Copyright © 2020 Benjamin Franklin (domaine public)

Traduction : Thomas-François Dalibard (1752)

Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-point des

Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne.

ISBN : 9782322178711

Dépôt légal : octobre 2020

Tous droits réservés

EXPÉRIENCES ET OBSERVATIONS SUR

L'ÉLECTRICITÉ FAITES À PHILADELPHIE EN

AMÉRIQUE PAR M. BENJAMIN FRANKLIN; &

communiquées dans plusieurs Lettres à M. P. COLLINSON,

de la Société Royale de Londres.

Traduites de l'Anglois.

SECONDE ÉDITION

Revue, corrigée & augmentée d'un supplément considérable

du même Auteur, avec des Notes & des Expériences nouvelles.

Par M. d'ALIBARD.

TOME PREMIER.

A PARIS Chez DURAND, rue du Foin, au Griffon.

M. DCC. LVI.

Avec Approbation & Privilége du Roi.

À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME MONSEIGNEUR LE COMTE DE LA MARCHE.

MONSEIGNEUR,

La permission que VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME veut bien me donner de faire paroître cette Traduction sous son auguste nom, est une suite des bontés dont Elle a daigné m'honorer dès sa plus tendre jeunesse. Cet hommage public est en même tems un tribut de ma reconnoissance & de l'ancien & très-respectueux attachement que j'ai toujours eu pour la personne de VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME. Son amour pour les Sciences, la protection qu'Elle accorde ouvertement aux Lettres & à ceux qui les cultivent, l'application qu'Elle donne Elle-même à l'Étude, son goût pour la Physique, l'attention avec laquelle Elle se fait rendre compte des nouvelles découvertes, sont autant d'autres motifs qui m'en imposent la loi. Trop heureux, MONSEIGNEUR, de pouvoir aujourd'hui réunir un devoir avec les vrais sentimens de mon coeur.

Je suis avec un très-profond respect,

MONSEIGNEUR, DE VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME,

Le très-humble & très-obéissant serviteur, D'ALIBARD.

Sommaire

AVERTISSEMENT.

Monsieur Franklin, habitant de Philadelphie dans la Colonie Angloise de Pensylvanie en Amérique, est l'Auteur des Lettres suivantes sur l'Électricité. M. Collinson son ami & son correspondant à Londres, à qui elles sont adressées, les a jugées dignes de l'impression. Elles étoient sous la presse, lorsqu'il en informa M. Franklin; celui-ci, qui ne les avoit pas écrites à cette intention, se pressa d'envoyer à son ami quelques changemens, qui n'étant pas arrivés à tems, ne purent être mis que comme additions & corrections à la fin de l'ouvrage. Il pria en même tems M. Collinson d'en envoyer un des premiers exemplaires à M. de Buffon, qui jugea de ces Lettres, comme on en avoit jugé en Angleterre où elles ont eu un applaudissement général. Occupé d'ouvrages bien plus importans dont il ne veut pas se distraire, M. de Buffon m'a engagé à les faire paroître en François. Il ne s'agissoit que de rendre exactement des choses simples, aussi ne s'est-on attaché qu'à les traduire littéralement, à bien rendre le sens de l'Auteur & à éclaircir les endroits qui ont paru un peu obscurs dans l'original. Pour la commodité des lecteurs, on a rapporté en notes au bas des pages, les changemens que Mr. Collinson avoit fait imprimer comme additions & corrections à la suite des Lettres.

Quoique la plupart des Physiciens se soient exercés depuis plusieurs années sur la matière de l'électricité: quoique leur zèle ait été récompensé par des succès assez brillans, on verra par les recherches & par les découvertes de M. Franklin, que cette matière est encore neuve à bien des égards. On sentira en même tems qu'il y a cependant lieu d'espérer qu'en multipliant, à son exemple, les expériences & les observations dans des vûes nouvelles, on parviendra un jour à pénétrer un mystère qui n'importe peut-être pas moins à l'utilité commune qu'à la la curiosité de l'esprit. On y arrivera même d'autant plus vite & plus sûrement, qu'on se hâtera moins de hazarder des systèmes. On n'a pas encore assez de faits sur ce sujet pour qu'il soit permis d'y joindre des hypothèses.

