THÉOTEX
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Édition : BoD — Books on Demand GmbH
12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris
Impression : BoD — Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
ISBN : 978-2-322-22535-4
Dépôt légal : novembre 2019
Le lecteur français qui prend connaissance du Voyage du Pèlerin, de son contenu et de son histoire, se trouve confronté à une énigme. Il se demande comment un livre religieux du dix-septième siècle, écrit dans un style quasi-enfantin, a pu bénéficier d’un succès continu et universel, au point qu’on ne compte plus le nombre de ses éditions et de ses réimpressions. L’ouvrage de John BUNYAN constitue en effet un véritable phénomène de la littérature anglaise, d’une magnitude comparable à la production de la Bible King James elle-même. Aussi fut-il rapidement traduit dans les principales langues européennes, du moins sa première partie, parue en 1678 et bien connue dans nos églises évangéliques. Elle rapporte les aventures d’un personnage, CHRÉTIEN, que l’auteur voit pérégriner en songe, de la cité de Destruction jusqu’à la Jérusalem céleste. Toujours sous le prétexte du rêve, la seconde partie (1684) poursuit par les tribulations de CHRÉTIENNE (ou CHRISTIANA), la femme de Chrétien, et de ses enfants. Ce second volume est généralement inconnu des évangéliques français parce qu’il n’a pas bénéficié comme le premier d’une série de réimpressions successives, malgré qu’en 1855 le libraire-éditeur J.-P. MICHAUD, de Neuchâtel, en avait livré une version tout à fait correcte.
En 1884, le pasteur Alfred PORRET, dans une petite brochure sur la vie de Bunyan, émettait le souhait que se lève enfin un écrivain français qui remplacerait les « malheureuses traductions » existantes par une version complète et rendant la beauté de l’original. On peut regretter que son vœu n’ait pas été exaucé quant à une diffusion plus large de la seconde partie du Pèlerin, mais quant à la qualité de la version française, son jugement paraît trop sévère : le caractère très simple du vocabulaire et des dialogues se retrouve dans notre langue, et les quelques pièces versifiées rendent assez bien la piété qui a inspiré les vers anglais. En réalité, cette traduction donnée par la Société des Livres Religieux de Toulouse (dix-neuvième siècle), la seule répandue dans le public évangélique, n’est que la reprise d’une traduction anonyme, dont la septième édition a été imprimée en 1778 à Rotterdam. Dans la préface de cette dernière, Robert ESTIENNE explique ainsi l’utilité de ce travail : « Au reste il est bon d’avertir qu’on a déjà une traduction française de cet ouvrage, qui a été imprimée en Hollande ; mais comme elle a été faite par un Wallon qui parle Flamand en Français, elle est si mauvaise, qu’on ne peut la lire qu’avec dégoût... » Comme quoi, en matière de traduction, chacun peut toujours trouver de quoi être suffisamment mécontent. Peut-être sa critique s’adressait-elle au pasteur Christophe Matthieu SEILLERN qui avait déjà traduit les deux parties du Voyage du Pèlerin (en 1717 pour la seconde), mais sur la base d’une traduction allemande. En 1992 Madame Renée MÉTIVET-GUILLAUME a fait paraître aux éditions L’Age d’Homme une nouvelle traduction complète, laquelle n’est évidemment pas libre de droits, comme la commune que nous donnons ici.
Pour s’expliquer le paradoxe entre la simplicité du texte et son impact, il ne faut jamais oublier que cette composition ne tire pas son origine d’une allégorie purement imaginaire : Le rêveur fatigué qui se retrouve dans une caverne, et qui va raconter son voyage onirique, c’est Bunyan lui-même, qui a écrit son livre en prison. Il y est resté plus de douze ans, sans autre crime que d’avoir voulu prêcher publiquement l’Evangile ! Il est vrai que simple étameur de fer blanc, sans autre formation que sa lecture assidue de la Bible, Bunyan ne possédait aucun des titres ecclésiastiques exigés à l’époque pour pouvoir adresser un public sur des sujets religieux. Cependant il est impossible d’arrêter une initiative prise par Dieu; semblable aux apôtres du livre des Actes, aux instruments de réveil de toutes les époques, Bunyan a clairement été une telle initiative de Dieu.
Elargi de prison, il recommence à prêcher, et les foules accourent. Une anecdote bien connue rapporte que le célébrissime docteur en théologie John Owen vint lui aussi entendre Bunyan. Au roi Charles II qui s’étonnait qu’un érudit aussi instruit aille s’asseoir aux pieds d’un pauvre étameur, Owen répondit : « Que votre Majesté veuille agréer ma pensée : s’il m’était donné de pouvoir remuer le cœur des auditeurs comme le fait cet étameur-là, je donnerais joyeusement en échange toute ma science. »
Si Bunyan ne se préoccupe pas de théologie (nous ne trouvons dans son allégorie aucun débat sur la prédestination, sur l’assurance du salut, ou sur le retour de Jésus-Christ...), en revanche chacune de ses lignes ou presque porte l’empreinte d’une pensée biblique. Un tel style puritain par excellence, et pourtant sans lourdeur, ne pouvait que faire les délices de Charles Haddon SPURGEON. Le fameux prédicateur témoigne dans ses mémoires avoir lu le Voyage du Pèlerin au moins une fois par an, et il estimait dépasser les cent lectures avant sa mort.
