2e mille
Albin MICHEL
Éditeur
22. Rue Huyghens
PARIS
À Gabriel et Charles VOISIN
bien cordialement.
L. GASTINE.
DU MÊME AUTEUR
PAR
Louis GASTINE
Ancien collaborateur de M. E.-J. MAREY de l'Institut
PARIS
ALBIN MICHEL, ÉDITEUR
22 RUE HUYGHENS, 22
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright by Louis Gastine, 1911
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Les premiers conquérants de l'air
Le Ballon sphérique.—Le Dirigeable
Conquête de l'air.—Locomotion aérienne.
Par ses moyens physiques naturels, l'être humain est attaché à la terre.
Il ne peut pas franchir de grandes étendues d'eau à la nage,—les nombreuses tentatives de traversée de la Manche par les meilleurs nageurs l'ont assez démontré,—et ses plongées sont insignifiantes.
Mais, il est arrivé à parcourir artificiellement les vastes espaces océaniques. Aujourd'hui ses moyens de locomotion sur l'eau sont si nombreux, si perfectionnés que son domaine s'est en quelque sorte étalé sur la mer. Il commence même à pénétrer dans l'élément liquide par le sous-marin et par le secours d'appareils à immersion comme le scaphandre et les cloches à plongeur.
Plus récente, est sa pénétration dans l'espace aérien. Elle ne date réellement que de 1783.
Après un début qui fut extrêmement sensationnel[1], l'art de s'élever dans l'air resta longtemps stationnaire.
Après la guerre de 1870, la renaissance de l'aérostation, d'abord lente, finit par prendre un essor assez prompt,—notamment par la fondation de l'Aéro-Club de France,—jusqu'au moment où l'adaptation aux aérostats des moteurs légers, créés par l'industrie de la locomotion automobile, fit accomplir un bond considérable à la «locomotion aérienne» en permettant la réalisation de «ballons dirigeables», réellement dignes de cette qualification.
Mais, plus récemment encore, la naissance presque subite et le développement des «appareils d'aviation» plus lourds que l'air ont donné une autre solution provisoire du problème séculaire de la locomotion aérienne.
Par ce dernier moyen surtout, la conquête du domaine aérien par l'homme a été si rapide que le public, témoin accidentel mal informé des étapes de cette conquête, est porté à les confondre.
On ne lui a pas encore indiqué comment il doit comprendre les termes, mal définis, dont il entend faire usage à propos des engins et des personnes s'élevant au-dessus du sol pour se déplacer dans l'atmosphère.
Ainsi, pour presque tout le monde, l'homme, l'animal ou la machine parcourant un trajet quelconque dans l'air, sans prendre point d'appui sur la terre, fait de la navigation aérienne.
Pourtant, il est tout à fait impropre d'appliquer aux translations exécutées dans l'air un terme essentiellement maritime, qui exprime exclusivement un parcours fait à la surface des eaux (mouvements des navires) ou près de la surface de l'eau (mouvements des sous-marins), tandis que la locomotion aérienne s'effectue dans un milieu (l'air) qui n'a pas de surface déterminée.
L'homme ne peut s'élever pratiquement dans l'atmosphère au delà de 6.000 mètres,—en ballon,—parce que l'air devient, au delà de cette limite, trop raréfié pour la respiration. Il manque notamment d'oxygène et sa température devient trop basse[2].
Mais à cette altitude on est encore bien loin du terme de la couche atmosphérique du globe. Il résulte, en effet, de constatations scientifiques aisément renouvelables, que cette couche peut avoir 50.000 à 70.000 mètres d'épaisseur et que ses dernières traces les plus éparpillées dans l'éther (les moins denses) pourraient s'étendre jusqu'à 800.000 mètres au-dessus du sol[3].
