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Éditeur : BoD-Books on Demand GmbH
12/14 rond-point des Champs Élysées
75008 Paris, France.
Impression: BoD-Books on Demand GmbH, Norderstedt,
Allemagne.
ISBN : 978-2-3221-6825-5
© Dépôt légal : Novembre 2017.
A Maman,
Pour tes encouragements et ton amour infini.
« Les idées audacieuses sont comme les pièces qu'on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre mais elles peuvent aussi être l'amorce d'une stratégie gagnante ».
Goethe.
Issu du monde de l’ingénierie, mais passionné de relations internationales, j’ai choisi dans le cadre de cet ouvrage, d’apporter une dimension scientifique, au profit de l’intégration en Afrique. Cette étude part du constat que de nombreux échecs en Afrique sont dus, non pas seulement au manque de volonté politique, mais aussi à une méconnaissance de certains outils de l’ingénierie.
Dans cette approche par l’ingénierie, nous voulons démontrer qu’il ne suffit pas seulement d’avoir le financement d’un projet pour que celui-ci soit viable. Nous voulons également démontrer qu’acquérir des systèmes d’occasion, ou, recevoir à titre gracieux un aéronef, une locomotive, un navire ou tout autre grand système, dans le cadre des rapports diplomatiques, n’est pas en soi une bonne affaire, tant que le système de soutien pour son exploitation n’est pas bien dimensionné chez l’utilisateur. Partant de là, on comprendra qu’acquérir des locomotives en occasion, quasi obsolescentes, pour le ferroviaire africain après les indépendances, a été préjudiciable à la survie de ces sociétés nationales déjà en proie à de nombreuses difficultés.
Pour y arriver, il a fallu comprendre la genèse de la construction de ces réseaux, depuis l’époque coloniale jusqu’aux indépendances. Ensuite, en analysant le fonctionnement actuel et les causes du déclin, développer une stratégie qui puisse redonner à ce secteur ses lettres de noblesses. Nous sommes convaincus que, considérant les perspectives de croissance démographique, le ferroviaire devra jouer un très grand rôle dans l’intégration des peuples, de par sa capacité de transport de masse des personnes et le transport des matières pondéreuses, avec une meilleure empreinte carbone que les autres modes de transports.
Construits pour la plupart sur près d’un siècle (19-20s), les chemins de fer africains connaissent de nos jours un déclin sans pareil. Après les heures de gloire pendant la colonisation, puis la privatisation ces deux dernières décennies, en passant par les nationalisations dans les années de l’indépendance (1960), le chemin de fer en Afrique subsaharienne est aujourd’hui l’ombre de lui-même.
Des infrastructures vétustes, des voies inopérantes, des locomotives d’un autre temps, dont les coûts de maintien en ligne de circulation sont exorbitants, sous fond de gestion calamiteuse des sociétés d’État. Tel est le cliché actuel de cet héritage.
Seulement, face aux conditions climatiques essentiellement pluvieuses, en moyennes cinq mois par année, et des routes impraticables, le chemin de fer a longtemps été la voie idéale pour écouler les produits agricoles, en même temps qu’il servait pour le transport des matières pondéreuses et des passagers.
Malgré l’impact écologique des voies routières, au fil des années, ce mode de transport a pris l’ascendant sur le ferroviaire, car évoluant dans un système à somme nulle, où les terrains gagnés par les voies routières étaient perdus par le ferroviaire. Quelques voies routières transnationales ont été mises en place, notamment en Afrique de l’ouest. Des projets sont en cours pour un corridor routier à l’est de l’Afrique.
L’Afrique centrale, en proie aux instabilités à connotation ethnico-religieuse en Centrafrique, aux rivalités inter-ethniques au Burundi et au Rwanda, et aux conflits d’un nouveau genre avec l’émergence de la secte Boko Haram au Nigéria et au Cameroun, se retrouve au cœur d’un environnement « conflictogène » qui ne facilite pas le développement économique et la libre circulation des biens et des personnes.
Rassemblés au sein de la CEEAC (Communauté Economique des États de l’Afrique Centrale), ces pays dans une vision prospective, doivent désormais penser la paix en termes d’intégration des peuples, de rapprochement des valeurs et de développement économique.
Ainsi, en considérant les aspects de développement durable, quel rôle peut jouer le ferroviaire dans cette intégration des peuples ? Cette désintégration du ferroviaire en Afrique est-elle réversible ? Quels outils de la diplomatie et de l’ingénierie peuvent permettre la revalorisation du chemin de fer en Afrique subsaharienne.