Aujourd’hui, dans un environnement culturel surchargé d’effets spéciaux, de graphismes fantastiques et sophistiqués, l’allégorie trouvera-t-elle encore une place? Oui, parce qu’elle s’adresse à l’esprit plus qu’à l’imagination, et que l’esprit essentiellement caractérise l’humain.
Le non-chrétien qui ouvrant ce livre fera les premiers pas sur l’itinéraire de Bunyan se sentira immanquablement attiré par l’étrangeté du texte, tout comme le premier contact avec l’Evangile fascine par son étrangeté. S’il persévère sur ce chemin, il ne pourra que se reconnaître dans un des multiples personnages qui croisent la route de CHRÉTIEN, que ce soient OBSTINÉ, FACILE, INCONSIDÉRÉ, PARESSEUX, TÉMÉRAIRE. .. il se sentira repris dans sa conscience, parce que pour naïfs que puisse paraître les portraits psychologiques tracés par l’auteur, ils sont aussi impitoyables que la vérité ; témoins par exemple ces saillies d’un tribunal injuste qui condamne à mort FIDÈLE :
AVEUGLE, en qualité de président, parla ainsi : - Je vois clairement que cet homme est un hérétique.
PERFIDE dit : – Qu’on ôte cet homme de dessus la terre !
– Oui, s’écria MÉCHANT, car je ne puis plus le voir.
VOLUPTUEUX s’écria qu’il n’avait jamais pu le souffrir.
– Ni moi, répondit MORT-VIVANT, car il a toujours condamné toutes mes actions.
– Qu’on le pende ! s’écria HOMME DE COU RAIDE.
– C’est un homme plein d’orgueil, ajouta ORGUEILLEUX.
Or si le non-chrétien résout d’être honnête avec lui-même, il conviendra que la haine qui aujourd’hui se manifeste de plus en plus ouvertement contre tout ce qui porte le nom de chrétien, est aussi injustifiée et perverse que celle qui a cherché et obtenu la mort de Jésus-Christ. Enfin, s’il suit jusqu’au bout les pérégrinations de CHRÉTIEN, il en viendra à comprendre le dessein de Dieu, qui a toujours été, non d’abandonner les hommes à leur perdition naturelle, mais au contraire de les sauver souverainement et glorieusement. Puissent-ils être nombreux les lecteurs qui ne s’arrêteront pas ainsi à l’enveloppe du texte, mais qui atteindront le but pour lequel il a été écrit : la vie éternelle en Jésus-Christ !
Quant au déjà-chrétien, le plaisir qu’il prendra à lire ou relire le Voyage se passe d’explications, puisque pour lui toutes les images y sont transparentes, dans l’allégorie il reconnaît sa propre expérience :
« C’est dans la foi qu’ils sont tous morts, sans avoir vu se réaliser pour eux les promesses, mais après en avoir de loin aperçu et salué la réalisation, et avoir confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Car ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils soupirent après leur patrie. Et, si c’eût été de celle qu’ils avaient quittée qu’ils faisaient mention, ils auraient eu le temps d’y retourner ; mais on voit bien que c’en est une meilleure qu’ils désirent, je veux dire la patrie céleste ; c’est pourquoi Dieu n’a point honte, en ce qui les concerne, d’être appelé leur Dieu, car Il leur a préparé une ville. » (Hébreux.11.13-16)
Phoenix, 29 septembre 2011
C.R.
M’ÉTANT ENDORMI, JE VIS EN SONGE...
FACILE ET OBSTINÉ — CONVERSION D’UNE ÂME VRAIMENT RÉVEILLÉE — FAUSSE
CONVERSION D’UNE ÂME QUI NE SE REPOSE PAS SOLIDEMENT SUR CHRIST.
Comme je voyageais par le désert, j’arrivai dans un lieu où il y avait une caverne. Je m’y couchai pour prendre un peu de repos, et, m’étant endormi, je vis en songe un homme vêtu d’habits sales et déchirés Esa.64.6. Il était debout [tout prêt à agir, sorti du sommeil de la sécurité] et tournant le dos à sa propre maison Luc.9.62; 14.26-27. Il avait un livre à la main, et il était chargé d’un pesant fardeau Psa.38.5-6 ; Je vis ensuite qu’il ouvrit le livre et qu’il y lisait.
Bientôt il se mit à pleurer et à trembler, de sorte qu’étant tout effrayé, il s’écria d’un ton triste et plaintif : « Que faut-il que je fasse ? » Actes.16.30.