«C'est (dit M. de Buffon[1]) par des expériences fines raisonnées & suivies que l'on force la nature à découvrir son secret; toutes les autres méthodes n'ont jamais réussi, & les vrais Physiciens ne peuvent s'empêcher de regarder les anciens systèmes comme d'anciennes rêveries, & sont réduits à lire la plupart des nouveaux comme on lit les Romans. Les recueils d'expériences & d'observations sont donc les seuls livres qui puissent augmenter nos connoissances. Il ne s'agit pas, pour être Physicien, de sçavoir ce qui arriveroit dans telle ou telle hypothèse, en supposant, par exemple, une matière subtile, des tourbillons, une attraction, &c. Il s'agit de bien sçavoir ce qui arrive, & de bien connoître ce qui se présente à nos yeux; la connoissance des effets nous conduira insensiblement à celle des causes, & l'on ne tombera plus dans les absurdités qui semblent caractériser tous les systèmes; en effet l'expérience ne les a-t-elle pas détruits successivement? ne nous a-t-elle pas montré que ces élémens que l'on croyoit autrefois si simples, sont aussi composés que les autres corps? ne nous a-t-elle pas appris ce que l'on doit penser du chaud, du froid, du sec & de l'humide, de la pesanteur & de la légèreté absoluë, de l'horreur du vuide, des loix du mouvement autrefois établies, de l'unité des couleurs, du repos & de la sphèricité de la terre, & si je l'ose dire des Tourbillons? Amassons-donc toujours des expériences & éloignons-nous, s'il est possible, de tout esprit de système, du moins jusqu'à ce que nous soyons instruits, nous trouverons assûrément à placer un jour ces matériaux, & quand même nous ne serions pas assez heureux pour en bâtir l'édifice tout entier, ils nous serviront certainement à le fonder, & peut-être à l'avancer au-delà même de nos espérances.» C'est cette méthode que M. Franklin a suivie à l'imitation du grand Newton & des plus excellens Physiciens, méthode qui doit suffire pour prévenir le public en faveur de l'ouvrage qu'on lui présente.

[Note 1: Fréf. de la Statiq. des Végét.]

Mais il ne suffit pas de s'attacher uniquement à la voye de l'expérience, à moins que d'être, comme notre auteur, fécond en moyens, ingénieux en découvertes & heureux en applications; il ne faut pas, comme tant d'autres Physiciens sans génie, se permettre de tirer des inductions qui ne sont ni justes ni naturelles, déduire des conséquences qui ne sont fondées que sur des suppositions vagues & étrangères au sujet. Il faut au contraire dans une matière aussi nouvelle que l'est celle-ci, se contenter de considérer les faits sous de nouveaux points de vûe, pour tâcher de les généraliser & d'en former un ordre systématique & suivi. C'est ce qu'a fait M. Franklin. Instruit, par exemple, des effets surprenans de la bouteille électrique, le premier objet qu'il s'est proposé, a été d'examiner comment elle acquiert la vertu électrique, comment elle la conserve, quoiqu'on la touche, & comment elle la communique. Ayant toujours l'expérience & l'observation pour guides, il a bientôt reconnu que l'électricité est inhérente & inséparable de la matière: que le verre en contient autant qu'il en peut contenir, & toujours la même quantité: qu'électriser la bouteille, ce n'est pas y faire entrer plus de matière électrique qu'elle n'en avoit auparavant, mais accumuler sur une de ses surfaces autant de cette matière qu'il y en a dans les deux surfaces ensemble, ce qui ne se fait que parce que l'une en rejette précisément la même quantité que l'autre en reçoit: que les deux surfaces de la bouteille électrisée sont toujours prêtes l'une à rendre ce qu'elle a de plus, & l'autre à recevoir ce qu'elle a de moins que sa quantité naturelle: qu'elles ne peuvent le faire l'une sans l'autre: que l'équilibre ne sçauroit se rétablir entr'elles par la communication intime de l'une à l'autre, mais seulement par une communication extérieure non électrique: qu'ainsi la bouteille reste chargée tant que cette communication extérieure n'est pas établie, & qu'enfin l'électricité ne sçauroit être communiquée par la bouteille, qu'autant que cette bouteille reçoit par une voye la même quantité de matière électrique qu'elle donne par l'autre.

Ces premières connoissances ont conduit notre auteur à trouver les moyens de faire paroître l'électricité de deux manières tout-à-fait opposées, l'une en augmentant l'électricité naturelle dans les corps que nous nommons non-électriques, & il appelle cette augmentation électricité positive; l'autre en diminuant l'électricité naturelle; il nomme celle-ci négative. De là sont venus les termes nouveaux électriser en plus, électriser en moins, dont les significations répondent assez bien à celles qu'ils ont dans l'algèbre.

L'analyse de la bouteille électrique à achevé de confirmer M. Franklin dans l'opinion où il étoit dès auparavant que l'électricité dans cette bouteille est attachée au verre précisément comme verre, & que les corps non-électriques qu'on y ajoute ne servent que, comme l'armure d'une pierre d'aimant, à unir les particules de la matière électrique surabondante, & à les tenir rassemblées sur l'une des surfaces du verre, étant toujours prêtes à s'échapper par le premier endroit où elles trouveroient passage pour aller à l'autre. En conséquence de ces découvertes; il a imaginé quantité d'autres expériences dont l'enchaînement & le résultat sont la confirmation des premières & l'apologie de son jugement. Néanmoins quelques justes que soient ses idées, quoiqu'elles soient toutes appuyées sur des faits, l'auteur ne les propose que comme des conjectures, & l'on verra que sa modestie est égale à sa pénétration. Mais ce seroit s'écarter de la retenuë dont il donne l'exemple, que de chercher à faire valoir son mérite par des louanges dont il n'a pas besoin, & qui ne pourroient être que suspectes de la part d'un traducteur. Il vaut mieux le laisser lire & s'en rapporter au jugement du public.