Dans l’univers de la mondialisation, le brassage des peuples est devenu un pilier de la stabilité et de la tolérance. Déplacer des peuples suppose de maîtriser les voies de communication, y compris des voies rapides qui sont un moteur de l’économie. Seulement, mettre ces défis en marche suppose au-delà de la volonté politique, la maîtrise d’une approche spécifique de l’ingénierie système : le soutien logistique intégré. Cette approche permet la prise en compte des spécificités du soutien depuis la conception jusqu’au démantèlement.
Afin de décrypter ces questions, nous allons aborder dans un premier temps l’historique du ferroviaire afin de faire un comparatif avec l’existant et le marché éventuel dans un élan prospectif. Ensuite, nous présenterons les enjeux de la maîtrise du soutien logistique intégré dans la conduite des grands projets à cycle de vie long (30-50 ans minimum). Et enfin, nous allons présenter en quoi, ceci peut favoriser l’intégration des peuples, le développement économique et être un vecteur de paix, face à la belle perspective du rôle à jouer par cette région dans le monde au cours des décennies futures.
Comprendre le ferroviaire africain demande d’analyser en priorité toute la genèse de sa construction depuis le fonctionnement de l’Afrique précoloniale au déclin qui a suivi après les indépendances en passant parles investissements de l’époque coloniale qui ont structuré le ferroviaire actuel. Ce développement du ferroviaire est indissociable non seulement du fonctionnement traditionnel des sociétés africaines précoloniales, mais aussi de la politique que chaque colonisateur appliquera dans les territoires de domination. L’héritage ferroviaire des jeunes états indépendants dans les années 1960 sera donc le fruit de cette histoire. La vie du ferroviaire africain devait donc se poursuivre, bien loin parfois des objectifs et ambitions stratégiques du colonisateur. Mal pensés, mal gérés, dans une absence absurde de stratégie, ces chemins de fer africains subiront un déclin qui fera fort paradoxalement de la période coloniale « l’âge d’or du ferroviaire africain ».
Dans cette partie, nous allons retracer succinctement dans un premier temps l’histoire de l’Afrique précoloniale afin de comprendre le fonctionnement de cette société vue par l’Occident avant le début de la colonisation (voir carte annexe 1), puis la conquête des territoires et le partage de l’Afrique à la Conférence de Berlin de 1885. Dans chacun de ces territoires, nous énumèrerons les activités et réalisations ferroviaires.
Nous n’avons pas la prétention de lister intégralement toutes les lignes construites pendant l’époque coloniale. Cela est pratiquement impossible, car il existait des micro-lignes, à écartement inférieur à un mètre, et destiné à une utilisation de transport de charges pondéreuses sur des distances locales très courtes. Enfin, nous évoquerons surtout des lignes qui nous semblent porteuses pour comprendre l’envergure actuelle des voies ferrées existantes et pour mieux en ressortir les perspectives d’avenir comme vecteur d’intégration.
Bien avant que les États d’Europe ne se lancent sur l’Afrique, d’abord dans l’exploration, ensuite dans la conquête des territoires, il a existé en Afrique, des contacts entre Africains, Européens et Arabes. L’état politique et culturel de cette époque a été de tout temps inconnu ou peu connu. En effet, comme pas plus que les Celtes, les Africains n’ont pas beaucoup valorisé l’écriture pour rendre un témoignage de leur passé. Le rapport des voyageurs et des conquérants au travers de leurs vécus sont les sources principales qui relatent l’histoire de ces peuples.
La Côte africaine est cartographiée depuis la fin du XVème siècle (voir annexe 2, carte des grands royaumes africains depuis les années 1000). Dans les années 1600, les Européens s’intéressent au trafic négrier et à la côte africaine (voir annexe 3, flux négrier). En effet, contrairement aux pays des Aztèques ou des Incas, l’Afrique n’a apparemment pas de ressource. Les pays européens viennent donc y faire la traite négrière qui à court depuis au moins un millénaire sur la côte orientale.
Dès le XVIIème siècle, alors que le littoral est définitivement maîtrisé, l’intérieur des terres reste un mystère. L’inaccessibilité rend la représentation des fleuves intérieurs mystérieuse.