Dans cet état il retourna chez lui, et se contraignit, aussi longtemps qu’il lui fut possible, devant sa femme et ses enfants, de peur qu’ils ne s’aperçussent de son angoisse. Mais comme sa tristesse augmentait de plus en plus 2Cor.7.10. Il ne put se contenir longtemps ; ainsi il leur découvrit bientôt ce qu’il avait sur le cœur et leur dit :
– Ma chère femme, et vous, mes chers enfants, que je suis misérable et que je suis à plaindre ! Je suis perdu, et le pesant fardeau qui m’accable est la cause de ma perte. J’ai d’ailleurs un avertissement certain que cette ville où nous habitons va être embrasée par le feu du ciel 2Pi.3.7,10-11 ; et que les uns et les autres, moi, et vous, ma chère femme, et vous, mes chers enfants, nous serons misérablement enveloppés tous ensemble dans cet épouvantable embrasement, si nous ne trouvons un asile pour nous mettre à couvert ; or, jusqu’ici je n’en vois aucun.
Ce discours surprit au dernier point toute sa famille 1Cor.2.14 ; non pas qu’elle y ajoutât foi, mais parce qu’on s’imagina que cet homme avait le cerveau troublé, et qu’il s’était mis des pensées creuses dans l’esprit. Toutefois, dans l’espérance que son cerveau pourrait se remettre par le repos, parce que la nuit approchait, ils se hâtèrent de le mettre au lit.
Mais, au lieu de dormir, il ne fit, presque toute la nuit, que soupirer et verser des larmes. Quand le matin fut venu, ils voulurent savoir comment il se portait. Il leur dit que son état allait de mal en pis, et leur réitéra encore ce qu’il avait dit la première fois. Mais, bien loin de faire quelque impression sur eux, cela ne servit qu’à les irriter. Il s’imaginèrent même qu’ils pourraient le faire changer en usant de rigueur ; de sorte qu’ils commencèrent à le mépriser et à le quereller ; puis ils l’abandonnèrent à lui-même sans se mettre plus en peine de lui Mat. 10.34-39.
CHRÉTIEN S’OUVRE DE SA TRISTESSE DEVANT SA FEMME ET SES ENFANTS.. ...
Aussi s’enferma-t-il dans sa chambre afin de prier pour eux comme aussi pour déplorer sa propre misère. Quelquefois il allait se promener seul dans la campagne, tantôt lisant, tantôt priant, et c’est ainsi qu’il passait la plus grande partie de son temps.
Il arrivait aussi qu’en allant par la campagne, les yeux fixés, selon sa coutume, sur son livre, il était extrêmement en peine, et j’entendis qu’en lisant il s’écria tout haut comme auparavant : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? ».
Je remarquai d’ailleurs qu’il tournait les yeux, tantôt d’un côté tantôt de l’autre, comme un homme qui cherche à s’enfuir ; cependant il ne quittait point la place, parce qu’apparemment il ne savait où aller.
Dans ce moment, je vis un homme, dont le nom était ÉVANGÉLISTE, qui s’approcha de lui et qui lui demanda pourquoi il poussait des cris si lamentables.
– Monsieur, lui répondit-il, je vois par le livre que j’ai entre les mains que je suis condamné à la mort, et qu’ensuite je dois comparaître en jugement Héb.9.27. Je ne saurais me résoudre à la première, et ne suis nullement préparé au dernier Ezé.22.14.
ÉVANGÉLISTE : – Comment ne pouvez-vous pas vous résoudre à la mort, puisque cette vie est mêlée de tant de maux?
CHRÉTIEN : – C’est que je crains que le fardeau que je porte ne me fasse enfoncer plus bas que le sépulcre, et ne me précipite jusqu’au fond des enfers. Or, Monsieur, si je ne suis pas seulement en état de souffrir la prison, combien moins pourrais-je soutenir le jugement et en subir l’exécution ? Voilà ce qui me fait pousser tant de gémissements.
ÉVANGÉLISTE : – Si tel est votre état, pourquoi en demeurez-vous là?
– Hélas ! répondit le Chrétien, je ne sais où aller.
Là-dessus l’Évangéliste lui donna un rouleau de parchemin où étaient écrites ces paroles : « Fuyez la colère à venir » Mat.3.7. Le chrétien lut ce rouleau, et aussitôt il demanda à l’Évangéliste, en le regardant tristement : – Où est-ce donc qu’il faut fuir?
Alors l’Évangéliste étendant la main, lui dit : – Voyez-vous bien, de ce côté là, une petite porte étroite ? Mat.7.13.
Cet homme lui répondit : – Non.
L’Évangéliste lui dit : – Ne voyez-vous pas, du moins, une lumière brillante au milieu de l’obscurité ?
– Il me semble, répliqua-t-il, que je la vois.
– Eh bien ! dit l’Évangéliste, attachez uniquement les yeux sur cette lumière Psa.119.105, marchez droit vers elle, et alors vous verrez bientôt la porte étroite. Quand vous heurterez, on vous dira ce que vous aurez à faire.
Alors le Chrétien se mit à courir. Mais il n’était pas encore fort éloigné de la porte de sa maison, que sa femme et ses enfants lui crièrent qu’il revint sur ses pas. Mais lui, sans se retourner, se boucha aussitôt les oreilles en s’écriant : La vie, la vie, la vie éternelle ! Mat.16.26. Et sans se retourner, il se hâtait de traverser la plaine.
