Fig. 4. — Amortissement de grille composé par Fordrin.
LE substantif SERRURERIE dérive, en passant par SERRURE, du verbe SERRER, qui dans l’ancien langage signifiait FERMER. Malherbe remarque qu’en «Provence et autres tels lieux, on dit serrer les yeux, serrer la porte, la fenêtre, pour CLORE». La Chronique de Saint-Denis, Olivier de Serres et Mathurin Cordier, en employant notre verbe dans le même sens, attestent que du XVe au XVIIe siècle, cette acception était généralement admise dans le Languedoc, la Normandie et l’Ile-de-France. Cette constatation a pour nous une certaine importance. Elle explique, en effet, comment, à toutes les époques, les serruriers ont été occupés bien plus à fabriquer toutes sortes de grands ouvrages en fer, tels que grilles, grillages, portes, rampes d’escalier, balcons de croisées, balustrades, garde-fous, etc., qui servent à SERRER, c’est-à-dire à enclore, à fermer un espace, à mettre un bâtiment ou une pièce à l’abri des profanes ou des gens malintentionnés, qu’à confectionner ce qu’on appelle proprement des serrures.
Indépendamment de tous ces grands ouvrages où l’art ne tarda pas à jouer un rôle considérable, les serruriers ont vu de tout temps leur concours réclamé par les constructeurs, qui leur ont demandé des chaînes, des ancres, des harpons, des embrasures, destinés à servir de soutien à la maçonnerie; des équerres, des liens, des brides, chargés d’affermir les travaux de charpenterie. Puis, après avoir assuré la solidité de l’habitation, ils furent amenés, par la nature même de leur travail, à peupler celle-ci de meubles nombreux et d’ustensiles variés. C’est à eux qu’on demanda les sièges et les lits en fer, les chenets, les pelles, les pincettes, les coffrets, les cadres de glace, les lanternes de vestibule, les lampadaires, les chandeliers, les pieds de table, les supports de toutes sortes. Faut-il ajouter que jadis leur intervention dans le mobilier était encore plus étendue que de nos jours? Non seulement ils avaient à pourvoir les cheminées de ces monumentales crémaillères, orgueil de nos ancêtres, — qu’on n’a pas cessé de pendre, bien qu’elles aient cessé d’exister, — de ces landiers majestueux qui revêtaient parfois des formes grandioses, de grils énormes et de vastes trépieds; mais ils étaient chargés de la confection d’une foule d’instruments de précision. Les balances, les romaines, les tournebroches et jusqu’aux horloges à poids rentraient dans leur compétence. Enfin nous avons constaté dans celui de nos volumes qui est consacré à la MENUISERIE que, pendant une longue suite de siècles, et jusqu’à la grande transformation que l’art ogival amena dans la confection des coffres et des armoires, les huchiers avaient eu recours aux artisans du fer pour assurer la solidité de leurs ouvrages à l’aide de ferrures savamment ouvragées.
Aujourd’hui encore, la plupart de ces meubles ne pourraient être utilisés si le serrurier n’y mettait la dernière main. Les portes et les croisées, les battants des armoires, les couvercles des coffres, exigent, pour pouvoir s’ouvrir et se fermer, des gonds, des pentures, des couplets, des charnières et des fiches. Pour les tenir clos on les garnit de verrous, de targettes, de moraillons, d’espagnolettes, de crémones, de loquets ou de loquetons. Enfin, dans le but d’assurer la fermeture, non seulement de ces meubles, mais aussi de l’habitation, et pour que le propriétaire puisse seul ouvrir sa maison, ses chambres, ses coffres, ses armoires, on a imaginé, dès la plus haute antiquité, une infinité d’espèces particulières de serrures et de cadenas. On voit qu’il est peu de professions dont le domaine soit aussi étendu et qui rende plus de services.
Le nombre et la qualité de ces services s’expliquent par la nature même de la matière que le serrurier met en oeuvre. Le fer en effet, à sa propriété d’être, sous le moindre volume, le plus résistant des métaux, ajoute l’avantage d’être extrêmement abondant et d’un prix peu élevé. Aussi du jour où l’humanité en eut fait la conquête, a-t-il été constamment recherché pour tous les emplois qui exigent sous un mince développement une grande force de résistance. Ajoutons que cette recherche persistante conduisit rapidement ceux qui le travaillaient à une étonnante perfection dans la main-d’œuvre, perfection d’autant plus remarquable qu’il n’est pas de métal dont la façon caractérise mieux le triomphe de l’homme sur la matière.
