Le présent travail a pour but d'exposer les recherches que je poursuis depuis plus de 4 ans sur les substances radioactives. J'ai commencé ces recherches par une étude du rayonnement uranique qui a été découvert par M. Becquerel. Les résultats auxquels ce travail me conduisit parurent ouvrir une voie si intéressante, qu'abandonnant ses travaux en train, M. Curie se joignit à moi, et nous réunîmes nos efforts en vue d'aboutir à l'extraction des substances radioactives nouvelles et de poursuivre leur étude.
Dès le début de nos recherches nous avons cru devoir prêter des échantillons des substances découvertes et préparées par nous à quelques physiciens, en premier lieu à M. Becquerel, à qui est due la découverte des rayons uraniques. Nous avons ainsi nous-mêmes facilité les recherches faites par d'autres que nous sur les substances radioactives nouvelles. A la suite de nos premières publications, M. Giesel en Allemagne se mit d'ailleurs aussi à préparer de ces substances et en prêta des échantillons à plusieurs savants allemands. Ensuite ces substances furent mises en vente en France et en Allemagne, et le sujet prenant de plus en plus d'importance donna lieu à un mouvement scientifique, de sorte que de nombreux Mémoires ont paru et paraissent constamment sur les corps radioactifs, principalement à l'étranger. Les résultats des divers travaux français et étrangers sont nécessairement enchevêtrés, comme pour tout sujet d'études nouveau et en voie de formation. L'aspect de la question se modifie, pour ainsi dire, de jour en jour.
Cependant, au point de vue chimique, un point est définitivement établi; c'est l'existence d'un élément nouveau fortement radioactif: le radium. La préparation du chlorure de radium pur et la détermination du poids atomique du radium constituent la partie la plus importante de mon travail personnel. En même temps que ce travail ajoute aux corps simples actuellement connus avec certitude un nouveau corps simple de propriétés très curieuses, une nouvelle méthode de recherches chimiques se trouve établie et justifiée. Cette méthode, basée sur la radioactivité, considérée comme une propriété atomique de la matière, est précisément celle qui nous a permis, à M. Curie et moi, de découvrir l'existence du radium.
Si, au point de vue chimique, la question que nous nous sommes primitivement posée peut être considérée comme résolue, l'étude des propriétés physiques des substances radioactives est en pleine évolution. Certains points importants ont été établis, mais un grand nombre de conclusions portent encore le caractère du provisoire. Cela n'a rien d'étonnant, si l'on considère la complexité des phénomènes auxquels donne lieu la radioactivité et les différences qui existent entre les diverses substances radioactives. Les recherches des divers physiciens qui étudient ces substances viennent constamment se rencontrer et se croiser. Tout en cherchant à me conformer au but précis de ce travail et à exposer surtout mes propres recherches, j'ai été obligée d'exposer en même temps les résultats d'autres travaux dont la connaissance est indispensable.
J'ai d'ailleurs désiré faire de ce travail un Mémoire d'ensemble sur l'état actuel de la question.
J'ai exécuté ce Travail dans les laboratoires de l'École de Physique et de Chimie industrielles de la Ville de Paris avec l'autorisation de Schützenberger, le regretté Directeur de cette École, et de M. Lauth, le Directeur actuel. Je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance pour l'hospitalité bienveillante que j'ai reçue dans cette École.
La découverte des phénomènes de la radioactivité se rattache aux recherches poursuivies depuis la découverte des rayons Röntgen sur les effets photographiques des substances phosphorescentes et fluorescentes.
Les premiers tubes producteurs de rayons Röntgen étaient ces tubes sans anticathode métallique. La source de rayons Röntgen se trouvait sur la paroi de verre frappée par les rayons cathodiques; en même temps cette paroi était vivement fluorescente. On pouvait alors se demander si l'émission de rayons Röntgen n'accompagnait pas nécessairement la production de la fluorescence, quelle que fût la cause de cette dernière. Cette idée a été énoncée tout d'abord par M. Henri Poincaré[1].