Au milieu du XIXème siècle, malgré la condamnation de la traite négrière par le traité de vienne de 1815, puis d’Aix-la-Chapelle et de Vérone, la traite continue ses ravages sur le sol africain. Cette traite sera définitivement éradiquée par la convention de Saint-Germain-en-Laye (1909), puis celle de 1926 prise dans le cadre de la société des Nations. Pour Anne Stamm : « Lutter contre la traite n’a pu se faire qu’à partir du moment où les États, les particuliers, hier négriers, ont trouvé des denrées de remplacement à leur négoce. Les Anglais ont découvert un usage pour l’huile de coprah : celui de lubrifier les machines ; les Français réussissent à extraire des cacahouètes une huile comestible. Le sucre de betteraves remplaçant celui de canne, un des piliers du commerce triangulaire s’effondre »1.
Tel est donc le point de départ de la colonisation avec pour objectif premier la conquête des terres et partant, la constitution d’un marché pour le colonisateur et la captation des matières premières.
Débarquant en Afrique, le premier choc des colonisateurs a été culturel. Les anciennes sociétés africaines possédant leur mode de vie et leur fonctionnement traditionnels vont être totalement bouleversées. Ce contact leur sera fatale, même si, d’une manière générale, les colonisateurs n’avaient pas l’intention de s’attaquer au patrimoine traditionnel, sauf à l’égard de ce qu’ils jugeaient inacceptables2.
Convaincus de la supériorité de la civilisation européenne, les colonisateurs ont estimé que les seuls besoins légitimes étaient les leurs. Ils étaient animés par des besoins de plusieurs ordres :
Pour chacun des pays colonisateurs, les mobiles seront différents. En effet, certains choisiront pour leitmotiv une orientation religieuse alors que d’autres y verront une quête et conquête des parts de marché. D’autres cumuleront plusieurs de ces mobiles. Les principaux pays européens colonisateurs sont les suivants (voir annexe 4):
Chacun de ces pays aura une influence différente qui modifiera la structure sociale, infrastructurelle et organisationnelle de la société qui couvre son espace de compétence.
L’histoire coloniale de l’Italie a commencé tardivement par rapport aux autres pays européens. La péninsule italienne faisant face à une forte croissance démographique, le président du conseil, Francesco CRISPI, avait alors conduit son pays dans la conquête des territoires avec pour objectif premier de s’appuyer sur la corde méditerranéenne proche. En effet, l’Italie ne disposait pas de ressources matérielles pour se lancer dans une expansion à la hauteur des autres pays européens. Cette colonisation était davantage le fruit d’une volonté politique de prestige et d’idéologie que la résultante d’intérêts économiques.
Après des échecs en Tunisie, et surtout de ce qui deviendra le célèbre « désastre de la bataille d’adoua » en 1896, Crispi démissionne et l’Italie n’a plus pied qu’en Tripolitaine ou elle a, depuis de longues années, de solides intérêts commerciaux. Elle perdra aussi cette emprise entre 1913 et 1914 à l’issue d’une révolte des Senoussis, soutenus par les Ottomans et reculera jusqu’au niveau de la côte.
Alors qu’on assiste dans les années 1920-1922 à la montée du fascisme, Benito Mussolini, devenu président du conseil aura ces propos rapportés dans le Popolo d'Italia qui donnent le ton de ses ambitions en Afrique : « l'impérialisme est la loi éternelle et immuable de la vie ». Il rajoutera qu'il faut faire de la Méditerranée « un lac italien ». Dans cet élan, après avoir définitivement fait de l’actuel Lybie une colonie italienne (Cyrénaïque et Tripolitaine) conséquemment à une reconquête laborieuse, elle poursuit sa main mise sur la somalie qu’elle gère depuis 1905.
Le crash boursier de 1929 viendra accentuer le déclin économique des États et le manque de ressources financières de l’Italie. Les restrictions sur l’accueil des émigrés italiens par les pays d’Europe et les USA poussent naturellement ces derniers vers les colonies. C’est ainsi que Mussolini convoitera l’Ethiopie, vaste région au climat favorable, et au potentiel agricole non négligeable, susceptible d’accueillir les émigrés italiens. Seulement, l’Ethiopie, suivant l’accord tripartite franco-anglo-italien de 1906, est un État indépendant. Ce pays entretient de bons rapports commerciaux avec la France notamment. Cette coopération économique avait permis la réalisation de la ligne de chemin de fer Djibouti / Addis-Abeba entre 1898 et 1915.L’Ethiopie est d’ailleurs membre de la Société des Nations (SDN) depuis septembre 1923. Dans le cadre de la coopération entre États, l’Italie avait signé lors d’un voyage du ras tafari à Rome, le traité italo-éthiopien, qui, pour Mussolini, constituait une occasion de pénétration douce de ce pays.
Malgré ce traité, Haïlé Sélassié ne cessera de se méfier de l’Italie et continuera à favoriser ses contacts économiques avec la France, qui lui avait été favorable pour son admission à la SDN.
