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ISBN : 9782322232345
Dépôt légal : avril 2021
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La vérité historique devrait être non moins sacrée que la religion. Si les préceptes de la foi élèvent notre âme au-dessus des intérêts de ce monde, les enseignements de l’histoire, à leur tour, nous inspirent l’amour du beau et du juste, la haine de ce qui fait obstacle aux progrès de l’humanité. Ces enseignements, pour être profitables, exigent certaines conditions. Il faut que les faits soient reproduits avec une rigoureuse exactitude, que les changements politiques ou sociaux soient philosophiquement analysés, que l’attrait piquant des détails sur la vie des hommes publics ne détourne pas l’attention de leur rôle politique et ne fasse pas oublier leur mission providentielle.
Trop souvent l’écrivain nous présente les différentes phases de l’histoire comme des événements spontanés, sans rechercher dans les faits antérieurs leur véritable origine et leur déduction naturelle ; semblable au peintre qui, en reproduisant les accidents de la nature, ne s’attache qu’à leur effet pittoresque, sans pouvoir, dans son tableau, en donner la démonstration scientifique. L’historien doit être plus qu’un peintre ; il, doit, comme le géologue qui explique les phénomènes du globe, découvrir le secret de la transformation des sociétés.
Mais, en écrivant l’histoire, quel est le moyen d’arriver à la vérité? C’est de suivre les règles de la logique. Tenons d’abord pour certain qu’un grand effet est toujours dû à une grande cause, jamais à une petite ; autrement dit, un accident, insignifiant en apparence, n’amène jamais de résultats importants sans une cause préexistante qui a permis que ce léger accident produisit un grand effet. L’étincelle n’allume un vaste incendie que si elle tombe sur des matières combustibles amassées d’avance. Montesquieu confirme ainsi cette pensée : Ce n’est pas la fortune, dit-il, qui domine le monde..... Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes, et si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné l’État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille ; en un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers1.
Si, pendant près de mille ans, les Romains sont toujours sortis triomphants des plus dures épreuves et des plus grands périls, c’est qu’il existait une cause générale qui les a toujours rendus supérieurs à leurs ennemis, et qui a permis que des défaites et des malheurs partiels n’aient pas entraîné la chute de leur empire. Si les Romains, après avoir donné au monde l’exemple d’un peuple se constituant et grandissant par la liberté, ont semblé, depuis César, se précipiter aveuglément dans la servitude, c’est qu’il existait une raison générale qui empêchait fatalement la République de revenir à la pureté de ses anciennes institutions ; c’est que les besoins et les intérêts nouveaux d’une société en travail exigeaient d’autres moyens pour être satisfaite. De même que la logique nous démontre dans les événements importants leur raison d’être impérieuse, de même il faut reconnaître et dans la longue durée d’une institution la preuve de sa bonté, et dans l’influence incontestable d’un homme sur son siècle la preuve de son génie.
La tâche consiste donc à chercher l’élément vital qui faisait la force de l’institution, comme l’idée prédominante qui faisait agir l’homme.’ En suivant cette règle, nous éviterons les erreurs de ces historiens qui recueillent les faits transmis par les âges précédents, sans les coordonner suivant leur importance philosophique ; glorifiant ainsi ce qui mérite le blâme, et laissant dans l’ombre ce qui appelle la lumière. Ce n’est pas l’analyse minutieuse de l’organisation romaine qui nous fera comprendre la durée d’un si grand empire, mais l’examen approfondi de l’esprit de ses institutions ; ce n’est pas non plus le récit détaillé des moindres actions d’un homme supérieur qui nous révélera le secret de son ascendant, mais la recherche attentive des mobiles élevés de sa conduite.