Ses voisins étant sortis pour les voir, les uns se moquaient de lui, les autres le menaçaient ; quelques-uns lui criaient qu’il rebroussât chemin. Il en eut même deux qui entreprirent de le poursuivre et de le ramener de force dans sa maison. Le premier se nommait OBSTINÉ, et l’autre FACILE ; et bien que cet homme eût beaucoup d’avance sur eux, ils ne se rebutèrent point, et firent tant qu’ils l’atteignirent.
Alors il leur dit : – Mes chers voisins, pourquoi me poursuivez-vous?
– C’est, répondirent-ils, pour vous persuader de revenir sur vos pas avec nous.
– Mais, répliqua le voyageur, c’est impossible. Vous demeurez dans la ville de CORRUPTION, où je suis né aussi bien que vous Rom.5.12, et si vous y mourez, vous serez tôt ou tard précipités plus bas que le sépulcre, dans une étang ardent de feu et de soufre. Prenez donc courage, mes chers voisins, et faites plutôt le voyage avec moi.
OBSTINÉ : – Comment! avec vous? Abandonner tous nos amis et renoncer à tous nos plaisirs !
CHRÉTIEN : – Oui, sans doute, parce que rien de ce que vous laisserez n’est à comparer à la moindre partie de ce que je cherche, et si vous voulez venir avec moi et m’accompagner jusqu’au bout, vous aurez les même avantages, car le pays où je vais est un pays de richesse et d’abondance. Hâtez-vous donc, et vous éprouverez la vérité de ce que je vous dis.
OBSTINÉ : – Qu’est-ce donc que vous cherchez, et qui vous oblige à renoncer à tout pour l’obtenir ?
CHRÉTIEN : – Je cherche un héritage qui ne peut ni se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir, et qui est dans les cieux pour ceux qui le recherchent avec soin et avec persévérance. Lisez, si vous voulez, toutes ces choses dans mon livre.
OBSTINÉ : – Bagatelles ! bagatelles ! Voulez-vous rebrousser chemin avec nous ou ne le voulez-vous pas ?
CHRÉTIEN : – Non, non ; je n’en ferai rien. J’ai mis une fois la main à la charrue : malheur à moi si je regarde en arrière !
OBSTINÉ : – Venez donc, mon voisin FACILE ; retournons-nous-en et laissons-le aller. Il y a certaines têtes qui se croient plus sages que les autres, et qui, ayant une fois conçu quelque chose dans leur imagination, suivent opiniâtrement leur idée et s’imaginent être infaillibles.
FACILE : – Ne regardez pas ces choses avec tant d’indifférence ; car si ce que CHRÉTIEN nous dit est véritable, les choses qu’il cherche sont préférables à celles auxquelles nous nous attachons, et je sens quelque penchant à le suivre.
OBSTINÉ : – Oui ! encore d’autres fous ! Croyez-moi, retournons-nous-en. Tout ceci n’est point sage, et les lumières d’une saine raison doivent nous conduire à tout autre chose. Qui sait où cet écervelé pourra vous mener ? Rebroussez, rebroussez chemin, et soyez sage une bonne fois.
CHRÉTIEN : – Joignez-vous plutôt à moi, voisin FACILE ; car tous les biens dont je vous ai parlé nous attendent, et d’autres plus excellents encore. Si vous ne voulez pas me croire, lisez ce livre et vous connaîtrez la vérité : tout ce qui y est contenu est confirmé et scellé avec le sang de Celui qui l’a fait Héb.9.17,21.
FACILE : – Eh bien ! voisin OBSTINÉ, je suis résolu à m’en aller avec le Chrétien et à éprouver le même sort que lui.
OBSTINÉ : – Mais, mon cher ami, savez-vous bien le chemin de ce lieu tant désiré ?
CHRÉTIEN : – Un nommé ÉVANGÉLISTE m’a ordonné de gagner une petite porte qui est là devant nous, où l’on nous enseignera le chemin qui doit nous conduire plus loin.
FACILE : – Allons donc, mon cher compagnon, allons !
C’est ainsi qu’ils continuèrent ensemble leur chemin.
– Pour moi, dit l’Obstiné, je retourne dans ma maison, et je ne veux point être le compagnon de semblables visionnaires.
CRAINTES QUI VIENNENT ASSIÉGER L’ÂME QUAND ELLE N’EN EST ENCORE QU’AU
SENTIMENT DE SES PÉCHÉS. CELUI QUI N’A EU QU’UN COMMENCEMENT DE
CONVERSION NE SAIT SE DÉLIVRER DE CES CRAINTES QU’EN RETOURNANT À SON
TRAIN PRÉCÉDENT.
L’Obstiné s’étant donc retiré, je vis le Chrétien et son compagnon Facile qui marchaient dans cette vaste plaine, et j’entendis qu’ils s’entretenaient de cette manière :
– Eh bien ! voisin FACILE, dit le Chrétien, comment vous trouvez-vous? Je me réjouis de ce que vous êtes disposé à venir avec moi. Si OBSTINÉ avait senti la valeur de l’invisible et l’effroi qu’inspire l’inconnu, il ne nous aurait pas aussi facilement tourné le dos.
FACILE : – Mais, mon cher voisin, puisque nous sommes seuls ici, racontez-moi un peu plus, je vous prie, quelles sont les choses que nous cherchons, et comment nous pouvons en être rendus participants.