L’ouvrier aux prises avec le fer n’a pas seulement besoin d’une expérience consommée, d’un coup d’œil juste, d’une main ferme et sûre. Il lui faut encore la force qui dompte la substance rebelle, et cette confiance en soi-même qui bannit le trouble et l’hésitation. La moindre erreur dans l’application de ces coups formidables qui font retentir l’enclume, au lieu d’augmenter la qualité du métal, peut le corrompre et le cribler de gerçures. De là vient cette émotion en quelque sorte respectueuse que l’on éprouve même dans une maréchalerie de village, au bruit retentissant des marteaux dont les chocs cadencés pétrissent les barres rougies, en faisant jaillir à chaque coup une gerbe d’étincelles. De là vient également la considération toute particulière qu’inspirent ces modestes cyclopes aux bras d’Hercule, vainqueurs pacifiques et toujours calmes dans cette lutte violente contre la matière; si bien qu’il suffit, pour ne les oublier jamais, d’avoir une seule fois contemplé leurs silhouettes noires de charbon, se dessinant sur les rutilances embrasées de la fournaise. De là vient enfin le charme spécial qui se dégage de la contemplation de ces ouvrages si variés, de ces barres gracieusement recourbées par un brutal effort, de ces feuillages assouplis à grands coups de marteau, et sur lesquels l’œil attentif distingue le stigmate laissé par l’action d’un poignet héroïque soudant sur l’enclume les pétales d’une rose.
De ce travail où chaque délicatesse est obtenue par un acte de violence, où toute finesse d’exécution résulte du choc brutal d’un pesant marteau frappé à tour de bras sur la matière rougie, les ouvrages du fer conservent quelque chose de grand, de mâle, de noble, que n’offrent pas les autres productions humaines, et c’est ce qui explique comment, dès la plus haute antiquité, tous les peuples ont entouré d’une sorte de vénération superstitieuse ceux qui le mettaient en œuvre. Les Anciens, qui, dans leur chimie primitive, donnaient à notre métal le nom héroïque de Mars, n’hésitèrent pas à ranger au nombre de leurs divinités Vulcain et ses Cyclopes. Les Hébreux conservèrent un pieux respect pour la mémoire de Tubal-Caïn, fils de Lamech, qui, 2975 ans avant notre ère, les avait initiés aux mystères de la forge. Les Perses vouèrent une espèce de culte à Djemschid, fils de Tahamouras, qui, durant un règne de 700 ans, combla de bienfaits les habitants de l’Iran et leur apprit à façonner le rebelle métal. «Il amollit le fer, dit le schah Nameh. Par sa puissance royale, il lui donna la forme des casques, des cuirasses, des lances.» En Occident comme en Orient, ce respect reconnaissant entoura, pendant toute une suite de siècles, les initiateurs des ouvrages de la forge. En Gaule, dès les temps préhistoriques, le travail du fer fut en singulier honneur. Avant même que la domination romaine se fût établie sur notre pays, les Gaulois montraient déjà des aptitudes spéciales dans l’exercice de cet art. Tous ceux, au surplus, qui ont écrit sur la serrurerie se plaisent à vanter sa haute antiquité. «Je peux véritablement dire, écrit Mathurin Jousse , qu’entre tous les arts mechaniques, il n’y en a aucun qui puisse parangonner à celuy du serrurier pour nous estre utile et nécessaire; l’invention d’icelluy estant sy vieille et antique qu’il semble avoir pris naissance avec cest univers mesme.» Et Lamour ajoute dans son Préliminaire apologétique : «La forge est aux inventions de ce genre, ce que le génie est aux sciences. Elle en est l’âme et la force, aucune ne peut se passer d’elle, et elle ne les a précédées toutes que pour les créer. Si Gérés donne du pain aux Cyclopes, c’est qu’ils lui avaient fabriqué la charrue. Si le pieux Énée conserve et établit au milieu des combats les fugitifs de Troie, c’est qu’il est armé par l’époux de Vénus.»
Vénéré dans l’Antiquité, l’art du fer, pendant tout le Moyen Age, continua de jouir d’une considération qu’expliquent aisément ces grilles à la fois belles, fortes et simples, qui ferment encore les chapelles des églises et les fenêtres des châteaux, et ces pentures superbes dont le peuple, dans son admiration naïve, attribuait au diable la paternité. La Renaissance, en cela, suivit les traces du Moyen Age, et jusqu’à la fin du siècle dernier, nous venons de le voir, cet enthousiasme ne faiblit pas.
