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BoD – Books on Demand GmbH, Norderstedt
ISBN: 978-2-3220-2283-0
L’élevage professionnel d’insectes : points stratégiques et méthode de conduite, Éditions BoD, 2015
Cours d’entomologie pour l’agriculture naturelle , École d’Agriculture Durable – ITAN, formation en ligne www.ecole-agriculture-durable.eu
L’agroécologie : cours théorique, Éditions BoD, 2015
L’agroécologie : cours technique, Éditions BoD, 2015
Les cinq pratiques du jardinage agroécologique, à paraître
Site internet : http:\\jardindesfrenes.jimdo.com
Chaque livre est à la fois un aboutissement et un anéantissement. Un livre est d’abord une seule idée. Puis l’écrivain en a une autre, et puis encore une, puis elles s’accumulent jusqu’au jour où elles peuvent se combiner, pour former une grande idée, avec une ligne directrice. L’écrivain se lance alors corps et âme dans la rédaction. D’abord fébrilement les mots se posent et s’ajustent les uns aux autres, puis les premiers chapitres émergent. L’écrivain relit, constate les efforts à faire, corrige, recentre, étoffe, coupe. Les semaines passent, les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas. Puis un jour le dernier chapitre est en vue. Vision joyeuse, mais trompeuse, le chemin restant dévoile des obstacles inattendus. La ténacité est de mise. Enfin, ça y est, le livre est écrit ! Joie et soulagement, relectures finales, plus longues que prévu. La conclusion est alors posée délicatement comme le nappage d’un succulent gâteau, et l’écrivain termine par l’introduction. Son rôle est celui de la cerise sur le gâteau, attirante, alléchante et prometteuse. Le manuscrit est envoyé aux éditeurs. Nombreux refus, dont l’écrivain est informé par un simple mutisme (les sites internet des éditeurs préviennent : « si l’ouvrage a du potentiel, on vous recontactera… »). Le vide succède à la montagne. Les idées, que l’écrivain a enfantées et fait grandir, l’ont définitivement quitté pour aller se soumettre à la sélection dans le grand monde. Que faire maintenant, se demande alors l’écrivain ?
Cette question se pose à moi peut-être d’une façon différente qu’elle ne se pose aux écrivains professionnels, car je n’écris pas pour en vivre. J’écris pour trois raisons. La première est que je veux présenter ma façon de voir le monde. Suite à mon expérience de vie, relativement originale entre la France métropolitaine, la Nouvelle-Calédonie, Hong Kong, Tahiti et l’Allemagne, entre la vente et le service après-vente, entre le laboratoire et le champ, mes idées et mes points de vue sur l’état de notre société valent bien ceux que je peux lire ou entendre dans les médias. Moi aussi je veux apporter ma pierre à l’édifice ! J’avoue mon égoïsme, mais que le lecteur se rassure : j’ai pris soin de présenter mes idées et points de vue avec autant de clarté que possible. En particulier, je garantis au lecteur que j’essaie toujours de me positionner par rapport aux courants de pensée qui sous-tendent notre société. Vous savez, ce sont ces courants qui constituent les objets d’étude de l’histoire et de la philosophie… J’aborde dans plusieurs textes des questions d’actualité (attentats, zadistes, OGM…), et mon objectif est, si l’on comparait la société à un océan, de toujours chercher à comprendre comment ces vagues de surface sont dépendantes de la houle des profondeurs – de ces courants de pensée qui sous-tendent notre société, et qui sont comme des voies rapides à travers l’histoire et le temps. Je m’astreins à relier la surface aux profondeurs, quand bien des médias se contentent de faire des liens entre l’écume des différentes vagues, instantanéité de l’homme moderne oblige. Ce culte de l’immédiat, on ne s’en étonnera pas, n’est pas propice à stimuler l’esprit critique de notre bon peuple de France. Pourtant il en aurait bien besoin en ce moment, afin de sortir de la lamentable crise écologique et économique, et donc aussi administrative et législative, qu’il traverse.
La deuxième raison pour laquelle j’écris est que l’écriture me repose. Mon cerveau génère sans cesse des pensées – suis-je un angoissé de nature, ou bien n’est-ce pas la fonction du cerveau que de produire des pensées tout comme les muscles produisent des contractions et tout comme les poumons alimentent le sang en oxygène, c’est-à-dire spontanément et sans y penser volontairement ? C’est presque un comble… Toutes ces pensées il me faut donc les écrire sans quoi elles m’encombrent la mémoire d’abord, puis débordent pour tomber dans l’oubli. C’est du gâchis, cela revient à faire un effort musculaire qui ne sert à rien ou à se priver volontairement des bienfaits d’une respiration. Une pensée doit servir à quelque chose, concrètement ou pour contribuer à améliorer d’autres pensées. Sinon pourquoi penser ? Je capture les pensées dès leur naissance. Pas toutes bien-sûr, uniquement les originales, celles que je « produis » pour la première fois, et je me débarrasse des répétitions après les avoir identifiées. Je m’assure de leur logique et de leur complétude en les écrivant. Ainsi, mon objectif est non d’avoir à chaque instant une tête bien pleine, mais une tête bien vide ! Elle doit être comme une feuille vierge, pour que la naissance de nouvelles pensées ne soit pas entravée, pour qu’elles se présentent à moi de la façon la plus claire possible. Voilà mon économie de la pensée. C’est presque une avarice, car lorsque j’oublie d’en noter une bien sentie, il me semble avoir raté une occasion en or ! Une fois la pensée notée, grande ou petite qu’importe du moment qu’elle m’est nouvelle, j’ai le sentiment du devoir accompli, je me sens bien et reposé.
