guerre 

Leurs témoignages


L’auteur en quelques mots.

Natif d’un petit village de moyenne montagne du centre de l’Alsace, Régis GERARD a vu le jour en 1963. Elève studieux à l’école communale, il s’est fait virer de son lycée après avoir triplé sa classe de première. Faisant le choix de s’orienter vers une carrière militaire, il est admis en qualité d’élève à l’Ecole Nationale des sous-officiers d’active de Saint Maixent l’école en 1982. Après avoir bourlingué en métropole, en RFA et en Afrique durant quelques années, il quitte l’institution en 2010. Depuis il sert en qualité d’officier de réserve au 1er régiment d’hélicoptères de combat de Phalsbourg.

Il est marié et père de trois enfants.

C’est moi !

Par leur courage et leur abnégation, par leur sacrifice ils méritent notre plus grande admiration.

Je dédie ce livre aux soignants, qui, prenant les plus grands risques, au péril de leurs vies, prennent soin de nous.

Ce livre

Ce livre, je l’ai écrit avec passion. Au départ, lorsque l’idée m’est venue de le faire je n’avais pas vraiment idée de quelle forme il prendrait finalement.

L’idée je l’ai eu pour deux raisons qui se tiennent l’une et l’autre. La première parce que durant toute ma vie professionnelle j’ai été militaire. Je le suis encore un peu faisant de la réserve. Lorsque le président de la République a qualifié les soignants de combattant l’envie m’est venue de m’intéresser à eux. De fil en aiguille ils ont attiré mon attention et suscité mon plus grand respect. La seconde tient au fait que j’ai un fils, âgé de vingt trois ans, qui de profession est aide-soignant. Dans le cadre de ses activités, par choix aussi, il a travaillé un peu partout en France. Cela pour multiplier ses expériences et accroître ses compétences. Durant cette crise sanitaire le domicile familial lui sert de base arrière. Il effectue des missions, c’est comme cela qu’il les nomme, dans les hôpitaux, cliniques et EHPAD de la région de Strasbourg. Chaque jour il nous raconte son vécu de soignant, évoque son travail dans les unités COVID-19 au sein desquels il a œuvré.

Comment procéder alors ? De nos jours de façon fort simple en ayant tout bonnement recours aux réseaux sociaux. J’ai lancé un appel à témoignages et très rapidement ceux-ci se sont agglutinés dans ma boîte mail. Il ne faut pas croire ni s’imaginer qu’alors la tâche fut simple et facile. Qu’il suffisait de faire du copier / coller pour sortir un bouquin.

Dans un premier temps une opération de tri s’imposait. Garder les témoignages pertinents et intéressants, rejeter les autres. Sélectionner ceux ayant du fond, éjecter les creux et virulents. Puis dans un second temps les travailler pour les rendre lisibles et compréhensibles. Car si certain ne nécessitaient qu’un léger travail de correction orthographique et grammatical, car remarquablement bien écrits, d’autres, en revanche, avaient besoin d’un sérieux travail de fond. Toujours est-il que jamais je ne me suis permis de changer quoi que ce soit à l’esprit du texte.

Ecrire ce livre a été pour moi une expérience particulièrement enrichissante. Surtout elle m’a permis de mieux comprendre le quotidien des soignants. Si de par le passé leurs manifestations me laissaient indifférents, il est certain que maintenant ils peuvent compter sur mon soutien le plus total dans la lutte qu’ils mènent pour sauver le système de santé français.

Enfin je précise que la répartition des témoignages que j’ai retenue est totalement aléatoire. Je n’ai pas voulu les hiérarchiser, donner plus d’importance à l’un que l’autre.

Le poème du soldat

J’étais ce que personne ne voulait être,

Je suis allé ou les autres craignaient d’aller,

Et j’ai fait ce que les autres ont négligé de faire.

Je n’ai rien demandé à ceux qui n’avaient rien à donner,

Et j’ai contemplé, à regrets, l’idée d’une éternelle solitude …

Si je devais échouer.

J’ai fait face à la terreur,

J’ai senti le froid mordant de la peur,

J’ai aussi profité de la douce saveur d’un moment d’amour.

J’ai pleuré, souffert et espéré … mais plus que tout,

J’ai vécu des moments que d’autres souhaiteraient oublier.

Et un jour, je serai au moins capable de dire que j’étais fier de ce que je fus …

UN SOLDAT

Coup de tonnerre !

Le ciel nous tombe sur la tête !

Nous sommes en guerre !

Fourbissons nos armes, montons au front et boutons hors de France cet ennemi qui nous agresse.

Cet ennemi minuscule, microscopique, qui a le don de se démultiplier.

Cet ennemi sournois, impitoyable qui tue sans discernement.

Cet ennemi c’est le COVID-19

WUHAN ! En cette fin d’année 2019 ce nom de ville n’évoque rien pour l’immense majorité des français. Mégalopole de plus de dix millions d’habitants, elle deviendra bien malgré elle connue du monde entier.