Dès lors, Mussolini sera à la recherche d’un casus belli pour procéder à la reconquête de cette terre qu’il convoite tant. L’occasion lui sera donnée à la suite des incidents intervenant à la ville de Ual-Ual, le 5 décembre 1934, ville située dans l’Ogaden, dans l’est de l’Ethiopie, frontalière avec la Somalie qui est sous contrôle italienne. Une incursion des forces italiennes mènera in fine, à des échanges de coup de feu entre les forces armées des deux pays.
Malgré la médiation de la Société des Nations, dont les principes reposaient pourtant sur " la coopération entre les nations " pour garantir " la paix et la sûreté ", et avaient pour objectifs« l’abandon de la diplomatie secrète, une réduction de l’armement international et l’intégrité territoriale de l’ensemble des États membres », l’Italie engagera une guerre ouverte en octobre 1935 contre ce membre de la SDN. Elle s’emparera d’Addis-Abeba en 1936, et proclamera l’Ethiopie comme une colonie italienne. Les grands pays européens s’empresseront chacun à son rythme pour reconnaître cette annexion.
En 1936, on distingue donc l’Afrique orientale italienne formée dès le mois de juin par l’Erythrée, la Somalie et l’Ethiopie, la Lybie quant à elle est directement rattachée à l’Italie. La colonisation italienne entre dans sa phase la plus glorieuse dès cette période-là. En trois ans, près de 120.000 italiens s’installent en Lybie alors que près de 200.000 viennent s’installer en Afrique orientale. L’Italie consacre à ses colonies près de 12,5% de son budget et à partir de janvier 1938, on peut noter la construction de 3224 kilomètres de routes en Ethiopie, ainsi que 1000 kilomètres de voies ferrées pour l'ensemble de l'Afrique orientale italienne.
Fig 1 : Afrique orientale italienne3.
1 Anne Stamm, L’Afrique de la Colonisation à l’indépendance, PUF, 2005, p.10.
2 Sacrifice humain, anthropophagie, les ordalies, etc.
3 Source : http://www.histoirealacarte.com/
Portée par un idéal d’assimilation, la colonisation française est surtout marquée par cette volonté de porter un modèle de vie, une quête de l’autre qu’on veut rapprocher de soi, dans un élan d’égalité entre tous les humains. Selon Anne Stamm, « Cette tendance à l’intellectualisme pousse les français à légiférer dans l’abstrait ».
D’une manière générale, la colonisation française en Afrique s’est déroulée en plusieurs phases :
• | 1534-1830 : | première expansion coloniale ; |
• | 1830-1870 : | deuxième prise de pouvoir ; |
• | 1879-1910 : | l’expansionnisme. |
On notera qu’après la Grande Bretagne, la France sera le pays européen ayant annexé le plus de territoires.
1534-1830 : première expansion coloniale.
C’est en 1534 que la France commence son expansion au Canada par le commerce et la pêche. Puis, dès le XVIIe siècle, elle installe ses comptoirs aux Antilles. Pendant cette même période, elle s’installera aussi au Sénégal, à l’île de la réunion et en Inde.
Cependant, à l’issue de la guerre franco-anglaise marquée par le traité de paris de 1763, la France renonce à ses colonies, notamment le Canada et ses établissements au Sénégal. Napoléon jettera l’éponge et renoncera à la colonisation à la suite de nombreuses défaites, et surtout après la révolution française. Ceci marquera la fin de la première épopée colonisatrice française.
1830-1870 : deuxième prise de pouvoir.
Cette deuxième vague de colonisation commence en 1830 avec la conquête d’Alger. Petit à petit, elle va procéder à nouveau à la reconquête de plusieurs territoires. En 1860, elle parvient définitivement à conquérir l’Algérie et poursuivra son expansion en Afrique noire : la Guinée, le Gabon, la Côte d’Ivoire. Puis, elle s’installera en Asie, plus précisément en Cochinchine au Vietnam et au Cambodge.
Après l’échec de la première vague d’expansion, malgré un désintérêt relatif, la France réussira à nouveau à se hisser au rang de 2ème puissance colonisatrice en 40 années seulement.
1879-1910 : l’expansionnisme.
Après la défaite française dans la guerre franco-prussienne en 1871, le besoin de reconstruction de la France passait aussi par l’affirmation de sa puissance et la conquête de nouveaux territoires. En effet, l’hégémonie d’une puissance se mesurait à cette époque par les territoires sous contrôle, son influence sur le commerce mondial, et pour la France, son emprise sociale par l’éducation des indigènes. Ainsi, elle procédera tour à tour à la reconquête de la Tunisie, du Maroc, et Madagascar.