Le pays qu'abite M. Franklin est des plus favorables pour les expériences électriques; autant les chaleurs y sont excessives en été, autant le froid y est rigoureux en hyver; l'on passe subitement de l'un à l'autre sans presque s'appercevoir ni de la douceur du printems, ni de la température de l'automne. Le vent sud ou nord amène les deux saisons opposées; mais dans l'une & dans l'autre on y jouit presque toujours du plus beau ciel. Les nuages épais y dérobent rarement la vûe du soleil & des étoiles: les pluyes n'y sont jamais de longue durée, & les brouillards y sont presque inconnus. Ainsi la sécheresse du tems & la froideur du vent du nord contribuent beaucoup à y rendre plus sensibles la force & les effets de l'électricité. On en trouvera des preuves incontestables dans plusieurs endroits cet ouvrage. Malgré la différence de climat, je n'ai pas voulu publier cette traduction, sans avoir du moins essayé de répéter les expériences qui y sont rapportées; après avoir parfaitement réussi à faire celles que j'ai jugées les plus intéressantes & les plus difficiles dans l'exécution, quelques-unes m'ont paru mériter que j'en fisse hommage à l'Académie Royale des Sciences. Je lui rendis compte le 22. Décembre 1751. de mon succès dans les expériences du tableau magique & de la fusion des métaux; j'y fis voir des lames de verre sur lesquelles on distinguoit aisément l'or, l'argent, le cuivre & l'étain que l'électricité avoit par sa violence incorporés dans la substance même du verre. J'avois employé pour me procurer le puissant dégré d'électricité nécessaire, une bouteille de verre blanc & mince tenant environ deux pintes dont j'avois fait argenter extérieurement le fond jusqu'au milieu de sa hauteur, & j'y avois mis à peu près quinze livres de menu plomb bien sec.

Ces métaux sont sur ces lames dans un état de vitrification, inattaquables à l'eau forte & à l'eau régale, suivant les épreuves que j'en avois faites auparavant d'après les assurances de M. Franklin. Enfin ces expériences aussi bien que beaucoup d'autres, avoient si pleinement satisfait à mes désirs, eu égard au tems, à la saison & au climat, qu'elles ne laissoient nullement lieu de douter de la certitude de celles que je n'avois pas encore tentées.

Dès que la première édition de cette traduction fut achevée, j'en envoyai un exemplaire à M. Franklin, ce qui me mit en correspondance directe avec lui. Je lui fis part dans le tems, du succès de mon expérience sur le tonnerre, & lui envoyai le mémoire que j'en avois donné à l'Académie Royale des Sciences le 13. Mai 1752. tel qu'il est dans le second volume de cet ouvrage; il en fut charmé & m'envoya avec sa réponse, son premier supplément, dont je vérifiai pareillement les expériences. Le second ne m'a été rendu que long-tems après.

J'ai trouvé dans cette dernière brochure d'excellentes observations à opposer aux critiques qui avoient paru contre mon auteur, & auxquelles j'avois entrepris de répondre; c'est ce qui m'a engagé à resserrer ce que j'avois écrit dans ce dessein, pour ne pas multiplier les êtres sans nécessité. Je me suis contenté d'ajouter à la suite des principales expériences critiquées quelques-unes des réponses dont j'avois eu intention de faire un ouvrage séparé. Au lieu d'être mises en notes, elles y sont distinguées par des guilmets, ce qui m'a semblé plus commode pour les lecteurs. Les expériences contenuës dans ce second supplément ne sont pas moins sûres que celles qui avoient été publiées auparavant. Elles ont été répétées avec le même succès. Sans avoir égard aux dates des lettres, je les ai arrangées tout différemment de ce qu'elles étoient dans la première édition de cet ouvrage; j'en ai même partagé quelques-unes en plusieurs fragmens que j'ai placés suivant l'ordre des matières: c'est dans la même vûe que j'ai mis une suite uniforme aux paragraphes.

Enfin je n'ai rien négligé pour répandre dans cette seconde édition toute la clarté qui a pû dépendre de mes soins. Ils se trouveront bien récompensés, si les changemens que j'ai faits du consentement de Mr. Franklin, sont approuvés du public.

Au reste j'ai pensé que ceux qui n'ont pas fait une étude particulière de l'électricité seroient bien-aises d'en connoître les progrès depuis son origine jusqu'aux découvertes de M. Franklin. L'histoire qu'en a faite M. de Secondat pour l'Académie de Bordeaux en 1748. me rendoit ce travail facile; on verra que j'ai profité de cet excellent ouvrage; j'y ai ajouté des choses ou qui n'étoient pas venuës alors à la connoissance de M. de Secondat, ou qu'il avoit crû devoir négliger, & j'y ai joint les découvertes qui ont été faites sur le même sujet depuis son histoire jusqu'à présent. J'espère qu'en allant par cette voye à mon objet principal, qui est de mettre les Lecteurs en état de mieux juger du mérite de mon auteur, & de la valeur de son ouvrage, je ne leur laisserai rien à désirer sur les faits principaux de l'électricité.

HISTOIRE ABRÉGÉE DE L'ÉLECTRICITÉ.