Située au cœur de l’empire du milieu, la Chine, elle symbolise le dynamisme économique chinois. Tradition et modernité s’y côtoient. Tradition culinaire évidemment qui met dans l’assiette des indigènes des créatures que nous autres occidentaux ne songerions même pas à déguster. Entre autre le pangolin étrange bestiole recouverte d’écailles et se nourrissant d’insectes. Le pangolin qui serait, selon les scientifiques, à l’origine d’une nouvelle maladie qui touche les êtres humains. Maladie provoquée par un virus classifié dans la famille des coronavirus et baptisé COVID-19.

Ce virus semble être particulièrement contagieux et surtout avoir un taux de létalité élevé. Rapidement le nombre de décès s’accroît. Très vite, par crainte d’une épidémie exponentielle, les autorités chinoises prennent des mesures drastiques en confinant sévèrement la population de la province de la ville de Wuhan. Immédiatement la vie quotidienne de millions de personnes se trouve bouleversée. Très vite les liaisons internationales vers la Chine s’estompent et s’arrêtent. Le monde a peur !

Mais en décembre 2019 cela ne nous touche guère, nous qui sommes en pleins préparatifs des fêtes de fin d’année. Ce ne sont pas les reportages des journaux télévisés, ni les articles de presse, annonçant le rapatriement de nos compatriotes expatriés dans ces contrées qui ébranlent notre quotidien. Après tout cela se passe à l’autre bout du monde! Et pourtant quelques effets commencent à être ressenti. Oui quelques articles, babioles provenant de Chine, manufacture du monde, commencent à manquer dans les rayons. Mais cela ne perturbe guère notre quotidien. Cela ne provoque que quelques gènes, insignifiantes tant qu’elles ne durent.

Puis subitement, alors que nous ne nous en soucions guère, cette maladie se rapproche de nous. Elle éclate en Italie et s’y déclare fin janvier 2020 principalement en Lombardie. Le nombre de personnes contaminées et celui des décès s’accroissant fortement le gouvernement italien prend le 8 mars 2020 la décision de placer le Nord du pays en quarantaine. Quarantaine étendue à tout le pays dès le 10 mars 2020. Le danger s’est considérablement rapproché de nous, quelques mesures sont prises mais sans plus. Après tout entre l’Italie et la France il y a les Alpes « barrière infranchissable » ! Comme le fut le Rhin, frontière naturelle entre la France et l’Allemagne. Frontière suffisante alors pour contenir le nuage radioactif provenant de la lointaine Ukraine confrontée à l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl. En tout cas, pour ceux qui s’en souviennent ce fut ce que nous affirmèrent les dirigeants de l’époque !

Il est donc inutile de s’inquiéter plus que cela de ce qui se passe en Italie. Pour preuve, le match de football opposant l’Olympique lyonnais à la Juventus de Turin dans le stade de Lyon est maintenu. Il aura lieu le mercredi 26 février et permettra la venue en France de milliers de supporters italiens potentiellement contaminés. Bien que des oppositions se soient faites jour face au risque encouru les autorités françaises ne prennent pas la décision d’annuler la rencontre. 

Parallèlement un rassemblement évangélique s’est tenu à Mulhouse du 17 au 24 février 2020 rassemblant plus de 2500 personnes. Participants provenant de tout l’hexagone (y compris les DOM-TOM) mais aussi des pays limitrophes à la France. Rassemblement ultérieurement identifié comme étant la source de la diffusion du coronavirus en France. Ou pour le moins étant considéré comme tel.

Deux évènements autorisés alors que le danger se trouvait aux portes du pays. A présent le ver est dans le fruit ! Il a certainement trouvé d’autres portes d’entrée tant nos frontières, terrestres aériennes et maritimes, sont jusqu’au dernier instant restées ouvertes.

Dès lors le nombre de personnes contaminées augmente rapidement. L’épidémie s’installe, le nombre de décès croît de jour en jour. Enfin des mesures sont prises. Enfin une réaction des autorités se fait jour. Le jeudi 12 mars le président de la République fait une adresse aux français, l’heure est grave le pays est atteint par le COVID-19. Il leur annonce que le pays est en guerre, que l’armée des soignants est mobilisée. Le samedi 14 mars 2020 le premier ministre s’adresse à son tour aux français et leur annonce qu’à compter de minuit, ce même jour, tous les commerces “non essentiels” seront fermés pour une durée indéterminée. Il s’agit d’obliger les français au respect de la distanciation sociale qui s’impose. Consigne donnée par le président de la République mais que les français semblent répugner à observer. Et c’est l’emballement !

La France sera totalement confinée à compter du mardi 17 mars 12h00 pour une durée renouvelable de deux semaines. Confinement, qui après moult atermoiements, sera levé progressivement à compter du 11 mai 2020. Il aura duré 55 jours.

Le pays est à l’arrêt, les écoles sont fermées, des millions de travailleurs sont atteint par le chômage. Usines, entreprises et commerces sont fermés. Le désastre économique s’annonce et inquiète de plus en plus. A que cela ne tienne il faut, il fallait en passer par là pour arrêter l’épidémie, préserver la santé, la vie des français. Pour y parvenir nous disposons de l’armée des soignants. Le président de la République, chef des armées, l’a dit nous sommes en guerre. Guerre dans laquelle sont engagés en première ligne les soignants ! Et quelle armée ? Armée de peu, armée de rien !