Par rapport à l'épaisseur de la couche d'air enveloppant notre planète,—si tant est que cette couche ait une limite appréciable,—l'homme gravitant dans les plus hautes régions de l'atmosphère où il peut accéder ne se déplace donc pas à la partie supérieure, à la surface de cette couche, comme le navire vogue à la surface de l'eau, mais il en parcourt, au contraire, le fond et le terme naviguer à propos de l'air, doit être proscrit.
Cet exemple, bien caractéristique, montre qu'il faut, avant tout, préciser le sens des termes employés pour désigner les nouveaux moyens de déplacement de l'homme dans l'atmosphère. Or, cette précision découle de l'examen des moyens artificiels mis en usage pour s'élever au-dessus du sol, et c'est pour cela qu'il importe de considérer d'abord ces moyens.
Le plus ancien en date au point de vue des résultats positifs,—car cet A. B. C. visant exclusivement la pratique, doit négliger systématiquement les origines fabuleuses ou légendaires comme celle d'Icare et les tentatives avortées des précurseurs, comme celles de Léonard de Vinci, quelque respectables qu'elles soient,—le plus ancien en date est le ballon.
Le Ballon
Ses moyens.—Son prix.
Le ballon, qu'il soit simple ou dirigeable, est le type du plus léger que l'air.
Nous ne percevons pas, par nos sens, la pesanteur de l'air. Néanmoins il a un poids très notable.
À la température de 0° et au niveau de la mer, un mètre cube d'air pèse près de 1.300 grammes (1.292 à 1.293 gr.)
À mesure que sa température s'élève, il se dilate; les molécules gazeuses qui le constituent s'écartent les unes des autres, elles occupent plus d'étendue. Il en faut moins, par conséquent, pour remplir le même espace. Ainsi, un mètre cube contient une masse d'air moins dense, moins serrée à 50° qu'à 0°, et cette masse, de volume égal est, par conséquent, moins lourde.
Chauffé à 200°, l'air atmosphérique, par sa dilatation, occupe un volume presque double de celui qu'il possède à 0°.
Il en faut donc presque moitié moins pour emplir le même espace, et, pour le même volume, il est, par conséquent; plus léger de moitié.
Cette légèreté lui permet de s'élever dans l'atmosphère plus lourde qui l'environne. La vapeur d'eau, les fumées s'élèvent dans l'air d'une manière analogue.
Cette faculté de s'élever dans l'atmosphère est une force, facile à mesurer, qu'on nomme en aérostatique: force ascensionnelle.
Un mètre cube d'air à 200° possède une force ascensionnelle de près de 500 grammes (493 gr.) et peut soulever, par conséquent, ce poids.
Les gaz plus légers que l'air, tels que l'hydrogène ou le gaz d'éclairage, ont la même propriété par rapport à l'atmosphère. Elle est proportionnelle à leur poids.
Un mètre cube de gaz d'éclairage ne pèse que 500 gr. environ. Le mètre cube d'hydrogène pur, bien moins lourd encore, ne pèse que 89 gr. L'un et l'autre peuvent donc élever presque la différence qui existe entre leur poids et celui de l'air atmosphérique au niveau de la mer à 0°, ce que l'on exprime en disant que le gaz d'éclairage possède une force ascensionnelle de 790 gr. environ et que cette force s'élève, pour l'hydrogène pur, presque à 1.200 gr.
La force ascensionnelle de ces gaz légers a remplacé, presque dès le début de l'aérostation, celle de l'air chaud qui se refroidissait trop vite.
Fig. 1
Dans le ballon sphérique non dirigeable, la force ascensionnelle et la pesanteur, rigoureusement perpendiculaires, sont toujours dans le prolongement l'une de l'autre.
En résumé, le ballon s'élève dans l'air avec une force ascensionnelle qui est proportionnelle à sa légèreté relative, et cette force est telle que si la capacité d'un ballon est suffisante, il soulève, en outre de son enveloppe et de ses agrès, une nacelle contenant des personnes, du lest[4] et un certain nombre d'instruments dont l'usage est nécessaire pour la bonne surveillance des déplacements aériens et des états de l'atmosphère ou du ballon.