CHRÉTIEN : –Je les comprends bien mieux que je ne puis les exprimer; toutefois, puisque vous le souhaitez, je vous en lirai quelque chose.
FACILE : – Croyez-vous donc que les paroles contenues dans votre livre soient des vérités certaines ?
CHRÉTIEN : – Oui, sans doute, car tout nous dit qu’il a été fait par Celui qui ne peut mentir Tite.1.2.
FACILE : – Voilà qui est bien ; mais quelles sont ces choses?
CHRÉTIEN : – C’est un héritage incorruptible, un royaume éternel, pour la jouissance duquel une vie éternelle nous est donnée Jean.10.28-29.
FACILE : – Oh ! quelle félicité !
CHRÉTIEN : – Il y a des couronnes de gloire 2Tim.4.8 et des vêtements resplendissants comme le soleil dans le firmament Mat.13.43.
FACILE : – Ah ! que cela est charmant ! Continuez.
CHRÉTIEN : – Dans ce lieu-là, il n’y a aucune tristesse Esa.35.10, ni cri, ni deuil car Celui qui y règne essuiera toutes larmes de nos yeux AP.7.16-17.
FACILE : – Nous nous trouverons sans doute dans une société bien belle et bien heureuse ?
CHRÉTIEN : – Nous y serons avec les Chérubins et les Séraphins, qui sont des créatures si glorieuses que nos yeux en seront éblouis. Nous y rencontrerons des milliers de personnes qui y sont entrées avant nous, dont chacune est revêtue d’une sainteté parfaite et remplie d’un amour ardent pour ses frères. Chacun de ses êtres se tient sans cesse en la présence du Seigneur, plein de joie. Il nous est parlé d’anciens couronnés, que nous y verrons Ap.4.4, de vierges pures avec leurs harpes d’or, d’hommes qui ont été sciés, brûlés, déchirés par les bêtes féroces Héb.11.37, et noyés dans la mer pour l’amour du Seigneur, tous bienheureux et revêtus d’immortalité.
FACILE : – L’éclat de cette gloire est suffisant pour ravir les cœurs.
Mais comment faut-il s’y prendre pour l’obtenir?
CHRÉTIEN : – Le Souverain l’a déclaré dans ce livre, où il est dit que si quelqu’un désire avec sincérité de les avoir, il les lui donnera certainement JEAN.8.17; 6.29.
FACILE : – Que je suis ravi, mon cher compagnon, d’entendre ces choses ! Hâtons-nous. Un tel bonheur mérite bien que nous redoublions nos efforts.
CHRÉTIEN : – Le fardeau dont je suis chargé ne me permet pas de me hâter autant que je le désirerais.
Ici je vis dans mon songe qu’aussitôt qu’ils eurent cessé de parler, ils tombèrent tous deux dans un bourbier fangeux qui était au milieu de la plaine. Ils ne s’étaient pas assez tenus sur leurs gardes. Le nom de ce bourbier est le bourbier du Découragement. Il y demeurèrent enfoncés pendant quelques temps et furent fort incommodés de cette boue. Le Chrétien surtout, à cause du pesant fardeau dont il était chargé, faillit y être étouffé.
DANS LE BOURBIER DU DÉCOURAGEMENT.
– Ah ! voisin CHRÉTIEN, s’écria alors FACILE, où êtes-vous?
– Hélas ! répondit le Chrétien, je n’en sais rien en réalité.
FACILE commença alors à s’inquiéter, à se chagriner et à s’emporter : – Est-ce là, disait-il à son compagnon, le bonheur dont vous venez de me dire tant de merveilles ? Si, dès le commencement de notre voyage, nous faisons une si mauvaise rencontre, que n’avons-nous pas à attendre dans la suite, avant que nous soyons parvenus à la fin de notre pèlerinage ? Ah ! si seulement je puis sauver ma vie d’ici, je vous laisserai bien ce bel héritage à vous seul...
Là-dessus il se débattit deux ou trois fois avec de grands efforts, se tira ainsi à grand-peine du bourbier et sortit du côté qui regardait sa maison, vers laquelle il prit incontinent sa course, de sorte que le Chrétien ne le revit plus, et se trouva seul dans le bourbier du Découragement. Il s’y débattait de toutes ses forces et tâchait d’en sortir du côté opposé de sa maison ; mais il n’en pouvait venir à bout à cause de son pesant fardeau.
Alors je vis un homme dont le nom est SECOURS qui s’approcha de lui et lui demanda ce qu’il faisait là.
CHRÉTIEN : – Une personne qui se nomme ÉVANGÉLISTE m’avait ordonné de suivre ce chemin pour arriver à la porte qui est là devant nous, afin de fuir la colère à venir. Et comme je m’y acheminais, je suis tombé ici, comme vous voyez.
SECOURS : – Pourquoi ne regardiez-vous pas aux traces des promesses ?
(Et en effet, je vis des traces qui menaient tout droit, sans le moindre obstacle, au but proposé).
CHRÉTIEN : – La crainte me pressait si fort que j’ai perdu de vue le bon chemin. C’est ainsi que je suis tombé dans ce bourbier.