Forte de cette présence en Afrique, la France y poursuivra sa mission d’éducation dans un esprit d’assimilation. C’est ainsi que « le statut de citoyen français est accordé aux habitants des quatre communes sénégalaises : Saint-Louis, Gorée, Rufisque, Dakar qui élisent et envoient un député au parlement métropolitain de 1848 à 1852, puis sans discontinuer à partir de 1871 »4. Cette configuration ne sera que diversement appliquée aux autres sujets africains.
Pour mieux gouverner ses territoires sur le continent africain, la France les a regroupés en région.
Fig 2 : Afrique Occidentale et Equatoriale française5.
D’une opération d’abord politique et idéologique au départ, l’idée d’une colonisation économique s’installe au fur et à mesure dans l’esprit des Français. L’identification des produits exportables est accompagnée, malgré la grande guerre qui réduit drastiquement les budgets, par la réalisation d’infrastructures routières et ferroviaires (Voir annexe 5, l’économie coloniale).
Ainsi, la construction des chemins de fer pour relier l’intérieur des terres aux zones portuaires et sortir ceux-ci de l’isolement est lancée. Malgré les coûts exorbitants et la difficulté de pénétration, il y aura quand même en 1940 près de 3800 km de voies ferrées en Afrique Occidentale Française.
Avec l’appui des travailleurs forcés, la ligne de chemin de fer Congo-Océan est construite entre 1922 et 1934, dans une zone géographique particulièrement difficile d’accès, constituée des montagnes et de forêts denses.
L’Afrique Equatoriale Française bénéficiera de peu d’investissement en infrastructure. En effet, la forêt est très difficile d’accès et reprend vite ses droits sur des artères routières mal entretenues.
Cette économie naissante est soumise à la métropole qui est de fait le principal client des exportations. En 1938, en Afrique Occidentale Française par exemple, 78% des produits sont exportés vers la France, et 80% des importations viennent de France. On pourrait même penser que les 20% restant, bien qu’originaires d’autres pays, sont sous courtage français. (Voir annexe 6, traitement de richesses africaines en Europe).
Les colonies développent des économies sous l’impulsion de la métropole qui spécialisera les pays par secteur. On assiste donc à une forte croissance de la culture de la banane en Guinée, la culture du cacao en Côte d’Ivoire et au Gabon, le Palmier à Huile à Dahomey6, le coton en Oubangui et au Sud-ouest du Tchad, les explorations minières commencent et l’exportation du bois est florissante.
L’expansion de la Grande Bretagne a répondu, avant toute chose, à une volonté stratégique de sécuriser les grandes routes commerciales maritimes (Voir annexe 7). En effet on observe que les points d’attache au Golfe de Guinée permettent d’avoir des appuis vers le Cap, et ouvre par la côte orientale l’accès en sécurité à l’océan indien. A partir de là, les comptoirs de Malaisie donnent accès au détroit de Malacca, pour une entrée sereine en mer de Chine.
Ainsi, à l’ouest, les comptoirs de Gambie, Sierra Leone, Côte de l’Or et Nigéria développent des communications suivant les axes du commerce vers et de l’Inde. Ces comptoirs ne peuvent entrer en relation les uns avec les autres que par voies maritimes.
La Grande Bretagne n’avait pas à l’origine, comme la France, une volonté de fédérer de grands espaces sous son contrôle. Elle colonisera l’Afrique australe presque à contre cœur pour contrebalancer l’influence hollandaise. Entre 1814 et 1888, elle rachète le Cap au hollandais, annexe le Natal, le district diamantifère de Kimberly, le Transvaal, le Bechouanaland7 et établit son protectorat sur le Mashonaland8.
Elle devint ainsi la première puissance coloniale avec une installation éparse qui lui permettait de contrôler les territoires par le positionnement des militaires dans chaque port d’attache et de s’assurera un trafic commercial prospère.
Pour la Grande Bretagne :« l'indépendance politique et la dépendance financière étaient incompatibles ». Cela suppose que les colonies devaient pouvoir subvenir à leurs besoins. Cette politique de développement autocentré a d’ailleurs eu beaucoup d’effet positif sur les sociétés indigènes, colonies britanniques. Ainsi, elle procédait au recrutement de quelques cadres en interne pour soutenir les fonctionnaires britanniques venus de la métropole. Sur 250000 fonctionnaires répartis sur plus de cinquante territoires coloniaux, 5000 ou 6000 seulement sont recrutés en Grande-Bretagne ou dans les Dominions9. Par ailleurs, l’édifice sociale a été dans une certaine mesure respectée et l’ordre des classes sociales existantes avait été incorporé telle quelle dans l'administration coloniale.
