Reposons-nous ici, mes amis. Nous voici parvenus sur le sommet le plus élevé de la colline. Venez vous asseoir près de moi, et jouissons ensemble de la fraîcheur de cette belle soirée. Quelle charmante perspective s’offre à nos regards! Comme ce vaste paysage réunit l’agrément et la richesse dans le mélange de ces vertes prairies où l’œil s’égare avec tant de plaisir, de ces petits ruisseaux qui semblent se jouer en les baignant de leurs eaux fécondes, de ces champs couverts de moissons dorées, et de cette forêt, dont les robustes enfants vont se transformer en vaisseaux, pour aller nous chercher mille trésors précieux aux bornes de la terre!
Au-dessus de cette scène admirable, contemplez le soleil, qui, du seul éclat de sa couronne, remplit l’immensité de son empire. Toute cette magnificence est son ouvrage.
Après avoir rendu par la chaleur de ses rayons la vie à la nature, il en fait briller les traits rajeunis de la splendeur de sa lumière, et jette sur les plis de sa robe verdoyante les plus vives couleurs.
Occupons-nous un moment de ce qu’il est, et des bienfaits qu’il répand sur la terre, avant de rechercher la place qu’il occupe, et de parcourir les espaces immenses où s’étend sa domination.
Le soleil est un globe de feu, qui, tournant sur lui-même avec une rapidité prodigieuse, darde sans cesse, et de tous les côtés en lignes droites, des rayons formés de sa substance, et destinés à porter avec une vitesse inconcevable, jusqu’au bout de l’univers, la lumière qui l’éclaire, la chaleur qui l’anime, et les couleurs qui l’embellissent.
C’est un globe, puisque dans toutes ses parties, il se montre à nos yeux sous une forme circulaire, et qu’avec un bon télescope, on découvre sa convexité. Il est de feu, puisque ses rayons rassemblés par des miroirs concaves ou des verres convexes, brûlent, consument et fondent les corps les plus solides, ou même les convertissent en cendres ou en verre.
Il tourne sur lui-même, puisque l’on observe sur son disque des taches, qui, se montrant sur un de ses bords, semblent passer à travers toute sa largeur sur le bord opposé, se dérobent pendant quelques jours, et reparaissent ensuite au premier point d’où elles sont parties. Ces taches peuvent aisément se découvrir avec une bonne lunette; leur nombre va quelquefois jusqu’à cinquante; et il en est que l’on a vues dix sept cent fois plus grandes que la terre entière. Soit qu’on les considère comme des écumes formées par l’action d’un feu violent, soit plutôt comme des éminences solides du corps du soleil, que les flots de matière enflammée qui le baignent, laissent quelquefois à découvert dans leur agitation, ces taches, unies à sa masse, ne laissent pas douter, par leur cours régulier, qu’il ne tourne avec elles sur lui-même; et cette rotation qui se fait en vingt-cinq jours et demi, quoique plus lente que celle de la terre, qui n’y emploie qu’un jour, doit être d’une rapidité prodigieuse pour un globe quatorze cent mille fois plus gros que le nôtre.
Le soleil darde ses rayons sans cesse de tous côtés, et même de tous les points de sa surface; car il n’est pas un seul instant où sa lumière ne se répande sur toutes les parties de l’univers tournées vers lui, et pas un seul point qu’il éclaire, d’où on ne ne le voie tout entier.
Ses rayons sont dirigés en lignes droites, et non par des ondulations semblables à celles que le mouvement excite dans l’air et dans l’eau; car autrement, on le verrait lorsqu’il serait caché derrière une montagne, et même lorsqu’il serait de l’autre côté de la terre, c’est-à-dire pendant la nuit, puisque sa lumière étant répandue par ondes, comme le son, l’impression en viendrait toujours à nos yeux. La lune, par la même raison, ne pourrait jamais l’éclipser.
J’en ai une autre preuve plus à votre portée. Lorsque j’ai fait votre portrait à la silhouette, c’est que votre tête jetait sur la muraille, une ombre exactement de la même forme qu’elle-même; ce qui prouve clairement que les rayons croisaient en lignes droites, toutes les extrémités de votre profil. On peut enfin s’en convaincre d’une autre manière, en fermant les volets d’une chambre et en y pratiquant un petit trou: les rayons qui passent par cette ouverture ne se répandent point en ondes dans la chambre, mais la traversent en lignes droites, sans éclairer autre chose que les objets qu’ils rencontrent dans cette direction.