Peu de temps après, M. Henry annonça qu'il avait obtenu des impressions photographiques au travers du papier noir à l'aide du sulfure de zinc phosphorescent[2]. M. Niewenglowski obtint le même phénomène avec du sulfure de calcium exposé à la lumière[3]. Enfin, M. Troost obtint de fortes impressions photographiques avec de la blende hexagonale artificielle phosphorescente agissant au travers du papier noir et un gros carton[4].
Les expériences qui viennent d'être citées n'ont pu être reproduites malgré les nombreux essais faits dans ce but. On ne peut donc nullement considérer comme prouvé que le sulfure de zinc et le sulfure de calcium soient capables d'émettre, sous l'action de la lumière, des radiations invisibles qui traversent le papier noir et agissent sur les plaques photographiques.
M. Becquerel a fait des expériences analogues sur les sels d'uranium dont quelques-uns sont fluorescents[5]. Il obtint des impressions photographiques au travers du papier noir avec le sulfate double d'uranyle et de potassium.
M. Becquerel crut d'abord que ce sel, qui est fluorescent, se comportait comme le sulfure de zinc et le sulfure de calcium dans les expériences de MM. Henry, Niewenglowski et Troost. Mais la suite de ses expériences montra que le phénomène observé n'était nullement relié à la fluorescence. Il n'est pas nécessaire que le sel soit éclairé; de plus, l'uranium et tous ses composés, fluorescents ou non, agissent de même, et l'uranium métallique est le plus actif. M. Becquerel trouva ensuite qu'en plaçant les composés d'urane dans l'obscurité complète, ils continuent à impressionner les plaques photographiques au travers du papier noir pendant des années. M. Becquerel admit que l'uranium et ses composés émettent des rayons particuliers: rayons uraniques. Il prouva que ces rayons peuvent traverser des écrans métalliques minces et qu'ils déchargent les corps électrisés. Il fit aussi des expériences d'après lesquelles il conclut que les rayons uraniques éprouvent la réflexion, la réfraction et la polarisation.
Les travaux d'autres physiciens (Elster et Geitel, lord Kelwin, Schmidt, Rutherford, Beattie et Smoluchowski) sont venus confirmer et étendre les résultats des recherches de M. Becquerel, sauf en ce qui concerne la réflexion, la réfraction et la polarisation des rayons uraniques, lesquels, à ce point de vue, se comportent comme les rayons Röntgen, comme cela a été reconnu par M. Rutherford d'abord et ensuite par M. Becquerel lui-même.
Rayons de Becquerel.—Les rayons uraniques, découverts par M. Becquerel, impressionnent les plaques photographiques à l'abri de la lumière; ils peuvent traverser toutes les substances solides, liquides et gazeuses, à condition que l'épaisseur en soit suffisamment faible; en traversant les gaz, ils les rendent faiblement conducteurs de l'électricité[6].
Ces propriétés des composés d'urane ne sont dues à aucune cause excitatrice connue. Le rayonnement semble spontané; il ne diminue point d'intensité quand on conserve les composés d'urane dans l'obscurité complète pendant des années; il ne s'agit donc pas là d'une phosphorescence particulière produite par la lumière.
La spontanéité et la constance du rayonnement uranique se présentaient comme un phénomène physique tout à fait extraordinaire. M. Becquerel a conservé un morceau d'uranium pendant plusieurs années dans l'obscurité et il a constaté qu'au bout de ce temps l'action sur la plaque photographique n'avait pas varié sensiblement. MM. Elster et Geitel ont fait une expérience analogue et ont trouvé également que l'action était constante[7].
J'ai mesuré l'intensité du rayonnement de l'uranium en utilisant l'action de ce rayonnement sur la conductibilité de l'air. La méthode de mesures sera exposée plus loin. J'ai ainsi obtenu des nombres qui prouvent la constance du rayonnement dans les limites de précision des expériences, c'est-à-dire à 2 pour 100 ou 3 pour 100 près[8].