Lâché après gonflement par du gaz léger, le ballon ne possède pas d'autre force que cette force ascensionnelle, qui le fait monter ET QUI DIMINUE À MESURE QU'IL MONTE.
Il ne peut se diriger par lui-même. Il est totalement livré aux influences atmosphériques et principalement aux déplacements de l'air dans n'importe quel sens, sauf dans le sens de sa montée.
S'il rencontre un courant de vent allant du Nord au Sud, il est entraîné du Nord au Sud par ce courant, avec la même vitesse; mais il s'élève en même temps dans ce courant, par sa force ascensionnelle et, si elle lui permet de le dépasser, il y échappe après l'avoir franchi.
Des aéronautes entraînés ainsi dans une direction déterminée par un vent peu élevé dans la couche atmosphérique: un vent rasant la terre, l'ont dépassé et se sont vu entraînés au-dessus de ce courant inférieur, par un autre courant supérieur dans une autre direction toute différente. Et l'on conçoit que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets à la descente qu'à la montée d'un ballon.
Dans tous les cas, le ballon qui monte perd de sa force ascensionnelle à mesure qu'il s'élève, parce qu'il pénètre dans des couches d'air de plus en plus raréfiées, moins serrées, et par conséquent plus légères.
Et cette raréfaction de l'air est très accentuée, même pour des altitudes peu considérables. Ainsi, l'air qui pèse 1.293 grammes à 0° au niveau de l'Océan, ne pèse plus que 646 grammes—moitié moins—à 5 kil. 500 m. de hauteur.
Un ballon quittant le niveau de la mer à 0° avec une force ascensionnelle de 500 kilogrammes, n'aurait donc plus que 250 kil. de force ascensionnelle à 5.500 m. au-dessus du sol.
Théoriquement, ce ballon devrait monter jusqu'au moment où l'air, de moins en moins lourd, arriverait à être aussi léger que le gaz dont son enveloppe est gonflée. Mais comme il faut tenir compte du poids de l'enveloppe, des agrès, de la nacelle, du lest et des personnes, sans compter les instruments, le ballon de l'aéronaute s'arrête, en pratique courante, bien avant d'arriver à ce niveau d'équilibre du gaz léger et de l'atmosphère raréfiée.
On arrête, en outre, volontairement sa montée avant qu'il n'arrive dans les hautes régions où, comme il a été dit précédemment, l'air respirable fait défaut et le froid devient excessif[5].
En tout état de causes, lorsqu'il est arrivé à la limite de sa force ascensionnelle, ou à la limite que l'aéronaute lui a imposée[6], le ballon commence invariablement à redescendre pour plusieurs motifs. Le principal c'est qu'il perd son gaz par les parois de l'enveloppe, les soupapes, les joints, etc..., car ces organes sont loin d'être absolument imperméables.
En jetant du lest, l'aéronaute peut retarder sa descente et même faire remonter le ballon. Mais il épuise alors ce lest; il le perd comme le ballon perd son gaz et la descente, inévitable, par déperdition constante de force ascensionnelle met un terme forcé à la durée du voyage aérien.
Soit qu'il s'élève par sa force ascensionnelle initiale ou en jetant du lest, soit qu'il descende en perdant son gaz naturellement ou par la volonté de l'aéronaute, le ballon ne cesse donc pas d'osciller dans le sens de la hauteur et, pendant ces oscillations, les courants d'air qu'il traverse l'emportent à peu près à leur gré.
En revanche, il est déplacé sans aucune secousse, même par un vent vif; il monte haut et les sensations extrêmement agréables, variées, imprévues des ascensions aérostatiques, lorsqu'elles ont lieu dans des conditions favorables, expliquent fort bien comment un petit nombre de personnes fortunées se sont adonnées et se livrent encore à ce sport émouvant.