Parfois, je réunis plusieurs pensées pour en faire un texte et éventuellement un livre : un livre est pour moi comme l’ultime sommet d’une pyramide d’idées. La base de cette pyramide repose dans les profondeurs, dans du terreau cérébral (le monde abstrait de l’imagination et de la logique) et la pyramide est juste assez haute pour percer à la surface, c’est-à-dire dans la réalité, pour prétendre influencer celle-ci.
La dernière raison pour laquelle j’écris est que cela me donne le sentiment de me créer. Écrire est pour moi tout aussi gratifiant que d’agir concrètement (faire le jardin, vendre les récoltes, planifier les semis de l’année à venir). Je pense que le travail manuel et le travail intellectuel ont une valeur tout à fait égale, car la théorie n’est rien sans la pratique – une évidence que l’on oublie trop souvent. Je construis ma vie en alternant travail intellectuel de l’ écriture et action concrète (ces dernières années l’action agroécologique plus précisément). Ce faisant j’éloigne une de mes peurs existentielles : celle de devoir remplir ma vie, de devoir trouver quelque chose à faire pour occuper le temps entre maintenant et le moment de ma mort. Il me semble que c’est ce que font bien des gens, en planifiant leur retraite et leur assurance-vie dès la fin de leurs premières années d’adultes. Ils posent le point de départ, le point d’arrivée, et ils remplissent ! Curieux comportement. Ces personnes prévoyantes, les pieds sur terre, ont toujours plus d’argent que moi, font carrière et auront une bonne retraite. Moi au contraire je parviens à peine à subvenir à mes propres besoins – un choix assumé, j’ai renoncé à avoir une petite famille. Moi je vais un peu au hasard. Suis-je pour cette raison un « loser » ? Un qui « rate le train » ? Possible. Il faut de tout pour faire un monde. Honnêtement, je ne saurai complètement occulter l’idée selon laquelle mes livres seraient une sorte de revanche, la preuve que l’on peut vivre sans rentrer dans le moule du techno-citoyen moderne…1
Vouloir écrire est bien, en avoir le temps est mieux. Je ne suis ni un scientifique confirmé, ni un littéraire confirmé : je suis un simple citoyen, démissionnaire même de l’industrie et sans emploi stable. Ces dernières années, j’ai donc pu m’accorder du temps – un luxe insoupçonné – à déployer et étoffer ma façon de voir le monde, en lui donnant corps dans quelques livres. Et je me suis lancé dans la création d’une revue gratuite pour apprentis écrivains, Les plumes de la Manche sur lesplumesdelamanche.jimdo.com. Un échec bien sûr : toutes les idées ne sont pas des bonnes idées, toutes les idées que l’on a ne valent bien souvent que pour soi-même. On ne parvient à écrire de bonnes chose que si l’on en a écrit de mauvaises.
Construire, raffiner et exprimer sa façon de voir le monde n’est rien d’autre que la quête consistant à chercher sa place dans le monde. Cela définit très bien ma situation actuelle. Pour avancer dans cette quête, le point de vue que j’affectionne le plus est celui-ci : à partir du belvédère de la raison, scruter la grande étendue de la Nature parsemée des points et des lignes de la Société, jusqu’à un horizon qui s’achève à l’occident par la Science et à l’orient par le Mystère. Écrire les textes de ce livre m’a permis de faire ma route dans ce delta des idées. Maintenant que ce livre est fini, après la réflexion, place de nouveau à l’action : je dois parfaire mon jardin agroécologique et en tirer quelque revenu !
Je ne planifie pas d’autre livre, car qui pourrait prévoir ce que la vie nous réserve ? Parfois je pense que les années à venir, même si la vie est un voyage, seront moins riches d’expériences que celles passées à l’étranger et que mes premières années de vie professionnel. Peut-être aurais-je un jour accumulé assez d’expérience de vie qui servira de matière à un nouveau livre… Car ce n’est que parce que j’ai pris l’habitude il y a une douzaine d’années de noter systématiquement mes réflexions personnelles, et que j’ai ainsi rempli quelque 1500 pages au préalable, que je me suis senti être apte et avoir assez de contenu pour écrire. Je ne saurai écrire sans me référer à mon expérience personnelle : si je devais écrire un texte uniquement en citant des auteurs, j’aurai la sensation de faire de la scolastique philosophique !
En tout cas j’ai des idées, qu’il me faudra bien mettre en œuvre à côté de mon jardin agroécologique. En me lançant dans cette forme de jardinage pointue et innovante, et qui me passionne, j’ai pourtant peur de tomber dans l’indigence si je ne devais faire que ça. C’est une bipolarité (équilibrer travail manuel et travail intellectuel) parfois un peu pénible à porter, un défi permanent, qui rend parfois mélancolique. Parfois les résultats d’un côté comme de l’autre semblent trop faibles. Mais je ne pourrais pas m’imaginer faire abstraction de toute la diversité du monde pour me concentrer sur une seule occupation. J’apprécie plus la diversité des points de vue et des connaissances que la spécialisation dans un seul domaine. Cela aussi me fait sortir du moule du citoyen technique moderne qui, dans sa nécessité d’être performant sur le marché mondial des biens et des services, est nécessairement spécialisé. Suis-je donc condamné à n’être qu’un jardinier dilettante doublé d’un écrivain amateur ? Curieusement je me sens pourtant libre…
Les réflexions réunies ici ont été façonnées sur une période allant de 2012 à 2015. Elles sont toutes écrites sous l’angle de vue que j’affectionne le plus, décrit ci-avant, et la ligne directrice commune en est la nécessité de faire évoluer notre société, la société occidentale2. Cela passe par une évolution de nos façons de voir le monde, ce à quoi ce livre vous incitera j’espère. Le chemin est long du cœur à la tête. Il est encore plus long de la tête à la main. Faut-il évoluer me demanderiez-vous ? Mais oui, car nous sommes en crise ! Notre société est très concrètement sapée par des lois trop nombreuses, car mal conçues. Il faut les remplacer, afin de redonner à tout un chacun la possibilité de travailler et d’entreprendre. Mais le marasme actuel n’est pas qu’un problème de lois. Le malaise économique a des causes autant civilisationnelles que législatives. Ce n’est pas une vague de surface, les courants des profondeurs s’épuisent : nous n’avons plus d’idéal de société ! La preuve en est que beaucoup d’entre nous seraient incapables de décrire en termes simples les idéaux actuels qui nous servent à faire évoluer notre société vers une forme que l’on voudrait meilleure. D’ailleurs les évolutions sociales ne sont-elles pas au point mort ? Et puis évolutions vers quoi ? C’est une difficile entreprise que de penser une société meilleure, en plus lorsque des changements concrets d’envergure se dessinent : fin des combustibles fossiles, changements climatiques et vagues de réfugiés. L’entreprise est possible : il faut savoir voir large, et il faut comprendre qu’à l’inverse c’est en désirant une société meilleure, en faisant les premiers pas dans cette direction, que nous surmonterons demain ces grands changements concrets. C’est si nous restons dans la situation actuelle, sans idéal, que ces changements vont avoir des conséquences néfastes. Comme l’exprimait Albert Einstein, pour résoudre un problème il ne faut pas continuer dans les façons de penser qui ont fait surgir le problème. Il faut de nouvelles façons de penser.