– Donnez-moi la main, lui dit SECOURS.
Et ayant pris le Chrétien par la main, il le tira dehors et le mit sur un terrain ferme et solide, en lui commandant de poursuivre son voyage.
Alors le Chrétien s’approcha de son libérateur et lui dit : – Seigneur, puisqu’en sortant de la ville de Corruption il faut passer par ce chemin pour venir à cette porte étroite qui est si éloignée, pourquoi ne comble-t-on pas cette fosse, afin que les pauvres voyageurs puissent passer plus sûrement ?
– Ce chemin fangeux, répondit SECOURS, est un endroit qu’on ne peut raccommoder, parce qu’il est l’égout où s’écoule continuellement l’écume et l’ordure que jette la conviction du péché. C’est pour cela qu’il est nommé le bourbier du Découragement, car lorsque le pécheur se réveille à la vue de son état de perdition, il est presque impossible qu’il ne s’élève dans son âme une nuée de frayeurs et de doutes qui lui livrent mille assauts. Ils lui font perdre courage, et, s’unissant tous ensemble, ils viennent tomber dans ce lieu-ci.
Cependant ce n’est pas l’intention du roi que ce passage demeure si mauvais. Ses ouvriers travaillent déjà depuis plus de 18 siècles à le réparer et à le rendre praticable. On a déjà employé des millions d’exhortations et d’instructions en tous temps et en tous lieux pour y faire une digue ; et ce sont là les matériaux les plus propres à cette réparation. Avec tout cela le bourbier du Découragement subsiste et subsistera toujours, quelque précaution qu’on y apporte.
Il est vrai que, par les soins du Souverain, on y a mis des matières solides pour que le chemin fût ferme sous les pas des voyageurs. Mais il y a certains temps où ce lieu jette ses impuretés avec plus d’abondance, ce qui arrive ordinairement lorsque le temps change. Et alors, les traces de ce chemin sont fort difficiles à découvrir ; ou, si on les découvre, la tête tourne aux voyageurs et cela leur fait manquer le chemin, de sorte qu’ils tombent dans la boue malgré ces traces. Mais le terrain est ferme dès qu’on a franchi la porte.
Je vis aussi que lorsque FACILE fut de retour dans sa maison, ses voisins vinrent lui rendre visite. Quelques-uns d’entre eux disaient qu’il avait été un homme sage d’être ainsi revenu. Mais il y en avait d’autres qui disaient qu’il avait été bien fou de se hasarder à se mettre en chemin avec le Chrétien. Il y en avait même quelques-uns qui se moquaient de lui Luc.14.29-30, et qui déclaraient qu’il était un grand poltron : « Oh !, disaient-ils, puisque vous aviez si bien commencé, il ne fallait pas vous rebuter pour si peu de chose. Si j’avais été à votre place, j’aurais continué mon chemin ».
Ainsi le pauvre FACILE était tout honteux parmi eux. Enfin, pourtant il reprit courage. Il se mit au-dessus de leurs railleries, et les moqueurs le laissèrent en repos tandis qu’ils dirigèrent leurs moqueries à l’égard du pauvre Chrétien.
L’ÂME EFFRAYÉE DU SENTIMENT DE SES PÉCHÉS VEUT PRESQUE TOUJOURS, AU
PREMIER ABORD, ESSAYER DE SE SAUVER PAR SON OBÉISSANCE À LA LOI DE DIEU ;
MAIS QUAND ELLE VIENT À L’ESSAYER SÉRIEUSEMENT, ELLE EN DÉCOUVRE
L’EFFRAYANTE IMPOSSIBILITÉ.
Cependant le Chrétien poursuivait son chemin et il rencontra en marchant un homme qui venait au-devant de lui, de sorte qu’ils se trouvèrent en face l’un de l’autre dans le même chemin. C’était un gentilhomme, nommé SAGE-MONDAIN, qui faisait sa demeure dans une ville appelée la SAGESSE CHARNELLE, grande ville voisine de celle où le Chrétien habitait auparavant.
Cet homme ayant rencontré le Chrétien dont il avait ouï parler (car sa sortie hors de la ville de Corruption avait fait du bruit de toute part), et ayant connu, à sa démarche triste, à ses soupirs et à ses gémissements, ce qui se passait en lui, commença à lui parler en ces termes :
– Qu’est ceci, mon cher ami ? Où pensez-vous aller avec un si pesant fardeau?
CHRÉTIEN : – Hélas ! que vous avez raison de dire que mon fardeau est pesant ! Jamais personne n’en a porté un plus accablant. Si vous me demandez encore où je vais, je vous dirai que je m’achemine vers la porte étroite qui est là devant moi, et où, selon que j’en ai été informé, on doit m’enseigner le chemin que je dois suivre pour être déchargé de ce même fardeau.
SAGE-MONDAIN : – Avez-vous une femme et des enfants ?
CHRÉTIEN : – Oui, mais je suis tellement accablé sous mon fardeau que je ne puis plus y prendre plaisir. Il me semble que j’ai une femme comme si je n’en n’avais point 1Cor.7.31.
SAGE-MONDAIN : – Voulez-vous me croire ? Je vous donnerai un bon conseil.
