Seguin, Chemins de fer.
Pl. 1ère
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quin, Chemins de fer
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Seguin Chemins de fer.
Planche 3,
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Seguin Chemins de fer
Planche 4
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Seguin Chemins de fer
Planche 6.
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Fig.37.
Les grandes innovations industrielles ne sont jamais le fruit d’une conception soudaine et complète; elles ne sortent point à l’état parfait du génie d’un seul inventeur. Il est très rare d’ailleurs que leur développement ne soit pas subordonné aux progrès de plusieurs autres arts, dont leur application exige le concours simultané. Ce n’est que quand le fait est accompli, quand il se traduit en résultats positifs, que l’on en comprend généralement l’importance. Il entre alors dans la masse des éléments dont se compose la civilisation; il prend une part active et appréciable au mouvement des idées et des choses. Alors aussi on s’occupe à en étudier la portée, à en apprécier l’influence, à multiplier les avantages qu’on peut en retirer. C’est à ce point de leur maturité que commence, à proprement parler, l’histoire de toutes les inventions industrielles. Quant à la période antérieure, lorsqu’elle n’est pas ensevelie dans une impénétrable obscurité, elle se résume en quelques traits qui se représentent, presque sans exception, dans le même ordre et avec les mêmes circonstances: au point de départ, on rencontre un homme dont l’imagination puissante a devancé son époque et jeté dans la région des choses possibles un regard que je pourrais appeler prophétique; il a pressenti l’œuvre, il en a entrevu peut-être les résultats; mais la science a fait défaut à la pensée, et c’est à peine s’il a pu jeter dans le mouvement social un germe imperceptible. Cependant ce germe a grandi insensiblement; il a profité de tous les progrès qui se sont faits autour de lui; chaque découverte nouvelle dans les industries secondaires lui a fait faire un pas vers la maturité. Enfin lorsque le besoin général a réclamé l’innovation, lorsque le monde a été, si je puis le dire, préparé à la recevoir et à l’utiliser, il s’est trouvé un homme judicieux et persévérant dont les heureuses combinaisons en ont universalisé le bienfait. Et ce dernier a recueilli, avec la gloire qui lui était légitimement acquise, toute la part à laquelle ses devanciers avaient droit; car la reconnaissance publique est peu soucieuse des théoriciens qui ont deviné ou constaté un principe: elle se porte tout entière sur celui qui l’a fécondé par l’application. C’est ainsi que le nom de Watt est devenu populaire et immortel, tandis que l’on connaît à peine ceux qui, avant lui, avait étudié la force de la vapeur.
On sait bien moins encore à quelle époque et à quel premier inventeur remonte, en réalité, l’origine des chemins de fer. L’idée de faciliter le tirage des voitures en plaçant sous le passage des roues un corps dur et uni était si simple et devait se présenter si naturellement aux hommes les moins ingénieux qu’il ne serait pas possible de lui assigner une date. Que l’on ait employé successivement, à cet effet, des dalles en pierre, des pièces de bois, et enfin des bandes de fer, ce sont autant de perfectionnements qu’a subis la construction des voies, mais dont l’usage ne se répandit pas d’abord. Ce n’était, au reste, qu’un premier pas vers l’invention du mode de transport dont nous obtenons aujourd’hui de si admirables résultats.
Il paraît que des chemins à rails en bois étaient établis à Newcastle-sur-Tyne, dans le comté de Durham, en Angleterre, dès l’année 1649; on en obtenait une telle diminution de la résistance au tirage, que, sur une route en plaine, un seul cheval pouvait traîner quatre chaldrons, ou 10 000 kilogrammes environ de houille. Mais la prompte détérioration de ces rails opposait au service de graves inconvénients. Pour y obvier, M. Reynolds, l’un des intéressés dans la grande fonderie de Colebrook–Dale, dans le Shrospshire, eut l’idée de substituer aux pièces de bois des rails en fonte de fer. Il proposa à ses coassociés de faire, à ce sujet, une expérience qui eut lieu le 13 novembre 1767, sur la quantité de cinq à six tonneaux de rails seulement.
Ces rails étaient plats, avec un rebord, soit intérieur, soit extérieur, pour maintenir dans la voie les roues des wagons. Ils étaient fixés, par des chevilles de fer ou par des clous à vis, sur des pièces en bois placées en travers de la voie. Mais la poussière et la boue, s’accumulant dans l’angle que formait le rebord, nuisaient à la circulation, et M. Sessop imagina, en 1789, de transporter ce rebord sur les roues. Par suite de cette modification, la forme des roues et des rails, et la manière d’assembler ces derniers sur des chairs en fonte de fer et des dés en pierre ou des traverses en bois se trouvèrent, à peu de chose près, ce qu’elles sont aujourd’hui.