Depuis des mois, des années même, les soignants, attirent notre l’attention sur la dégradation croissante de notre système de santé. Ils n’ont eu de cesse de mettre en avant le manque de moyens auquel ils ont au quotidien à faire face. Moins de lits, moins de matériels, moins de personnels et pourtant il faut malgré tout continuer à soigner, à guérir, à sauver. Sujet au manque de reconnaissance, au manque de considération ils ont exprimé leur mal être croissant. Ils se sont mis en grève, ils ont manifesté et n’ont obtenus des autorités que des miettes destinées à les apaiser.

L’armée des soignants, en 2020, c’est l’armée de 40 ! Le parallèle peut être fait. Mais elle n’est pas la grande muette ! Elle ose dire, crier haut et fort ! Les soignants témoignent, sans attendre que le combat soit terminé. Ils témoignent à chaud, sur le vif. Cela ne peut laisser indifférent. Les français l’ont bien compris manifestant dès le début leur soutien, leur reconnaissance, en saluant chaque soir par des applaudissements le travail, le courage et l’abnégation des soignants.

Action louable, mais action éphémère qui s’arrêtera fatalement dès lors la crise passée. Alors pour ne pas oublier, il semble opportun d’appliquer l’adage « les paroles s’envolent, les écrits restent ».

« Les soignants en guerre »

Leurs témoignages

C’est le titre de ce livre constitué, plus qu’écrit, à partir des témoignages des soignants. Travail que j’ai accompli dans l’espoir que cela serve à quelque chose. Dans l’espoir que ce qui doit être fait pour que cela ne se reproduise plus, que nous ne nous retrouvions plus dans une telle situation, le soit.

Mais il est en premier lieu un hommage à tous ces soignants qui nous ont quitté car pour eux tenter et sauver des vies était plus important que leur propre sécurité.

Le serment d’Hippocrate

« Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux »

Serment d’Hippocrate

Témoignages

Un infirmier

Je suis un infirmier atteint du COVID 19 ! En arrêt maladie donc. Arrêt de maladie et non pas arrêt de travail bien qu’ayant contracté le virus à l’hôpital. Mais comme l’a justement stipulé le médecin de l'ARS : « pour prétendre à un accident de travail il faudrait que vous prouviez que c'est bien à l'hôpital que vous l'avez contracté ». Je ne parle même pas de l'administration de mon établissement qui n’a su dire que "ça vous rends si malade que ça ".

Ils exigent de nous d'avoir des qualités humaines envers tous les patients mais ils sont inhumains avec nous. Je ne vais pas m'étaler sur les réflexions de certaines de mes collègues « il n’avait qu'à prendre toutes les précautions », A vomir venant de ces écervelées que je ne peux que qualifier d’incompétentes !!!!

Un ambulancier

Aujourd'hui j'ai peur !

Seulement 2 interventions ce matin, et pourtant. Une simple épistaxis d'abord, sauf que malgré les Coal gans, les compresses, ça ne s'arrête pas depuis plus d'une heure. 25 mn de route les mains dans le sang, à alterner gants et gel hydro alcoolique, à rassurer le patient, un ancien militaire qui respecte scrupuleusement le confinement depuis le début, et qui est désolé et paniqué de devoir sortir dans le "vrai monde", peur du covid, peur de l'hôpital. Et nous ne sommes pas encore aux urgences que nous sommes déjà attendus ailleurs, cette fois pour un covid positif avéré.

Ça se passe dans une maison de retraite, où les cas se multiplient depuis quelques jours. Une vielle dame tousse, désature, chauffe. Testée positive au virus elle est attendue en unité covid de l'hôpital ; appel du Samu. Prise en charge seul avec l'aide de l'IDE dans l'aile aménagée pour les résidents "suspects", le collègue reste dans l'ambulance au propre pour ne pas multiplier les risques. La patiente est triste... terrorisée par nos tenues de biochimistes. Inquiète de nous voir appliquer tant de précautions. Elle ne pense alors qu'à une chose, qu'on prenne son dentier. On la rassure comme on peut, mise sous 02, installée dans l'ambulance, petit appel au 15. Sur le trajet elle s'agite, panique, veut prendre mes mains et me regarde avec une tristesse infinie dans les yeux. L'affect prend alors le dessus, je ne peux m'empêcher d'approcher d'elle, de la rassurer comme je peux, de lui remettre son masque qu'elle ne cesse d'enlever. Gants, gel hydro alcoolique, trajet interminable de 15 mn. Quand en plus le service indiqué n'est pas le bon -ah non c'est l'étage du dessous- et que tout ce que trouve à dire le médecin, c'est "vous avez pas fait l'entrée"... Bref...

Aujourd'hui j'ai peur.

J'ai transporté chaque jour plusieurs cas de covid avérés ou suspects depuis 5 semaines. J'ai toujours eu l'impression d'être protégé, d'avoir pris toutes les précautions possibles. Pourtant trop de choses m'ont forcément échappées. Trop de poignées de portes à toucher, de boutons d'ascenseurs sur lesquels appuyer, de papiers à manipuler, de personnel différent croisé ! Trop d’émotions également.

Aujourd'hui et pour la 1ère fois j'ai hésité à rentrer chez moi.

Aujourd'hui et pour la 1ère fois je n'ai pas embrassé ma femme.