Le système va mal ! Expression devenue si banale qu’on est oublie sa signification concrète : c’est notre façon de nous organiser qui flanche, et cela se traduit par du mal-être individuel. Chacun de nous souffre, étant pris entre le culte de l’hypermarché et la peur de changer ses habitudes, entre les trente glorieuses et l’idéologie écologiste, entre les impôts et le désir d’entreprendre, entre l’humanisme de gauche et le sadisme du front national. Ainsi Michel Onfray qualifie le temps présent de bas empire : la fin d’une civilisation (la judéo-chrétienne qui a mué en modernité technique), c’est-à-dire l’expression des plus mauvais aspects des institutions et des individus. En particulier la bipolarisation systématique qui entrave la réflexion au profit de l’émotion. Je pense qu’il nous faut impérativement de nouveaux idéaux de société, afin de neutraliser sinon de limiter les dégâts irréversibles qui seront causés par des courants profonds que l’on croyait appartenir au passé et qui sont en train de resurgir : les fondamentalismes religieux, l’incompétence de certains élus et de l’administration qui tourne parfois à la corruption, et la perte de toute commune mesure entre les individus les plus riches et la classe moyenne. Afin de pouvoir continuer à bâtir sur nos acquis civilisationnels (en autres la société de droit, l’égalité des sexes, les libertés, le respect la Nature – qui tarde à s’affirmer hélas), il faut faire évoluer à la fois nos mentalités individuelles et notre organisation sociale.
On attribue souvent le marasme actuel aux experts qui conseillent nos dirigeants. Les experts seraient déconnectés de la réalité : experts en science de l’éducation qui pour les enfants jugent le travail de mémoire inutile et le remplacent par la rencontre avec des « thématiques transversales », experts en économie qui ne savent pas entendre les difficultés des entrepreneurs, experts en sciences sociales qui préfèrent donner de l’argent aux pauvres plutôt que de leur permettre de travailler, experts en politique qui font une administration européenne loin du peuple et qui sont rémunérés sans commune mesure avec le salaire européen médian, experts scientifiques qui s’éloignent paradoxalement de la réalité en produisant des études aux résultats contradictoires quant à la nocivité de certaines techniques ou substances… C’est là sans nul doute une partie du problème. Donc lisez-moi, car je ne suis pas un expert : j’ai été vendeur de vélos, j’ai été technicien après-vente, j’ai travaillé en laboratoire industriel, j’ai enseigné, et maintenant j’ai les mains dans la terre. Dans chacune de ces fonctions, mon souci est et a toujours été de relier le sens pratique avec la cohérence théorique. L’un ne fait pas de sens sans l’autre. C’est en Allemagne que j’ai appris à travailler, et de là me vient peut-être ce trait de caractère. Par exemple c’est parce que je n’étais pas satisfait sur ce point des ouvrages en français sur l’agroécologie que j’ai décidé d’écrire ma vision et ma pratique de la chose. Je ne suis pas non plus en esprit un universitaire ou un académicien ; je ne vise pas la reconnaissance d’un tel publique. Je me sens plus proche de Michel Onfray, penseur authentique, car il a le courage d’écrire que la première des qualités de la pensée est d’être libre, et donc qu’une philosophie de chapelle (liée à tel ou tel grand philosophe ou à telle ou telle école) oublie de démontrer une excellence de l’art intellectuel, pour préférer l’acquisition d’un certain statut social. Mes textes sont simplement pour toutes les personnes qui aiment réfléchir par elles-mêmes. Pour garder Michel Onfray comme point de repère, je pense que les textes du présent ouvrage s’inscrivent dans sa thèse de la post-chrétienté, thèse qu’il introduit dans son dernier ouvrage Cosmos3.
Ces textes sont des aboutissements personnels, ainsi je vous invite, en les lisant, à essayer par jeu d’y distinguer les chemins que j’ai parcourus : de la France à l’Allemagne, en passant par la Nouvelle-Calédonie, Hong-Kong et Tahiti, de l’école à l’université, du jardin à la Nature en passant par l’industrie. J’ai trente-six ans seulement, j’ai fait neuf fois le tour du monde, j’ai appris cinq langues. Puisse mon point de vue sur la société vous être utile. Ce qui est pour moi un point d’arrivée est peut-être pour vous un point de départ, et l’inverse est aussi possible.