La première chose qui a fait reconnoître l'Électricité, est la vertu d'attirer que l'on a remarquée en certains corps, après qu'ils ont été frottés. Le premier de tous, dans lequel ont ait observé cette vertu, c'est l'ambre jaune connu des anciens sous le nom d'Electrum; c'est de ce nom que cette vertu a retenu celui d'Électricité, & l'on appelle corps électriques ceux qui en sont pourvûs. Il seroit difficile & peut-être impossible de déterminer le tems où l'on a observé pour la première fois que l'ambre-jaune, après avoir été frotté, attire les brins de paille dont on l'approche. Ce qu'en disent quelques-uns des auteurs anciens qui en ont fait mention, comme Thalès de Milet, Plutarque, Pline, &c. prouve que l'observation de ce phénomène est très-ancienne, aussi ne se trouve-t-il guères de traités de Physique où il n'en soit parlé; mais personne que l'on sçache ne s'étoit avisé de faire sur ce sujet des recherches suivies avant Gilbert médecin Anglois qui vivoit vers l'an 1600. après avoir recueilli sur l'aimant les découvertes de ceux qui l'avoient précédé & avoir fait lui-même un grand nombre d'observations nouvelles sur les propriétés de cette merveilleuse pierre, il crut devoir considérer les propriétés de l'Electrum qui paroissent avoir du rapport à celles de l'aimant. Il avoit pû d'abord regarder cette résine comme une espèce d'aimant dont la vertu a besoin d'être excitée par le frottement. Quoi qu'il en soit, il parle de cette vertu comme d'une chose que l'on connoissoit de tout tems. On avoit aussi reconnu la même propriété dans le Jayet, mais cette remarque étoit récente. Il s'agissoit de la chercher encore dans d'autres corps, c'est à quoi il s'appliqua. L'ambre-jaune étoit mis alors au rang des choses les plus précieuses; il servoit à l'ornement des autels & aux parures inventées par le luxe. Le Jayet étoit aussi une matière fort estimée; avant l'invention des glaces on l'employoit à faire des miroirs.

Gilbert, qui avoit tant étudié toutes les propriétés de l'aimant, avoit sans doute remarqué qu'il falloit une moindre force pour mettre en mouvement une aiguille mince & légère posée en équilibre sur un pivot bien poli, comme sont les aiguilles aimantées, que pour élever d'une seule ligne un corps beaucoup plus léger. C'est pourquoi il se servit habilement de ce moyen pour reconnoître l'électricité dans les substances où elle est trop foible pour se manifester d'une autre manière. «Faites, dit-il, une aiguille de quelque métal que ce soit, de la longueur de deux ou trois pouces, légère & très-mobile sur un pivot, à la manière des aiguilles aimantées: approchez d'une des extrémités de cette aiguille de l'ambre jaune ou une pierre précieuse légèrement frottée, luisante & polie, l'aiguille se tournera sur le champ.» Ce fut vraisemblablement par ce moyen qu'il reconnut que non-seulement l'ambre & le jayet ont cette propriété d'attirer, mais qu'elle est commune à la plupart des pierres précieuses, comme le diamant, le saphir, le rubis, l'opale, l'améthyste, l'aigue-marine; le cristal de roche: qu'on la trouve aussi dans le verre, la bélemnite, le soufre, le mastic, la cire d'Espagne, la résine, l'arsenic, le sel-gemme, le talc, l'alun de roche. Toutes ces différentes matières, quoiqu'avec différens dégrés de force, lui parurent attirer non-seulement les brins de paille, mais tous les corps légers, comme le bois, les feuilles, les métaux en limaille ou en feuille, les pierres, les terres, & même les liqueurs comme l'eau & l'huile.

La Physique est encore redevable à Gilbert de beaucoup d'autres observations sur l'Électricité. C'est lui qui nous a appris qu'elle est plus facilement excitée par un frottement léger & rapide que par un frottement plus rude: que le tems le plus sec & le vent de nord le plus froid sont les plus favorables pour l'Électricité: que l'humidité de l'air & à plus forte raison le souffle des animaux l'affoiblissent & même la détruisent en peu de tems: que l'eau produiroit le même effet, si l'on moüilloit le corps électrique: qu'une toile mise entre ce corps & celui qu'on veut attirer, empêche totalement l'attraction: qu'une étoffe de soye placée de même ne l'empêche pas entièrement: que les corps électriques n'attirent point la flamme d'une bougie, mais attirent fortement la fumée de cette bougie éteinte.

Pour expliquer les phénomènes de l'électricité, ceux de l'aimant, & ceux de la pésanteur, Gilbert imagina des hypothèses ingénieuses, auxquelles pourtant il se fioit moins qu'à ses expériences. L'attraction, suivant son opinion, est causée par des écoulemens très-subtils; l'air est l'écoulement électrique de la terre & l'instrument de la pésanteur. C'est peut-être sur cette idée de Gilbert que le célèbre Otto de Guerike s'avisa de faire des observations sur un globe de soufre qu'il excitoit à l'électricité par un mouvement qui imitoit en quelque forte celui de la terre.