Fig 3 : Empire britannique en 1930.
Alors que Bismarck avait déclaré : « je ne suis pas un colonial », c’est pendant qu’il est chancelier que l’on assiste à la fusion de l’Association coloniale allemande et de la Société pour la colonisation allemande en une seule société dénommé la Deutsche Kolonial gesellschaft.
Cependant, dans ce déni du colonialisme, il gardera une ligne directrice assez explicative de sa politique : « le marchand doit précéder le soldat ».
L’Allemagne réussira à s’implanter dans les régions suivantes en Afrique :
a) Afrique nord-occidentale.
Dans cette partie de l’Afrique, les territoires allemands sont le Togo et le Cameroun.
Le Togo :
Le territoire du Togo est situé sur la Côte africaine, peuplé en 1908 de 168 blancs et environ 900 000 indigènes. Les sociétés coloniales allemandes y investiront dans les écoles pour l’instruction de la jeunesse togolaise (garçons). Ils entretiennent des relations commerciales et procèdent à l’éducation de la population par l’enseignement.
Trois lignes de chemins de fer sont installées : une sur la côte, une vers Palmé, l’autre vers Atak-pamé.
Le Cameroun :
Le territoire du Cameroun est situé en Afrique centrale, peuplé en 1908 de 1128 blancs et environ de trois millions d’autochtones. L’Allemagne installe avec le Cameroun de gros échanges commerciaux, il favorise l’éducation des jeunes et tente d’inculquer les valeurs de la société occidentale, notamment la lutte contre la polygamie.
Pour favoriser les échanges commerciaux, la ligne de chemin de fer Douala-Nkongsamba est construite.
b) L’Afrique Sud-occidentale.
Actuelle Namibie, les Allemands installent leurs comptoirs dans cette zone entre la colonie portugaise d’Angola au nord et la colonie anglaise au Cap. Comme ailleurs, les écoles sont créées pour l’éducation des indigènes.
c) L’Afrique orientale allemande.
Ce territoire est situé entre la colonie portugaise de Mozambique, la Rhodésie anglaise, le Congo belge et l'Afrique orientale anglaise. Offrant environ 500 kilomètres de côtes sur l'océan Indien, cette proximité avec la côte est une richesse pour les échanges commerciaux. Elle représente l’actuelle Tanzanie.
Fig 4 : Colonies allemande en Afrique.
4Anne Stamm, Ibid.
5 Source: http://www.africa-onweb.com/media/cartes/AOF-AEF.jpg
6 Actuel Bénin.
7 Actuel Botswana.
8 Actuel province du Zimbabwe.
9 État indépendant membre de l'Empire britannique, mais pas totalement souverain.
L’empire colonial portugais est un des plus anciens dans le monde. Il commence en 1415, date de la conquête de Ceuta par la dynastie d’Aviz, mais, ce n’est qu’en 1910 que l’actuelle république portugaise administrera les territoires africains.
Peu nombreux, les portugais sont donc moins mus par le besoin de faire émigrer un surplus de population. En Revanche, ils souhaitent évangéliser les populations en leur enseignant la bible et leur mode de vie. Ils procèdent aussi par l’assimilation. Il accepte facilement le brassage ethnique, le baptême devenant pour eux le signe d’une assimilation totale. La nationalité est accordée sans conditions au début à tous les Africains qui se baptisent.
Les Portugais sont principalement installés en Angola et au Mozambique. Le manque de moyens financiers empêche des investissements lourds et une installation dans le long terme, ce d’autant plus que le climat inhospitalier et les conditions de vie rudes découragent les éventuels candidats à cette émigration. Ainsi, pour trouver du personnel à envoyer sur place, le pouvoir central envoient des missionnaires en difficultés avec leur hiérarchie ou des condamnés politiques qu’on appelle les degradados. De fait donc, la politique coloniale portugaise est basée sur le fait que : « le Portugal s’est efforcé de s’unir sinon de se fondre avec les peuples découverts et de constituer avec eux les éléments intégrants d’une seule et même patrie », dira le président Salazar en 1956. Elle ne pratiquera donc, ni une politique de domination (en principe), ni une politique d’éducation orientée vers une constitution indépendante et étrangère.
Fig 5 : Colonie portugaise en Afrique9.