Aujourd'hui et pour la 1ère fois j'ai repoussé mes enfants.

Aujourd'hui depuis 16 ans de métier j'ai peur.

Et je ne suis pas le seul malheureusement.

Un ambulancier

Je m'étais promis d’écrire tout ça, mais par manque de volonté je n’ai cessé de repousser.

À 14h30 aujourd'hui, "nouvelle mission Samu".

Gros volume demandé dans le service de réanimation de l'hôpital, transfert médicalisé covid pour un autre service de réa.

J'accepte la mission, nous voilà parti.

14h45 : arrivée sur place, on attend le feu vert pour pénétrer dans l'antre du covid, équipés au maximum. On entre.

Patiente de 74 ans, positive depuis 15 jours, d'abord intubée dans les premiers jours, puis pose d'une tracheo, sous respirateur désormais. Endormie à mort, présentant des complications, sondée de tous les côtés, SAPs etc...

L'équipe de réa est au top, bonne humeur et humour général malgré le tableau plus que funeste.

On attend juste l'équipe du SMUR, basée dans le même hôpital, pour le scope, le respirateur portatif.

15h15, toujours personne. Décision est prise d'installer la patiente sur notre brancard, la patiente restant branchée à tous les appareils possibles. L'équipe SMUR va arriver, cela ne devrait plus tarder. L'atmosphère est déjà suffocante dans le confinement de la chambre, on transpire sous les masques ffp2, les EPI, les charlottes... Les lunettes s'emplissent de buée et de condensation. L'attente est interminable pour tout le monde.

15h30, on s’inquiète. Appel aux urgences : en fait le SMUR n'a pas été déclenché, ils ne sont au courant de rien, on attend dans le vide depuis presqu'une heure !

Finalement ils arrivent à15h50, d'abord la doc, puis l'IDE, transmissions entre soignants, passage de relais sur le respirateur, l'O2, les SAPs, on va pouvoir partir. La patiente est fortement sédatée, mais ouvre un œil de temps à autre. Elle nous entend sûrement, c'est juste horrible.

16h10 : départ du centre hospitalier.

16h25 : arrivée à destination.

À 17h10, transfert terminé, on désinfecte le matos tous ensemble, le brancard, l'ambulance, toujours dans la joie et la bonne humeur !

Après plus d'une heure passée dans un service de réa, au contact direct du covid, en appui des équipes hospitalières, en risquant notre santé, en participant activement à toute la prise en charge d’A à Z, nous ne serons pas reconnu comme "soignants", mais comme simples transporteurs.

À quel moment le système a déraillé, à quel moment on nous prendra en compte ?

Je ne suis qu'un ambulancier privé et ce soir je pense à vous tous qui êtes dans la même situation chaque jour, vous tous qui mettez votre santé, celle de vos proches, de vos patients en danger.

Merci de crier au secours, merci de vous battre et de rester mobilisés.

Rien à foutre de leur prime de merde, rien à foutre de quel ministère on va dépendre, rien à foutre des décisions bureaucratiques !

Ce qui compte c'est qu'on fasse notre job, qu'on respecte nos patients, qu'on respecte la Vie en général.

Soyons forts et solidaires, on va s'en sortir, et de notre abnégation et de notre professionnalisme naîtront l'espoir et la reconnaissance.

Ou alors on brûlera tout !

Mais d'abord sortons de cette merde en toute humilité

IDE (infirmière diplômée d’état)

"Fantômes »

Nous sillonnons les couloirs de l'hôpital la nuit de nos blanches couleurs. Nos yeux terrifiants nervurés de rouge et soulignés de noir sondent votre chambre depuis la porte, forcés de constater que votre sommeil est loin d’être paisible. Nos sourires forcés à l’haleine fétide de litres et litres de cafés, tentent d’apporter réconfort face vos yeux écarquillés qui craignent de voir surgir de sous le lit le croque-mitaine qui hante ces lieux : le coronavirus.

Les mains tuméfiées et en sang s’habillent de gants. Le sourire disparaît sous un masque usé et dans un bruissement de papier et de plastique, notre silhouette difforme s’approche. La voix éraillée de fatigue s’élève dans le silence de la nuit pour interroger : tout va bien ?

Mensonges.

Ils sont nombreux, ils prennent toutes les formes. Ils trouvent le chemin de toutes les oreilles. On nous a menti, on nous a parlé d’une vulgaire grippe. On nous a interdit le port du masque pour faire des économies, Nos cadres et hygiénistes nous ont expliqué par un savant exposé à quel point les protections sont inutiles. Nos stocks ont disparu, on a été volé. Les visiteurs probablement, nos supérieurs certainement ! Les ressources matérielles ont été redistribuées pour les urgences, pour les grands centres. Nous autres services “de seconde ligne” demeurons les oubliés, les négligés, les riens du tout. Les moins que rien !