Pourquoi faut-il que cette période si glorieuse ait été suivie d’une décadence inqualifiable qui dura près de cinquante ans? Aujourd’hui, heureusement, la serrurerie d’art a repris son premier lustre. L’habileté de nos artisans égale celle de leurs glorieux ancêtres, et il n’est pas un ouvrage ancien qu’ils ne pourraient refaire. Le moment est donc propice pour étudier les secrets de ce bel art et pour en approfondir la pratique. Mais ce que nous venons de dire suffit à démontrer combien le sujet que nous abordons est vaste. Pour plus de clarté nous croyons donc devoir procéder d’une façon méthodique. En premier lieu nous décrirons le traitement du fer et la confection des grands ouvrages de la forge; ensuite nous nous occuperons de ce qui a trait à la serrurerie proprement dite. Enfin nous retracerons l’histoire de cette noble profession, à laquelle nous devons tant d’oeuvres admirables.
Fig. 6. — Masque de Bacchus en fer repoussé.
Le fer se rencontre dans la nature à l’état de minerai. Presque tous les pays en produisent. Ceux du Berry ont joui pendant longtemps d’une grande réputation, et les nombreux ouvrages qu’ils ont permis d’exécuter montrent combien cette réputation était méritée. Ceux de Suède, aujourd’hui, sont considérés comme étant les meilleurs. Ne pouvant nous étendre longuement sur les préparations préliminaires et sur le traitement métallurgique qu’on leur fait subir, — ce qui sortirait du cadre de ce livre, — nous nous bornerons à expliquer que ces minerais sont divisés en deux sortes principales: 1° les mines terreuses, comprenant toutes les variétés de fers qu’on rencontre mélangés à des terres argileuses ou calcaires; 2° les minerais en roche, renfermant toutes les espèces qui sont accompagnées d’une gangue dure, spathique ou quartzeuse.
Les minerais de la première catégorie sont purifiés par un lavage préalable. On débarrasse ainsi le fer brun et granuleux des argiles et des calcaires qui l’enveloppent, et on l’amène au degré de pureté indispensable pour qu’il puisse être fondu avec économie. Lorsque le lavage ordinaire ne suffit pas, on bocarde la masse terreuse, c’est-à-dire qu’on la fait passer sous les pilons d’une machine appelée bocard, qui la pulvérisent, en même temps qu’un fort courant d’eau entraîne les argiles et les matières calcaires qui se trouvaient mêlées au fer.
Les minerais de roche ne sont point bocardés ni lavés. On les grille. Ce traitement préliminaire varie suivant les sortes de minerais. Il a pour but de rendre ces derniers plus friables, en séparant le soufre ou l’arsenic ou encore l’eau de cristallisation du fer spathique, etc. Mais comme ces minerais ne possèdent pas par eux-mêmes les qualités combustibles qui permettraient au grillage de se continuer jusqu’à ce que le fer puisse être entièrement dégagé, on les associe pour cette opération avec du bois ou de la houille, qu’on dispose en lits alternatifs.
Après avoir subi ce premier traitement, les minerais, débarrassés à peu près complètement des matières avec lesquelles ils étaient mélangés, sont fondus. Les fourneaux qu’on emploie à cet usage affectent une forme particulière. La plupart sont très élevés; quelques-uns même mesurent jusqu’à 14 mètres de haut et présentent une vague apparence de puits élargis en leur milieu. A cause de cette disposition, on leur donne le nom de hauts fourneaux. Leur orifice supérieur porte la dénomination assez peu euphonique de gueulard. La combustion, à l’intérieur, est activée par une ou plusieurs tuyères. A leur partie inférieure se trouve un récipient qu’on nomme le creuset.
C’est par le gueulard qu’on charge le haut fourneau. On y verse un mélange composé de minerai, de charbon et quelquefois d’un fondant terreux. Suivant la nature du minerai, ce fondant est argileux ou calcaire. Le charbon qu’on emploie de préférence est le charbon de bois et, s’il est possible, celui qui est produit par la combustion de chênes ayant une vingtaine d’années. Le résultat de cette combustion donne environ 20 pour 100 de fonte et 15 pour 100 de fer.
La houille, dont on fait usage à défaut de charbon de bois, est employée sous forme de coke. Lorsque le coke est de bonne qualité et a été préparé avec soin, le résultat final est des plus satisfaisants. Ainsi que l’écrivait fort bien M. Le Normand, «de la bonne qualité du coke dépend celle du métal. Mêlé à des substances hétérogènes, il détériore la valeur du métal et détruit sa fusibilité.» Malheureusement il n’est pas toujours facile de se procurer du bon coke, et le propriétaire d’un haut fourneau n’a que rarement le moyen de s’assurer de la composition chimique de celui qui lui est fourni. Un autre facteur dont le métallurgiste instruit et expérimenté doit se préoccuper, c’est la nature des argiles qui, au moment de l’introduction dans le haut fourneau, demeurent mélangées avec le minerai, et surtout les proportions de chaux et de silice qu’elles contiennent. Il lui faut, en outre, calculer quelle diminution de combustible pourra en résulter, de façon à obtenir, par un arrangement judicieux, le plus de métal et le meilleur, avec la moindre dépense.