On utilisait pour ces mesures un plateau métallique recouvert d'une couche d'uranium en poudre; ce plateau n'était d'ailleurs pas conservé dans l'obscurité, cette condition s'étant montrée sans importance d'après les observateurs cités précédemment. Le nombre des mesures effectuées avec ce plateau est très grand, et actuellement ces mesures portent sur un intervalle de temps de 5 années.
Des recherches furent faites pour reconnaître si d'autres substances peuvent agir comme les composés d'urane. M. Schmidt publia le premier que le thorium et ses composés possèdent également cette faculté[9]. Un travail analogue fait en même temps m'a donné le même résultat. J'ai publié ce travail, n'ayant pas encore eu connaissance de la publication de M. Schmidt[10].
Nous dirons que l'uranium, le thorium et leurs composés émettent des rayons de Becquerel. J'ai appelé radioactives les substances qui donnent lieu à une émission de ce genre[11]. Ce nom a été depuis généralement adopté.
Par leurs effets photographiques et électriques les rayons de Becquerel se rapprochent des rayons de Röntgen. Ils ont aussi, comme ces derniers, la faculté de traverser toute matière. Mais leur pouvoir de pénétration est extrêmement différent: les rayons de l'uranium et du thorium sont arrêtés par quelques millimètres de matière solide et ne peuvent franchir dans l'air une distance supérieure à quelques centimètres; tout au moins en est-il ainsi pour la grosse partie du rayonnement.
Les travaux de divers physiciens, et, en premier lieu, de M. Rutherford, ont montré que les rayons de Becquerel n'éprouvent ni réflexion régulière, ni réfraction, ni polarisation[12].
Le faible pouvoir pénétrant des rayons uraniques et thoriques conduirait à les assimiler aux rayons secondaires qui sont produits par les rayons Röntgen, et dont l'étude a été faite par M. Sagnac[13], plutôt qu'aux rayons Röntgen eux-mêmes.
D'autre part, on peut chercher à rapprocher les rayons de Becquerel de rayons cathodiques se propageant dans l'air (rayons de Lenard). On sait aujourd'hui que ces divers rapprochements sont tous légitimes.
Mesure de l'intensité du rayonnement.—La méthode employée consiste à mesurer la conductibilité acquise par l'air sous l'action des substances radioactives; cette méthode a l'avantage d'être rapide et de fournir des nombres qu'on peut comparer entre eux. L'appareil que j'ai employé à cet effet se compose essentiellement d'un condensateur à plateaux AB (fig. 1). La substance active finement pulvérisée est étalée sur le plateau B; elle rend conducteur l'air entre les plateaux. Pour mesurer cette conductibilité, on porte le plateau B à un potentiel élevé, en le reliant à l'un des pôles d'une batterie de petits accumulateurs P, dont l'autre pôle est à la terre. Le plateau A étant maintenu au potentiel du sol par le fil CD, un courant électrique s'établit entre les deux plateaux. Le potentiel du plateau A est indiqué par un électromètre E. Si l'on interrompt en C la communication avec le sol, le plateau A se charge, et cette charge fait dévier l'électromètre. La vitesse de la déviation est proportionnelle à l'intensité du courant et peut servir à la mesurer.
Mais il est préférable de faire cette mesure en compensant la charge que prend le plateau A, de manière à maintenir l'électromètre au zéro. Les charges, dont il est question ici, sont extrêmement faibles; elles peuvent être compensées au moyen d'un quartz piézo-électrique Q, dont une armature est reliée au plateau A, et l'autre armature est à terre. On soumet la lame de quartz à une traction connue produite par des poids placés dans un plateau π; cette traction est établie progressivement et a pour effet de dégager progressivement une quantité d'électricité connue pendant un temps qu'on mesure. L'opération peut être réglée de telle manière, qu'il y ait à chaque instant compensation entre la quantité d'électricité qui traverse le condensateur et celle de signe contraire que fournit le quartz[14]. On peut ainsi mesurer en valeur absolue la quantité d'électricité qui traverse le condensateur pendant un temps donné, c'est-à-dire l'intensité du courant. La mesure est indépendante de la sensibilité de l'électromètre.