Otto de Guerike, dit l'ingénieux M. Dufay dans son premier mémoire sur l'électricité, a imaginé de faire tourner sur son axe par le moyen d'une manivelle, une boule de soufre grosse comme la tête d'un enfant. Cette boule étant muë avec rapidité, si l'on applique la main dessus elle devient électrique & attire les corps légers qui lui sont présentés; si on la détache de la machine sur laquelle elle a dû être posée pour la faire tourner & qu'on la tienne à la main par l'axe, non-seulement elle attire une plume, mais elle la repousse ensuite, & ne l'attire plus de nouveau que la plume n'ait touché quelqu'autre corps. Il remarque que la plume ainsi chassée par le globe attire tout ce qu'elle rencontre, ou va s'y appliquer, si elle ne peut pas l'attirer vers elle; mais que la flamme d'une chandelle la chasse & la repousse vers le globe.... Si l'on suspend un fil dessus du globe, ensorte qu'il ne le touche point, & qu'on approche le doigt du bout inférieur de ce fil, on verra le fil s'éloigner du doigt. Il a aussi remarqué que la vertu électrique du globe se transmettoit par le moyen d'un fil jusqu'à la distance d'une aune, & que lorsque le globe avoit été rendu électrique par la rotation & par la main appliquée au-dessus, il conservoit sa vertu pendant plusieurs heures. Tenant l'axe de ce globe dans une position verticale, il promenoit une plume par toute la chambre; sans qu'elle s'appliquât au globe.» Il remarqua aussi que le globe frotté dans l'obscurité répandoit de la lumière.

Otto de Guerike avoit pour contemporain & pour émule le fameux Boyle à qui nous avons obligation d'un si grand nombre de belles découvertes. Ce dernier chercha & trouva la vertu électrique dans un grand nombre de corps où Gilbert ne l'avoit point cherchée, & dans quelques-uns de ceux où il l'avoit cherchée inutilement. Pour éprouver si l'air avoit quelque part à l'électricité, il suspendit dans une fiole au-dessus d'un corps léger un morceau d'ambre-jaune excité à l'électricité; ayant ensuite pompé l'air de la fiole, il laissa descendre l'ambre-jaune près du corps léger, qui fut attiré. Il reconnut par-là que la vertu électrique une fois excitée se conserve dans le vuide, & que son action ne dépend point de l'air.

M. Boyle avoit fait beaucoup de recherches sur les corps qui donnent de la lumière dans l'obscurité, en particulier sur le ver luisant; y ayant emprunté un diamant qu'on disoit avoir la propriété d'être lumineux dans les ténèbres, il observa que ce diamant étant frotté dans l'obscurité contre quelqu'étoffe que ce fût, devenoit en effet non-seulement lumineux, mais encore électrique, comme l'avoit observé Gilbert. Il reconnut bientôt les mêmes propriétés dans plusieurs autres.

L'Électricité resta long-tems négligée après Boyle; mais les grandes découvertes de Newton sur les propriétés de la lumière & sur le système de l'attraction engagèrent vraisemblablement Hauksbée de la Société Royale de Londres à faire des recherches sur les mêmes sujets & sur l'électricité. Ayant inventé une machine pour faire tourner rapidement un corps sous le récipient de la machine pneumatique, il s'en servit pour faire frotter dans le vuide un morceau d'ambre jaune contre de la laine. Ce frottement produisit une lumiére beaucoup plus vive que le même frottement dans l'air; après l'opération l'ambre jaune, aussi bien que la laine lui parurent un peu brûlés.

On avoit sans doute remarqué que de tous les corps électriques, le verre est un de ceux en qui le frottement excite une plus forte électricité. Hauksbée s'avisa d'employer dans ses expériences un tube ou cylindre creux de verre. En le frottant rapidement dans sa main, un papier entre-deux, il le rendoit électrique, & faisoit par son moyen toutes les expériences qu'Otto de Guerike avoit faites avant lui avec un globe de soufre. Il observa de plus qu'un tube dont on a pompé l'air, ne s'électrise que très-foiblement, & que si on y laisse rentrer l'air il acquiert beaucoup d'électricité sans être frotté de nouveau. Quand on frotte un tube dans l'obscurité, une lumière fuit la main qui frotte, & si l'on approche de ce tube ainsi excité une autre main, ou quelqu'autre corps, comme du métal, de l'yvoire, du bois, &c. il en sort une étincelle accompagnée d'un bruit assez semblable au pétillement d'une feüille verte jettée au feu, mais moins fort. Quand on frotte le tube vuide d'air, la lumière est plus vive, mais toute dans son intérieur, & l'on n'en peut tirer d'étincelle.

Hauksbée imagina aussi de faire tourner sur son axe un globe creux de verre par le moyen d'une rouë & d'une corde qui passe sur la circonférence de cette rouë & sur une poulie fixée sur l'axe du globe. Il excita l'électricité en frottant ce globe, mais il n'en tira pas de plus grands effets que de son tube. L'électricité qui jusques-là ne s'étoit manifestée que par le frottement, Hauksbée la découvrit dans une substance qui n'avoit point été frottée; il remarqua que si on laisse refroidir de la résine qui a été fondüe, & que, si, avant qu'elle soit tout-à-fait refroidie, on en approche du cuivre en feüilles, elle l'attire à la distance d'un pouce ou deux, sans aucun frottement précédent.