Une fois ces précautions prises, — et aucune d’elles ne doit être négligée, car elles exercent une grande influence sur la qualité du fer produit, — le fourneau est chargé et allumé. A mesure que le charbon se consume, le minerai et ses mélanges terreux entrent en fusion; la masse s’affaisse, et si le travail va bien, elle descend d’une façon lente, régulière, égale. Quand il arrive devant la tuyère, le minerai, qui avait été progressivement chauffé et comme préparé dans la partie supérieure du haut fourneau, se trouve en complète fusion. L’oxyde de fer, en partie vitrifié, se combine avec une certaine quantité de carbone et passe à l’état de fonte. Devenu alors d’une pesanteur spécifique beaucoup plus considérable que les substances étrangères auxquelles il est mélangé, il les abandonne, coule et se rassemble au fond du creuset. Quant aux argiles, à la silice, à la chaux, au manganèse des gangues liquéfiées par la chaleur, ils forment une sorte de vitrification opaque et brune, désignée sous le nom de laitier, qui nage sur la fonte, gagne les bords du creuset et s’écoule le long d’une plaque inclinée qu’on nomme la dame. La charge d’un fourneau de 14 à 15 mètres de haut met environ trois jours à descendre dans le creuset; mais les ouvriers ne laissent pas le fourneau se vider. A mesure que le niveau s’abaisse, ils remplacent la matière consommée par de nouvelles charges jetées dans le gueulard.
Lorsque le nombre des charges successivement versées et l’abondance du laitier qui s’est écoulé permettent de supposer que le creuset doit être plein, il s’agit de le vider. Pour cela on procède à une opération très importante qui s’appelle la coulée, et qui consiste à conduire la fonte en fusion dans des moules spéciaux pouvant contenir 500 à 600 kilogrammes de métal, et qu’on a préalablement creusés dans le sol même de la fonderie. Les lingots ainsi obtenus présentent la forme d’un long prisme rectangulaire effilé à ses deux extrémités, et qui porte le nom de gueuse. Ordinairement on procède pour chaque haut fourneau à deux ou trois coulées par jour, et le haut fourneau continue de marcher pendant plusieurs mois de suite et tant qu’il n’a besoin d’aucune réparation.
La fonte qui vient ainsi se mouler dans les gueuses, soit qu’on l’ait obtenue avec de la houille carbonisée (coke) ou avec du charbon de bois, est une combinaison de fer allié à une petite quantité d’oxygène et de carbone, et dont la qualité varie suivant la proportion de chacun de ces trois éléments. On distingue deux sortes principales de fonte: la grise et la blanche. Cette dernière contient plus d’oxygène et moins de carbone que sa rivale. Elle est d’une couleur plus claire; elle est aussi plus dure, plus cassante. Sa cassure est lamelleuse, sa surface irrégulière, et le retrait qu’elle prend en refroidissant assez considérable. La fonte grise, dont la couleur tire sur le noir, contient, au contraire, plus de carbone et moins d’oxygène que la précédente. Elle a le grain fin et brillant; elle est moins dure et moins friable; sa surface est plus unie, et son retrait moins grand. En outre, elle pèse plus lourd. Cette fonte grise elle-même comporte deux qualités: l’une aigre, qui, cassante, sans souplesse, sans lien, occasionne beaucoup de déchet à l’affinage, et somme toute donne du mauvais fer; et l’autre douce, plus difficile à affiner, mais qui fournit un fer bien meilleur.
La facilité qu’on a de mouler la fonte fait qu’on l’emploie pour un nombre assez considérable d’ustensiles de ménage. On en fabrique des contre-cœurs ou plaques de cheminée, des poêles, des tuyaux de conduite, des grilles de balcon, des rampes, des marmites, etc. Malheureusement sa fragilité relative et surtout sa dureté empêchent qu’on en fasse usage pour les objets ou les ornements qui réclament du fini et une certaine délicatesse de contours. Les formes qu’elle présente au sortir du moule sont toujours émoussées, obtuses, et nécessiteraient, pour être réparées et prendre quelque accent, l’intervention du ciseau et de la lime. Mais pour que ceux-ci puissent agir utilement, il est indispensable que la surface au moins de la fonte soit attendrie ou, pour employer l’expression usitée, soit rendue malléable.
