alitée ? Que faisaient tous ces gens ici ? Soudain, quand elle essaya de bouger, une douleur terrible transperça son ventre et elle se souvint.
— Mon bébé ! s’écria-t-elle d’une voix enfiévrée. Où est-il ? Il est en vie ?
Désespérée, Gwen fouilla du regard les visages. Thor serra sa main pour la réconforter et lui adressa un large sourire. Elle sut alors que tout allait bien, comme si toute sa vie se réchauffait devant la chaleur de son sourire.
— Il est en vie, répondit Thor. Grâce à Dieu. Et grâce à Ralibar. Il vous a ramenés jusqu’ici en volant, juste à temps.
— Il va très bien, ajouta Selese.
Soudain, un cri retentit et Gwendolyn leva les yeux vers Illepra qui s’avançait en tenant un bébé emmailloté dans les bras.
Une vague de soulagement la submergea et elle éclata en sanglots hystériques. Des chaudes larmes de joie se mirent à couler le long de ses joues. Le bébé était en vie. Elle était en vie. Ils avaient tous les deux survécu. D’une manière ou d’une autre, ils étaient sortis de ce cauchemar.
Elle n’avait jamais ressenti une telle gratitude de toute sa vie.
Illepra se pencha et plaça le bébé sur la poitrine de Gwen.
Celle-ci s’assit sur son séant pour l’examiner. En le touchant, elle eut l’impression de renaître. Son poids entre ses bras, son odeur, son visage… Elle le berça, tout en le serrant contre elle, tout emmailloté dans ses couvertures. Des vagues d’amour et de reconnaissance la traversaient. Elle pouvait à peine y croire : elle avait un enfant.
Déposé entre ses bras, le bébé cessa soudain de pleurer et demeura silencieux. Lentement, il ouvrit ses paupières et leva les yeux vers sa mère.
Un éclair d’émotion transperça Gwen quand leurs regards se croisèrent. Le bébé avait les yeux de Thor : des yeux gris brillants qui semblaient venir d’un autre monde. Ils se plantèrent au plus profond d’elle. Gwendolyn eut soudain l’impression qu’elle le connaissait depuis longtemps. Depuis toujours.
Elle sentit un lien puissant se nouer entre eux, plus puissant que tout ce qu’elle connaissait. Elle le serra fort et se promit de ne jamais l’abandonner. Pour lui, elle marcherait sur des charbons ardents s’il le fallait.
— Il te ressemble, mon amour, lui dit Thor en souriant et en se penchant vers son fils.
Gwen sourit à son tour, le visage mouillé de larmes d’émotion. Elle n’avait jamais été aussi heureuse. Voilà tout ce qu’elle avait toujours voulu : Thorgrin, leur enfant et elle-même, tous trois réunis.
— Il a tes yeux, répondit-elle.
— Mais il n’a pas encore de nom…, dit Thor.
— Peut-être que nous devrions lui donner le tien, proposa Gwen.
Thor secoua la tête, inflexible.
— Non. C’est le fils de sa mère. Il a tes traits. Un véritable guerrier devrait toujours garder avec lui l’esprit de sa mère et le talent de son père. Il a besoin des deux. Il aura mon talent militaire, mais il devrait avoir un nom semblable au tien.
— Que proposes-tu ?
Thor y réfléchit.
— Un nom qui sonne comme le tien. Le fils de Gwendolyn devrait s’appeler… Guwayne.
Gwen sourit. Le nom lui plut immédiatement.
— Guwayne, répéta-t-il. Cela me plait.
Elle adressa un large sourire au bébé qu’elle serrait contre elle.
— Guwayne, lui souffla-t-elle.
Guwayne ouvrit à nouveau les yeux et planta son regard dans le sien. Gwen aurait pu jurer qu’elle l’avait vu sourire. Il était bien trop jeune pour cela, mais il lui semblait bien avoir vu une lueur de quelque chose… Elle fut soudain convaincue qu’il aimait son nom.
Selese appliqua un baume sur les lèvres de Gwen et lui donna à boire un liquide épais et sombre. La souveraine se redressa immédiatement, comme régénérée.
— Combien de temps suis-je restée là ? demanda-t-elle.
— Vous dormez depuis presque deux jours, Madame, dit Illepra. Depuis la grande éclipse.
Gwen ferma les yeux et tous ses souvenirs lui revinrent. L’éclipse, la grêle, le tremblement de terre… Elle n’avait jamais rien vu de pareil.
— Des présages puissants se sont fait entendre pendant la naissance de notre enfant, dit Thor. Le royaume tout entier en est témoin. On parle déjà de lui partout.
Gwen serra un peu plus fort le bébé contre elle et sentit une vague de chaleur la recouvrir. Il était vraiment unique… Tout son corps chantait quand elle le tenait dans ses bras. Ce n’était pas un enfant ordinaire. Quels pouvoirs couraient dans ses veines ?
Elle leva des yeux interrogateurs vers Thor. L’enfant était-il un druide, lui aussi ?
— Es-tu resté là pendant tout ce temps ? lui demanda-t-elle.
Elle ressentit un élan de gratitude à son égard.
— Bien sûr, Madame. Je suis venu dès que j’ai su. Sauf la nuit dernière : je suis allé au Lac des Chagrins. J’ai prié pour que tu recouvres la santé.
Gwen éclata encore une fois en sanglots, incapable de contrôler ses émotions. Elle n’avait jamais été si heureuse : son enfant dans ses bras, elle se sentait plus entière que jamais auparavant.
Bien malgré elle, elle pensa à ce moment fatidique, dans les Limbes, et au choix qu’elle avait été forcée de faire. Elle serra la main de Thor et le bébé. Elle aurait voulu les garder tous les deux près d’elle jusqu’à la fin des temps.
Cependant, l’un d’eux serait un jour contraint de mourir. Elle le savait et cette pensée la fit pleurer.
— Qu’y a-t-il, mon amour ? demanda enfin Thor.
Gwen secoua la tête, incapable de lui avouer la vérité.
— Ne t’inquiète pas, dit-il. Ta mère vit encore. Si c’est bien pour cela que tu pleures.
Gwen se rappela soudain l’état de sa mère.
— Elle est très malade, ajouta Thor, mais tu as encore le temps de la voir.
Gwen sut alors ce qu’elle devait faire.
— Je dois la voir, dit-elle. Emmène-moi tout de suite.
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