En 1876, à l’issue d’une conférence des géographes à Bruxelles, le roi Léopold II, régnant sur la Belgique, décide de créer une association internationale africaine dont le but est de stopper la traite des noirs qui a cours en Afrique, opérée par les Arabes.
Cette mission faisait suite au cahier de route de Stanley11qui avait arpenté d’est en ouest l’Afrique équatoriale et découvrant les sources du fleuve Congo.
Cette expédition sera un succès et dès 1879, il occupe le terrain et comme à cette époque, la délimitation des frontières n’est pas nette, cela entraînera un conflit avec les autres pays s’étant installés dans cette région de l’Afrique. Ces rivalités seront à l’origine de la conférence de Berlin convoquée par Bismarck. Une paix des braves est dessinée et les différentes puissances s’accordent désormais sur leurs zones de compétences. Cette conférence reconnaîtra d’ailleurs le Congo comme étant indépendant, placé par le parlement belge dès 1885 sous le règne de Léopold II.
L’assimilation est interdite et même proscrite, et le royaume de Belgique veille à ne pas faire confondre conversion et européanisation. Cette vision a au moins un avantage, c’est qu’il tend à préserver le tissu social existant. L’enseignement au primaire est d’ailleurs fourni en langue vernaculaire (le lingala). Les chefferies traditionnelles sont maintenues dans un maillon bas, certes, mais sont toujours existantes au sein de la société.
En plus de cet espace grand comme quatre fois et demie la France dont le seul point commun est le fleuve Congo et ses affluents qui traversent pratiquement la quasi-totalité du territoire, la Belgique se verra confier la tutelle du Rwanda et du Burundi après la première guerre mondiale. Pour favoriser l’exportation minière et agricole et l’importation des produits manufacturés, la ligne de chemin de fer de Matadi, sur l’estuaire de Léopoldville est construite.
Fig 6 : Colonie Belge en Afrique.
10 Source : Bibliothèque nationale de France.
11 Journaliste et explorateur britannique.
Dans le mouvement de colonisation qui a cours dès la fin du XIXe siècle, le grand atout de la première puissance colonisatrice (la Grande Bretagne) était la maîtrise des mers. Avec plus ou moins de succès dans ce domaine, tous les pays se sont appuyés sur les navigateurs pour actualiser les cartes à mesure qu’ils progressaient dans cette quête de l’inconnu. En effet, la circulation par voie maritime se déroule principalement des berges du Royaume Uni et du Portugal au Cap en passant par le Golfe de Guinée, puis à l’océan indien par la côte orientale, le saut par la Malaisie permettant de s’infiltrer par le détroit de Malacca et atteindre l’Inde avec qui une coopération commerciale est hautement stratégique.
Le premier enjeu était de sécuriser cette corde maritime vers l’Inde et donc de positionner des militaires sur les côtes. Peu à peu, et ceci étant valable pour tous les colonisateurs, ils s’intéresseront aux pays et chercheront à accéder à l’arrière qui restait toujours un mystère. L’absence de communication rendait cette appropriation difficile voire même quasi impossible. De fait, on dénombre moins de 5 grands fleuves dont les affluents ouvrent à l’intérieure des terres africaines.
Pour accéder à l’intérieure des terres, on entreprendra de construire des lignes de chemins de fer, justement pour permettre l’avancée des troupes. Cela a été le cas au Soudan français sur le Haut Nil, dans la Rhodésie et au Congo Belge.
Une fois les terres intérieures explorées, la question de la mise en valeur a vite été posée, mettant ainsi en lumière, une donnée qui avait très peu été vendue jusqu’à ce moment-là : une économie de la colonisation. Ainsi dans le cadre de cette mise en valeur, la nécessité de créer des voies de transport, peu chères, rapides, susceptibles de résister aux fortes saisons pluvieuses, a amené les puissances colonisatrices à investir sur des lignes de chemin de fer.
Pour pouvoir assurer le transport des produits vers les ports, il a donc fallu créer des voies ferrées de pénétration, essentiellement locales, pour assurer une ouverture sur l’arrière-pays et permettre l’exportation.