Les rayons du soleil sont formés de sa propre substance. Ce sont des flots de sa matière enflammée qu’il lance de tous côtés. A la distance où il est de nous, comment ses rayons pourraient-ils nous échauffer s’ils ne partaient d’une source brûlante, en conservant dans le trajet leur chaleur par la vitesse de leur mouvement? Vous branlez la tête, Henri? Vous pensez sans doute que le soleil devait être dès longtemps épuisé ? Votre arrosoir, dites-vous, n’est pas une minute à se vider de l’eau qu’il contient Je veux renchérir encore sur votre objection. L’arrosoir ne verse de l’eau que d’un côté, et le soleil répand de toutes parts sa lumière. Il la fait jaillir jusqu’à des lieux un million de fois peut-être plus éloignés de lui que nous ne le sommes, puisque certaines étoiles, qui sont à cette distance, envoient leur lumière jusqu’à nos yeux. Il ne paraît pas cependant que ni le soleil, ni les étoiles aient souffert, depuis tant de siècles, quelque diminution de leur éclat. Vous voyez que je n’ai pas affaibli votre difficulté. Écoutez maintenant ma réponse.
Il est d’abord nécessaire de vous donner une idée de la petitesse prodigieuse des parties dont les rayons de lumière sont composés. Au moyen du microscope, je vous ai fait voir dans une goutte d’eau de mare, pas plus grosse qu’une lentille, des milliers de petits insectes vivants. Ces insectes ont des yeux, des membres, du sang, ou une autre liqueur qui circule dans leur corps pour les animer. Il vous est aisé, ou plutôt il vous est impossible de vous figurer combien chaque goutte de sang ou de cette liqueur doit être menue. On prouve, par le calcul, qu’elle est moins par rapport à un grain de sable d’une ligne, que ce grain de sable n’est au globe de la terre. Eh bien, cette petitesse n’est rien encore en comparaison de celle des parties de la lumière, ainsi que vous allez en convenir. Je vous ai dit tout à l’heure que nous ne voyons le soleil entier que parce que de tous les points de sa surface, il part des rayons qui viennent peindre son image au fond de nos yeux. Il n’est pas douteux que ces insectes ne voient le soleil pendant le jour; peut-être voient-ils pendant la nuit les étoiles. Or, ils ne peuvent les voir à moins que de tous les points de toute la surface des étoiles et du soleil, il ne soit parti des rayons pour en porter jusqu’au fond de leurs yeux l’image entière. Le soleil est plus de quatorze centmille fois plus grand que la terre; chacune des étoiles est aussi grande que le soleil. Voilà donc des corps d’une masse si incompréhensible, qui, de tous les points de leur étendue, envoient des flots de lumière dans l’œil d’un petit insecte, confondu avec des milliers de ses semblables dans une goutte d’eau, à peine sensible à nos regards.
Vous refusez peut-être de croire qu’un si petit animal puisse porter sa vue jusqu’aux étoiles. Je ne vous chicanerai point là-dessus, quoique je puisse vous citer un très beau vers de M. de Bonneville, qui dit en parlant de la puissance de Dieu:
Et sur l’œil de l’insecte il a peint l’univers.
Mais si l’insecte ne jouit pas de ce vaste spectacle, nous en jouissons, nous autres. Notre œil peut, dans une seconde, parcourir toute l’étendue des cieux. Il aura vu non seulement toutes les étoiles, mais encore toutes les parties de l’espace qui les sépare; ce qui multiplie bien davantage la quantité des rayons qui seront venus successivement aboutir à nos yeux. Et cette nouvelle expérience est une preuve plus forte encore de l’infinie petitesse des parties de la lumière, puisqu’un si grand nombre de rayons se sont combattus et effacés les uns les autres dans notre œil, sans lui causer la plus légère impression de douleur, malgré la vîtesse inconcevable dont ils viennent le frapper.
