À mon épouse Jacqueline tout d’abord, qui a patiemment lu et relu mes textes au fur et à mesure de l’écriture.
A mon cousin Thierry qui a consacré du temps de ses vacances chez moi à corriger ce texte.
A mon ami Jean Luc Dereume, lui aussi pris de passion pour l’écriture, qui m’a convaincu de me lancer dans l’aventure.
A vous tous lecteurs, qui par votre intérêt pour ce livre donner un sens à son existence.
Mis à part l’Afrique, la natalité de l’espèce humaine est en baisse dans le monde entier. On l’explique officiellement essentiellement par des causes sociologiques ou par la régulation des naissances dans certains pays. Mais n’y a-t-il aucune autre cause ?
Des chercheurs Danois ont publié en février 2018 un article scientifique sur la disparition progressive du chromosome Y.
Ce chromosome détermine le sexe mâle d’un individu parce qu’il est porteur du gène SRY (sex determiny region).
Il y a 166 millions d’années le chromosome Y était aussi grand que le chromosome X. Depuis il semble qu’il n’ait fait que diminuer. Dans certaines espèces, il a même totalement disparu. Mais ces espèces gardent cependant des individus mâles et des individus femelles, et la procréation implique toujours la rencontre des deux sexes. Il semble que dans ces espèces, le gène SRY se soit relocalisé sur d’autres chromosomes.
La raison de cette dégradation du chromosome Y pourrait se trouver dans sa présence unique chez l’individu mâle. Le brassage génétique serait ainsi moins constant et la perpétuation de tares génétiques favorisée.
La nature compenserait cette évolution par de fréquents réaménagements structurels et assurerait ainsi la copie du gène assurant une fonction reproductrice correcte.
Ces réaménagements structurels sont un habile mécanisme de protection du patrimoine génétique. C’est aussi une opération délicate qui peut présenter des risques d’erreur de codage. C’est aussi le moment où le patrimoine génétique est le plus vulnérable à des interactions extérieures…
Christian conduisait machinalement. Il venait de quitter l’autoroute et se dirigeait vers La Bastide-Charac. La nature était belle en ce début de printemps et le crépuscule naissant évoquait déjà les belles soirées à venir. Il se surprit d’être déjà presque arrivé chez lui. Il venait de sortir de ses pensées et regardait enfin la route avec le regard attentif du conducteur responsable. Il se fit intérieurement des reproches de s’être laissé imprégner à ce point par ses pensées. Les routes étaient désertes par ici, mais les rares conducteurs avaient tendance à occuper le centre de la route et les collisions frontales n’étaient pas si rares.
Mais il est vrai que le cheminement de son esprit n’était pas banal aujourd’hui.
Récemment un ancien compagnon d’études l’avait contacté pour lui faire une proposition étonnante : devenir membre effectif du bureau de la Société Scientifique de Gynécologie-Obstétrique.
Christian se rappelait leur première rencontre. Leurs noms de famille commençaient par « A » et ils attendaient tous deux de passer l’examen de chimie de première candi de médecine.
Bernard était plongé dans ses notes. Il avait cependant travaillé dur depuis un an. Il bissait et n’avait plus beaucoup de latitudes, il fallait réussir. Christian était plus serein. Il lui semblait avoir travaillé correctement et avait une foi débordante dans sa bonne étoile…
Et, ils s’étaient retrouvés en deuxième session. Bernard éperdument anxieux et Christian un peu penaud. Tout avait bien fini et l’épreuve avait lié les deux étudiants. Christian et Bernard avaient suivi un parcours parfois chaotique mais assez parallèle. Partager l’angoisse des épreuves orales de médecine avait créé des liens de réelle amitié.
Après les études chacun avait mené sa vie professionnelle dans le même sens mais par des chemins différents, et tous deux étaient devenus gynécologues.
