© 2020 E. Boutevillain /Alain Catherin

Éditeur : BoD-Books on Demand GmbH

12-14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris

Impression : Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne

Illustrations : Alain Catherin

ISBN : 9-782322214631

Dépôt légal : Juillet 2020

Un grand écrivain se remarque au nombre de pages qu’il ne publie pas.

Stéphane MALLARME

Sommaire

1

Le lendemain du lendemain, Zattise Zeqwestchen s’éveillait tranquillement. Et comme chaque matin, inéluctablement, allait se produire ce petit quelque chose qui bouleverserait le village. Enfin, bouleverser est un bien grand mot. Le quelque chose égaierait, tout au plus, la journée en lui ôtant sa morosité. Mais pas plus. Parce qu’à Zattise Zeqwestchen, tout était possible. Surtout l’improbable.

Madame Catherine, une fois le bordel fermé, avait décidé de ranger sa bibliothèque. Pièce la plus importante de la maison, elle occupait le premier étage et servait de bureau. Quiconque pénétrait dans la pièce entrait dans un autre univers, empli de silence et de sérénité. D’un point de vue esthétique, la pièce était couverte d’étagères couvertes de livres, de parchemins entassés tenant en équilibre par l’opération du Saint-Esprit. Le néophyte s’affolait de l’aspect et pouvait se demander quel livre finirait par chuter entraînant avec lui tous les autres. Trop petite pour atteindre la dernière étagère, Madame Catherine avait posé l’échelle sur un tabouret. Logique. Ce dernier faisait de son mieux pour soutenir le poids de l’outil et celui de la patronne, mais la situation commençait à devenir dangereuse, l’ensemble oscillant de plus en plus vigoureusement. Il en était à ces réflexions quand, prenant un ouvrage sur les apports du compost à base de tripes pour le poser à côté de l’art du potager, Madame Catherine se pencha bien trop à gauche et patatras, la patronne tomba. L’échelle se repositionna contre la bibliothèque en soupirant de la maladresse de sa maîtresse, les livres bruissèrent de désapprobation tandis que le tabouret se frottait les jointures.

– Ouch, fit Madame Catherine en se relevant.

– Tout va bien ? questionna une voix qui se trouvait être celle de Mélissandre.

– Oui, oui, kuff kuff, toussa une Madame Catherine environnée de poussière. J’ai glissé, c’est tout.

– Alors bonne nuit, répondit la catin, habituée aux cascades de la maquerelle.

– Bonne nuit, Mélissandre, répondit cette dernière tout en s’époussetant.

Elle jeta un rapide coup d’œil par la fenêtre et se rendit compte qu’il était temps de rejoindre Hexerine. Laissant la pièce en l’état, elle monta dans sa chambre où les livres jonchant, comme à leur habitude, le sol « dormottaient » doucement toutes feuilles volantes. La commode ouvrit ses tiroirs afin que sa propriétaire choisisse ses vêtements. Madame Catherine prit, ensuite, la direction des bains pour se changer et prendre une collation. Comme chaque matin, elle s’assit sur la rampe de l’escalier.

– Ouch, dit-elle atterrissant cul par-dessus tête.

Margaux mettait de l’ordre dans la cuisine quand elle entendit la chute. Elle sortit précipitamment.

– Ben kes vous faites ?

– J’ai glissé, chef.

– Mais vous n’en avez pas marre de descendre les escaliers n’importe comment ! Vous allez finir par vous casser quelque chose !

– Mais non, je suis solide ! Un vrai roc !

Suzy entra à son tour.

– Vous allez où comme ça ? interrogea-t-elle suspicieuse.

– Je retourne voir Hexerine, murmura Madame Catherine sentant venir l’orage.

– Et vous allez faire quoi avec votre copine ?

– Nettoyer.

– Eh ben, ne revenez pas couverte de sang ou d’autres trucs humains comme hier !

– Mais non, mais non. Là, on va ranger. C’est tout, la rassura-t-elle.

– Bon, je veux bien vous croire. Mais s’il y a du barouf, vous débarquez fissa, hein ? Pas d’usage du hachoir ! Vous êtes une dame, faudrait p’têt vous en souvenir !

La maquerelle la remercia de son inquiétude, attrapa le panier-repas préparé par Margaux « manquerait plus que vous mangiez des cochonneries » et sortit. Devant la porte du bordel, Haldebarde ronflait doucement quand elle lui tapota l’épaule délicatement.

– Gnoumpffff ?