Il vous est arrivé fort souvent de voir dans la campagne la lumière d’une chandelle qui brûlait à une lieue au moins de vous. En traçant un cercle autour de cette chandelle, à la distance où vous en étiez, il est clair que de tous les points de ce cercle, son aurait pu la voir, et, à plus forte raison, de tous les points de l’étendue qu’il renferme. Tous les points de cet espace, jusques à une distance pareille en dessus et en dessous, si le flambeau était suspendu dans les airs, seraient donc remplis de parties de lumière émanées de la flamme de la chandelle. Elle ne consume pas, dans la durée d’un clin-d’œil, un globule de suif gros comme la tête d’une épingle. Ce petit globule de suif a donc fourni à la lumière une matière capable de remplir par sa division un globe de deux lieues de diamètre. Aussi le calcul peut-il démontrer qu’un pouce de bougie, après avoir été converti en lumière, a donné un nombre de parties de plusieurs millions de fois plus grand que celui des sables que pourrait contenir la terre entière, en supposant qu’il tienne cent parties de sable dans la largeur d’un pouce. Que serait-ce donc d’un pouce de matière lumineuse infiniment plus pure, et par la susceptible d’une plus grande division? Enfin, si un grain de musc exhale sans cesse, et de tous côtés, des particules de sa substance; s’il les exhale pendant vingt-cinq ans sans rien perdre sensiblement de son volume; si un boulet de fer d’un pied de diamètre, rougi à un grand feu, laisse échapper des flots de particules enflammées et lumineuses, sans que cette effusion lui fasse perdre l’équilibre dans la plus juste balance, vous concevrez plus aisément que le soleil puisse répandre des torrents de lumière sans paraître s’affaiblir, et qu’une petite partie de sa masse lui suffise pour remplir, pendant des siècles, de sa lumière et de sa chaleur, toutes les planètes et les espaces qui lui sont soumis.
Quant à la vitesse inconcevable de ses rayons, il est prouvé qu’ils n’emploient qu’environ huit minutes pour venir de lui jusqu’à nous. Lorsque vous serez un peu plus avancés dans l’étude des cieux, je vous dirai par quelle observation on a fait d’abord cette découverte, et comment une expérience ingénieuse l’a confirmée. Il me suffit à présent de vous garantir que ce point est de nature à ne pas être plus contesté que l’existence même de la lumière.
Tout ce qui regarde les couleurs demanderait trop de détails pour vous être expliqué dans le cours de cet entretien; nous y reviendrons dans un autre moment.
Il ne me reste donc plus qu’à vous parler de la chaleur que nous devons au soleil. C’est le plus grand et le plus sensible de ses bienfaits, puisqu’il produit et le mouvement et la vie dans tout ce qui respire. Je me borne à présent à vous en montrer les effets dans la végétation.
Vous vous souvenez de l’état de langueur où gémissait la nature pendant la triste saison de l’hiver. La terre étant saisie d’un profond engourdissement, les fleurs n’osaient paraître sur son sein, et les arbres étaient dépouillés de tout leur feuillage. La sève qui les anime, en circulant, comme je vous l’ai fait voir, dans leurs branches et leurs rameaux, n’avait plus qu’un mouvement paresseux et de défaillance, qui suffisait à peine à leur conserver un reste de vie presque insensible, et tout voisin de la mort. La neige couvrait la terre. Le printemps est venu réchauffer la terre; et, soudain la sève reprenant la liberté de son cours, la verdure s’est déployée sur toutes les plantes. Comment le soleil a-t-il produit ce changement? Je vais prendre un exemple plus près de vous, pour vous en rendre l’explication plus aisée à concevoir.
Il n’est pas que vous n’ayez vu un de ces animaux que les petits Savoyards portent dans des boîtes, et qu’ils se plaisent à montrer pour quelques pièces de monnaie aux enfants, une marmotte, s’il faut vous dire son nom. Ces bêtes sont très sensibles au froid; et comme il est plus pénétrant dans les montagnes de la Savoie, où elles ont pris naissance, afin de se dérober à sa rigueur, elles creusent dans la terre des trous profonds, où elles restent renfermées pendant l’hiver dans un morne assoupissement Rien, comme vous le voyez, ne peut se ressembler davantage dans cet état qu’un arbre et une marmotte. Ils sont tous les deux engourdis, parce que la sève de l’un, et le sang de l’autre, qui sont les principes de leur vie, n’ont qu’une circulation embarrassée dans les tuyaux du premier et dans les veines du second, par l’action du froid qui les resserre. Laissons l’arbre un moment, et ne nous occupons que de la marmotte.
Si vous étiez en voyage dans les montagnes de la Savoie, et que vous trouvassiez un de ces animaux engourdi, voici le raisonnement que vous feriez sans doute: puisque c’est le froid qui cause son engourdissement, je puis l’en retirer en lui rendant la chaleur.
Mais si vous ne faisiez qu’allumer auprès de lui un feu peu vif et de courte durée, quand vous renouvelleriez cent fois par intervalles cette opération, l’engourdissement n’en subsisterait pas moins. Si, au contraire, en allumant d’abord un petit feu, vous l’augmentiez successivement, et que vous eussiez grand soin de le renouveler sans cesse avant qu’il fût tout-à-fait éteint, il n’est pas douteux que la marmotte ne sortît de sa léthargie, puisque son sang reprendrait sa fluidité. Vous la verriez bientôt étendre ses jambes, ouvrir ses yeux, secouer ses oreilles, et vous réjouir par la souplesse et la vivacité de ses mouvements.