En 1820, la fabrication du fer malléable ayant reçu, en Angleterre, des perfectionnements qui en firent considérablement baisser le prix, M. John Birkinshaw, des forges de Bedlington, obtint une patente pour faire des rails en fer, ondulés, et d’une longueur de 15 pieds anglais. Son procédé consistait à faire passer des barres de fer rouge par une séries de cannelures creusées sur un cylindre. Les cannelures offrant une profondeur qui croissait et décroissait alternativement, le rail, au sortir de ce moule, présentait, à la partie inférieure, une suite de segments, égaux chacun au développement du cylindre Les coussinets destinés à supporter le rail se plaçaient au point de jonction des segments.
Depuis cette époque, on n’a plus à signaler aucun progrès sensible ni dans la fabrication des rails ni dans la manière de les assujettir. Ce n’est pas que le système de la voie ne puisse être encore amélioré ; mais les efforts qui ont été faits dans ce sens n’ont presque rien produit. Toutefois, cet intéressant problème industriel est poursuivi par un grand nombre d’hommes savants et éclairés, et l’on peut espérer que leurs recherches ne seront pas toujours infructueuses.
Quoi qu’il en soit, les chemins de fer, dans leur état actuel, suffisent aux besoins de notre époque; la France surtout en retirera de grands avantages. En tout ce qui tient aux moyens de transport, les Anglais nous ont devancés de beaucoup; leurs belles routes, leurs excellents chevaux, la bonne organisation du service de leurs voitures publiques, leur ont donné sur nous jusqu’ici une supériorité incontestable: nos chemins de fer construits, nous n’aurons plus rien à envier à nos voisins pour la commodité et la rapidité des voyages. Les gouvernements reconnaîtront bientôt, sans doute, combien il leur importe de faciliter, d’encourager les relations de peuple à peuple, de multiplier les moyens de communication, de hâter l’échange et la fusion des idées, de mettre en rapport et en oppostion toutes les industries; alors les haines, les rivalités nationales, s’effaceront, et l’on verra s’accroître et se développer cette tendance qui semble appeler aujourd’hui tous les peuples civilisés à ne former plus qu’une seule famille.
D’après la forme même des chemins de fer, les wagons, c’est-à dire les voitures appropriées à en faire le service, sont invariablement liés à la route où ils doivent se mouvoir; ce n’est qu’au moyen d’une manœuvre particulière que l’on peut intervertir l’ordre dans lequel ils ont été primitivement placés sur la voie. Cette condition sembla, dans l’origine, entraîner nécessairement cette conséquence qu’un seul et même intérêt devait présider à l’établissement, à l’exploitation et à l’entretien du chemin. Aussi les chemins de fer ont-ils été créés d’abord pour desservir des houillères, des carrières de pierre où d’ardoise, des fours à chaux, etc.: ils étaient consacrés enfin à l’usage spécial d’une industrie dont tous les produits partaient du même point, pour être transportés soit sur le bord d’un canal, soit dans quelque grand centre de consommation. Cet état de choses dura près de deux siècles.
Mais lorsque l’accroissement des besoins eut déterminé une plus grande activité dans la consommation, les moyens ordinaires de transport devenant insuffisants, on eut la pensée de généraliser l’emploi des chemins de fer. On s’occcupa donc à en développer les lignes, à en étendre l’usage et à les mettre, tant par la solidité de la construction que par le perfectionnement des accessoires, en rapport avec les nouveaux services auxquels on les destinait. Le chemin de fer de Darlington à Stokton, est le premier qui ait été établi sous l’empire de ces idées. Il fut entrepris, en 1825, par une compagnie composée, en grande partie, de membres de la société des quakers, propriétaires des houillières situées au delà de Darlington. Sa principale ou plutôt son unique destination était de faciliter l’écoulement des produits de ces mines. Il faut remarquer que les circonstances les plus favorables secondaient cette tentative d’innovation, car elle se faisait dans une localité riche en carrières de toute espèce, et dont la population était, depuis longtemps, accoutumée à employer ce mode de transport, mais seulement sur une petite échelle.
Les wagons furent d’abord traînés par des chevaux, auxquels on adjoignit bientôt des machines; mais ces moteurs étaient si lourds et si imparfaits qu’ils produisaient à peine assez de vapeur pour fournir une vitesse de 4 à 5 milles anglais à l’heure, ou 2 mètres environ par seconde. Une telle lenteur, si elle eût été inévitable, eût considérablement restreint l’utilité des chemins de fer. J’avais entrevu la possibilité de perfectionner le système des moteurs: je m’en occupai activement, et fus assez heureux pour inventer les chaudières à tubes générateurs, que je livrai à l’industrie en 1827. A l’aide de ce système, on put, tout en diminuant le poids de la machine, obtenir une quantité beaucoup plus considérable de vapeur, et par conséquent de puissance. Ce fut en 1830, lorsque l’on mit en activité le chemin de fer de Manchester à Liverpool, que les nouvelles chaudières furent, pour la première fois, appliquées aux locomotives. Elles fournirent immédiatement une vitesse qui dépassait tout ce qu’auparavant on eùt jugé possible. Dans les premières expériences, laites le 15 septembre 1830, cette vitesse fut portée à 15 lieues à l’heure; dans des essais postérieurs, elle fut poussée jusqu’à 25 lieues. Mais la crainte des accidents ne permit pas que l’on profitât de toute cette force; et l’on jugea prudent de régulariser la marche sur une moyenne de 12 lieues à l’heure.