On a mal aux jambes, on présente des fébricules, on tousse, on a des céphalées et la diarrhée, mais pas de tests pour le personnel. Seulement trois pour tous nos patients. On dirait que l’on commence déjà à faire des choix : qui sera dépisté et qui ne le sera pas ? On se met au bricolage pour pallier le manque de matériel, des masques et des sur-blouses. Qui sur trois soignants pourra s’équiper pour la nuit ? Qui se sacrifiera ? Qui sera l’élu pour ce masque et cette blouse mortuaire à défaut de matériel ? Qui entrera dans les chambres qui demeureront jusqu’à la mort de leur occupant, des cas de suspicions ? Qui présente moins de risques ? Qui veut jouer le fantôme qui dira à ces personnes qui vont mourir sans voir leur famille une dernière fois : tout va bien. Qui ?

Tout va bien.

Il est sept heures du matin, l’équipe de jour est sur le point d'arriver. Une nouvelle tournée de fantômes pour ce cauchemar éveillé. On transmet, on passe le relais…

Dans le vestiaire, cette odeur de dépression est plus forte qu’avant, avant le croque mitaine. A l’époque où nous scandions dans les rues notre souffrance, notre mal être. Les rues ou nos voiles blancs de fantômes ont été tâchés d’éclats de sang, nos corps marqués d’hématomes. Silence les blouses blanches : tout va bien.

Non, je ne vais pas bien.

Je retiens mes larmes parce qu’elles ne cesseront jamais, que l’océan est minuscule face à la détresse et à la peur qui inondent mon âme.

Je souris à mes proches par webcams interposées, poudre mon nez de fond de teint pour dissimuler mon état cutané. Je poursuis de propager ce mensonge pour les rassurer.

J’ai froid, j’ai chaud, je suis fatiguée. Je dors toute la journée d’un sommeil sans songe ou animé de cauchemars indescriptibles. Je me réveille en sueurs, je tremble et je n’ai personne chez moi pour me rassurer, pour me consoler. Je suis seule. Si je décompense ici, si je meurs, combien de temps je resterai ici à me décomposer ?

Je prends la deuxième douche la journée, l’eau tiède fait hurler mes plaies sur mes bras et mes oreilles. Au secours… pitié… je ne veux plus y aller !!!

Au secours la France !

Au secours le gouvernement !

Donnez-moi du matériel, donnez-moi des bras !

Au secours mes supérieurs, sortez les masques que vous cachez sous clé !

Au secours mes voisins, arrêtez de me harceler !

Au secours moi-même, arrête de te faire du mal !

Les pleurs angoissés de mes patients, leur voix qui me demandent s’ils vont mourir, leurs regards qui appellent au secours. Cela me poursuit, me hante sans cesse.

J’ai envie de m’enfuir, de me cacher, de changer d’identité, de passer pour morte. Je me souviens que je suis déjà un fantôme.

La silhouette de l'hôpital se dessine dans l’horizon de la nuit qui s’étend sur mon pays, je serre les poings, ma peau se déchire. Courage petit fantôme, courage. Le soleil finira par se lever et tous tes petits morts de ces nuits difficiles, seront pour toujours à tes côtés.

Jeanne

Il y a deux mois j'ai voulu mettre par écrit mon vécu d’une journée dans mon service en gastro

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Il est 6h15 et comme tous les jours, j'arrive 15 min minimum en avance pour commencer à préparer mon tour. Revenue de vacances, je ne connais plus les patients présents dans le service. L'infirmière de nuit me fait les transmissions qui durent une bonne demi-heure (en principe être réalisée en trente minutes cette transmission dure en général bien plus).

Dès que les transmissions sont terminées, je m'empresse de finir les 2-3 injectables à préparer avant de commencer mon tour. Je souffle un coup, lance le PC et attaque mon tour. Je commence par les prises de sang en priorité, pour que les patients soient encore à jeun. Munie du tensiomètre, des comprimés ou injectables du patient, je me dirige vers la chambre. Par chance, le patient n'est pas difficile à piquer et je repère une veine du premier coup. Je lui demande si ça va, s'il n'a pas de douleurs puis je m'extirpe rapidement de sa chambre. Je tente de prioriser mes soins et ainsi voir les patients qui nécessitent d'être vus en premier: prise de sang, bloc, fin de vie, etc.

Au fil de ma matinée il faut sans cesse que j'actualise mes priorités car de nombreux aléas interviennent. Il faut donc que je m'interroge et que j'évalue le degré de l'urgence. Un patient qui a de la température, une hypo ou hypertension, une hypo ou hyperglycémie, un patient très algique, une perfusion qui lâche, une stomie qui éclate, un pansement saturé... il n’y a pas de routine ! L’imprévu est omniprésent.

L'aide-soignante avec qui je travaille me transmet très régulièrement des infos sur les patients qu'elle vient de voir. Quand il y a trop d'informations, je me sens vite débordée et la pression monte. Je vois le temps qui passe, le staff qui approche et le peu de patient que j'ai vu. Je me dépêche, montre à la main. C’est en permanence une course contre la montre.

Second patient: 7/4 de tension et un pouls à 110. Chez les cirrhotiques, une tension basse n'est pas alarmante mais 7/4 c'est peu et cela m'inquiète un peu. Je surélève les jambes du patient (le lit ne marche plus, je m'arrange donc pour caler quelque chose sous le matelas afin que ses jambes soient en déclive). Je reste auprès de lui pendant un moment tout en contrôlant sa tension qui remonte légèrement. J'hésite à appeler l'interne de garde, je décide finalement d'attendre et voir si son état s'améliore (nb: l'IDG n'est pas souvent très agréable quand on l'appelle au petit matin !).