Cet attendrissement de la fonte, cette possibilité de la rendre malléable est d’invention française. En 1722, l’illustre Réaumur publia un ouvrage très important sur l’Art d’adoucir la fonte. S’appuyant de cette constatation que celle-ci est d’autant plus douce qu’elle contient plus de carbone et moins d’oxygène, Réaumur démontra qu’il suffit d’enlever à la fonte grise, et même à la fonte blanche, l’oxygène qu’elles ont en excédent et de leur donner le carbone qui leur fait défaut, pour les rendre l’une et l’autre malléables. Bien mieux, il enseigna divers procédés pour obtenir ce résultat et rendit compte dans leur moindre détail de ses propres expériences. Il est impossible de décrire un art avec plus de soin, et lorsqu’on a lu les dix-huit mémoires dont il se compose, on se demande comment ce beau travail a pu passer inaperçu et tomber dans un complet oubli.
Il fallut, cependant, qu’au commencement de ce siècle, un de nos compatriotes, M. Baradelle, allât surprendre en Angleterre les procédés employés depuis quarante ans et les réimportât chez nous, pour que cette industrie prît un certain essor sur le continent, et pour que l’on découvrît que nos voisins d’Outre-Manche s’étaient bornés à mettre en pratique des formules et des principes exactement calqués sur les découvertes de l’illustre savant français.
Mais la fonte malléable, bien que rendant de nombreux services au serrurier, — soit qu’elle lui permette d’obtenir quelques petites pièces fines et délicates, comme les anneaux de clef, les palâtres de serrure décorés d’ornements en léger relief, soit qu’elle lui fournisse des entrelacs, des rinceaux imitant en massif les ouvrages en tôle relevée, — la fonte malléable ne joue qu’un rôle secondaire dans la serrurerie proprement dite, et surtout dans la serrurerie d’art. Cette dernière n’emploie guère que du fer forgé, et c’est de celui-ci qu’il va être question dans notre prochain chapitre.
Fig. 7. — Palâtre de serrure exécuté en fonte malléable. (XVIIIe siècle.)
On peut considérer la fonte obtenue par les procédés que nous venons de décrire comme un état intermédiaire, c’est-à-dire comme un passage du minerai de fer au fer métallique tel qu’il est employé dans les grands et beaux ouvrages de la serrurerie. Pour faire acquérir au métal toutes les propriétés, toutes les qualités qui lui sont indispensables, il faut le priver de l’excès de carbone et d’oxygène qu’il comporte, et achever d’expulser de sa masse le laitier qui tient encore ses fibres séparées. Cette opération, qui se nomme affinage, s’effectue de la façon suivante:
L’ouvrier place les morceaux de fonte dans un creuset disposé au fond du fourneau et entouré de charbons allumés. Les soufflets qu’il fait fonctionner ne tardent pas à porter la température à un degré assez élevé pour que la fonte entre en fusion, et il la maintient quelque temps en cet état, en ayant soin, pour activer la combustion, de remuer continuellement la fonte avec un ringard, et de diriger le vent des soufflets sur sa surface. A mesure que le carbone est brûlé, le fer devient moins fusible, et il se forme des grumeaux métalliques que l’ouvrier rapproche et dont il constitue une masse unique. Dès que cette masse poreuse, qu’on désigne sous le nom de loupe ou de renard, est de taille convenable, l’ouvrier la tire hors du creuset et la fait rouler sur la plaque de fonte qui forme l’aire de l’atelier. Là plusieurs ouvriers la frappent avec de lourds marteaux, font ressuer le laitier et donnent à la loupe une forme à peu près sphérique.
Cette opération préliminaire s’appelle fouler la loupe. Une fois celle-ci foulée, on la cingle, c’est-à-dire qu’on la porte sous un énorme marteau mû mécaniquement, auquel on donne le nom de martinet, et qui commence à la forger. Cette nouvelle opération transforme radicalement le métal. Par elle il cesse d’être fusible, c’est-à-dire qu’il peut encore brûler, mais qu’il ne fond plus. Il devient doux et cesse, par conséquent, d’être cassant. Son élasticité lui permet de se plier dans tous les sens, et il est désormais possible de le tailler au burin, de le sculpter, de le graver, de le travailler à la lime, en un mot de lui donner non seulement les formes les plus variées, mais encore tout le poli et tout le fini désirables.