Dès lors, le service des chemins de fer prit une merveilleuse extension; ils ne furent plus employés uniquement au transport des marchandises; le nouveau moteur doublait leur utilité, et la rapidité de la marche ne tarda pas à y amener un concours de voyageurs hors de tout rapport avec les calculs que l’on avait tenté d’établir préalablement sur l’accroissement probable de la circulation. Ce résultat est même devenu, aux yeux des spéculateurs, une garantie de succès, toutes les fois qu’un chemin de fer sera destiné à ouvrir des communications à travers de grands centres de population. C’est donc sur le déplacement des individus que su fondent désormais les avantages les plus certains des chemins de fer. Il est évident, en effet, qu’il ne peut y avoir un intérêt égal à accélérer dans la même proportion l’arrivage des marchandises. La grande vitesse ne s’obtient qu’aux dépens de la détérioration des rails et des machines locomotives, et les frais d’entretien et de réparation s’en augmentent proportionnellement. Aussi n’a-t-on pas encore résolu la question de savoir si, pour le transport des marchandises lourdes et encombrantes, les chemins de fer doivent être préférés aux canaux ou aux rivières navigables. Il est probable que ces deux modes de transport seront longtemps encore usités concurremment. Si même, dans l’avenir, l’accroissement illimité des déplacements exige qu’il soit établi, sur les chemins de fer, des voies particulières pour les voyageurs et pour les marchandises, cette grande activité ne sera pas exclusive en faveur des nouveaux établissements; les uns et les autres continueront à être employés suivant la nature du service qu’on aura à en réclamer. La prospérité des chemins de fer réagira favorablement même sur les canaux, et augmentera le mouvement des transports auxquels ils sont plus particulièrement destinés.
Chaque mode de transport présente des avantages qui lui sont propres, et il est fort difficile d’établir à ce sujet des comparaisons, et de prononcer en faveur de l’un ou de l’autre. Comment décider par exemple, s’il est préférable de mettre des points en communication en établissant un chemin de fer, un canal ou une route, ou en améliorant le cours d’une rivière, ou par tout autre moyen qui pourrait être découvert, si l’on n’a posé d’avance les conditions spéciales du problème à résoudre? Ce ne sera donc que d’une manière générale que je pourrai traiter ici des avantages des chemins de fer.
Je l’ai déjà dit: la vitesse avec laquelle on peut voyager sur les chemins de fer n’a point de limites; mais on n’a pas voulu jusqu’ici la porter à plus de 12 lieues à l’heure. Les moyens d’établir les rails, les chairs, les dés, les chaussées, etc.; la construction des wagons et des machines, ne présentent pas encore des garanties suffisantes de sécurité, pour que l’ont ait osé aller au delà ; et l’exploitation de cette branche d’industrie est d’une date trop récente pour que l’on ait pu corriger les nombreuses imperfections que l’expérience y a déjà signalées. Mais il n’est pas douteux que dans un temps qui n’est pas éloigné, on sera en mesure de profiter de toute la vitesse que l’on a obtenue dans divers essais. C’est surtout, c’est même uniquement dans l’intérêt des voyageurs que ce résultat est désirable; car il est digne de remarque combien l’homme, instruit par la civilisation à comprendre la valeur du temps, est jaloux de l’économiser. Dans son impatience d’arriver promptement à son but il ferme les yeux sur les dangers, ou les redoute moins qu’un retard. Sur les chemins de fer, par exemple, ces dangers sont tels, qu’en supposant les voitures arrêtées par un obstacle subit, elles viendraient se briser les unes contre les autres avec une vitesse égale à celle d’un poids qui tomberait du haut d’un édifice élevé de 50 mètres au-dessus du sol.
Quant aux marchandises, il ne peut jamais, ou du moins que très rarement être nécessaire de les transporter avec une aussi grande rapidité. Il suffit presque toujours au commerçant de connaître la durée du trajet; il prend alors ses précautions pour faire concorder l’époque de l’arrivage avec celle de ses besoins. Il est d’ailleurs très peu de marchandises dont le prix soit assez élevé pour que l’intérêt de l’argent entre le jour du départ et le jour de l’arrivée, défalcation faite de la différence du prix de transport, mérite d’être pris en considération. Ainsi, les sucres bruts expédiés du Havre à Paris restent moyennement un mois sur la Seine. Le tonneau ayant une valeur de 1500 francs environ, et l’intérêt étant calculé à 6 pour 100, la perte s’élèverait à 7fr,50, qui ajoutés aux 24 francs de frais déboursés, porteraient le coût total du transport à 31fr, 50. Il est évident qu’un service qui permettrait d’obtenir les arrivages, d’une manière régulière, en douze heures, devrait être préféré si les conditions du prix de voiture restaient notablement au-dessous de ce chiffre. Mais à prix égal, le trajet pût-il s’effectuer en trois ou quatre heures, le négociant n’attacherait qu’une bien faible importance à cette célérité, surtout lorsqu’il peut également bien conclure ses affaires au moyen des échantillons.