– Réveillez-vous, mon ami. Il est temps d’aller dans vos pénates prendre un repos bien mérité.

– Vous allez où ? questionna le géant en s’étirant fort peu élégamment.

– Rejoindre Hexerine.

– Oh là ! Dites donc, vous y allez comme ça ? Sans armes ?

– Ben oui, dit-elle ne voyant pas où était le problème.

– Ben voyons. Ne bougez pas, dit le géant en se dirigeant vers le sac dont il ne se séparait jamais posé derrière lui.

Il en sortit deux haches et des poignards qu’il glissa prestement dans les plis des vêtements. Amusée, elle le laissa faire.

– Haldebarde, on va ranger !

– Mais oui, mais oui. Je vous connais toutes les deux. Dès que vous êtes ensemble, vous n’êtes pas tenables et il arrive toujours un truc grave.

– Rhôoo, ce n’est même pas vrai, contesta Madame Catherine.

Le géant la fixa :

– Vraiment ?

Elle fit la moue puis sourit en ajoutant :

– Ce n’est pas nous, ce sont les autres.

Haldebarde sourit à son tour et la regarda partir en se disant qu’il manquait quelque chose. Sauf qu’il n’arrivait pas à voir quoi. Il fit mentalement la liste « les haches, c’est bon ; les poignards, c’est bon ; une dague, c’est bon ; l’arbalète, c’est bon ; les ciseaux, c’est bon ; le marteau, c’est bon ; le burin, c’est bon ; les tenailles, c’est bon ; les allumettes, c’est bon ; le scotch, c’est bon ; la pâte à modeler, c’est bon ; les punaises, c’est bon. Merde, il manque quoi ? » Quand soudain, ça lui revint. « Putain, le cheval ! Elle oublie le cheval ! ». Il siffla et le cheval zébré apparut. Oui, à Zattise Zeqwestchen les choses et les gens apparaissent soudainement, c’est comme ça. Comme on est dans un conte, le cheval comprit ce qu’on attendait de lui et s’empressa de rejoindre sa cavalière qui, le voyant arriver, l’ignora. Lui, docile, la suivait. De guerre lasse, elle se retourna :

– Écoute, j’apprécie l’inquiétude d’Haldebarde, mais je n’ai pas besoin de toi. Rentre à l’écurie, allez zou.

Le cheval, cousin de l’âne, avait l’obstination dans les gènes. Il continua donc de suivre Madame Catherine.

– Écoute, je ne te monterai pas ! Voilà ! Je ne sais pas monter donc ce n’est pas la peine de me suivre. Et pis, tu es trop grand, jamais je n’atteindrai la selle. Alors…

Le cheval la précéda, s’arrêta devant une borne et attendit. Devant tant d’obstination, Madame Catherine céda et se mit à chanter « I’m lone some Catherine », chanson fort célèbre à l’époque. Hexerine vit arriver son amie de loin et se mit à sourire.

– Tombera, tombera pas. Tombera, tombera pas, chantonna-t-elle.

La patronne du bordel se planta droite comme un i devant elle.

– Tadaaaaa, lança-t-elle fièrement. Même pas tombée !

– Tu progresses de façon incroyable ! C’est la première fois en… trente ans que tu ne tombes pas.

– Gnagnagna, grogna Madame Catherine tout en se demandant comment elle devait descendre vu qu’elle n’était pas habituée.

– Bon, tu fais quoi là ? Tu attends une nuée de sauterelles ?

– Ben… hésita-t-elle.

– Ben quoi ?

– Rhô bon ça va, je ne sais pas comment on fait après.

– Comment on fait après pour quoi ?

– Pour descendre, pardi ! D’habitude ça se fait… Naturellement.

– Naturellement ! Ben voyons. Tu m’en diras tant. Lève la jambe droite et jette-la en arrière, dit Hexerine en lui tournant le dos.

– Que je…

– Ouch, aïeuh

Hexerine se retourna.

– Mais crénom ! Comment as-tu fait pour tomber ? !

– Mais euh, j’ai fait comme tu m’as dit et vlam.

– Tu n’es vraiment pas douée, dit Hexerine tout en aidant son amie à se relever. Mais Bon Dieu ce que tu es lourde !

– Oh ça va !

Madame Catherine remettait ses vêtements en place quand soudain Hexerine s’écria :

– Merde ! C’est quoi cet attirail ?

– Haldebarde

– Pas étonnant que tu sois tombée. Mais pourquoi t’a-t-il armée à ce point ?

– Au cas où