M. Gray continua avec succès les recherches électriques de Boyle & de Hauksbée; ayant voulu éprouver s'il y avoit quelque différence dans l'attraction du tube lorsqu'il étoit bouché par les deux bouts & lorsqu'il ne l'étoit pas, il n'en apperçut aucune; mais comme il tenoit une plume ou duvet au-dessus du bouchon de liége dont le bout supérieur du tube étoit bouché, il remarqua que cette plume étoit attirée & ensuite repoussée par le liége de la même manière qu'elle a coutume de l'être par le tube. Cette observation le confirma dans une pensée qu'il avoit euë autrefois, que, comme le tube frotté dans l'obscurité communique de la lumière aux autres corps par l'attouchement, il pouvoit bien aussi leur communiquer de l'électricité. Le liége effectivement n'avoit cette vertu attractive que par communication du tube excité à l'électricité. Il s'en assura encore d'une autre façon: ayant fixé au bout d'un bâton de sapin d'environ quatre pouces de long une boule d'yvoire d'un peu plus d'un pouce de diamètre, il enfonça l'autre bout du bâton dans le bouchon de liége: ayant ensuite frotté le tube, il vit avec plaisir que la boule attiroit & repoussoit le duvet avec plus de force que n'avoit fait le liége. Il répéta cette expérience avec des bâtons plus longs & enfin avec un de vingt-quatre pouces, & trouva toujours les mêmes effets.

Au lieu de bois M. Gray se servit dans la suite d'un fil de fer, puis d'un fil de laiton, & eut encore le même succès; mais comme les vibrations de ces fils de fer, & de laiton, causées par le frottement du tube, étoient incommodes, surtout lorsque les fils étoient longs de deux ou trois pieds, il imagina de suspendre la boule à l'extrémité d'une ficelle nouée au tube par son autre extrémité; étant sur un balcon élevé de trente-six pieds, il laissa pendre la boule ainsi attachée au tube par le moyen d'une ficelle de cette longueur; le tube étant frotté, la boule attira & repoussa du cuivre en feuilles qui étoit au-dessous d'elle.

M. Gray essaya ensuite de transmettre en ligne horizontale l'électricité à de bien plus grandes distances; il y réussit d'abord en se servant pour cela d'une ficelle soutenuë horizontalement à quelque distance de terre sur des fils de soye, & transmit l'électricité à cent quarante pieds; mais comme il vouloit pousser plus loin son expérience, les fils de soye s'étant rompus, il leur substitua des fils-d'archal de la même finesse; car il s'imaginoit que le succès de l'expérience dépendoit de la finesse de ces fils, qu'il croyoit trop minces pour pouvoir intercepter une partie sensible de la force électrique communiquée par le tube à la ficelle & à la boule. Quand il vint à frotter le tube, l'électricité ne fut point transmise à l'extrémité de la ficelle. Il reconnut de là que le succès de la première expérience ne venoit pas de la finesse des fils de soye, puisque les fils-d'archal de la seconde étoient aussi minces, mais qu'il venoit de la nature même de la soye. Instruit par ce contre-tems M. Gray vint depuis à bout de transmettre l'électricité à une distance de sept cens pieds.

Il découvrit encore que la communication de l'électricité pouvoit se faire par la seule approche du tube, sans qu'il touchât le corps auquel on vouloit la communiquer. Ayant suspendu horizontalement un enfant sur des cordons de crin, en approchant de ses pieds le tube bien frotté, il l'électrisa au point que son visage & ses mains attirèrent des feüilles de cuivre. Il plaça cet enfant debout sur deux pains de résine d'environ huit pouces de diamètre & deux pouces d'épaisseur, un sous chaque pied. Ayant ensuite approché le tube bien frotté des cuisses de l'enfant, ses mains attirèrent & repoussèrent alternativement des feüilles de cuivre que l'on avoit mises au-dessous.

Mr. Dufay de l'Académie Royale des Sciences, informé des découvertes de M. Gray, se mit aussi à travailler sur l'électricité. Après un nombre infini d'expériences dont on n'indiquera que les principales, il nous a appris qu'il n'y a point de corps, à l'exception des métaux & des animaux qui ne soit électrique. Les métaux & les animaux s'électrisent fortement ou deviennent fortement électriques, lorsqu'étant soutenus sur des cordons de soye ou de crin, sur des gâteaux de résine, sur du verre, &c. on en approche le tube excité à l'électricité. On doit donc entendre par corps électriques ceux qui le sont naturellement qui n'ont besoin que d'être frottés pour en donner des preuves, & par corps non-électriques ceux qui ne peuvent devenir électriques que par communication, comme sont les métaux.