CHRÉTIEN : – S’il est bon, je le veux bien, car j’ai maintenant très grand besoin d’un bon conseil.
SAGE-MONDAIN : – Le conseil que j’ai à vous donner est de vous décharger vous-même sans délai de ce fardeau, car sans cela vous n’aurez jamais aucun repos dans votre âme et vous n’obtiendrez jamais la bénédiction de Dieu.
CHRÉTIEN : – C’est à cela même que j’aspire. Je cherche à être délivré de ce faix accablant. Mais, hélas ! je ne puis le faire moi-même. Il n’y a personne dans nos contrées qui puisse m’en décharger, et c’est pour cela que je me suis mis en chemin. Mais il me semble apercevoir que vous-même, malgré les conseils que vous me donnez, vous êtes aussi chargé d’un énorme fardeau semblable au mien. Il est vrai que vous le portez avec aisance, et que vous ne paraissez même pas vous en apercevoir.
SAGE-MONDAIN : – Que me dites-vous là? Je n’ai point de fardeau, moi ! D’ailleurs, c’est de vous que nous parlons. Dites-moi qui vous a conseillé de prendre ce chemin pour être délivré de ce poids accablant?
CHRÉTIEN : – C’est un homme fort vénérable qu’on nomme ÉVANGÉLISTE.
SAGE-MONDAIN : – C’est un très mauvais conseiller. Il n’y a point de chemin si dangereux et si fâcheux dans le monde que celui qu’il vous a montré, comme vous l’éprouverez bientôt si vous suivez son conseil. Au reste, il vous est déjà arrivé, à ce que je vois, divers malheurs. Je remarque la boue du bourbier du Découragement attachée à votre corps. Or, ce bourbier n’est encore que le commencement des incommodités qu’ont à essuyer ceux qui suivent cette route. Croyez-moi, je suis plus âgé que vous : vous trouverez dans ce chemin des douleurs, des fatigues, la faim, le péril, la nudité, l’épée, les lions, les ténèbres, enfin la mort même et une infinité d’autres maux encore. C’est là la pure vérité confirmée par beaucoup de témoignages. A quoi bon, pour obéir à autrui, se jeter soi-même inconsidérément dans un labyrinthe de maux?
CHRÉTIEN : – Comment, monsieur? Ce fardeau que j’ai sur le dos me cause bien plus de frayeurs que toutes les choses que vous venez de nommer. Et quelques disgrâces qui puissent m’arriver, elles me seront peu de chose pour vu que je puisse obtenir le soulagement que je désire.
SAGE-MONDAIN : – Comment avez-vous commencé à sentir ce fardeau? CHRÉTIEN : – Par la lecture de ce livre que j’ai entre les mains.
SAGE-MONDAIN : – Je le crois bien. Il vous est arrivé comme à plusieurs autres esprits faibles qui, ayant voulu trop approfondir les choses, sont tombés subitement dans le trouble dont vous êtes agité. Et cette manie rend non seulement les hommes inhumains et misanthropes, comme je m’aperçois qu’il vous arrive, mais elle leur fait entreprendre des choses impossibles, dans l’espérance d’obtenir je ne sais quoi.
CHRÉTIEN : – Pour moi, ce que je prétends obtenir, c’est le soulagement de mon fardeau.
SAGE-MONDAIN : – Quel soulagement voulez-vous chercher dans cette route où vous n’avez à attendre que mille dangers ? Au lieu que je puis vous instruire, si vous voulez m’écouter patiemment, d’un moyen sûr pour obtenir ce que vous désirez avec tant d’ardeur, sans encourir aucun des dangers qui vous menacent dans le chemin où vous êtes. Oui, ce moyen est entre vos mains. Ajoutez à cela qu’à la place de ces incommodités auxquelles vous vous exposez, vous y trouverez beaucoup de douceur et de contentement.
CHRÉTIEN : – Je vous prie, Monsieur, apprenez-moi donc ce secret.
SAGE-MONDAIN : – Je le veux bien. Dans un bourg nommé le BOURG DE LA MORALE habite un homme très vertueux dont le nom est la Loi, et qui a la réputation de pouvoir délivrer les hommes du fardeau qui vous presse. Je sais qu’il a fait beaucoup de bien à cet égard. Il a même la capacité de guérir ceux à qui ce fardeau a causé quelque renversement d’esprit. C’est pourquoi je vous conseille d’aller tout droit à lui, et vous trouverez bientôt du soulagement. Sa maison n’est pas éloignée. Si vous ne le trouvez pas lui-même chez lui, il a un fils nommé HONNÊTETÉ qui est un charmant jeune homme. Celui-ci peut vous aider autant que le vieux gentilhomme. C’est là que vous trouverez le soulagement de votre fardeau. Et si vous n’avez pas dessein de retourner chez vous – comme aussi je ne vous le conseille pas –, vous pouvez mander votre femme et vos enfants, et les faire venir auprès de vous dans le bourg, où il y a maintenant assez de maisons vacantes et où vous pourrez en avoir une à un prix raisonnable. Les vivres sont aussi fort bons et à bon compte. Et ce qui rendra votre vie encore plus heureuse, c’est que vous y jouirez de beaucoup d’estime et de crédit parmi vos bons voisins.