Il est donc indispensable, lorsqu’on est appelé à se prononcer sur le choix d’un mode de transport, d’entrer dans l’examen détaillé de toutes les circonstances qui se rattachent spécialement à la question posée. Un chemin de fer sera préférable, quelques difficultés que présente d’ailleurs son établissement, dans toutes les directions où se porte un grand concours de voyageurs, parce que ce concours augmentera nécessairement à mesure que les communications seront plus rapides. Au reste la multiplicité des déplacements étant le premier et le plus inévitable effet des progrès d’un peuple vers la civilisation, on s’assure dans l’avenir toutes les chances possibles, en travaillant pour un ordre de choses dont chaque jour écoulé nous rapproche.
Mais en raisonnant dans cette hypothèse, on comprend facilement que le transport des marchandises peut apporter de fréquents inconvénients dans la marche, et détruire, en grande partie, les avantages des chemins de fer, en compromettant à la fois ce qui seul peut en assurer la prééminence, la vitesse et la sécurité. Quelques instants suffisent aux voyageurs pour entrer dans les voitures ou pour en sortir. Une fois que l’ordre est établi, que chacun connaît le signal des mouvements, les moments et les lieux où l’on doit s’arrêter, les manœuvres des convois s’exécutent avec un ensemble et une rapidité extraordinaires, et les pertes de temps sont réduites au plus bref délai possible. Il n’en est plus de même lorsque le convoi entraîne des marchandises. D’abord l’impossibilité de charger et de décharger sur la voie principale oblige à établir de nombreuses ramifications qui compliquent la ligne et augmentent les chances d’accidents. En outre, si l’on ne veut porter le prix de voiture à un taux trop élevé, il y a nécessité de faire supporter aux wagons des charges considérables; la fatigue des rails s’accroit dans une proportion en rapport avec le poids accumulé sur un seul point; les fractures de roues, d’essieux et de toutes les autres parties du matériel se multiplient; les encombrements, les chocs, peuvent mettre plus souvent en danger la vie des voyageurs. Enfin, si la ligne que parcourt le chemin de fer traverse un pays où la population est disséminée en un grand nombre de petits centres, à tous ces inconvénients se joint un surcroît considérable de dépenses; car les frais et les mesures de prudence sont partout à peu près les mêmes, indépendamment de l’importance des stations. Aussi, lorsqu’à la création du chemin se lie impérieusement l’obligation d’établir un grand nombre de stations ou de points de chargement et de déchargement, c’est une considération qu’il ne faut pas négliger de faire entrer dans les calculs, et d’envisager relativement aux frais matériels et à la probabilité des accidents.
Le prix des places des voyageurs et celui du port des marchandises ne peuvent être basés uniquement sur la proportion des distances parcourues, surtout lorsque le chemin de fer, comme tous ceux que la France possède aujourd’hui; est d’une médiocre étendue. Le convoi organisé et mis en mouvement, quelques kilomètres de plus ou de moins dans sa marche produisent à peine sur les frais une légère différence, qui perd toute importance lorsqu’on la compare à la dépense totale du voyage.
Mais ne perdons pas de vue que le but principal pour lequel furent créés les chemins de fer fut de transporter d’un lieu à un autre, et au meilleur marché possible, de grandes quantités des productions du sol ou de l’industrie. Et si, depuis leur origine, des résultats sur lesquels on n’avait pas compté d’abord ont donné la pensée d’utiliser au profit des voyageurs une vitesse inconnue jusqu’alors, c’est un deuxième avantage qui est. venu s’ajouter et non se substituer au premier. Il est dans nos pays une foule de localités où gisent sans emploi de grandes masses de subtances précieuses, dont les chemins de fer peuvent déterminer ou faciliter l’exploitation. Dans ces circonstances, les bénéfices qu’on en retirera ne se borneront donc plus seulement à une économie sur le prix de voiture; en transportant ces matériaux dans les lieux où la consommation les réclame, ils augmenteront la richesse nationale de la valeur tout entière du produit; ils créeront, pour ainsi dire, dans chaque localité, l’aliment nécessaire à son industrie ou à ses besoins sociaux.
Ce bienfait s’accomplira sur une plus vaste échelle, et deviendra surtout plus sensible, lorsque les chemins de fer et les diverses machines destinées à en faire le service auront reçu les perfectionnements qu’une trop courte expérience n’a pas permis encore d’y apporter.