Entre temps l'aide-soignante me transmet que le patient en 112 chauffe à 39.7°. Voyant que la tension est remontée à 8/5, je quitte donc le patient avec qui je suis pour préparer le matériel dont j'ai besoin pour prélever le monsieur. Il frissonne. Ce monsieur est porteur d'un KT picc (cathéter veineux central). Je dois donc prélever des hémocultures sur son dispositif puis en périphérie. Cela me prend du temps (préparer le matériel, prélever, sortir les feuilles, étiqueter, noter). Je fais ensuite le tour du service pour chercher l'ASH pour qu'elle puisse porter ces prélèvements en urgence au labo.

Cette dernière est introuvable...certainement partie dans un autre service ou fumer, encore une chose supplémentaire qu'il ne faudra pas que j'oublie. Je branche au patient un paracétamol, et pose une vessie de glace puis je continue de voir mes autres patients (je ne pourrais finalement retournée dans la chambre du patient qui avait une hypotension que 2h après l’avoir quitté).

Prochain patient, juste un petit dextro à faire, pas de douleurs, 2 traitements à donner, patient autonome qui ne nécessite pas de temps. C'est bonheur.

Je retourne sur le pc et comme à son habitude, il rame. Dès que je change de patient où que je valide un soin, cela prend 10sec. Lui c'est sûr il a le temps ! Moi non.

Patient suivant, une odeur d'urine embaume toute la chambre, ses draps sont souillés, je constate que sa perfusion est bouchée. Je vais donc chercher mon matériel pour la déboucher. Dès que j'ai fini, je m'apprête à quitter sa chambre quand il me dit au moment de passer le pas de la porte qu'il a soif et qu'il n'a pas de carafe. Lasse de chercher l'AS pour lui demander de donner une carafe au patient, je presse le pas et lui apporte une carafe d'eau.

Durant tout le quart, j'effectue des allers retours incessants vers la salle de soin, ou jusqu'à la cuisine qui se trouve à l'autre bout du service. De fait, il manque toujours quelque chose (cuillère, verre d'eau, carafe, etc).

L'heure du staff. Ce fameux moment où il faut présenter les patients, transmettre les infos données de la nuit et ajouter celles du matin si besoin. La plupart du temps sont présents un médecin chef, un interne, un ou deux externes, la cadre du service, la diététicienne (très importante car nous sommes dans un service de nutrition), l'infirmier de journée, et l'infirmière d'alimentation parentérale. L'ambiance n'est pas souvent très fun. On échange sur les patients, chacun ayant sa touche à apporter. Les sorties du jour sont également décidées.

Bien souvent, je n'ai pas vu la moitié des patients. Ce matin, j'en ai vu 6 sur les 15 que j'ai en charge. Je me sens bête quand le médecin me pose des questions auxquelles je suis dans l'incapacité de répondre. Il suffit d'avoir eu des transmissions insuffisantes ou en désordre de la part de l'IDE de nuit et là c'est la cata. Tu donnes l'impression d'être débile, d’être nulle.

Je croise les doigts pour que le staff soit le plus rapide possible et que je puisse continuer mon tour. Staff terminé, je bondis de ma chaise et retourne à mon poste. Je continue de faire le tour des patients. Les médecins commencent leurs visites, inévitablement ils vont modifier les prescriptions.

Un patient sonne depuis au moins 20 minutes, personne n’est allé le voir. Je n'attends pas ma collègue qui est, je ne sais où, et le met sur le plat bassin. Dix minutes plus tard il sonne à nouveau parce qu'il a fini. Je suis hyper occupé et lui dit que ma collègue va venir le voir. Hélas pour lui, cette dernière n'est pas dans les parages (sûrement dans une autre chambre ou en train de poser). Ce n'est qu'une quinzaine de minutes plus tard que j'aperçois l'aide-soignante entrer dans sa chambre. Il était donc pendant tout ce temps sur le plat bassin.

Déjà presque 11h00 et il me reste encore trois patients à voir.

Je suis fréquemment interpellée par les patients, sollicitée au téléphone, appelée par les sonnettes. Sans cesse interrompue. En permanence j’ai la sensation de ne pas avancer et d'avoir du travail qui se rajoute à celui que déjà je peine à faire.

Et ainsi va ma journée de travail. Toujours que le qui vive, toujours sur la brèche, toujours à courir à droite et à gauche. Ma collègue de l’après-midi arrive, je n’ai pas vu le temps passer. Il est déjà 13h20, une fois de plus je quitterais mon service après l’heure ! Je n’ai pas eu un instant de répit, je n’ai eu ni le temps d’aller aux toilettes ni même de manger quelque chose. Je suis épuisée ! Enfin je quitte l’hôpital, mon podomètre indique 12 kilomètres. J’ai marché pendant mon temps de service toute cette distance, impressionnant !