1 Si vous lisez ce livre, c’est que vous-même n’êtes pas dans ce moule ou que vous cherchez à en sortir. Dans le premier cas je vous salue alors fraternellement, dans le second je vous souhaite la bienvenue.
2 Une société dans laquelle, certes, je ne suis pas complètement intégré et qui parfois m’indiffère, mais cela ne m’empêche en rien de souhaiter une amélioration de cette société. Avec un brin d’humour bouddhiste, je dirais que si ma prochaine réincarnation doit être un individu inscrit dans la société, alors je dois dès maintenant tout faire pour que cette société soit bénéfique à mon futur moi !
3 Michel ONFRAY, Cosmos, Flammarion, 2015
L’humour est un moyen
de faire passer les messages
que l’on ne veut pas connaître
Mesdames, messieurs, chers auditeurs, c’est maintenant l’heure de l’émission radiophonique consacrée aux mystères de l’univers ! Cette semaine, nous allons écouter le reportage de votre fidèle serviteur Jean d’Orient, qui s’est rendu à l’autre bout de la galaxie et même plus loin encore … enfin avec ses yeux et ses oreilles du moins. Le micro est à vous, cher Jean !
Merci les studios. Fidèles auditeurs, il vous faut tout d’abord savoir que sur une planète très éloignée de la Terre, dans la galaxie d’Andromède, le hasard de la loterie astronomique a fait émerger une espèce bipède qui nous est remarquablement similaire. Les individus de cette espèce nomment leur planète Humos. Leur espèce a évolué rapidement, en seulement quinze-milles années, grâce à la richesse du sol et de la nature d’Humos. Mais aujourd’hui, la société des Humosiens se trouve malmenée par des crises écologiques et économiques sans précédent, dont elle est elle-même à l’origine, pour cause de démiurgie techniciste…
Ici, au calme, sur notre bonne vielle Terre, je me trouve cette semaine à l’agence bas-normande d’exploration de l’espace lointain moyennement proche. Grâce au tout nouveau télescope méta-subastronomique inventé par les chercheurs de l’agence, nous pouvons observer en direct comment la société des Humosiens fait face à ses crises. L’astro-observateur en chef, Mr. Dr. Terlointaine, se propose de nous commenter l’observation du déroulement d’une fin de journée sur Humos ! Plus particulièrement dans sa capitale dont le nom pourrait se traduire approximativement dans notre langue par Lombriquiville. Qui aurait cru qu’un jour nous serions des voyeurs intergalactiques, n’est-ce pas Dr. Terlointaine ? Hé hé ! Laissons le bon docteur nous présenter le contexte de l’objet d’étude qu’il a choisi pour notre émission :
Tout d’abord, merci Jean d’Orient de votre visite dans notre modeste agence. Allons droit au but, ou plutôt, ouvrons l’œil et le bon. Hon hon ! L’objet donc de notre observation se situe à proximité du centre de Lombriquiville, dans un quartier qui jusqu’à récemment avait influencé la politique de la société humosienne. Les astro-observateurs de l’agence ont identifié un regroupement social, dont ils ont pu en déchiffrer le thème grâce à l’incroyable résolution du télescope métasubastronomique. Il s’agit d’un séminaire sur les façons de penser qui doivent permettre, en théorie, la sortie de crise. Le télescope, que les chercheurs de l’agence appellent aussi affectueusement « l’œil de l’architecte », est en plus équipé d’un microphone intergalactique, et nous allons donc pouvoir écouter ce qui se dit à la sortie d’une conférence. Je vous traduirai les conversations, bien sûr. Effectivement cher Jean d’Orient, je vois votre sourire malicieux : il y a bien en chacun de nous un espion galactique qui sommeille… et ce soir nous allons lui permettre de se réveiller. Hé hé !
Les écrans du centre recomposent en vidéos compréhensibles les flux de téléphotons qui nous parviennent d’Humos. Nous positionnons l’œil – le télescope – sur ce que nous avons identifié comme étant le parvis d’une salle de conférence. Et voici, cher Jean et chers auditeurs, les images qui nous parviennent :
Nous voyons un adepte de la b’yoyo-attitude, un mouvement revendicateur pour une société nouvelle. Il discute avec un naturosophe, un personnage énigmatique de la société humosienne, selon nos spatio-sociologues une sorte de gourou qui prétend que la Nature est une source de sagesse… Après un échange de considérations politiques sur l’inefficience des représentants du peuple nouvellement élus (et de leurs prédécesseurs d’ailleurs), leur discussion glisse vers la question de l’alimentation des Humosiens. Convaincu de trouver un allié à sa cause, le b’yoyo-adepte – nous abrégerons par la suite b’yoyo par bio pour des raisons de simplicité – le bio-adepte donc aborde sans détour la nécessité d’utiliser des méthodes de culture des végétaux qui ne dégradent pas la fertilité du sol d’Humos (précisons pour les auditeurs que ces méthodes ressemblent curieusement à celles de notre « agriculture biologique »). À sa grande surprise, le naturosophe lui pose la question suivante :
– Naturosophe : Manger « bio », à quoi ça sert ?
– Bio-adepte : C’est évident, c’est pour être en bonne santé ! C’est bon pour la planète et pour nos enfants. C’est le capital-santé d’Humos et des générations futures que l’on préserve. Manger bio, c’est un moyen essentiel pour sortir des crises et parvenir à une société durable.
– Ns : Oui, mais, être en bonne santé, avoir une jolie planète en équilibre, vivre sainement sans stress, à quoi ça sert ? Chers auditeurs, vous aurez maintenant compris pourquoi ce naturosophe est un personnage énigmatique, sinon lunatique, aux questions déroutantes…
– Ba : Mais n’est-ce donc pas évident ? Afin de mettre toutes les chances de son côté pour pouvoir vivre la vie que l’on veut, et que nos enfants puissent faire de même.