On peut se faire une idée de l’incertitude qui règne encore dans les esprits sur tout ce qui touche à cette grave question quand on remarque que des capitalistes ont adressé au gouvernement des soumissions par lesquelles ils sollicitaient des concessions sur de grandes lignes, moyennant un péage de 8 centimes par tonneau de marchandises et par kilomètre; et que, dans cette même année, les Chambres, après avoir refusé au gouvernement les fonds nécessaires pour établir lui-même ces lignes sous la perception d’un tarif de 7 1/2 centimes, ont fini par les concéder à des compagnies particulières à un tarif moyen de 12 centimes environ.
Il ne faut pas se dissimuler que tant que l’on n’aura pas adopté des mesures générales régulières et précises, tant que la législation sera flottante, le développement que prendra cette industrie sera lent, et les résultats qu’on peut en attendre paralysés en partie. Il est donc du devoir du gouvernement de s’en occuper activement, parce que tout retard porte préjudice au progrès. Mais, pour asseoir sagement les bases des règlements qui seront faits sur la matière, il sera nécessaire d’envisager les choses d’un point de vue élevé, d’embrasser la question dans toute sa portée, de la dégager des considérations étroites et des réclamations des intérêts particuliers qui tenteraient de prévaloir sur les intérêts généraux.
J’en donnerai la raison dans un exemple:
Qu’une compagnie entreprenne un chemin de fer dont le but sera: ou de transplanter, si je puis le dire, une carrière de houille au sein d’une ville populeuse et manufacturière; ou de transporter des minerais de fer ou autres dans un grand centre d’industrie; ou de centupler l’emploi des produits de la mer en les répandant promptement et à bas prix dans l’intérieur des terres; ou de réaliser des échanges de substances végétales ou minérales propres à féconder le sol et à le disposer à recevoir de nouvelles cultures, de tels établissements, on le reconnaîtra sans peine, réagiraient de la manière la plus bienfaisante sur la prospérité d’une nation, et sur le bien-être des individus.
Mais supposons que par les règlements généraux, ou d’après les clauses du cahier des charges, il soit permis à chacun d’adapter à ce chemin les coupures, voies de déviation ou embranchements utiles à son service particulier, sous la simple réserve de payer le tarif à raison de 5000 mètres, quelle que soit d’ailleurs la distance qu’il aura parcourue au-dessous de cette limite; admettons même que ce tarif soit porté à 10 centimes par tonne et par kilomètre, taux fort élevé pour un chemin qui fonde sa prospérité sur le transport des matières lourdes, ayant ordinairement peu de valeur intrinsèque. Si un propriétaire s’avise de vouloir employer cette voie pour mettre en commuication deux établissements riverains de la ligne, et éloignés l’un de l’autre de 4 à 5000 mètres, il pourra chaque jour et même plusieurs fois par jour, et pour la faible rétribution de 1fr, 50 par wagon, contraindre la compagnie à venir exécuter un service de quelques instants sur cette partie du chemin. Il est inutile d’entrer dans les détails d’estimation des pertes qu’en éprouverait l’entreprise; mais il est évident qu’il s’ensuivrait d’incalculables entraves pour la liberté du parcours général, que les intérêts de la compagnie seraient lésés et qu’il ne faudrait pas que de semblables sujétions se renouvelassent bien des fois sur la longueur du chemin pour en absorber tous les bénéfices. Il suffirait donc de la volonté ou du caprice d’un certain nombre d’individus pour ruiner l’entreprise et priver ainsi toute une ville, tout un pays, d’une ressource peut-être indispensable à son existence. En effet, pour que l’entreprise prospère, il faut que le montant total du prix du transport des marchandises qui parcourent la ligne entière, ou du moins une grande partie de la ligne, couvre, avant de produire un bénéfice net, non seulement les frais occasionnés par ce transport, mais encore les pertes qu’entraîne le service sur de petits espaces; et il est clair que ces pertes en s’accroissant peuvent arriver promptement à dépasser le chiffre des bénéfices.
Ces considérations sont également applicables au cas où le tarif d’un chemin de fer n’établirait pas des prix variés proportionnels aux difficultés locales qui se rencontreraient sur quelques points de la ligne. Ainsi un plan incliné, une pente régnant sur le tout ou sur une partie du parcours, peuvent, quand le convoi remonte, doubler ou tripler les frais de traction.
Il en serait de même enfin dans toutes les circonstances particulières où l’excédent de dépenses ne serait pas compensé par une augmentation de prix, et dont la multiplicité déterminerait un déficit dans la balance générale.
En ce qui concerne le transport des voyageurs, les intérêts de la compagnie ne seront pas moins froissés par l’établissement de stations trop fréquentes entre les points de départ et d’arrivée, si le prix est réglé uniquement d’après la distance parcourue. Mais on pourrait établir quelques stations principales dans des lieux où la perte du temps serait compensée, soit parce qu’on y renouvellerait les provisions d’eau ou de combustibles, soit parce qu’ils avoisineraient une ville de quelque importance. Il semblerait juste alors que, pour les voyages d’une moindre longueur, la compagnie fût autorisée à percevoir le droit entier attribué par le tarif au transport entre les deux stations. Cette latitude lui permettrait de fixer des prix suffisants pour se couvrir du surcroît de dépense qu’occasionnent les temps d’arrêt; mais elle n’en devrait pas moins, dans son intérêt bien entendu, les maintenir à un taux assez modique pour s’assurer la clientèle contre toute concurrence, et pour favoriser, autant que possible, l’augmentation du nombre des voyageurs.