Un ballon doit avoir une capacité de mille mètres cubes environ pour enlever deux ou trois personnes, et ce nombre de passagers est nécessaire pour allier la sécurité à l'agrément.
Sa valeur est à peu près de 3.000 francs. Il devient hors d'usage en quatre années, par suite des modifications chimiques et physiques normales du tissu de l'enveloppe[7].
Enfin, chaque ascension entraîne une dépense de gaz de 150 francs environ si la capacité du ballon est de 1.000 mètres cubes. De telle sorte que peu d'amateurs peuvent s'offrir le luxe d'un plaisir si coûteux[8].
En revanche, le ballon rachète ces désavantages par son utilité au point de vue de l'étude et de l'exploration scientifique de l'atmosphère.
Il reste jusqu'à présent le roi des hautes altitudes accessibles à l'homme.
On peut ajouter que les ballons-sonde, qui ne portent pas d'aéronautes, mais qu'on lance munis d'instruments enregistreurs spéciaux, réalisent de précieuses explorations des parties élevées de l'atmosphère et que ces explorations seront encore longtemps nécessaires pour l'étude du domaine de l'air[9].
Le Dirigeable
Ses caractéristiques.—Ses moyens.
Son prix de revient.
L'enlèvement d'un ballon dans l'air, avec des passagers dans une nacelle, suggère naturellement le désir de diriger l'aérostat. Cette idée vint, en effet, aux premiers aéronautes dès 1783.
Mais, comme on l'a vu par les considérations précédentes, le ballon est essentiellement indirigeable. Pour concevoir un plus léger que l'air ayant le pouvoir de se conduire lui-même dans l'atmosphère, il fallait commencer par résoudre une série de problèmes. Un précurseur: le lieutenant Meusnier, signalait dès 1784, la majeure partie de ces problèmes et en donnait les solutions remarquables qui sont, sauf des perfectionnements dans les détails, celles que la pratique et la théorie ont fait réaliser dans les dirigeables d'aujourd'hui.
On comprend d'emblée que la forme sphérique du ballon est défavorable s'il doit déplacer l'air pour avancer dans un sens déterminé, parce qu'il aborde la résistance de ce fluide, quelque faible qu'elle soit, avec une surface dont le développement est trop grand.
On conçoit le ballon dirigeable rationnellement allongé dans le sens de sa marche normale. Les formes de cylindre, de fuseau, de navette et nombre d'autres furent imaginées. En résumé, la Nature donne, par analogie, les meilleurs modèles dans les proportions générales des poissons migrateurs et dans ceux des grandes espèces comme la baleine, le marsouin, le squale.
Les travaux du professeur Marey, ont démontré les avantages des formes de ces poissons.
En étudiant, au moyen de la chronophotographie et avec des dispositifs particuliers, les mouvements des courants liquides et gazeux rencontrant des obstacles de formes diverses, et aussi les mouvements que déterminent dans des gaz et des liquides des corps de différentes formes traversant ces fluides, Marey a démontré que les résistances des milieux (gaz ou liquides) sont réduites au minimum si le corps immergé est allongé et se termine en pointe plus effilée à l'arrière qu'à l'avant.
La figure 2 montre cette forme, très analogue à celle des poissons précités. Les constructeurs l'ont adoptée, à quelques variantes près, pour la plupart des ballons dirigeables.
Fig. 2
En revanche, la direction des «plus légers que l'air» exigeait l'emploi d'une force à la fois puissante et légère qui fit défaut pendant plus d'un siècle et empêcha les essais des chercheurs d'aboutir à des résultats satisfaisants.
Les tentatives avortées apprirent pourtant combien il fallait tenir compte d'autres éléments primordiaux (d'ailleurs prévus par Meusnier, dont les travaux enfouis dans les archives du ministère de la guerre restaient ignorés).