Ils se voyaient régulièrement. Ils avaient partagé leurs mariages et leurs divorces respectifs. Petit à petit Christian s’était inquiété de la paranoia naissante de son ami qui se voyait des ennemis partout. Des juges aux experts judiciaires tout le monde conspirait contre lui. Christian s’en était écarté au fur et à mesure qu’il devenait trop négatif sur son entourage. Il gardait cependant des contacts occasionnels avec lui.
C’est donc sans surprise que Christian avait répondu à l’appel téléphonique de Bernard. Il savait que son ami était trésorier de la Société Scientifique de Gynécologie-Obstétrique. Bernard lui expliqua que le bureau devait être partiellement renouvelé prochainement mais que les candidats se faisaient tirer l’oreille. De plus en plus de nos jours ce genre de poste bénévole mais envahissant, n’attirait plus les foules. Christian était en fin de carrière et Bernard savait qu’il commençait à lever le pied progressivement.
Le bureau comptait sept membres. Le président et le vice-président, le trésorier, et le secrétaire qui était flanqué de trois adjoints. Les postes les plus accaparants étaient président et secrétaire. Les secrétaires adjoints secondaient le secrétaire dans des taches bien spécifiques et limitées. Il lui proposait un poste de secrétaire adjoint en l’assurant qu’on ne lui demanderait pas trop de travail. On lui trouverait juste une petite mission qui justifierait son poste.
Christian connaissait la musique et comprit tout de suite que Bernard avait pensé à lui pour son statut de médecin libéral de province. Les universités avaient tendances à se disputer les postes pour des raisons de prestige plus que pour l’intérêt de la profession. De nombreux membres commençaient à s’éloigner de leurs instances officielles qu’ils estimaient ne plus être représentatives.
Christian réfléchit un instant puis accepta assez facilement la proposition. Ce serait un alibi de plus pour ralentir un peu le rythme. Depuis son opération cardiaque, même s’il avait gardé son enthousiasme, il sentait bien que sa résistance n’était plus la même.
Il s’était porté, « spontanément », candidat. Comme il se doit, il avait été élu au cours d’une assemblée générale terne. Elle avait lieu en fin de programme du congrès annuel mais ne réunissait qu’une cinquantaine de participants sur le millier de congressistes. Les autres préférant soit rentrer chez eux, soit retrouver de vieux compagnons.
L’ordre du jour était simple et rapidement épuisé. Le rapport d’activité du président, puis celui du secrétaire. Le rapport annuel des comptes par le trésorier et le vote de la décharge.
Enfin le vote pour le renouvellement de la moitié du bureau.
Deux scrutateurs étaient tirés au sort dans l’assemblée. Ils vérifiaient la validité des candidatures par rapport aux statuts puis assuraient le dépouillement des bulletins de votes. Il y avait cinq candidats pour quatre places, mais pour les deux postes de secrétaire-adjoint, il n’y avait que deux candidats. Il suffisait donc de ne pas subir un vote négatif ce qui n’arrivait jamais. Christian fut donc élu. Le bureau se réunit dans la foulée. Le président fit son petit discours et on rappela son rôle à chacun, surtout pour les nouveaux.
Le secrétaire proposa les charges à répartir sur les adjoints. Arrivé au tour de Christian, comme tacitement convenu, la plupart des charges étaient réparties. Il restait une délégation à une obscure commission d’état indépendante comme il y en avait des centaines dans le pays. De nombreuses commissions ne se réunissaient d’ailleurs quasi jamais ou traitaient de sujets devenus obsolètes. Elles étaient dans le collimateur des gilets jaunes qui agitaient le pays sur de nombreux ronds-points du territoire.
C’était la commission « de surveillance de la natalité ».
Christian accepta. La journée était finie il pouvait rentrer chez lui, La route serait quand même longue.
Et pour l’instant il y avait toujours le risque de tomber sur un barrage de gilets jaunes plus ou moins perturbants.
Il avait à peine fini de se remémorer sa journée qu’il vit le panneau La Bastide-Charac. Il était chez lui. Il aurait une longue journée à expliquer à sa femme.