Dans le but de conserver une garantie contre le monopole des compagnies, on avait voulu aussi reconnaître en principe le droit de libre circulation, c’est-à-dire qu’il aurait été permis à tout venant d’éviter la location du matériel de la compagnie en faisant soi-même son propre service, et en payant le parcours d’après des bases déterminées. Ces mesures, si on les avait adoptées, n’auraient été qu’un moyen d’entraves apporté gratuitement au service, et n’auraient eu pour effet que de blesser les intérêts de la compagnie, sans aucun profit pour le public. Une telle condition insérée au cahier des charges aurait nécessairement maintenu les soumissions à des prix beaucoup plus élevés. Les intérêts du public trouveront ailleurs une garantie bien autrement puissante, puisqu’elle se lie intimement au succès même de l’entreprise: il suffira que les compagnies aient eu le temps de reconnaître que le bas prix des transports peut seul leur amener les masses, et que ce sont les masses qui font la prospérité d’un chemin de fer, quand le service en est régularisé et simplifié. Cette vérité bien constatée, le gouvernement pourra s’en rapporter aux compagnies elles-mêmes pour la fixation de leur tarif.
La législation anglaise, toujours identifiée, par suite du génie même de la nation, avec la prospérité de l’industrie nationale, avait compris, dès avant l’expérience, toute la portée de ces considérations. Elle décida par avance la question; sans attendre des essais dont elle avait prévu l’issue, elle ordonna que sur le chemin de fer de Darlington à Stokton, quelque court trajet que l’on fît, on ne payerait, en aucun cas, un prix moindre que celui du parcours de 10 milles anglais ou 16 kilomètres; le tarif fixait en outre un droit de 6 pence ou 60 centimes pour le passage de chaque plan incliné. Mais, d’un autre côté, le droit sur le transport des houilles, qui forme l’objet principal de ce rail-way, établi à 1 penny par ton et par mile anglais, c’est-à-dire à 6 1/4 centimes par kilomètre, est réduit à moitié pour tous les chargements qui, parcourant la ligne jusqu’à son extrémité, sont embarqués au port de Stokton pour être exportés. En sus du prix de transport, la compagnie perçoit, pour le louage de ses wagons, un demi-penny par ton et par mile; le droit total est donc de 9e, 37 par tonne de houille consommée dans le pays, et de 6e, 25 par tonne destinée à l’exportation. Par ces sages mesures, le gouvernement anglais atteint le double but de favoriser l’accroissement des transports dans l’intérêt de la compagnie, et d’encourager, dans son propre intérêt, l’écoulement hors de ses frontières des productions de son sol et de son industrie. Sans affirmer absolument que la compagnie de Darlington doit à ces conditions l’état florissant de son entreprise, je ferai cependant remarquer que ce chemin de fer est le seul dont personne n’ait jamais songé à contester le succès. C’est donc un précédent qui devra être pris en sérieuse considération par le gouvernement et par les compagnies, quand il s’agira de déterminer les bases d’une exploitation analogue.
A l’époque où furent accordées en France les premières concessions de chemins de fer, l’organisation de ce genre d’établissements n’y était connue encore que de la manière la plus imparfaite. Le gouvernement crut devoir, par précaution, se réserver le moyen de mettre postérieurement à profit les leçons de l’expérience. Il laissa donc dans le vague tous les points sur lesquels il ne pouvait statuer en connaissance de cause et d’une manière définitive: c’est ainsi que dans l’ordonnance royale qui autorise la construction du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, il n’est nullement question du transport des voyageurs, et qu’on s’y est borné à fixer les lieux de chargement. Plus tard seulement, on décida que de cette fixation résultait, comme conséquence au profit de la compagnie, le droit de percevoir le prix entier porté au tarif pour le parcours entre deux de ces stations, quelque court que fût d’ailleurs le trajet accompli. Ce principe, après avoir été le sujet de quelques contestations, fut enfin admis et mis à exécution comme formant la loi des parties. Postérieurement encore, le gouvernement a adopté pour minimum du droit de parcours sur le chemin de fer de Paris à Saint-Germain une distance de 6000 mètres. Peut-être est-ce trop peu; je crois qu’en portant cette distance à 10000 mètres, on aurait traité plus équitablement les intérêts de la compagnie sans nuire à ceux du public.