– Ns : Oui, mais vouloir vivre la vie qu’on veut, n’est-ce pas ce que tous les Humosiens veulent depuis l’aube des temps ? Ce désir, si simple et évident soit-il, a-t-il jamais conduit de mémoire d’Humosien à une société durable ?
– Ba : C’est la nature humosienne. L’être humosien est imparfait, par définition. Alors, on fait ce qu’on peut : la peuplocratie est le meilleur système de gouvernance que l’on ait trouvé à ce jour, et justement grâce à la peuplocratie aujourd’hui on prend conscience de l’importance de se nourrir sainement et de préserver la santé d’Humos.
Précisons que nos spatio-sociologues estiment que la peuplocratie est un meilleur système que la démocratie. Peut-être aurons-nous du temps à la fin de cette émission pour que l’un d’eux explique à nos auditeurs ces subtilités…
– Ns : Si tu sais que la nature humosienne n’est pas parfaite, alors pourquoi ne pas la faire évoluer ?
Le bio-adepte fronce les sourcils. Sans doute se demande-til si ce soi-disant sage joue à l’avocat du grand vendeur – une sorte de divinité archaïque et maléfique sur Humos – ou bien s’il est fou ou s’il est vraiment sérieux. Nous pouvons même voir sur son front se former de profondes rides de perplexité ! Cette précision de l’œil est inouïe, c’est sensationnel, c’est merveilleux, c’est … hum hum, excusez-moi chers auditeurs. Le bio-adepte semble donc plongé dans ses pensées : Faire évoluer l’être humosien est impossible, murmure-t-il – nous avons aussi un algorithme pour lire sur les lèvres ! Certes, il est reconnu que l’être humosien est issu de la Nature, qu’il a évolué par elle. Mais depuis longtemps, toute vie sociale s’exerce hors du milieu naturel. Il est impensable de retourner au mode de vie de préleveur-gratteur (à sa naissance, l’espèce humosienne cueillait simplement des fruits, et grattait le sol pour y découvrir les tubercules comestibles). Devant le silence sceptique du bio-adepte, le naturosophe lui lance :
– Ns : Ne vois-tu pas que cette évolution est à portée de tout être humosien ?
– Ba : Non, je ne vois pas…
– Ns : N’es-tu pas ce que tu manges ?
– Ba : Bien sûr que si, c’est une évidence.
– Ns : Sais-tu que nos scientifiques ont découvert que des conditions de vie traumatisantes laissent une trace dans notre patrimoine génétique ? Si, dans sa jeunesse, une personne souffre intensément et que cette souffrance perdure, les enfants et petits-enfants qu’elle aura vont connaître les mêmes souffrances psychiques qu’elle. Ceci est dû à l’expression des gènes qui a été altérée par l’événement traumatisant. Cette expression altérée se transmet à la descendance. Alors pourquoi ne pas penser que l’inverse soit possible : que le bonheur dû à des événements particulièrement heureux se transmette aussi à la descendance ?
– Ba : En effet, on peut le penser. C’est curieux … je me rappelle qu’il y a bien longtemps, nos grandes religions enseignaient que l’alimentation est un facteur essentiel pour avancer sur le chemin du grand questionnement, pour parvenir à la « réalisation ». Que l’alimentation est un facteur pour développer des capacités hors du commun : empathie, extrasensibilité envers la Nature, et bien d’autres miracles encore. Tu veux donc dire que notre évolution n’est pas bloquée, même si notre mode de vie actuel nous éloigne de la nature ? Qu’il nous suffirait de manger et de vivre sainement. Et automatiquement, nous serions plus heureux, nous aurions plus de chance de vivre des expériences spirituelles, et nous transmettrions cette « force » à nos enfants, de génération en génération … exaltant, merveilleux !
– Ns : L’évolution biologique de l’être humosien et son évolution spirituelle sont les deux facettes d’un même et unique phénomène, en effet.
Silence. Silence sur Humos, et ici aussi sur Terre, Jean d’Orient. Que pouvons-nous dire suite à cette affirmation ?
– Ns : Tu as lu trop de livres, qui te font imaginer trop de complexité et de fantaisie. Une expérience spirituelle n’a rien d’extraordinaire. Il suffit de vivre simplement, en prenant soin d’équilibrer la réflexion, la sensibilité et l’action, de garder sa curiosité libre et d’aller de temps en temps vers ce qui est inconnu.
– Ba : Mais nos scientifiques sont unanimes pour dire que les capacités extraordinaires sont des effets subsidiaires de maladies du cerveau, des effets imprévisibles de dégénérescences. Ils disent aussi que l’évolution biologique ne peut pas se poursuivre, car le rythme de notre société est devenu indépendant de celui de la Nature. Et plus simplement parce que nous vivons coupés de la Nature. Et certains, les trans -humosiens, disent que notre évolution sera biotechnologique. N’existe-t-il pas déjà des implants électroniques que l’on peut relier au cerveau, pour diriger un ordinateur ou pour capter des formes visuelles et redonner la vue aux aveugles ? Ainsi l’être humosien acquiert de nouvelles capacités. Ce futur-là n’est-il pas plus probable que celui que tu me fais miroiter ?
– Ns : Chacun doit réfléchir par soi-même. Ces gens qui te donnent ces explications, en insinuant que l’être humosien est affublé de petitesse et de tares, ne sont-ils pas plutôt des commerçants, qui attisent ton angoisse en vue de te vendre de nouveaux gadgets électroniques ? C’est une fuite en avant sans fin qu’ils veulent te vendre.
– Ba : Mais ce qu’ils proposent est utile : cela réduira l’immense parc d’outillage électronique nécessaire aujourd’hui. Plus besoin d’ordinateurs : une micro-puce dans le cerveau suffira pour payer son logement ou apprendre à faire de la musique.