Une semaine était passée depuis l’élection de Christian au bureau de la Société Scientifique de Gynécologie-Obstétrique. Il avait reçu une lettre de la Société officialisant sa nomination et un mail du secrétaire confirmant que la Commission Indépendante sur la Natalité avait été informée de sa désignation par la Société pour occuper le siège vacant qui leur était attribué.
Christian passait depuis lors des heures sur son ordinateur à explorer Google sur le sujet. La natalité avait de nombreuses facettes. Entre le Japon dont la population décroissait à un rythme impressionnant et la Chine et l’Inde qui organisaient au niveau national la régulation des naissances, on trouvait les états dits industrialisés qui vieillissaient inexorablement mais aussi les pays africains au contraire prolifiques. Et les causes de tout cela ? Christian était surpris de la multitude d’avis en la matière. Se mêlaient les causes économiques, sociologiques, culturelles et parfois politiques. Certaines n’étant pas toujours contradictoires les unes envers les autres. Cependant Christian s’étonnait de cette baisse de natalité uniforme, hormis l’Afrique, dont les causes seraient différentes géographiquement. Que des situations particulières existent d’accord, mais qu’il n’y ait pas un fil conducteur commun le laissait perplexe. Plus le temps passait et plus il en apprenait, plus il se réjouissait de participer à cette commission.
Enfin il reçut le courrier tant attendu. Il était convoqué à sa première réunion pour la semaine suivante. Le lundi à 15h. Voilà qui ne lui laissait guère le temps d’organiser son absence mais qu’importe, il ne serait absent que lundi et mardi. La réunion se tenait évidemment à Paris, au ministère de la Santé.
Christian avait choisi de faire la route le dimanche. Cela représentait quelques cinq cent kilomètres d’autoroute, mais sans camions. Il pourrait ainsi partir à l’aise. Son épouse serait du voyage, toute contente de quitter son trou perdu du Lot. Ils reviendraient le mardi. Ils logeraient comme toujours dans leur petit hôtel à côté de l’église de Saint Germain l’Auxerrois, l’hôtel de la Place du Louvre. L’endroit était agréable et le parking public de la Samaritaine restait ouvert malgré la fermeture du grand magasin. En face c’était le Louvre et la rue de Rivoli et à deux pas les Halles et la rue Coquillière où ils aimaient diner le soir quand ils n’allaient pas de l’autre coté du Forum des Halles au Chien qui Fume.
Le courrier était accompagné d’un formulaire à renvoyer au secrétariat pour les formalités administratives. Il y avait aussi une sorte de contrat qui stipulait les émoluments, non négligeables, pour chaque réunion. Il y avait aussi la liste des frais qu’il pourrait rentrer en plus de ses émoluments avec les limites à ne pas dépasser. Il comprit vite que le budget qu’on lui allouait suffirait largement…
Il partit donc avec son épouse le dimanche vers 10 h. Il se dit qu’il serait à l’hôtel vers 17h sauf imprévu. Il n’y eut pas d’imprévu, les gilets jaunes étaient plus calmes pour l’instant. Ils se contentèrent d’un sandwich à midi. Le temps de s’installer ils allèrent prendre l’apéro rue de l’Arbre Bénit chez Stéphane. C’était un petit bar-tabac-PMU où ils venaient chaque fois qu’ils étaient de passage à Paris depuis quelques années. Ils avaient un jour sympathisé et depuis c’était devenu une tradition de passer au moins une fois chez Stéphane.
Delà ils allèrent manger Au Pied de Cochon le plateau de fruits de mer promis par Christian à son épouse.