En répétant avec un tube de verre & des feüilles d'or une expérience d'Otto de Guerike, dans laquelle une petite plume avoit été attirée, repoussée & soutenuë en l'air au-dessus du globe de soufre, M. Dufay observa que la feüille d'or alla s'attacher à un morceau de gomme-copal qu'il lui présentoit & y demeura. Cela lui fit soupçonner que l'électricité de la gomme-copal étoit différente par sa nature de l'électricité du verre, puisque l'une attiroit ce que l'autre repoussoit. Cette observation le porta à faire plusieurs autres expériences, d'où il crut pouvoir conclure qu'il y avoit en effet deux sortes d'électricités. Il nomma l'une vitrée & l'autre résineuse; mais les Physiciens n'ont pas admis cette distinction. On verra cependant dans la suite de cet ouvrage qu'elle est bien fondée, & qu'un globe de soufre détruit l'effet d'un globe de verre.

M. Dufay répétant de même l'expérience de M. Gray, dans laquelle on électrise un enfant suspendu sur des cordons de crin ou de soye, & s'étant mis lui-même à la place de l'enfant; quelqu'un voulut ramasser une feüille d'or qui s'étoit attachée à sa jambe; dans l'instant ils sentirent l'un à la jambe & l'autre au doigt une douleur comme une piqûre, & l'on entendit un pétillement semblable à celui du tube lorsqu'on en approche le doigt. Cette douleur & ce pétillement sont accompagnés d'une étincelle visible même en plein jour.

Cette étincelle n'avoit été regardée jusques-là que comme la lumière de certains phosphores qui ne brûlent point, tels que le bois pourri & les vers luisans: mais la douleur fit penser à M. Dufay que l'électricité étoit un véritable feu. On s'est appliqué depuis à en rendre les effets plus sensibles.

Les Physiciens d'Allemagne profitant de tout ce qui avoit été découvert avant eux sur le sujet de l'électricité, imaginèrent de reprendre le globe de verre, dont Hauksbée n'avoit pas tiré un meilleur parti que du tube & qu'il avoit abandonné trop légèrement. Ce qui les y engagea fut sans doute la réflexion que le verre étant plus électrique, un globe de cette matière doit produire de plus grands effets que le globe de soufre d'Otto de Guerike, & qu'étant susceptible d'une friction plus rapide & plus long-tems continuée, l'usage de ce globe devoit être plus facile & plus avantageux que celui du tube de Hauksbée. Ils employèrent des globes & des rouës plus grandes & les disposèrent de la même manière que la meule & la rouë dont se servent les Couteliers. Par ce moyen ils réussirent d'abord à rendre beaucoup plus sensibles tous les phénomènes de l'électricité déjà connus. Ils firent encore de très-belles découvertes dont les Journaux d'Allemagne de 1745. ont rendu compte, & dont on ne rapportera ici qu'une seule.

Si, en faisant tourner & frotter le globe de verre, on en approche le bout d'un grand tuyau de fer blanc, sans qu'il touche le globe, & qu'une personne montée sur un gâteau de résine tienne d'une main ce tuyau par l'autre extrémité, cette personne est électrisée, & acquiert après deux ou trois révolutions du globe une puissance flammifique assez forte pour allumer avec un de ses doigts, avec une canne ou avec une épée de l'esprit de vin un peu échauffé. Le même effet s'ensuit lorsque la personne électrisée tient dans sa main le vase qui contient la liqueur, & la fait toucher par une autre personne est sur le plancher. Dès que le doigt approche de la liqueur, il en sort une étincelle bruyante qui enflamme l'esprit de vin. On peut de même enflammer de la poix, de la résine, de la cire d'Espagne, du soufre & même de la poudre à canon, pourvû que ces matières soient en fusion, & conséquemment échauffées. Cette expérience réussit aussi quand on électrise avec le tube, mais les étincelles sont foibles & l'effet n'en est pas si sûr qu'avec le globe.

L'année 1746. est l'époque la plus marquée de l'Électricité.

Ce fut au commencement de cette année que MM. Muschenbroek & Allaman illustres citoyens de Leyde communiquèrent à l'Académie Royale des Sciences de Paris l'expérience suivante que le hazard avoit fait trouver à M. Cuneus, lorsqu'il s'amusoit à revoir chez lui les phénomènes électriques qu'il avoit admirés chez M. Muschenbroek. Suspendez sur des cordons de soye dans une situation horizontale une verge de fer ou un canon de fusil dont un des bouts soit près du globe, pour en recevoir l'électricité par communication: laissez pendre à son autre bout un fil-d'archal ou de laiton; pendant qu'on électrise la verge de fer, tenez d'une main un vase de verre rond & en partie plein d'eau dans laquelle plonge le fil de métal suspendu: avec l'autre main essayez d'exciter une étincelle à tel endroit que vous voudrez de la verge de fer ou du fil de métal qui pend au bout & qui plonge dans l'eau du vase; vous ressentirez une commotion très-forte & très-subite dans les deux bras, dans la poitrine & dans tout le corps. Le coup est plus fort quand le globe est plus gros, plus frotté, quand le vase qui contient l'eau est plus large, quand la verge de fer qui conduit l'électricité, est plus grande, ensorte qu'on pourroit blesser, peut-être même tuer quelqu'un qui s'y exposeroit imprudemment.