Le Chrétien, s’étant arrêté un moment pour délibérer sur tous ces avantages si précieux, prit tout à coup la résolution de s’y rendre. « S’il en est ainsi, disait-il en lui-même, comme ce gentilhomme l’assure, je ne saurais mieux faire que de suivre son conseil ». Sur l’instant, il lui demanda le chemin qui conduisait à la maison de ce vieux gentilhomme.
– Voyez-vous bien, dit le Sage-Mondain, cette haute montagne ?
– Oui, très bien, répondit le Chrétien.
– C’est à cette montagne que vous devez aller, lui dit le Sage-Mondain ; et la première maison que vous trouverez est la sienne.
L’ÂME EFFRAYÉE PAR LA PENSÉE DE LA SAINTETÉ DE LA LOI DE DIEU, APPREND QUE
CETTE LOI, PAR CELA MÊME QU’ELLE EST SAINTE, BIEN LOIN DE NOUS SAUVER, NE
FAIT QUE NOUS CONDAMNER; ET ELLE A SON RECOURS À L’EVANGILE DE GRÂCE.
Ainsi le Chrétien continua son chemin vers la maison du seigneur LOI, espérant y trouver le secours dont il avait besoin. Mais comme il approchait de la montagne, elle lui parut si haute et si escarpée, et le côté qui le regardait penchait tellement sur lui, qu’il crut qu’elle allait fondre sur sa tête. Ainsi, il s’arrêta tout court, n’osant avancer davantage, et son fardeau lui parut plus pesant et plus insupportable Rom.7.13; 7.8; Gal.3.10 que quand il était dans son chemin.
Il sortait aussi de la montagne des éclairs et des flammes si épouvantables qu’il craignait d’en être dévoré.
Toutes ces choses ensemble faisaient sur lui une si forte impression qu’il tremblait, s’affligeant amèrement d’avoir suivi le conseil du Sage-Mondain.
Dans cette perplexité, il vit venir à lui ÉVANGÉLISTE ; à son approche la rougeur lui monta au visage. ÉVANGÉLISTE s’étant approché de plus près, et le regardant avec indignation, lui dit d’un ton sévère :
– Que faites-vous ici CHRÉTIEN ?
A cette parole, le Chrétien eut la bouche fermée, ne sachant que lui répondre.
ÉVANGÉLISTE continuant, lui dit encore :
– N’est-ce pas vous que j’ai rencontré il y a déjà quelques temps, devant les murailles de la ville de Corruption, si affligé et si éploré ?
Le Chrétien, après avoir hésité quelques temps à cause du trouble de son âme, répondit enfin :
– Oui, Monseigneur, c’est moi-même.
ÉVANGÉLISTE : – Ne vous ai-je pas adressé au chemin qui conduit à la porte étroite ?
CHRÉTIEN : – Oui, Monseigneur.
ÉVANGÉLISTE : – Cependant vous n’y êtes plus ; comment donc vous en êtes-vous détourné ?
CHRÉTIEN : – Aussitôt après être sorti du bourbier du Découragement, j’ai rencontré un gentilhomme qui m’a engagé à passer dans le bourg que nous voyons devant nous, m’assurant que j’y trouverais quelqu’un qui me délivrerait de mon fardeau.
ÉVANGÉLISTE : – Quel était cet homme ?
CHRÉTIEN : – Il paraissait être un homme de considération, et il m’a dit tant de choses qu’il m’a enfin persuadé de venir jusqu’ici. Mais lorsque j’ai considéré le penchant affreux de cette montagne, je me suis arrêté tout court, de peur qu’elle ne me tombât sur la tête.
ÉVANGÉLISTE : – Que vous disait donc ce gentilhomme ?
Le Chrétien raconta alors tout à propos de la conversation qu’il avait eue avec le Sage-Mondain, l’égarement où il était ensuite tombé, et toutes ses suites fâcheuses.
ÉVANGÉLISTE lui dit d’un ton grave :
– Arrêtez-vous un peu, jusqu’à ce que je vous aie mis sous les yeux la Parole de Dieu.
Le Chrétien se tint là devant lui tout tremblant. ÉVANGÉLISTE, continuant, lui dit :
– Prenez garde que vous ne rejetiez celui qui vous parle ; car si ceux qui méprisaient celui qui parlait sur la terre n’ont point échappé, nous serons punis beaucoup plus, si nous nous détournons de celui qui parle des cieux Héb.12.25. Le juste vivra de foi ; mais si quelqu’un se retire, mon âme ne prend point plaisir en lui Héb. 10.38.
Il lui fit ensuite l’application de ces paroles, disant :
– C’est là le malheur où vous êtes tombé. Vous avez commencé à mépriser le conseil du Très-Haut, et à retirer vos pieds du sentier de la paix, et cela au péril de votre âme. Comment échapperez-vous, si vous négligez le grand salut qui vous est offert ?
A ces mots, le Chrétien tomba comme mort au pied de ÉVANGÉLISTE, en s’écriant :
– Malheur à moi, je suis perdu !