Le lendemain après une petite ballade rue du Faubourg St Honoré en fin de matinée, Christian et sa femme mangèrent un repas léger dans une brasserie rencontrée sur leur chemin. Ils se dirigèrent ensuite vers l’Opéra et se quittèrent devant la bouche de métro. Son épouse comptait faire quelques courses aux Galeries Lafayette. Christian lui expliqua longuement par où aller et surtout, ce n’était pas si loin, comment revenir à l’hôtel. Il n’aimait pas la laisser seule, son sens de l’orientation était parfois défaillant. Il fallait prendre la ligne de métro numéro 8 vers Balard. Cela lui rappelait qu’une année pour le rejoindre à la sortie d’un congrès elle avait pris cette ligne comme convenu, mais dans le mauvais sens…
Christian laissait ses pensées vagabonder, le métro roulait de secousses en grincements. C’était une ligne encore équipée de véhicules d’un autre âge, quasi des antiquités. Cela aurait pu avoir du charme mais l’impression de vétusté et l’odeur peu engageante de la voiture lui inspirait plus l’Allemagne de l’est d’avant le mur, que la vie parisienne.
C’est avec soulagement qu’il sortit à la station « Ecole militaire ». Il était arrivé à la rue Duquesne et le grand bâtiment en briques du ministère de la Santé s’élevait à quelques mètres de lui. L’aspect général monotone avec ses nombreuses fenêtres toutes identiques rappelait un hôpital. Au centre, l’entrée était moderne, toute en verre sur deux étages avec un auvent de protection pour les portes d’accès. Cela contrastait avec la façade et évoquait plus un grand hôtel new-yorkais. Un grand panneau au dessus de l’entrée annonçait pompeusement : « Ministère de la Solidarité et de la Santé »
A l’accueil, le planton regarda sa convocation d’un œil perplexe. Il téléphona plusieurs fois avant de pouvoir lui expliquer le chemin à suivre pour trouver le siège de sa commission manifestement peu connue.
Au troisième étage Christian suivit le grand couloir, déchiffrant une à une les plaques nominatives jusqu’à trouver enfin la « Commission Autonome de la Surveillance de la Natalité ». La porte était ouverte, il frappa et entra. La pièce était petite. Il y avait juste un bureau et deux armoires. Derrière le bureau, une femme d’une quarantaine d’année lui sourit :
- Vous êtes le docteur Audran ?
- Oui, cela se voit tant que cela ?
- Non, excusez-moi. Bienvenue à la commission docteur. Vous savez il n’y a quasi jamais personne qui vient ici sauf les commissaires, alors comme vous étiez attendu…
- Vous travaillez à temps plein ici ?
- Non docteur, je suis détachée quatre après-midis par semaine, Sinon je travaille à la comptabilité. Vous savez je n’ai pas beaucoup à faire ici.
Elle haussa les épaules avec un air désabusé.
- Je vais vous faire visiter nos locaux. Ce sera vite fait, il y a mon bureau, à coté à droite le bureau du directeur et à gauche un bureau pour les commissaires. Il n’est jamais occupé, on ne voit les commissaires que lors des réunions de la commission. Comme nos locaux sont trop exigus, les réunions sont organisées dans une des salles de réunion du ministère. Une bonne partie de mon travail est de trouver une salle libre pour vos réunions. Vous savez dans un ministère on se réunit beaucoup…
Elle sourit et s’excusa :
- je ne me suis pas présentée. Anne Courtine. Je suis la secrétaire de la commission. Venez, nous aurons vite fait le tour.
Le bureau des commissaires était plutôt spartiate. Un petit bureau avec retour. Sur le retour, un ordinateur qui n’était manifestement pas de première jeunesse. Un téléphone et une armoire. Au mur un fac-similé de l’ordonnance créant la commission.
Le bureau du directeur était tout aussi exigu que les deux autres. Juste un peu plus encombré.
- Monsieur le directeur, le docteur Audran est arrivé. Docteur je vous présente monsieur Cavignac, directeur exécutif de la commission.
- Docteur Audran, bienvenue à la commission.
L’homme avait dans les quarante ans et paraissait plutôt jovial, d’un abord sympathique de toute façon. Sa poignée de main était franche.