– Ns : Est-ce une société durable, parce que reposant sur la technique, que tu veux ? Ou est-ce une société durable, parce que reposant sur la confiance en l’évolution naturelle de l’être humosien, que tu veux ? La seconde n’exclut pas la première, mais la première ne garantit pas la seconde. Chaque individu a dans sa vie le choix de bien se nourrir ou non. Ce faisant, il augmentera son vécu d’expériences spirituelles positives. Cela modifiera l’expression de certains de ses gènes. Ces modifications seront transmises à sa descendance, qui ainsi aura plus de possibilités que lui d’évoluer spirituellement. Pourquoi les expériences spirituelles seraient-elles les symptômes d’un dysfonctionnement du cerveau, ou bien seraient-elles sans signification ?
Sur ce, le naturosophe souhaite au bio-adepte une bonne fin de séminaire, et se dirige vers le buffet. Le bio-adepte rêve – nous voyons ses yeux hagards et sa démarche incertaine. Chers auditeurs, ne doit-il pas en ce moment penser que, dans le scénario dessiné par le naturosophe, la science sera utilisée de plus en plus sagement, non pas comme aujourd’hui où la technique est débridée sous le seul couvert de donner des emplois ? Et cela parce que les gens seront de plus en plus sages, étant donné qu’ils mangeront mieux, auront donc une vie plus riche d’expériences épanouissantes, et transmettront à leur descendance cette possibilité accrue d’épanouissement. La spiritualité donnerait une place, maîtrisée, à la science. Et la science, utilisée à bon escient, serait utile pour procurer toujours plus de situations d’épanouissement personnel. Une spirale vertueuse ! Voilà une façon bien originale de combiner la science et la spiritualité. Cela ne pourrait-il pas participer à constituer un idéal pour une nouvelle société, un idéal qui ouvrirait une porte vers un inconnu mystérieux à explorer … très motivant ! Oh pardon chers auditeurs, il semblerait que moi-même je me sois pris au jeu des idées de ce sacré naturosophe… Le télescope nous montre maintenant le bio-adepte tout sourire. Dans un état de perplexité joyeuse, il se dirige vers le buffet et ses fumets que nous imaginons alléchant – imaginons, seulement car notre architecte n’a pas encore de nez, hé hé ! Il rejoint ceux qui semblent être des amis et, autour de ces agapes b’yoyo, il entame de leur rapporter l’étonnante discussion et le nouvel idéal de société.
Là, là, chers auditeurs, c’est un scoop en direct ! Nous découvrons sur nos écrans que la discussion entre le naturosophe et le bio-adepte fût écoutée par une personne qui est soudainement sortie de l’ombre d’une colonne – mais l’espion ne peut pas se douter qu’il est lui-même espionné, hé hé ! À son uniforme, on reconnaît un représentant du peuple. Sourcils froncés et bouche béante, on dirait qu’il semble n’avoir pas compris grand-chose à la conversation, et peut-être même que toute cette théorie du séminaire est de trop pour lui. Un autre représentant du peuple le rejoint. Notre premier homme lui rapporte la conversation entendue, et dit en tremblant qu’un tel idéal de société, une telle évolution de l’espèce, est tout à fait incompatible avec la nécessité de produire plus de biens industriels, ainsi que de produire toujours plus de nourriture bon marché. Il éructe que c’est de cela et de rien d’autre, de l’accroissement continu, que la société a le plus besoin actuellement, que c’est l’évidence même – il nous faudra un jour questionner nos sociologues quant à savoir si cet accroissement continu dont il parle est l’équivalent de notre croissance. Le représentant poursuit : La science sert à inventer de nouveaux produits, et la spiritualité, le « grand questionnement », est une préoccupation des Humosiens des cavernes. Et il se dirige à son tour vers le buffet, lui aussi sans aucun doute attiré par les fumets et alléché par l’espoir d’un gueuleton mémorable.
Oui, cher Dr. Terlointaine, chers auditeurs, comme nous venons de le voir, sur Humos les cerveaux chauffent, chauffent, et il semble donc que le changement vers une société plus respectueuse de la Nature locale et des caractéristiques essentielles de l’être humosien soit en bonne voie, malgré des représentants du peuple bien à la traîne ! Bien sûr, toute ressemblance entre cette planète de la galaxie d’Andromède et la nôtre ne peut être que fortuite.
Merci Dr. Terlointaine. C’était Jean d’Orient, en reportage à l’Agence bas-normande d’exploration de l’espace infiniment loin, non proximalement proche … enfin, de l’univers. À vous les studios de la maison de la radio.
J’ai écrit le texte qui suit en 2012, quelque temps après avoir suivi une formation de reconversion pour passer du travail en laboratoire au travail des champs. Ce texte est une « profession de foi », j’y expose toute ma motivation à devenir un jardinier agroécologiste. Depuis, trois années ont passé, le jardin agroécologique à vocation productive a été mis en place, trois livres4 ont été écrits sur le sujet. Mon opinion a évolué, surtout suite à la constatation du rendement du jardin ! Je vous propose de lire tout d’abord ma profession de foi, et je vous expliquerai ensuite pourquoi je vois maintenant l’agroécologie non plus comme une forme sérieuse d’agriculture, mais plutôt comme une utopie – pour les pays occidentaux en tout cas. Une utopie au temps présent, mais une utopie qui peut devenir réalité future.
Agroécologie : le futur c’est maintenant
Texte publié initialement sur www.formationbio.com.