Ni la vapeur, ni l'électricité, ne purent fournir le moteur souhaité. Sa création fut l'œuvre de l'industrie automobile et l'on peut dire que la conquête définitive de l'air est une conséquence directe des perfectionnements accomplis dans la construction des moteurs à explosion de cette industrie[10].
Dotée du moteur qu'il lui fallait, l'aérostation multiplia promptement ses essais de direction et l'expérience confirma,—parfois cruellement,—des indications que la théorie donnait. On apprit par des accidents, dont quelques-uns furent mortels, que la direction d'un plus léger que l'air a des exigences compliquées qui différencient profondément le dirigeable du ballon sphérique.
Il est indispensable, par exemple, que le dirigeable ne se déforme pas, que sa nacelle conserve toujours la même position par rapport à l'enveloppe qui la supporte et qu'il ait dans le sens de sa longueur et de sa marche, une stabilité dite: STABILITÉ DE ROUTE ou STABILITÉ DE DIRECTION.
Si le dirigeable se déforme, il cesse d'être gouvernable et les plus graves accidents peuvent être, en outre, la conséquence de cette déformation.
C'est pour l'éviter, que le comte de Zeppelin a construit son dirigeable avec une carcasse d'aluminium rigide. Mais il convient d'ajouter que son type d'aéronat est particulièrement fragile à cause de sa longueur excessive.
Si les dirigeables français n'ont pas la rigidité métallique du Zeppelin, leurs proportions sont, en revanche, beaucoup moins dangereuses.
On conserve leur forme aux aéronats non métalliques en les maintenant toujours également gonflés à l'aide d'un ou de plusieurs ballonnets à air contenus dans l'enveloppe.
Si le dirigeable dont, au départ, l'enveloppe était parfaitement tendue par le gaz léger, vient à perdre trop de ce gaz pour garder sa forme, on le voit aux indications d'un instrument qui marque la pression du gaz dans le ballon (manomètre). Il suffit alors d'introduire dans les ballonnets, avec une pompe à air, actionnée par le moteur, ou à bras, une quantité d'air suffisante pour rétablir la pression convenable à l'intérieur de l'enveloppe.
Si cette pression, par suite de la dilatation du gaz léger, devient ensuite trop forte, il suffit de laisser les ballonnets se dégonfler de l'air qu'on y a introduit jusqu'au rétablissement de la pression que le gaz léger doit avoir pour tendre normalement l'enveloppe.
Ces opérations «compensatrices» étaient faites d'abord par les conducteurs des dirigeables; aujourd'hui elles s'accomplissent automatiquement et les pilotes n'ont qu'à les surveiller, pour les produire au moyen d'organes spéciaux dans le cas où, par accident, les compensations automatiques organisées cesseraient de fonctionner.
L'équilibre du dirigeable,—seconde condition primordiale de sa direction,—est réalisé par la façon dont sa nacelle est reliée à l'enveloppe.
Dans le ballon sphérique, les balancements de la nacelle au-dessous du ballon auraient peu d'inconvénients, parce qu'ils resteraient sans influence marquée sur l'enveloppe et ses agrès. Ils ne se produisent d'ailleurs point, puisque le ballon sphérique non dirigeable, ainsi que les explications précédentes l'ont établi, reste absolument inerte dans l'atmosphère, sauf les déplacements verticaux incessants qu'il subit, soit par l'effort de sa «force ascensionnelle», soit par l'action de la pesanteur.
Dans les deux cas, les directions de ces forces passent rigoureusement par les centres de la nacelle et du ballon, quelle que soit la prédominance de l'une d'elles, et l'équilibre de l'aérostat se trouve ainsi parfaitement assuré (Voir fig. 1, p. 5).
Il n'en est pas de même pour le dirigeable. Sa forme, indispensable pour sa direction, l'expose à un décentrage des forces précitées (pesanteur et force ascensionnelle) qui peut avoir les plus graves inconvénients et même entraîner la perte de l'aéronat.