Il pria Christian de s’asseoir et remercia la secrétaire.
- Je vais vous expliquer notre rôle. Nous récoltons les statistiques essentiellement de l’INSEE, mais aussi d’autres sources, concernant la natalité en France. Nous collectons aussi tous les articles de presse ou communiqués concernant la natalité. Mon rôle est de les trier et de les résumer pour transmettre aux commissaires un abstract de ces informations. La commission débat ensuite de cet abstract et reprend les éléments qu’elle juge pertinents pour le ministre. Comme vous le savez ce ministre est actuellement une femme.
- Et à quoi lui sert ce rapport ?
- A elle, probablement pas grand-chose. Mais son cabinet peut en tenir compte par exemple dans le choix des maternités à fermer. Il est aussi probablement transmis à l’Education Nationale pour la planification des écoles.
- J’ai reçu la liste des commissaires, mais je ne connais pas leurs compétences respectives.
- J’allais y venir, je vais vous faire un rapide tour de table ensuite nous rejoindrons la salle de réunion et je vous présenterai à vos homologues.
Il y a d’abord le président. C’est un fonctionnaire délégué par la Caisse d’Allocation Familiale. Mais il annoncera sa démission aujourd’hui. Il sera remplacé par un autre fonctionnaire de la CAF. Mais il faudra réélire un président et je pense que cela occupera plus les commissaires que mes abstracts.
Ensuite il y a un juriste, émanant du ministère de la Justice, monsieur François Rolland. Il n’est pas très assidu et intervient peu, parfois un conseil.
Il y a aussi monsieur Pierre Gustin, de l’agence du Médicament. Il n’est pas très actif non plus.
Le ministère de l’Education Nationale a aussi envoyé un commissaire. C’est un ancien recteur d’académie qui a été mis sur la touche suite à des troubles graves dans son académie. Gérard Lemoine est un homme intéressant mais un peu aigri. Il est cependant assez actif dans la commission.
Il y a le professeur Jérôme Cordier, titulaire de la chaire de Transition Démographique à la faculté d’économie de l’université de Limoges. C’est le plus actif, mais cela se comprend il est dans son domaine. Il voudrait faire plus de cette commission mais se heurte à l’inertie des autres commissaires.
Enfin comme toujours Bercy est présent, mais Laurent Demoustier n’intervient quasi jamais. Il observe…
- Vous avez l’air désabusé en faisant cet inventaire.
- Pas vraiment, mais j’estime que cette commission pourrait avoir un rôle plus dynamique. Le sujet m’intéresse et je suis persuadé qu’il y a un vrai problème pour l’avenir de notre société.
- Je partage entièrement votre avis. Je n’ai aucune formation en cette matière mais depuis mon mandat je me suis investi dans le sujet et j’ai pris conscience des lacunes dans notre connaissance de ce qui est pour moi un problème à venir considérable.
- Docteur, j’espère sincèrement que vous pourrez donner une impulsion nouvelle à cette commission. Vous trouverez sûrement un allié en monsieur Cordier, mais je suis persuadé que d’autres pourraient se révéler si un souffle nouveau stimulait cette commission. Allons les rejoindre.
La secrétaire les accompagnait. Un étage plus bas le directeur ouvrit une porte qui donnait sur une petite salle de réunion. Il y avait déjà quelques personnes qui bavardaient et qui se turent instantanément à leur arrivée.
- Messieurs, je vous présente le docteur Christian Audran, gynécologue, qui rejoint notre commission.
Un homme d’âge mûr s’avança vers lui la main tendue, souriant :
- Bienvenue parmi nous docteur. Je suis Charles Vernet, futur ex-président de la commission. Je vais vous présenter nos collègues.
Et il lui présenta successivement les membres de la commission, tous plutôt d’abord sympathique.
- Il reste monsieur Demoustier qui n’est pas encore arrivé mais il ne devrait pas tarder comme à son habitude. Nous allons nous installer.