Je n’essayerai pas de calculer, comparativement à la dépense, les avantages que peuvent produire, soit la création d’un chemin fer, d’un canal, d’une route ordinaire; soit la canalisation d’une rivière; soit la construction, au moyen de l’asphalte, d’une route dont le service serait fait par des machines locomotives, nouveau genre d’établissement qui paraît devoir prendre bientôt rang parmi les utiles inventions de notre époque. De telles comparaisons, je le répète, ne prouvent rien lorsqu’on en a pas précisé les termes. Pour leur donner quelque valeur, il faudrait qu’on y tint compte d’une foule de circonstances, variables à l’infini, et sur la rencontre desquelles on ne peut même bâtir un système raisonnable de probabilités. En effet, quand il s’agit d’ouvrir une voie de communication, la détermination à prendre dépend et des besoins que l’on a à satisfaire, et de la disposition des localités, et du prix des matières premières, et des ressources de toute espèce dont on peut disposer, et enfin du degré de civilisation et de l’état moral des populations chez lesquelles et pour lesquelles cette voie doit être ouverte. On ne sait pas ordinairement, à moins que l’on n’en ait fait sur les lieux une étude spéciale, quelles grandes différences existent parfois dans la nature de deux pays qui, physiquement, sont peu éloignés l’un de l’autre; entre deux populations dont les mœurs et les usages semblent être à peu près les mêmes. C’est un examen que ne doit jamais manquer de faire préliminairement celui qui fonde une industrie dans une contrée où elle est nouvelle. S’il froisse des habitudes, s’il heurte sans ménagement des préjugés, s’il n’a pas d’avance, et avec soin, pesé la résistance qu’il trouvera dans ce genre d’obstacles, il marche entre deux dangers qui le menacent également: ou bien il échouera complètement dans ses projets; ou bien il verra, à la moindre circonstance imprévue qui viendra contrarier ses efforts, l’opinion publique rejeter sur son incapacité, sur son ignorance, ou sur des causes chimériques, mais accusatrices, ce que souvent nulle sagesse humaine n’aurait pu éviter.
L’histoire des peuples nous montre l’esprit humain toujours inquiet, toujours agité, toujours ardent à perfectionner et à augmenter les moyens de puissance dont il dispose, ou à se créer de nouveaux besoins qu’il s’étudiera ensuite à satisfaire. Entraîné par un vague désir d’étendre ses jouissances, d’atteindre à un mieux indéfini qu’il se représente toujours devant lui, l’homme ne peut jamais être satisfait de ce qu’il possède. Quand nous savons le modérer, ce désir est salutaire et bienfaisant, il nous pousse vers le progrès; mais si nous ne le contenons dans de justes bornes, il nous précipite dans le découragement. Alors nous arrivons au dégoût de la vie, et nous le trouvons précisément dans un penchant que la nature a mis en nous pour nous attacher à l’existence, en déguisant, sous la grandeur du rôle social, la chétive importance de l’individu. C’est à ce besoin inné des jouissances que l’homme doit le développement de ses facultés et l’activité de son intelligence; c’est à ce besoin qu’il doit les grandes conceptions, les heureuses découvertes, qui se groupent sous un caractère spécial à chacune des grandes époques de la civilisation, qui gravent, dans les fastes de l’humanité, chacune des phases de la vie d’un peuple. La satiété conduit l’âme vulgaire au suicide; mais elle n’a pas, sur l’homme de génie, cette pernicieuse influence, ou plutôt l’homme de génie ne l’éprouve jamais. Lorsque dans les connaissances acquises, dans les faits accomplis, dans l’état présent des choses, il ne trouve plus un aliment qui suffise à sa noble avidité, alors il s’élance dans les régions de l’inconnu. Là, il interroge les possibilités, il s’attaque à de nouveaux problèmes. Et parfois par ses combinaisons profondes, par une courageuse persévérance, d’autres fois par un effort violent et subit de son esprit, il acquiert au monde une vérité de plus, une science nouvelle. Entre.celui qui succombe lâchement sous le poids d’un désir stérile, et celui qui, pour satisfaire ce désir, accomplit et lègue à l’humanité quelque grande et utile conception, la distance ne se mesure pas plus que celle qui sépare l’esprit de la matière.
Les diverses facultés de l’esprit humain ne se développent pas d’une manière régulière et continue; et l’on ne saurait déterminer à l’avance dans quel sens porteront les progrès. Il suffit de l’influence de quelques individus pour entraîner la masse dans une direction tout à fait imprévue. Qu’un sujet devienne, par une cause fortuite, le but des méditations et des recherches de quelques hommes d’une science ou d’un rang supérieurs; bientôt, poussés par cet esprit d’imitation qui forme la base de notre caractère, tous les autres talents viendront se grouper autour d’eux. Ces pentes diverses, que suivent isolément certaines portions de la société, déterminent chez les peuples un aspect, un état moral particulier, et influent d’une manière sensible sur les rapports de puissance et de fortune qui existent entre eux.