En effectuant un certain nombre de mesures de ce genre, on voit que la radioactivité est un phénomène susceptible d'être mesuré avec une certaine précision. Elle varie peu avec la température, elle est à peine influencée par les oscillations de la température ambiante; elle n'est pas influencée par l'éclairement de la substance active. L'intensité du courant qui traverse le condensateur augmente avec la surface des plateaux. Pour un condensateur donné et une substance donnée le courant augmente avec la différence de potentiel qui existe entre les plateaux, avec la pression du gaz qui remplit le condensateur et avec la distance des plateaux (pourvu que cette distance ne soit pas trop grande par rapport au diamètre). Toutefois, pour de fortes différences de potentiel, le courant tend vers une valeur limite qui est pratiquement constante. C'est le courant de saturation ou courant limite. De même pour une certaine distance des plateaux assez grande, le courant ne varie plus guère avec cette distance. C'est le courant obtenu dans ces conditions qui a été pris comme mesure de radioactivité dans mes recherches, le condensateur étant placé dans l'air à la pression atmosphérique.
Voici, à titre d'exemple, des courbes qui représentent l'intensité du courant en fonction du champ moyen établi entre les plateaux pour deux distances des plateaux différentes. Le plateau B était recouvert d'une couche mince d'uranium métallique pulvérisé; le plateau A, réuni à l'électromètre, était muni d'un anneau de garde.
La figure 2 montre que l'intensité du courant devient constante pour les fortes différences de potentiel entre les plateaux. La figure 3 représente les mêmes courbes à une autre échelle, et comprend seulement les résultats relatifs aux faibles différences de potentiel. Au début, la courbe est rectiligne; le quotient de l'intensité du courant par la différence de potentiel est constant pour les tensions faibles, et représente la conductance initiale entre les plateaux.
On peut donc distinguer deux constantes importantes caractéristiques du phénomène observé: 1º la conductance initiale pour différences de potentiel faibles; 2º le courant limite pour différences de potentiel fortes. C'est le courant limite qui a été adopté comme mesure de la radioactivité.
En plus de la différence de potentiel que l'on établit entre les plateaux, il existe entre ces derniers une force électromotrice de contact, et ces deux causes de courant ajoutent leurs effets; c'est pourquoi la valeur absolue de l'intensité du courant change avec le signe de la différence de potentiel extérieure. Toutefois, pour des différences de potentiel notables, l'effet de la force électromotrice de contact est négligeable, et l'intensité du courant est alors la même, quel que soit le sens du champ entre les plateaux.
L'étude de la conductibilité de l'air et d'autres gaz soumis à l'action des rayons de Becquerel a été faite par plusieurs physiciens[15]. Une étude très complète du sujet a été publiée par M. Rutherford[16].
Les lois de la conductibilité produite dans les gaz par les rayons de Becquerel sont les mêmes que celles trouvées avec les rayons Röntgen. Le mécanisme du phénomène paraît être le même dans les deux cas. La théorie de l'ionisation des gaz par l'effet des rayons Röntgen ou Becquerel rend très bien compte des faits observés. Cette théorie ne sera pas exposée ici. Je rappellerai seulement les résultats auxquels elle conduit:
1º Le nombre d'ions produits par seconde dans le gaz est considéré comme proportionnel à l'énergie du rayonnement absorbé par le gaz;
2º Pour obtenir le courant limite relatif à un rayonnement donné, il faut, d'une part, faire absorber intégralement ce rayonnement par le gaz, en employant une masse absorbante suffisante; d'autre part, il faut utiliser pour la production du courant tous les ions créés, en établissant un champ électrique assez fort pour que le nombre des ions qui se recombinent devienne une fraction insignifiante du nombre total des ions produits dans le même temps, qui sont presque tous entraînés par le courant et amenés aux électrodes. Le champ électrique moyen nécessaire pour obtenir ce résultat est d'autant plus élevé que l'ionisation est plus forte.