Le président siégeait en bout de table, face à la porte d’entrée. Le directeur et la secrétaire s’installèrent à l’autre bout. Les autres se répartirent de part et d’autre de la table. Le président me fit signe de venir à sa droite. A ce moment la porte s’ouvrit et tous les visages se tournèrent vers le nouveau venu.
Quelqu’un dit à mi-voix :
- Faites gaffe, Bercy est parmi nous.
Le président fronça les sourcils mais sourit :
- Entrez monsieur Demoustier, vous savez que vous êtes toujours le bienvenu.
Le dit Demoustier rit de bon cœur et fit le tour de la table pour saluer tout le monde. Le président présenta Christian. L’ambiance était plutôt détendue et cela rassura Christian qui craignait une assistance guindée.
Quand tout le monde fut installé le président prit la parole :
- Bonjour messieurs. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui un nouveau membre le docteur Christian Audran qui nous est délégué par la Société Scientifique de Gynécologie-Obstétrique. En notre nom à tous je lui souhaite la bienvenue.
Son regard s’embua un peu et il continua :
- Les uns arrivent mais d’autres s’en vont. Comme vous le savez sans doute déjà, je prends ma retraite prochainement. Je ne pense pas que mon administration m’aurait retiré mon accréditation auprès de vous pour autant, mais il se fait que je quitte la métropole. J’ai décidé avec mon épouse de rejoindre nos deux filles à Kourou en Guyane où mes deux beaux-fils travaillent pour Ariane. Je vous présente donc ma démission. Je suppose que mon administration enverra un collègue pour me remplacer et je vous souhaite une bonne continuation de notre travail.
Tous applaudirent et le directeur se leva pour faire le tour de la table. Il posa une grosse boite recouverte d’un emballage cadeau et au nom de tous remercia le président.
Le président surpris balbutia quelques mots et entreprit d’ouvrir le cadeau. Dans une solide boite contenant de la paille reposait une petite statue en métal travaillé. Celle-ci de facture ultramoderne représentait une vierge à l’enfant. Ceci émut manifestement le président qui remercia l’assemblée chaleureusement. Il adorait les statues. La secrétaire proposa à chacun du café ou du thé et fit le service.
Le président repris la parole.
- Messieurs nous allons reprendre notre réunion avec son point essentiel, notre rapport annuel. Vous avez tous reçu un exemplaire du projet rédigé par monsieur Cavignac. Avez-vous des remarques à faire. En résumé on peut dire que la situation est semblable à celle de l’an passé.
Personne ne réagit et Christian décida de se lancer.
-Monsieur le président, j’ai lu avec attention le projet de monsieur Cavignac et je pense que c’est un excellent résumé de la situation actuelle mais … Christian respira un grand coup et se jeta à l’eau.
- Sans retirer de la valeur à la qualité du travail, je trouve qu’il se résume trop à un état des lieux statique de la situation.
Le président rétorqua :
- Mais c’est le travail qu’on nous demande. Nous sommes une commission de surveillance.
- Bien sûr monsieur le président mais ne pourrait-on envisager de comparer avec les autres pays ? Je regrette aussi qu’il n’y ait aucun abord médical du problème, mais vous comprendrez que je sois peut-être trop sensible sur ce sujet.
Jérôme Cordier enchaina :
- Je suis d’accord avec notre nouveau collègue, j’ai d’ailleurs déjà soulevé le manque de comparaison avec les autres pays de même que le manque d’analyse fine par région dans notre pays.
Gérard Lemoine approuva :
- En effet nous avons déjà envisagé ce problème mais sans donner suite. C’est intéressant de voir que le docteur Audran qui débarque dans la problématique, mette immédiatement le doigt sur cet aspect des choses. Par contre sur l’aspect médical du problème j’aimerais qu’il développe son idée car je ne vois pas où il veut en venir.