Fig. 3
Fig. 4
Dans la construction du dirigeable, tout est calculé pour que les éléments qui font sa pesanteur: enveloppe, agrès, nacelle, moteur, hélice, passagers, lest, etc., exercent cette force de pesanteur dans le prolongement de la force ascensionnelle du gaz léger, lorsque l'aéronat est parfaitement horizontal, parce que cette position est celle de sa marche rationnelle.
La figure schématique no 3 montre cet équilibre horizontal du dirigeable français, dans lequel la force ascensionnelle et celle de la pesanteur s'exercent dans le prolongement l'une de l'autre, non pas au milieu de la longueur, mais un peu plus vers l'avant de l'enveloppe. On exprime cet antagonisme rectiligne en disant qu'il y a parfaite coïncidence entre le centre de gravité (pesanteur) et le centre de poussée (force ascensionnelle) du ballon (p. 13).
Fig. 5
Mais si, pour une cause quelconque, le dirigeable vient à prendre une position oblique comme celle qu'indique la figure 4, l'action de la pesanteur, qui s'exerce toujours perpendiculairement, déplace la nacelle par rapport à l'enveloppe et déplace les efforts de traction dus à la pesanteur aussi bien que les efforts de pression du gaz léger contenu dans le ballon. La figure 4 montre, notamment, que la ligne du centre de poussée de la force ascensionnelle s'est déplacée. La position primitive est représentée par des lignes en pointillé, tandis que les lignes pleines représentent la position nouvelle. De plus,—et ceci est beaucoup plus grave,—un nouvel équilibre de l'aéronat s'étant établi dans la position oblique par suite du déplacement de la nacelle par rapport à l'enveloppe, il ne tend plus à se redresser; la continuation de sa marche ne peut qu'accentuer son obliquité dangereuse (p. 13).
Fig. 6
Il est donc indispensable de rendre la position de la nacelle aussi invariable que possible, par rapport à celle de l'enveloppe, et l'on y parvient en remplaçant sa suspension au moyen de câbles parallèles par une suspension dans laquelle les câbles, s'entre-croisant, forment des triangles comme le montre la figure 5, p. 14.
Dans ce cas, en effet, la disposition des câbles de soutènement empêchant la nacelle de se déplacer par rapport à l'enveloppe, comme le montre la figure 6, celle-ci se trouve soumise à deux forces contraires: la force ascensionnelle et la pesanteur, qui tendent toutes les deux à la fois à redresser l'aéronat, parce qu'elles ne sont plus dans le prolongement l'une de l'autre, dès que le dirigeable cesse d'être parfaitement horizontal.
Ainsi le mode de soutènement par câbles entre-croisés en triangles réalise la stabilisation automatique du dirigeable dans la position horizontale.
Enfin, pour que le dirigeable garde, dans le sens de sa marche, sans le secours incessant du gouvernail, une direction rectiligne, on munit son arrière d'une sorte d'empennage analogue à celui des flèches et jouant le même rôle mais constitué par des surfaces plates opposées à angle droit, ou par des ballonnets en forme de cylindres ou de cônes, comme ceux que montrent les figures 7 à 10.
Fig. 7, 8, 9 et 10
Les premiers éléments constitutifs du dirigeable sont donc: 1o sa forme; elle doit se rapprocher de celle des poissons qui peuvent effectuer de longs parcours;—2o sa rigidité; l'emploi des ballonnets internes compensateurs, ou la construction métallique, donnent cette rigidité;—3o la stabilité de la nacelle par rapport à l'enveloppe; la suspension par câbles à entre-croisements triangulaires la réalise; elle est naturellement assurée par la rigidité du métal dans la construction métallique du Zeppelin (fig. 11, 12 et 13);—4o la rectitude de marche; on l'obtient par les divers empennages de l'arrière du dirigeable.
Fig. 11.—Coupe longitudinale montrant le cloisonnement du Zeppelin.
Fig. 12.—Arrière du Zeppelin vu en dessous.