Durant les deux années à venir, je vais créer un grand jardin de 5000 m2 pour produire et distribuer des légumes locaux, naturels et sains, en Basse-Normandie. Pour ces deux années d’investissement intense, j’alimente mon énergie et ma motivation auprès de nombreuses sources : j’ai fait au printemps 2012 la formation bio à la ferme de Sainte-Marthe, je fais mes premiers semis et composts dans le jardin de mes parents, je lis beaucoup, et je regarde beaucoup de documentaires en lien avec l’agriculture biologique.
Parmi ceux-ci, le dernier documentaire de Marie-Monique Robin Les Moissons du Futur me motive particulièrement. L’auteur nous montre toute la capacité d’une nouvelle agriculture : l’agroécologie. Nouvelle, mais déjà confirmée, car les années pionnières étaient entre 1970 et 1990.
J’ai envie – en tant que futur maraîcher – de partager avec vous les raisons de ma motivation pour l’agroécologie.
J’ai aussi envie – en tant que scientifique, ayant travaillé jusqu’en décembre 2011 pour l’industrie chimique des pesticides – de partager avec vous mon opinion sur le rôle de la science pour cette nouvelle agriculture.
Enfin, j’ai envie – en tant que citoyen du monde, ayant vécu en Nouvelle-Calédonie, à Tahiti, à Hong-Kong, en Allemagne et en Métropole – de partager avec vous mon opinion sur la signification de l’agroécologie pour l’histoire mondiale de l’agriculture.
Une somme de techniques
M-M. Robin nous présente plusieurs cas concrets de techniques agroécologiques à travers le monde :
Les agriculteurs pratiquant ces techniques parviennent à une production plus que satisfaisante : en plus de vendre leurs produits, ils en nourrissent aussi leur famille et leurs aides. Ce « tour de force » – rendre les pesticides, OGM et engrais inutiles – repose sur l’adéquation optimale des techniques aux conditions locales naturelles (le climat, la faune et la flore endémiques) et sociales (marché, consommateurs, réseau de distribution). Elles permettent surtout pour l’agriculteur :
Ce dernier critère est pour moi très important : j’ai vu autour de moi par le passé trop de personnes effectuant un travail qui ne leur plaisait pas ; et je vois aussi actuellement comment le « stress » économique démotive beaucoup d’entrepreneurs. Je vous invite à faire attention au point suivant : interrogez un agriculteur sur son métier. Les premières choses dont il vous parlera seront les difficultés, nombreuses, qu’il rencontre. Ce n’est que bien plus tard, ou même peut-être pas du tout, qu’il vous parlera de son amour pour les plantes, la terre, les animaux. C’est une triste réalité, qu’il convient de ne pas prolonger !
M-M Robin nous le montre clairement : ces cinq critères sont substantiels à l’agroécologie. Donc, pour moi, l’agroécologie, c’est l’agriculture biologique artisanale. On choisit volontairement de garder la ferme petite, car on veut ces cinq critères. Cela correspond environ au ratio un hectare pour une personne, dans une exploitation de type maraîchage. Si une personne s’occupe de plus d’un hectare, nécessairement elle doit mécaniser, et donc perdre de son indépendance (achat à crédit du matériel, entretien, combustible, assurance, etc.)
Le retour de la science
Effectivement ! Depuis les années 1970-1980, la science écologique étudie et explique les relations sol-plante, plante-plante, plante-animaux, animaux-sol. En 1967, elle est explicitement présentée et enseignée dans le manuel scolaire de la classe de première des éditions Hachette !
L’agriculture conventionnelle ne prend pas en compte les résultats des études écologiques. Ainsi on sait depuis les années 1970 que les pesticides, les engrais et le labour profond tuent la microfaune et la microflore du sol, qui pourtant sont essentiels pour apporter aux plantes les minéraux nécessaires à leur santé. Les hybrides, puis les OGM – derniers fleurons « scientifiques » de l’agriculture conventionnelle, ne font changer en rien l’utilisation d’engrais, de pesticides et du labour. La base scientifique de ce type d’agriculture est donc dépassée. Mais quelle est cette base me demandez-vous ? Cette base est un ensemble d’assertions :
On a donc voulu transformer les champs en laboratoires, c’est-à-dire en espaces où tout est mis sous contrôle, où n’est présent que l’essentiel. Ce fut une application simpliste d’une attitude scientifique par ailleurs importante : le réductionnisme. On a voulu simplifier l’agriculture, pour mieux la contrôler : on a trop simplifié. Et Gaston Bachelard, philosophe qui a si bien su caractériser la démarche scientifique, aurait certainement dit de ces assertions qu’elles relèvent de l’état préscientifique typique d’avant la Renaissance : ce sont des intuitions rapides et des généralités, sur fond de valeur humaine (la maîtrise totale de la Nature comme droit humain inaliénable) 5.
Et après la seconde guerre mondiale, avec la foi dans le progrès, on pensait bien qu’on arriverait à contrôler pleinement la Nature. Le discours économique l’emporte jusqu’à aujourd’hui ; l’agriculture rate massivement et volontairement les découvertes de la science écologique des années 1970-1980. Les coopératives, les industries de pesticides et d’engrais, les semenciers s’approprient à leur guise (de quel droit ?) le monde du vivant, et transforment le paysan en un ouvrier, qui ne peut même plus décider du prix auquel il vend ses produits !
Avec l’agroécologie, les découvertes de la science écologique sont enfin pleinement prises en compte.
Si la milpa et la teiki sont plutôt issues d’aspirations traditionnelles, confirmées a posteriori par la science, l’agroforesterie, la méthode « push-pull » et la méthode SRI de riziculture furent mises en place suite à des programmes volontaires d’expérimentation.