Christian répondit sans hésiter :
- Chers collègues, par l’aspect médical, j’entends les études et progrès faits sur la fertilité dans le sens large. Par exemple une récente étude danoise démontre la réduction progressive dans le temps du chromosome Y. Y a-t-il un rapport avec notre sujet ?
Peut-être, mais cela mérite de s’en inquiéter.
Cette dernière information sembla perturber l’assemblée. Les commissaires parlaient tous en même temps ou s’entretenaient en aparté avec leur voisin. Le président rappela à l’ordre ses collègues et réclama le silence.
- Messieurs, voici une information effectivement intéressante mais je ne sais pas si elle concerne vraiment notre commission qui, je le rappelle, est une commission de surveillance de la natalité. Devons-nous être des observateurs ou devons-nous explorer aussi les causes et les solutions ? Nous devons nous mettre d’accord sur ce point. Par contre je constate que l’idée de comparer notre natalité nationale avec d’autres pays fait du chemin parmi nous et j’en prends acte.
Je propose que monsieur le directeur modifie son rapport en ébauchant un début de comparaison avec d’autres pays en annexe et que nous nous proposions de développer cet aspect des choses dans notre prochain rapport annuel. Pour l’aspect scientifique médical du sujet, je ne pense pas que nous ayons le temps de nous y attacher cette année et je laisse à mon successeur le soin d’en débattre avec vous.
- Monsieur le directeur, pensez-vous pouvoir d’ici un bon mois nous présenter une annexe sur d’autres pays ?
- Parfaitement monsieur le président, du moins si on m’y aide un peu. Monsieur Cordier a peut-être des informations à ce sujet puisqu’il dirige une unité de démographie à l’université de Limoges ?
-Nous sommes plus orienté sur le vieillissement dans mon service mais je m’engage à vous aider monsieur Cavignac.
Le président reprit :
- Voici qui me semble régler le problème. Sommes-nous d’accord sur cette solution messieurs ?
L’assemblée approuva. Le président s’en félicita et évita de soulever le problème de l’abord médical de la fécondité, laissant comme il l’avait évoqué, le futur président se débrouiller avec ce sujet complexe.
- Avant de nous quitter il nous faut encore revenir sur la présidence de notre commission puisque je termine mon mandat ce jour. Y a-t-il un candidat à ma succession ?
Les commissaires ne s’attendaient pas à être confrontés aussi vite au remplacement de leur président. Aucun ne semblait décidé à se proposer. François Rolland, le juriste, demanda la parole.
- Monsieur le président, faut-il prendre cette décision maintenant aussi rapidement alors que nous attendons un nouveau membre qui vous remplacera ? Ne serait-il pas plus judicieux de l’attendre.
- Cher monsieur Rolland, je comprends votre réaction très juridique mais je vous signale que mon mandat se termine ce jour et que ma hiérarchie n’a pas encore pris la décision de me remplacer, du moins à ma connaissance. Vous connaissez l’administration, ce sera peut-être long. Il n’y a donc pas de raison de laisser la commission sans président pour un temps indéterminé.
- Je comprends très bien votre position monsieur le président. Je n’ai pas d’objection de principe, je voulais juste soulever le problème. Mais il est évident que si vous n’êtes pas encore remplacé par votre administration il n’y a pas de raison d’attendre.
Le président acquiesça et regarda un a un tous les membres de la commission ?
- Je vous suggère une solution. Désignons un président ad intérim jusqu’à ce que la situation de mon siège soit réglée. Ceci est probablement très « politique » mais permettra à monsieur Rolland d’étudier plus attentivement la situation juridique.
L’assemblée approuva immédiatement et le président repris la parole, bien décidé à garder l’avantage.
- Messieurs, la proposition du docteur Audran d’étendre nos investigations vers l’aspect médical du problème me séduit en fin de compte. Qui mieux que lui pourrait entamer ce virage pour notre commission ? S’il accepte, je vous propose de voter sa nomination. Personnellement je m’abstiendrai en raison de mon statut de démissionnaire.