Fig. 13.—Coupe transversale du Zeppelin à l'arrière.
Mais ces caractéristiques principales ne suffisent pas: le dirigeable doit encore satisfaire à d'autres conditions.
Un gouvernail de direction latérale, placé à l'arrière et analogue à celui des navires, peut le faire tourner à droite ou à gauche.
Fig. 14
Comme le ballon sphérique, le dirigeable emporte une certaine quantité de lest pour retarder sa descente ou pour remonter en s'allégeant. Il peut aussi retarder sa montée ou provoquer sa descente, en se vidant de son gaz léger par une soupape d'échappement, placée à l'arrière, aussi loin que possible du moteur. Mais ces deux moyens, pour monter et pour descendre, l'épuiseraient trop rapidement (quoique l'emploi des approvisionnements d'essence et d'huile soit un délestage normal constant dont l'importance n'est pas négligeable). Afin d'économiser au maximum son gaz et son lest, on ajoute au dirigeable des plans stabilisateurs, disposés à l'arrière ou à l'avant, qui jouent le rôle d'un gouvernail de profondeur et, prenant point d'appui sur l'air, grâce à la marche de l'aéronat, provoquent sa montée ou sa descente pour des différences d'altitude progressives, modérées. La figure 14, qui représente schématiquement un dirigeable rationnel, montre ces divers organes.
Fig. 15
Le Dirigeable Ville de Paris et hangar de ce dirigeable dans le fond.
Constitué de cette manière, le dirigeable mérite sa dénomination parce qu'il est réellement maniable dans l'atmosphère. Néanmoins, il faut encore tenir compte de deux éléments d'importance capitale dans son emploi: la puissance relative de sa force motrice et l'étendue de son rayon d'action.
Sauf le cas d'un vent soufflant en tempête et par rafales, le pilote d'un ballon sphérique non dirigeable n'a pas à se soucier beaucoup du courant d'air qui l'emporte puisqu'il ne peut rien contre lui. Si ce courant l'entraîne dans une région où il ne veut pas aller: océan, contrée montagneuse trop élevée ou pays étranger, sa seule ressource est d'atterrir le mieux possible... ou de chercher, en s'élevant dans les régions supérieures de l'atmosphère, s'il peut les atteindre, un autre courant d'air,—qu'il risque fort d'ailleurs de ne pas rencontrer.
Au contraire, le pilote du dirigeable, par cela même que son ballon est dirigeable, est forcé de tenir compte des moindres mouvements de l'atmosphère et il importe au plus haut point que le moteur de son aéronat ait une puissance capable de lutter contre celle d'un vent ordinaire avec plein succès.
Un moteur qui ne donnerait au dirigeable qu'une vitesse inférieure à celles des brises régnant généralement dans sa région serait inutilisable pendant la plus grande partie de l'année. L'obligation de ne manœuvrer que par des temps calmes équivaudrait à la négation de son emploi.
Théoriquement, le dirigeable fut réalisé par les frères Tissandier, par Dupuy de Lôme et même par Henri Giffard dès 1852, puisqu'ils purent faire mouvoir leurs ballons dans l'air avec les moteurs dont ils étaient munis. Mais, parce qu'ils ne dépassaient point des vitesses oscillant entre 2 m. 25 à 4 m. à la seconde, vitesses qui sont inférieures à celles des vents dominants en France, leurs aéronats restaient inutilisables pratiquement.
Le dirigeable La France, des capitaines Renard et Krebs, qui exécuta, en 1885, les deux premiers voyages aériens formant un circuit fermé, c'est-à-dire qui, partant de Meudon, put aller à Paris et revenir à Meudon, à son point de départ, avait une vitesse de 6 m. 50 à la seconde (environ 23 kil. à l'heure).