Lorsque des faits extraordinaires attestent un génie éminent, quoi de plus contraire au bon sens que de lui prêter toutes les passions et tous les sentiments de la médiocrité? Quoi de plus faux que de ne pas reconnaître la prééminence de ces êtres privilégiés qui apparaissent de temps à autre dans l’histoire comme des phares lumineux, dissipant les ténèbres de leur époque et éclairant l’avenir? Nier cette prééminence serait d’ailleurs faire injure à l’humanité, en la croyant capable de subir, à la longue et volontairement, une domination qui ne reposerait pas sur une grandeur véritable et sur une incontestable utilité. Soyons logiques, et nous serons justes.
Trop d’historiens trouvent plus facile d’abaisser les hommes de génie que de s’élever, par une généreuse inspiration, à leur hauteur, en pénétrant leurs vastes desseins. Ainsi, pour César, au lieu de nous montrer Rome déchirée par les guerres civiles, corrompue par les richesses, foulant aux pieds ses anciennes institutions, menacée par des peuples puissants, les Gaulois, les Germains et les Parthes, incapable de se soutenir sans un pouvoir central plus fort, plus stable et plus juste ; au lieu, dis je, de tracer ce tableau fidèle, on nous représente César, dés son jeune âge, méditant déjà le pouvoir suprême. S’il résiste à Sylla, s’il est en désaccord avec Cicéron, s’il se lie avec Pompée, c’est par l’effet de cette astuce prévoyante qui a tout deviné pour tout asservir ; s’il s’élance dans les Gaules, c’est pour acquérir des richesses par le pillage2 ou des soldats dévoués à ses projets ; s’il traverse la mer pour porter les aigles romaines dans un pays inconnu, mais dont la conquête affermira celle des Gaules3, c’est pour y chercher des perles qu’on croyait exister dans les mers de la Grande-Bretagne4. Si, après avoir vaincu les redoutables ennemis de l’Italie au delà des Alpes, il médite une expédition contre les Parthes pour venger la défaite de Crassus, c’est, disent certains historiens, que l’activité convenait à sa nature et qu’en campagne sa santé était meilleure5 ; s’il accepte du sénat avec reconnaissance une couronne de lauriers et qu’il la porte avec fierté, c’est pour cacher sa tête chauve ; si, enfin, il a été assassiné par ceux qu’il avait comblés de ses bienfaits, c’est parce qu’il voulait se faire roi ; comme s’il n’était pas pour ses contemporains ainsi que pour la postérité plus grand que tous les rois! Depuis Suétone et Plutarque, telles sont les mesquines interprétations qu’on se plaît à donner aux choses les plus nobles. Mais à quel signe reconnaître la grandeur d’un homme? A l’empire de ses idées, lorsque ses principes et son système triomphent en dépit de sa mort ou de sa défaite. N’est-ce pas, en effet, le propre du génie de survivre au néant, et d’étendre son empire sur les générations futures? César disparaît, et son influence prédomine plus encore que durant sa vie. Cicéron, son adversaire, est contraint de s’écrier : Toutes les actions de César, ses écrits, ses paroles, ses promesses, ses pensées, ont plus de force après sa mort que s’il vivait encore6. Pendant des siècles, il a suffi de dire au inonde que telle avait été la volonté de César pour que le monde obéit.
Ce qui précède montre assez le but que je me propose en écrivant cette histoire. Ce but est de prouver que, lorsque la Providence suscite des hommes tels que César, Charlemagne, Napoléon, c’est pour tracer aux peuples la voie qu’ils doivent suivre, marquer du sceau de leur génie une ère nouvelle, et accomplir en quelques années le travail de plusieurs siècles. Heureux les peuples qui les comprennent et les suivent! malheur à ceux qui les méconnaissent et les combattent! Ils font comme les Juifs, ils crucifient leur Messie ; ils sont aveugles et coupables : aveugles, car ils ne voient pas l’impuissance de leurs efforts à suspendre le triomphe définitif du bien ; coupables, car ils ne font que retarder le progrès, en entravant sa prompte et féconde application.