Le bruit de cette expérience se répandit bientôt dans tout le monde sçavant: elle exerça l'industrie des Physiciens, & tout le monde voulut être Physicien. Chacun la répéta, & fit tout son possible pour y ajouter. On trouva bientôt le moyen d'en rendre l'appareil plus simple & plus commode; au lieu de suspendre la verge de fer près du globe & à la même hauteur, on la tient plus élevée, & on laisse pendre de son extrémité voisine du globe une bande de métal bien mince ou un fil de fer qui touche l'équateur du globe pendant qu'il tourne sur son axe & qu'il est frotté. La verge s'électrise aussi promptement & aussi fortement par cette méthode que par celle de M. Muschenbroek, & le globe est plus en sureté.

On se sert d'une bouteille de verre mince: on la remplit d'eau jusqu'au collet, & on la bouche d'un bouchon de liége traversé d'un fil-d'archal, qui y reste fixé de telle manière qu'une partie de ce fil-d'archal est plongée dans l'eau de la bouteille, & une autre partie est au-dessus du bouchon, courbée en crochet. Par ce moyen on peut suspendre la bouteille à la verge de fer, en l'y accrochant, ou l'en séparer à volonté, quand elle est chargée d'électricité.... On peut aussi l'électriser à la main, sans la suspendre à la verge de fer, & même sans se servir de cette verge. Il ne s'agit que d'en présenter le crochet ou auprès de la verge ou auprès du globe dans le temps qu'il est en mouvement & qu'il est frotté.... On peut de même décharger la bouteille électrisée sans le secours de la verge de fer, en tenant la bouteille dans une main, & cela de trois manières, par l'expérience de Leyde, par l'approche d'un corps non-électrique, ou par l'opposition d'une pointe non-électrique. Dans le premier cas il ne faut que tirer une étincelle du fil-d'archal avec l'autre main: l'on reçoit la commotion, & la bouteille est déchargée à l'instant; dans le second l'on approche le fil-d'archal d'un corps non-électrique pour tirer l'étincelle; mais il faut avoir attention à ne pas tenir ce corps de l'autre main, car on seroit frappé; dans le troisième cas il ne s'agit que d'opposer à quelques pouces de distance du crochet une pointe de métal, comme celle d'une aiguille, d'un poinçon, &c. la bouteille se déchargera lentement & insensiblement sans bruit, sans explosion & sans commotion. On voit dans les tems favorables la pointe d'une aiguille tirer le feu électrique à plus de six pieds de la bouteille, & cela s'apperçoit par une petite lumière qui paroît dans l'obscurité à la pointe de l'aiguille.

Quand la bouteille préparée, comme on vient de le dire, est bien électrisée, on peut la transporter fort loin, ou la garder plusieurs jours dans cet état, sans qu'elle perde beaucoup de sa force électrique; il n'y a point d'autre précaution à prendre que de la déposer sur un corps électrique, dans un endroit qui ne soit pas trop exposé à l'humidité de l'air ou à la poussière.

L'on a trouvé ensuite que dans l'expérience de Leyde, si au lieu d'une seule personne, on forme un grand cercle ou une chaîne de plusieurs, en quelque nombre que ce soit, qui se tiennent tous par la main: que le premier de la chaîne soutienne par le fond la bouteille électrisée, & que le dernier tire une étincelle du fil-d'archal, ils sentiront tous au même instant la commotion dans les bras & dans la poitrine. Cette expérience a été faite à Versailles devant le Roi sur deux cens quarante personnes à la fois. Le même effet s'ensuivroit encore si les acteurs, au lieu de se tenir par la main, étoient joints ensemble par des fils ou des chaînes de métal, par l'eau tranquille d'un grand vase ou même d'un bassin, dans laquelle ils auroient les mains plongées.

L'on a de même découvert que la force de l'électricité est plus grande, lorsque la verge de fer, que l'on nomme le premier conducteur, est plus longue; que l'étenduë en superficie du premier conducteur contribuë davantage à l'augmentation de cette force que son étenduë en solidité & que la longueur est celle des trois dimensions qui lui est la plus favorable.

Il n'y a presque personne qui ne sçache que la propagation du son n'est point aussi rapide que celle de la lumière. Si l'on voit tirer une pièce de canon de quelques centaines de toises, on apperçoit la flamme sortir de son embouchure long-tems avant d'en entendre le coup; en général plus l'on est éloigné, plus on remarque de distance entre l'un & l'autre. Il est cependant certain que dans ce cas la lumière & le son partent en même tems; mais l'air qui nous en transmet les sensations est plus facilement ébranlé par l'un que par l'autre; & l'on est venu à bout de connoître cette différence. C'est dans la même vuë qu'un sçavant Physicien[2] a voulu éprouver comment se fait la propagation de l'électricité dans les corps à qui on la communique; si cette propagation est instantanée du moins sensiblement, ou si elle se fait dans un temps perceptible.

[Note 2: M. le Monnier, médecin, à qui on est redevable de la plupart des découvertes précédentes, Hist. de l'Acad. R. des Scienc. 1746.]