D'après des recherches récentes de M. Townsend, le phénomène est plus complexe quand la pression du gaz est faible. Le courant semble d'abord tendre vers une valeur limite constante quand la différence de potentiel augmente; mais, à partir d'une certaine différence de potentiel, le courant recommence à croître avec le champ, et cela avec une rapidité très grande. M. Townsend admet que cet accroissement est dû à une ionisation nouvelle produite par les ions eux-mêmes quand ceux-ci, sous l'action du champ électrique, prennent une vitesse suffisante pour qu'une molécule du gaz, rencontrée par un de ces projectiles, se trouve brisée et divisée en ses ions constituants. Un champ électrique intense et une pression faible favorisent cette ionisation par les ions déjà présents, et, aussitôt que celle-ci commence à se produire, l'intensité du courant croît constamment avec le champ moyen entre les plateaux[17]. Le courant limite ne saurait donc être obtenu qu'avec des causes ionisantes, dont l'intensité ne dépasse pas une certaine valeur, de telle façon que la saturation corresponde à des champs pour lesquels l'ionisation par choc des ions ne peut encore avoir lieu. Cette condition se trouvait réalisée dans mes expériences.
L'ordre de grandeur des courants de saturation que l'on obtient avec les composés d'urane est de 10-11 ampères pour un condensateur dont les plateaux ont 8cm de diamètre et sont distants de 3cm. Les composés de thorium donnent lieu à des courants du même ordre de grandeur, et l'activité des oxydes d'uranium et de thorium est très analogue.
Radioactivité des composés d'uranium et de thorium.—Voici les nombres que j'ai obtenus avec divers composés d'urane; je désigne par i l'intensité du courant en ampères:
i × 1011. | |
Uranium métallique (contenant un peu de carbone) | 2,3 |
Oxyde d'urane noir U2 O5 | 2,6 |
Oxyde d'urane vert U3 O4 | 1,8 |
Acide uranique hydraté | 0,6 |
Uranate de sodium | 1,2 |
Uranate de potassium | 1,2 |
Uranate d'ammonium | 1,3 |
Sulfate uraneux | 0,7 |
Sulfate d'uranyle et de potassium | 0,7 |
Azotate d'uranyle | 0,7 |
Phosphate de cuivre et d'uranyle | 0,9 |
Oxysulfure d'urane | 1,2 |
L'épaisseur de la couche du composé d'urane employé a peu d'influence, pourvu que la couche soit continue. Voici quelques expériences à ce sujet:
Épaisseur de la couche. mm |
i × 1011. | |
Oxyde d'urane | 0,5 | 2,7 |
» | 3,0 | 3,0 |
Uranate d'ammonium | 0,5 | 1,3 |
» | 3,0 | 1,4 |
On peut conclure de là, que l'absorption des rayons uraniques par la matière qui les émet est très forte, puisque les rayons venant des couches profondes ne peuvent pas produire d'effet notable.
Les nombres que j'ai obtenus avec les composés de thorium[18] m'ont permis de constater:
1º Que l'épaisseur de la couche employée a une action considérable, surtout avec l'oxyde;
2º Que le phénomène n'est régulier que si l'on emploie une couche active mince (0mm,25 par exemple). Au contraire, quand on emploie une couche de matière épaisse (6mm), on obtient des nombres oscillant entre des limites étendues, surtout dans le cas de l'oxyde:
Épaisseur de la couche. mm |
i × 1011. | ||
Oxyde de thorium | 0,25 | 2,2 | |
» | 0,5 | 2,5 | |
» | 2,5 | 4,7 | |
» | 3,0 | 5,5 | en moyenne |
» | 6,0 | 5,5 | » |
Sulfate de thorium | 0,25 | 0,8 |
Il y a dans la nature du phénomène une cause d'irrégularités qui n'existe pas dans le cas des composés d'urane. Les nombres obtenus pour une couche d'oxyde de 6mm d'épaisseur variaient entre 3,7 et 7,3.