L’agroécologie permet aussi selon moi de faire de la science d’une nouvelle façon. On le voit dans le documentaire, les agriculteurs n’utilisent pas de grosses machines chères et compliquées. Le savoir prime ! Donc les scientifiques ne travaillent plus pour participer à l’invention de nouvelles machines – qui pourraient se vendre fort cher, d’où profit pour l’industrie de l’équipement agricole, d’où dettes pour l’agriculteur, etc, bref la spirale infernale actuelle de l’agriculture conventionnelle. Non, les scientifiques auront pour interlocuteur non plus un directeur d’usine de production d’engins agricoles, mais directement l’agriculteur6.
Un tournant historique à l’échelle mondiale
Nous y voilà, enfin ! M-M Robin nous montre comment, localement, des techniques adaptées sont développées et utilisées. Ce n’est plus une forme d’agriculture, que les occidentaux veulent vendre, qui s’est répandue sur toute la planète à partir des années 1950. La nouvelle agriculture est une somme de techniques très variées, qui naissent partout ici et là, au Sud comme au Nord, car adaptées précisément aux conditions locales. Et il n’y a plus d’imposition, par la force (physique ou économique) d’une forme unique d’agriculture : l’agroécologie naît toujours sous forme d’initiatives locales. Moi qui vais démarrer une activité d’agriculture, je peux puiser dans ce panel de techniques, pour en développer une qui soit adaptée parfaitement à mes conditions. Je n’ai même pas besoin de me référer aux conseils des chambres d’agriculture !
Les conséquences de ce simple changement sont drastiques : elles forcent à la mise sur un pied d’égalité de tous les agriculteurs de la planète ! Le céréalier de la Beauce qui roule en mercedes n’a plus à recevoir plus de respect que le producteur de maïs vivrier au Malawi. Ce n’est plus la taille des machines qui compte, c’est la qualité du savoir. Je vais pratiquer l’agroécologie, cela me permettra d’échanger d’égal à égal de l’expérience avec n’importe quel autre agriculteur de la Terre.
C’est là une belle mondialisation qui est amorcée. J’espère qu’elle est le prélude à l’égalité des peuples, la vraie égalité, pas ce néo-colonialisme actuel par lequel nombre de commerçants occidentaux s’enrichissent sans retenue, en influençant la politique mondiale pour que les écarts de niveau de vie entre pays du Nord et pays du Sud s’agrandissent encore et encore.
Conclusion : l’agroécologie terre d’avenir
Alors, je crois en l’agroécologie. J’ai 33 ans, et je ne vois rien de mieux (pour l’instant). L’agriculture conventionnelle appartient au passé, selon moi. Ses défenseurs vont quitter peu à peu la scène, car les consommateurs sont de moins en moins dupes et de mieux en mieux informés. Alors, oui l’industrie agroalimentaire va débaucher dans les décennies à venir. Beaucoup d’intermédiaires parasites vont devoir changer de métier. Et justement, l’agriculture vivrière va embaucher massivement. Un hectare pour une personne. Les périphéries des villes vont se transformer en jardins agroécologiques. L’agriculteur écologique, avec son savoir raffiné, retrouve un statut enviable – ce n’est plus un technicien exploitant qui manipule le vivant sans le souci de l’éthique ni de la santé. Il faut dire au 4 millions de chômeurs français qu’il y a du travail pour eux, dans l’agroécologie. Vous me direz que cela nécessiterait de fermer les frontières, pour ne plus importer de fruits et légumes que l’on peut produire en France, ou au contraire ne plus exporter nos céréales et produits laitiers (qui, étant largement subventionnés, déconstruisent les économies agricoles des pays du Sud). Oui, et alors, ce serait un moindre mal ! Car aujourd’hui, nous n’avons plus de projet de société. Nous regardons les entreprises débaucher depuis trente ans. Depuis trente ans, la possibilité de pouvoir travailler diminue sans cesse, alors que les réseaux matériels et virtuels n’ont jamais été aussi développés. L’évidence est sous nos yeux : notre économie est en crise profonde. Il faut la changer.
Et puis l’agroécologie, par l’exemple des teiki où la rémunération est de la forme du don, préfigure une étape décisive de la société : la non-monétarisation des aliments. Moi j’y crois : un jour chaque être humain pourra vivre sans se soucier de trouver et payer trois fois par jour des aliments. Lorsque nous prendrons conscience que nous nous créons plus de soucis que nous ne résolvons de problèmes en utilisant l’argent pour assurer l’échange des aliments, nous abandonnerons l’argent. Un rêve ? Non : un projet de société. Une utopie ? Non, c’est plausible et possible. L’agroécologie n’est pas un retour à la bougie : si nos ancêtres, avec leurs petits lopins, étaient forcés à la famine par les rois, nos descendants exploiteront volontairement de petites surfaces, afin de produire mieux, et pour tout le monde.
Au vu de l’ampleur de la crise actuelle, seule une pensée qui « sort du lot », et d’une même ampleur, peut être à la base d’un scénario de sortie de crise. Faites votre choix, les dés sont jetés. Moi j’ai choisi.
Deux ans plus tard
En 2014 je faisais un premier bilan :
Voilà deux saisons d’écoulées, deux saisons à la météo clémente et particulièrement ensoleillée pour la Normandie. Deux saisons pour démarrer un grand jardin, mais il en faut bien deux encore pour peaufiner l’organisation de toutes les tâches qui m’incombent, à moi l’apprenti jardinier agroécologiste que je suis devenu. Et quand ces deux années supplémentaires seront écoulées, je dirai certainement que je peux encore améliorer telle ou telle pratique culturale. L’art de jardiner est peut-être l’art qui requiert le plus de temps pour arriver à la perfection, car on n’a jamais qu’une seule occasion par an : quand on constate à mi-printemps qu’un semis est raté, quand on constate que la récolte a été incorrectement effectuée, il faut attendre l’année suivante pour pouvoir recommencer.
. Et cela me plaît : place à l’observation, la réflexion, l’imagination et la créativité !