Après un moment de surprise, tous les regards se portèrent sur Christian. Sans réfléchir plus loin Christian fit un signe de tête approbateur :
- Je serais très honoré, messieurs.
Immédiatement Jérôme Cordier marqua son accord, suivi de Gérard Lemoine. Après un moment de suspense, Laurent Demoustier fit un signe d’approbation de la tête. Les deux derniers commissaires suivirent immédiatement.
- Messieurs, merci pour votre vote. Docteur Audran vous êtes à présent président de cette commission, soyez assuré de tout mon soutien. Notre directeur monsieur Cavignac, que je remercie de son excellente collaboration, vous informera des détails de votre travail qui rassurez-vous n’est pas titanesque. Messieurs merci de votre présence. La séance est levée, nous nous retrouverons pour discuter du rapport modifié d’ici peu.
Uns à uns les commissaires se levèrent et saluèrent leurs collègues puis quittèrent la pièce. Christian avait rejoint le directeur qui lui proposa d’aller boire un verre ailleurs. Jérôme Cordier s’était rapproché et demanda pour les accompagner. Plus loin Laurent Demoustier discutait avec le président sortant. Les deux hommes se séparèrent et le président s’éclipsa. Demoustier rejoint le petit groupe.
- Alors on complote ? Attention Bercy écoute, dit-il en riant.
Christian lui répondit en souriant qu’ils envisageaient d’aller comploter au bistrot et l’invita à se joindre à eux. Laurent Demoustier accepta volontiers d’une petite courbette.
Les quatre hommes quittèrent la salle. Ils passèrent au bureau de la commission où le directeur reprit quelques affaires puis quittèrent le ministère.
- Il y a un bistrot sympa derrière le pâté de maison, face aux Invalides, nous y serons plus à l’aise que à côté du ministère.
Le quatuor était sorti du ministère et se dirigeait deux par deux vers les Invalides. Christian discutait avec Jérôme Cordier et Eric Cavignac suivait avec Laurent Demoustier qui semblait moins réservé que d’habitude.
Ils entrèrent dans la brasserie et s’installèrent derrière la vitre face aux Invalides. Il faisait beau et le dôme doré resplendissait au soleil. Il n’y avait pas trop de monde juste avant la sortie des bureaux. Christian commanda une bouteille de Quincy en l’honneur de sa nomination à la présidence de la Commission. Les quatre levèrent leur verre et trinquèrent à cette promotion. Christian prit la parole :
- Si je comprends bien monsieur Cavignac, c’est vous qui faites l’essentiel du travail, les commissaires apportant essentiellement leur approbation à vos rapports.
- C’est exact mais cela me parait normal. Nous sommes une commission de surveillance, nous n’avons pas de mandat pour commenter les résultats que nous collectons.
- Mais si nous décelions une anomalie et parallèlement sa cause, nous pourrions en faire état.
- Cela peut se défendre. A quoi penser vous ?
- L’étude danoise est intéressante à plus d’un titre si on y réfléchit. D’abord elle semble démontrer, je suis prudent, qu’il y a une érosion dans un des mécanismes à la base de la reproduction humaine. Mais cette évolution s’étend sur des millions d’années et devrait donc être imperceptible à notre échelle de temps. Donc dans cette hypothèse, soit le phénomène s’accélère, soit il y a autre chose. Ensuite nos statistiques mondiales montrent des anomalies si on observe des pays comme la Chine ou l’Inde qui ont instauré un contrôle des naissances. Malgré ce contrôle, la population s’accroit par l’augmentation de l’espérance de vie. Il serait intéressant d’analyser finement ce phénomène pour voir si c’est bien le contrôle des naissances qui explique SEUL la dénatalité. Enfin il faut expliquer le problème de l’Afrique qui va à contre-courant.
- Monsieur le président…
- Allons Eric appelez-moi Christian, nous sommes embarqués ensemble dans une tâche passionnante.
- D’accord Christian, il me semble que vous êtes effectivement passionné par votre nouvelle