Il n’est pas toujours facile de démêler les causes qui réagissent ainsi sur le mouvement social. Pour que la masse entre en jeu, il faut que les esprits aient été lentement prédisposés, il faut qu’on leur ait jeté antérieurement quelques idées en rapport avec la direction nouvelle dans laquelle on veut les conduire. Mais l’impulsion donnée, le mouvement continue et gagne de vitesse; et souvent alors il devient impossible de le régler et de le contenir; et souvent la masse ébranlée dépasse le but et marche longtemps encore sans s’inquiéter du point où elle aboutira désormais. Ainsi, dans les révolutions politiques, le peuple, soulevé contre un pouvoir tyrannique, épuise le surperflu de sa force et les restes de sa colère contre les monuments des arts et de l’industrie; ainsi, la nation qui a pris les armes pour repousser l’ennemi de ses frontières passe de la défense à l’attaque, de la résistance au désir de la conquête.
Le siècle dernier vit naître, à là suite de l’immortel Newton, une foule d’hommes qui, doués d’un moindre génie, ont contribué cependant à illustrer cette époque si remarquable par les découvertes qui ont enrichi les sciences, et surtout l’astronomie physique. Mais, après avoir créé l’art de calculer les circonstances des phénomènes naturels dont ils avaient surpris le secret, ils ne purent qu’effleurer la matière. Ils la léguèrent en cet éta à leurs successeurs, qui appliquèrent toute leur intelligence à en pénétrer les profondeurs. Enfin, cette science nous est arrivée dépouillée de ses mystères, et épuisée par les grands mathématiciens auxquels nous touchons; ils ne nous ont transmis qu’un champ défriché.
Ces recherches, où pendant deux siècles s’était concentrée toute l’ardeur des esprits, étaient pour nous choses acquises. Les intelligences manquaient d’aliment; il leur fallait un but. Elles se le sont proposé dans la résolution de toutes les questions qui se rattachent aux besoins les plus simples et les plus usuels de la société. Mais les penseurs se sont jetés dans la science spéculative; ils ont fait des livres remplis d’abstractions, et ont négligé de descendre dans l’étude matérielle des faits, dont la connaissance seule peut éclairer la pratique. Les praticiens trouvaient leurs ouvrages ou trop au-dessus de leur portée, ou trop philosophiquement savants pour qu’ils crussent devoir les consulter. Ils s’accoutumèrent dès lors à regarder la théorie comme inutile, souvent même comme en contradiction avec la pratique. Cet état de guerre, qui s’est manifesté en France au moment où les idées industrielles commençaient à s’y répandre et à s’y populariser, a singulièrement retardé les développements de l’industrie. Les capitalistes entreprenants, qui entrevoyaient dans d’utiles spéculations un moyen d’augmenter leur fortune, comprenant que le concours de la théorie et de la pratique était indispensable à la réussite de leurs projets, s’efforçaient de concilier ces deux sciences qui doivent toujours s’éclairer l’une par l’autre. Mais leurs efforts furent rarement heureux et plusieurs fois de grandes déceptions répondirent à de chimériques espérances.
Le temps et l’expérience ont commencé à modifier un tel état de choses. L’Angleterre nous avait donné l’exemple en se bornant à enrichir son industrie de tous les essais, de toutes les découvertes pratiques sorties des ateliers de ses artisans; cette méthode fut adoptée en France; alors de grands succès furent obtenus. Aujourd’hui l’impulsion s’est communiquée dans tout le monde civilisé, et l’industrie suit à grands pas une marche ascendante, dont il n’est donné à personne de prévoir la durée et l’issue,
Les chemins de fer ont été l’une des œuvres les plus étonnantes de notre époque. On a peine encore à se familiariser avec cette incroyable vitesse, qui entraîne les voyageurs sans leur laisser le temps de se rendre compte de l’espace qu’ils parcourent. Ce qui n’est pas moins surprenant, peut-être, c’est l’audacieuse témérité des premiers qui se sont confiés à ces terribles moteurs. Mais l’influence de l’exemple est miraculeuse; ce qu’aucun homme isolé n’oserait faire, dix simultanément vont le tenter. Chaque voiture renfermait un certain nombre de compagnons qui se donnaient mutuellement du courage, et ils oubliaient que le moindre dérangement de ces puissantes machines serait pour tous le signal d’une mort terrible et presque inévitable.
La réalisation de ces merveilles de l’industrie et cette espèce de contagion, heureuse du reste, qui gagnait toutes les classes, remuait toutes les imaginations, et faisait travailler toutes les têtes, éveillèrent dans un autre ordre une activité non moins grande. Tous ceux que dévoraient la soif des richesses, alléchés par quelques exemples séduisants, par quelques fortunes rapidemment amassées, se persuadèrent que le moment était venu d’arriver à leur but, et qu’à tout prix il fallait saisir l’occasion. Dans tout ce qui s’accomplissait chaque jour sous leurs yeux, leur esprit vagabond ne vit que des événements précurseurs d’autres événements plus étonnants encore, qu’ils se sont crus chargés de faire éclore. Ils proclamaient comme des miracles nouveaux les conceptions les plus creuses; ils écrasaient l’industrie naissante sous une multitude de projets qui se faisaient remarquer par des combinaisons irréfléchies, ou par des idées extravagantes, quand ils n’accusaient pas l’improbité et la mauvaise foi.