Certains intellectuels de l’époque défendent alors l’idée d’un investissement à la fois privée et public, rentable dans les colonies. La France notamment, fort du grand épargne de sa population pendant toute la révolution française, se retrouve avec de gros capitaux que Duponchel propose de valoriser en s’ouvrant sur l’Afrique : « ce que l’Angleterre poursuit avec tant de succès dans l’Inde et en Australie, les États-Unis sur le continent de l’Amérique septentrionale, la Russie dans le centre de l’Asie, ne serait-il pas possible de le faire à leur exemple, de trouver à notre tour un continent sur lequel nous pourrions prédominer notre influence bienfaisante, où nous pourrions trouver à la fois, un large emploi de nos capitaux improductifs, un débouché nouveau pour nos produits industriels et manufacturés, en même temps qu’un vaste foyer de production agricole pouvant nous fournir à bas prix les matières premières étrangères à notre sol, que nous ne nous procurons que difficilement aujourd’hui par des intermédiaires étrangers ? »12.
Après la conférence de Berlin et le partage dûment consacré de l’Afrique, les délimitations seront plus claires pour les puissances colonisatrices qui peuvent alors établir entre leurs colonies en Afrique, une bribe de diplomatie suivant le modèle westphalien qui a cours en Europe. De cette approche naîtra des projets de construction de trains transnationaux :
Dans cette partie, nous allons explorer les développements ferroviaires dans chaque région de l’Afrique. Ces régions ont connu des fortunes diverses en fonction de la richesse du colonisateur (Budget consacré aux colonies), des richesses des colonies (matières premières) et des productions agricoles exportables. Dans tous les cas, force est de constater que ces territoires allaient devenir : « … un double foyer de production et de consommation rendant la vie aux industries manufacturières en même temps qu’il deviendrait un débouché longtemps ouvert à l’intelligence des capitaux inactifs européens »13.
Dès la fin du XIXè siècle, cette partie de l’Afrique intégrera l’idée de concession faite au privé pour des investissements lourds. C’est ainsi qu’à la suite des pays européens, certains pays arabes du Maghreb commenceront à se doter de ligne de chemin de fer.
Egypte.
La situation égyptienne est assez atypique en Afrique du nord. Sous l’impulsion d’Ismaïl Pacha, l’Egypte entreprendra de gros investissement dans l’infrastructure ferroviaire dès les années 1852. En faisant de gros emprunt notamment à des investisseurs européens, il réalisera d’importants travaux en Egypte.
La première ligne de chemin de fer qui fut ouverte à l’exploitation est la ligne Alexandrie – Caire en 1856, bien avant l’arrivée au pouvoir d’Ismaïl Pacha. Dès 1863, les lignes se multiplièrent dans le delta et de nombreux embranchements furent construits vers Suez, Medinet, Fayoum, Sioul dans le nord, et les travaux ont été engagés entre Ouadi et Khartoum. En 1897, la ligne Alexandrie – Assouan longue de 1092 km est opérationnelle. Elle comporte une bretelle à écartement normal (1,435m) jusqu’à Keneh, et l’autre à écartement étroite. La solution du transbordement14 avait été retenue comme solution technique pour faire le trajet complet.
Mais, non rentables, l’Egypte croula sous le poids des dettes engendrées pour la construction de ces voies ferrées. Une commission internationale sera mise en place et prendra la concession pour la gestion de ces voies, et arrêtera toute nouvelles constructions jusqu’à l’occupation anglaise.
En 1904, l’Egypte compte 3400 km de voies ferrées dont 2500 km de voies normales et 900km de voies étroites.
Soudan égyptien.
Ce territoire recouvre la vaste région du Soudan, administré sous condominium par l’Egypte et la Grande Bretagne de 1899 à 1956. Mais, avant d’être sous condominium, ce territoire était sous occupation exclusive de l’Egypte. C’est pendant cette période que des projets ferroviaires avaient été initiés.
En effet, Ismaïl Pacha souhaite créer une liaison entre l’Egypte et ses possessions en Afrique tropicale. Dès 1975, il fait entreprendre les tronçons Ouadi Alfa – Mettammeh. Mais la démesure de ce Khédive, sa mégalomanie et son manque de planification stratégique conduiront à l’arrêt des travaux pour absence de trésorerie.
L’occupation anglaise du soudan, faite en deux temps, a chacun été pour des raisons stratégiques et économique, simultanément conçue avec la construction des voies ferrées.
A cette période-là, se pose alors le problème de la liaison entre Khartoum et un port de rattachement. En effet, le commerce soudanais s’appuyait sur la liaison déjà existante entre Khartoum et Alexandrie, mais elle était longue de 2500 km. Les Anglais, forts de leur pouvoir financier, entreprendront donc la ligne Souankin–Khartoum longue de 400 km et qui reliera le Soudan à son port d’attache le plus proche. Cette décision pénalisera l’Egypte déjà fort handicapée financièrement, car les ressources du commerce soudanais étaient assez importantes pour l’équilibre budgétaire déjà fragile de ce pays.