Je quitte mon service démoralisé. Comme chaque jour, jour après jour ! Je n'ai pas pris le temps d'adopter les précautions nécessaires pour me protéger et pour protéger les patients. D'ailleurs, je n'ai jamais le temps de prendre le temps. Sollicitée de tous côtés, je n'ai pu accorder qu'une dizaine de minutes au patient qui est en fin de vie, cinq à peine au patient angoissé qui a besoin d'être écouté et rassuré. J'ai participé contre mon gré à de la maltraitance institutionnelle en disant à un patient que je n'avais pas le temps de l'accompagner aux toilettes et que ma collègue allait venir sans même prévenir celle-ci qui à ce moment-là était introuvable. A plusieurs reprises j'ai dit "Je reviens" mais ne suis jamais revenue. Chaque jour en sortant de mon quart j'ai la sensation d'avoir mal fait mon travail, je sors dépitée et le cœur lourd. J'aime mon métier mais ne supporte pas cette manière d'exercer. Comment bien prendre soin des patients quand chaque jour est une véritable course contre la montre ?

Jeune diplômée depuis un an je me sens démunie et suis lassée de travailler dans ces conditions. Je fais un métier que j’aime mais tiendrais-je le coup ?

Dessin d’enfant

Infirmier

Infirmier et citoyen, je constate de jours en jours les comportements aberrants qui fleurissent là où devrait primer la solidarité, la fraternité et le bon sens.

Il me semble que ce sont la panique et l’individualisme qui prévalent. Les hôpitaux sont pris d’assaut, les soignants sont impuissants et épuisés. Notre système de soin est au bord du gouffre. Un manque cruel de moyens se fait ressentir. Les grandes surfaces sont littéralement pillées. De trop nombreuses personnes ont des comportements stupides ou encore non-hygiéniques. Les consignes ne sont pas respectées. Des citadins qui par centaine de milliers se réfugient à la campagne que pourtant ils décrient. Des potes qui se rassemblent pour l’apéro. La diffusion de « fake-news » effrénée prises pour argent comptant par beaucoup. Tout cela alors que nous sommes en pleine crise sanitaire.

Un sentiment d’invulnérabilité paraît dominer, l’insouciance également.

Ne laissons pas la peur et l’obstination nous rendre idiots. Ce qui nous manque pour assurer notre victoire dans cette guerre : du bon sens, de la rigueur, du cœur et de la raison. Écoutez les consignes du corps médical et paramédical, de l’État, des autorités. Protégez-vous, vos proches, vos enfants, vos amis, vos voisins. Préservez votre prochain comme n’importe quel autre citoyen du monde. Ne cédez pas à la psychose, et relativisez en pensant un peu à nous, soignants et soignantes qui sommes encore là chaque jour, pour vous, envers et contre tout. On est au-delà du sacerdoce, prenez en conscience et respectez au moins cela.

Prenez soin de vous, surmontons cette crise ensemble.

Aux connards qui craignent de mourir car une infirmière est leur voisine,

Sachez que c’est sûr,

Qu’un jour,

Sans elle vous crèverez !

Une soignante en EHPAD

Nous sommes dans une période vraiment difficile

Je n’aime pas me plaindre et je pense qu’avec ce que nous vivons actuellement le moment est mal choisi. Mais lorsque la coupe est pleine il est difficile de se retenir et de tout garder pour soi.

Ce dimanche j’ai failli craquer ! Je travaille dans un EHPAD ou par chance, nous n’avons pas eu de cas de coronavirus déclarés. Toutefois plusieurs collègues sont en arrêt maladie pour état grippal, fièvre, toux et rhume. Le doute est donc permis. Du coup, nous sommes plus qu’à flux tendu sur les plannings. Le manque de personnel se fait ressentir, il faut rappeler ceux qui sont en repos ou en congés.

Ce week-end, j’ai travaillé sur un secteur très lourd. Secteur dans lequel il y a quatre résidents dont la prise en charge est très difficile (mobilisation, tourner lors de la toilette, transferts; etc.). Il s’y ajoute des troubles cognitifs et de l’agressivité difficiles à gérer. J’étais seule sur ce secteur !

Les quatre résidents sont très difficiles à prendre en charge. Une des résidentes est de plus en plus opposante aux soins. Vu son âge, je comprends parfaitement qu’elle veuille que nous lui fichions la paix. Mais lorsqu’elle est dans les selles, il faut bien lui faire la toilette et lui changer la protection. Je sais bien qu’il ne faut pas prendre pour soi lorsqu’un résident est agressif. Les engueulades, les insultes et les coups, on essaye de ne pas y attacher d’attention. Mais pour la toilette c’est hyper difficile. Seule j’ai beaucoup de mal à le faire et parfois je n’ai d’autre choix que d’appeler une collègue à la rescousse. La plupart du temps on m’envoie gentiment sur les roses, il faut dire qu’elle non plus n’a pas le temps de lambiner.

Nous avons un autre résident dont il est véritablement horrible de s’occuper de lui. Triste à dire mais hélas pure vérité. Il faut que nous soyons trois pour le changer. Il est atteint d’une démence de type frontale et doit être immobilisé à l’aide d’un verticalisateur. Mais il n’y qu’un personnel soignant sur le secteur. Il est donc difficile de le prendre en charge. Qui plus est, mais y peut-il quelque chose, il est agressif tant verbalement que physiquement. C’est donc la boule au ventre que j’entre dans sa chambre. J’ai peur !