Les expériences que j'ai faites sur l'absorption des rayons uraniques et thoriques ont montré que les rayons thoriques sont plus pénétrants que les rayons uraniques et que les rayons émis par l'oxyde de thorium en couche épaisse sont plus pénétrants que ceux qu'il émet en couche mince. Voici, par exemple, les nombres qui indiquent la fraction du rayonnement que transmet une lame d'aluminium dont l'épaisseur est 0mm,01:
Substance rayonnante. | Fraction du rayonnement transmise par la lame. | |
Uranium | 0,18 | |
Oxyde d'urane U2 O5 | 0,20 | |
Uranate d'ammonium | 0,20 | |
Phosphate d'urane et de cuivre | 0,21 | |
mm | ||
Oxyde de thorium sous épaisseur | 0,25 | 0,38 |
» » | 0,5 | 0,47 |
» » | 3,0 | 0,70 |
» » | 6,0 | 0,70 |
Sulfate de thorium | 0,25 | 0,38 |
Avec les composés d'urane, l'absorption est la même quel que soit le composé employé, ce qui porte à croire que les rayons émis par les divers composés sont de même nature.
Les particularités de la radiation thorique ont été l'objet de publications très complètes. M. Owens[19] a montré que la constance du courant n'est obtenue qu'au bout d'un temps assez long en appareil clos, et que l'intensité du courant est fortement réduite par l'action d'un courant d'air (ce qui n'a pas lieu pour les composés d'uranium). M. Rutherford a fait des expériences analogues et les a interprétées en admettant que le thorium et ses composés émettent non seulement des rayons de Becquerel, mais encore une émanation, constituée par des particules extrêmement ténues, qui restent radioactives pendant quelque temps après leur émission et peuvent être entraînées par un courant d'air[20].
Les caractères de la radiation thorique qui sont relatifs à l'influence de l'épaisseur de la couche employée et à l'action des courants d'air ont une liaison étroite avec le phénomène de la radioactivité induite et de sa propagation de proche en proche. Ce phénomène a été observé pour la première fois avec le radium et sera décrit plus loin.
La radioactivité des composés d'uranium et de thorium se présente comme une propriété atomique. M. Becquerel avait déjà observé que tous les composés d'uranium sont actifs et avait conclu que leur activité était due à la présence de l'élément uranium; il a montré également que l'uranium était plus actif que ses sels[21]. J'ai étudié à ce point de vue les composés de l'uranium et du thorium et j'ai fait un grand nombre de mesures de leur activité dans diverses conditions. Il résulte de l'ensemble de ces mesures que la radioactivité de ces substances est bien effectivement une propriété atomique. Elle semble ici liée à la présence des atomes des deux éléments considérés et n'est détruite ni par les changements d'état physique ni par les transformations chimiques. Les combinaisons chimiques et les mélanges contenant de l'uranium ou du thorium sont d'autant plus actifs qu'ils contiennent une plus forte proportion de ces métaux, toute matière inactive agissant à la fois comme matière inerte et matière absorbant le rayonnement.
La radioactivité atomique est-elle un phénomène général?—Comme il a été dit plus haut, j'ai cherché si d'autres substances que les composés d'uranium et de thorium étaient radioactives. J'ai entrepris cette recherche dans l'idée qu'il était fort peu probable que la radioactivité, considérée comme propriété atomique, appartînt à une certaine espèce de matière, à l'exclusion de toute autre. Les mesures que j'ai faites me permettent de dire que pour les éléments chimiques actuellement considérés comme tels, y compris les plus rares et les plus hypothétiques, les composés étudiés par moi ont été toujours au moins 100 fois moins actifs dans mon appareil que l'uranium métallique. Dans le cas des éléments répandus, j'ai étudié plusieurs composés; dans le cas des corps rares, j'ai étudié les composés que j'ai pu me procurer.
Voici la liste des substances qui ont fait partie de mon étude sous forme d'élément ou de combinaison:
[22]
3º Un grand nombre de roches et de minéraux.