Les observations météorologiques poursuivies pendant nombre d'années à Chalais-Meudon par l'autorité militaire ont permis d'établir que, sur ce point du territoire, il y a pendant près de 180 jours par an, des vents dont la vitesse est au moins égale à 26 ou 27 kil. à l'heure (7 m. à 7 m. 50 par seconde).
La vitesse du dirigeable La France était donc inférieure à celle de la moyenne de vents dominants et cet aéronat n'a réussi les «circuits fermés» Meudon-Paris-Meudon, les 22 et 23 septembre 1885, qu'à la faveur de vents d'une vitesse inférieure à celle de ceux qui sont les plus fréquents.
Les dirigeables: Ville-de-Paris, Bayard-Clément, République, dont la vitesse atteint 12 m. 50 au minimum par seconde (45 kilomètres à l'heure) peuvent, au contraire, fonctionner environ 297 jours par an, suivant le tableau des observations météorologiques militaires précitées.
Or, ces résultats, qui sont dus à la puissance des moteurs à explosion employés sur ces dirigeables, n'auraient pas été obtenus sur des aéronats de faibles dimensions.
On peut construire un dirigeable petit. Le Santos-Dumont no 1 ne cubait que 180 m. Le no 6 avec lequel il gagna le prix Deutsch, le 19 octobre 1901, jaugeait 622 mètres cubes; il n'avait que 33 m. de longueur et 6 m. de diamètre.
Pour l'amateur, on a même créé un type de dirigeable réduit: c'est le Zodiac, dont les caractéristiques sont: une enveloppe contenant 700 mètres cubes de gaz; un moteur de 16 chevaux, une hélice de 2 m. 30 de diamètre, donnant 600 tours à la minute. Ce type d'aéronat réduit est, en outre, démontable. Emballé, il peut être transporté sur un camion ou expédié par chemin de fer. Enfin, il ne coûte que 25.000 francs.
Mais gonflé de gaz d'éclairage, il n'enlève qu'une seule personne. Il faut lui ajouter 100 mètres cubes d'hydrogène pur (gaz fort cher et que l'on ne se procure pas partout), pour qu'il puisse en enlever deux. Il ne voyage guère que trois ou quatre heures. Il n'enlève que 75 kilogrammes de lest. Sa vitesse ne dépasse pas 28 kilomètres à l'heure.
En comparant ces caractéristiques du Zodiac avec celles du Bayard-Clément, par exemple, on comprend comment ce dernier peut donner des résultats pratiques, qu'un petit dirigeable ne saurait fournir.
Le Bayard-Clément a 56 m. de longueur, 10 m. 58 de diamètre et cube 3.500 m. Son moteur, qui pèse 352 kilogrammes, a une force de 105 chevaux. Il actionne une hélice de 5 m. de diamètre qui fait 350 tours à la minute, avec une consommation de 38 à 40 litres d'essence et de 5 litres d'huile à l'heure.
Grâce à ces éléments cet aéronat peut atteindre une vitesse de 50 kilomètres à l'heure.
Avec six passagers, 300 litres d'essence, 20 litres d'huile, 65 litres d'eau (pour le refroidissement du moteur), et 250 kilogr. de lest, il a fait en 5 heures, le 1er novembre 1908, un parcours de 250 kilomètres sans escales, «circuit fermé», de Sartrouville à Compiègne et Pierrefonds par l'Isle-Adam, Creil, Pont-Ste-Maxence, Séry, Dammartin, Le Bourget, Pantin et rentrer à Sartrouville en passant sur Paris.
Mais un dirigeable de cette puissance coûte environ 300.000 francs.
La catastrophe du dirigeable Patrie a démontré qu'il est indispensable de remiser de si grands aéronats dans des hangars spéciaux, qui sont de construction coûteuse. La figure 15 (p. 19) montre un hangar de ce genre.
Enfin, la nécessité de ramener le grand dirigeable à son hangar réduit considérablement son rayon d'action (50%).
Dans de telles conditions, sauf exception, un État semble seul pouvoir se permettre, pour sa défense militaire,