Ces derniers temps, ce résident est plus agressif que d’habitude. Pourtant, nous veillons sans cesse à son confort. Mais en vain. Je me suis occupée de lui tout le week-end malgré tout. Chaque fois en ressortant de sa chambre, je n’étais vraiment pas bien

Ce week-end de travail auprès de ces quatre résidents particulièrement difficiles a été pour moi très éprouvant. J’ai failli craquer, j’ai senti les larmes me monter aux yeux et était à deux doigts d’éclater en sanglots.

Le coronavirus ajoute des difficultés supplémentaires à nos conditions de travail pourtant déjà bien dures. Je me fatigue et m’épuise de plus, je suis à cran. Mais mes pensées vont vers ceux et celles qui travaillent en réanimation, aux soins intensifs, aux urgences qui eux doivent être encore plus fatigués que moi. Je n’ai pas le droit de me plaindre 

Aide-soignante

Nous sommes là pour chaque malade

Même dans la pire des panades

Nous trouvons les médicaments et les pommades

Nous subissons toutes sortes d’agressions

Bien plus que la médaille de Macron

Notre travail mérite des millions

Les mains dans le caca, des fesses on lave

On change, on borde, on est bien brave

Mais nous ne sommes pas des esclaves

Des petits vieux, nous sommes l’ultime appui

Car souvent la famille les oublie

Et le gouvernement guère ne s’en soucie

Jours et nuits nous sommes présentes

Devons rester efficaces et souriantes

En toute situation, même astreignante

Souvent notre famille nous sacrifions

A cause d’horaires qui sont aberration

Au profit des actionnaires ou de la direction

Le manque de moyens nous fait craquer

Soyez nombreux à nous soutenir et nous aider

Car nous aimons

Et faisons le plus beau des métiers

Moi, Sonia, Aide-soignante

Un ambulancier en colère !

Ce soir je suis en colère, une colère sourde et profonde.

Les journées s’enchaînent et se ressemblent elles sont dures de par la nature de notre travail. Mais elles sont dures physiquement à cause de la fatigue causée par p les habillages et déshabillages qui s’enchaînent car il faut se protéger de cet ennemi invisible.

Dures par l'appréhension croissante d'être en permanence confronté au covid-19.

Dures intellectuellement car il faut prendre en charge des patients inquiets pour lesquels il faut trouver les mots rassurants. Alors que nous-mêmes sommes inquiets et en plein doute sur la situation et l’avenir.

Dures car au fil du temps les annonces de cas où de gens malades se multiplient dans nos contacts et nos familles.

Dures émotionnellement devant des familles, des parents, des enfants regardant partir les yeux pleins de larmes l’ambulance transportant leur proche vers l'hôpital sans certitude de les revoir un jour.

Dures car tellement de questions nous tenaillent le soir en rentrant à la maison. Suis-je malade? Vais-je contaminer les miens?

Mais nous le faisons car c’est notre métier, notre passion, quasiment un sacerdoce.

Mais là, malheureusement, on touche le fond du « foutage » de gueule ! Depuis le début de cette crise sanitaire sans précédent les ambulanciers qui sont en première ligne à côté des sapeurs-pompiers pour la prise en charge des covid, domiciles et transferts sont allègrement pris pour des « gens bons » pour ne pas dire jambons.

Ils enchaînent les transports de patients infectés sans protocoles précis sur la décontamination des ambulances qui soit dit en passant ne transportent pas que des covid-19 (chaque ars fait un peu à sa sauce).

Contrairement aux recommandations initiales de la COREB, les ambulanciers transportent des covid-19 ou suspicions de covid-19 avec des protections qui s’amenuisent de jours en jours. Il n’y a plus de ffp2 alors on passe aux masques chirurgicaux, puis plus de protection du tout. Bientôt devant le manque criant de matériel les ambulanciers iront au-devant des patients covid avec juste une feuille de vigne sur eux ! Car c’est bien connu ce virus craint les ambulanciers tout autant qu’il craint la police.

Certaines préfectures demandent aux sociétés d’ambulances de se défaire de leurs stocks personnels de protection, acheter par les entreprises sur leurs fonds propres pour subvenir aux carences de l’état et ainsi approvisionner les hôpitaux. Le ministre annonce 40 masques chirurgicaux par semaine pour les entreprises quel que soit le nombre d’employés. Cela fait pour certains d’entre nous un masque par jour sachant qu’il faudrait en changer toutes les trois heures. Le compte n’y est pas, loin s’en faut.

Le groupe Total annonce le don de 5o millions de bons d’achats de carburants pour le personnel soignant, les ambulanciers publics et privés. Annonce faite à grand renfort médiatique. Finalement les ambulanciers ne sont pas sur la liste des professionnels bénéficiaires. Un peu comme pour les masques à retirer en pharmacie pour lesquels les ambulanciers encore une fois ne font pas partis de la liste prioritaire (pas des professionnels de santé s’entend on dire).

Les super et hyper marchés ouvrent plus tôt, ou mettent en place des files prioritaires pour faciliter les courses des personnels soignant et ainsi leur libérer du temps sur leurs maigres repos. Mais il ressort que dans beaucoup d’endroits les ambulanciers en sont exclus encore une fois.