En effet, ni le meurtre de César, ni la captivité de Sainte-Hélène, n’ont pu détruire sans retour deux causes populaires renversées par une ligue se couvrant du masque de la liberté. Brutus, en tuant César, a plongé Rome dans les horreurs de la guerre civile ; il n’a pas empêché le règne d’Auguste, mais il a rendu possibles ceux de Néron et de Caligula. L’ostracisme de Napoléon par l’Europe conjurée n’a pas non plus empêché l’Empire de ressusciter, et, cependant, que nous sommes loin des grandes questions résolues, des passions apaisées, des satisfactions légitimes données aux peuples par le premier Empire!
Aussi se vérifie-t-elle tous les jours, depuis 1815, cette prophétie du captif de Sainte-Hélène :
Combien de luttes, de sang, d’années ne faudra-t-il pas encore pour que le bien que je voulais faire à l’humanité puisse se réaliser!7
Palais des Tuileries, le 20 mars 1862.
NAPOLÉON.
1 Montesquieu, Grandeur et Décadence des Romains, XVIII.
2 Suétone, César, XXII.
3 César résolut de passer dans la Bretagne, dont les peuples avaient, dans presque toutes les guerres, secouru les Gaulois. (César, Guerre des Gaules, IV, XX.)
4 Suétone, César, XLVII.
5 Appien, Guerres civiles, I, CX, 328, édition Schweighæuser.
6 Cicéron, Epistolæ ad Atticum, XIV, X.
7 En effet, que d’agitations, de guerres civiles et de révolutions en Europe depuis 1815! en France, en Espagne, en Italie, en Pologne, en Belgique, en Hongrie, en Grèce, en Allemagne!
Dans la naissance des sociétés, dit Montesquieu, ce sont les chefs des républiques qui forment l’institution, et c’est ensuite l’institution qui forme les chefs des républiques. Et il ajoute : Une des causes de la prospérité de Rome, c’est que ses rois furent tous de grands personnages. On ne trouve point ailleurs, dans les histoires, une suite non interrompue de tels hommes d’État et de tels capitaines8.
Le récit plus ou moins fabuleux de la fondation de Rome n’entre pas dans le cadre que nous nous sommes tracé ; et, sans vouloir démêler ce que l’histoire de ces premiers temps contient de fictions, nous nous proposons seulement de rappeler que les rois jetèrent les fondements de ces institutions auxquelles Rome dut sa grandeur et tant d’hommes extraordinaires, qui étonnèrent le monde par leurs vertus et par leurs exploits.
La royauté dura deux cent quarante-quatre ans ; et, à sa chute, Rome était devenue l’État le plus puissant du Latium. La ville avait une vaste étendue, puisque, dès cette époque, les sept collines étaient déjà presque toutes renfermées dans un mur d’enceinte protégé à l’intérieur et à l’extérieur par un espace sacré appelé Pomœrium9.
Cette enceinte resta longtemps la même, quoique l’accroissement de la population eût amené l’établissement d’immenses faubourgs, qui finirent par envelopper le Pomœrium10.
Le territoire romain proprement dit était restreint, mais celui des sujets de Rome et de ses alliés déjà assez considérable. Quelques colonies avaient été fondées. Les rois, par une politique habile, avaient réussi à attirer dans leur dépendance un grand nombre d’États voisins, et, lorsque Tarquin le Superbe convoqua les Herniques, les Latine et les Volsques, pour une cérémonie destinée à sceller son alliance avec eux, quarante-sept peuplades distinctes prirent part à l’inauguration dit temple de Jupiter Latialis11.
La fondation d’Ostie, par Ancus Marcius, à l’embouchure du Tibre, montre que l’on comprenait déjà l’importance politique et commerciale de communications faciles avec la mer ; d’un autre côté, le traité de commerce conclu avec Carthage à l’époque de la chute de la royauté, et dont Polybe nous a conservé les détails, indique des relations plus étendues qu’on ne le supposerait12.
La société romaine, née probablement d’anciennes transformations sociales, se composait, dès les premiers temps, d’un certain nombre d’agrégations, appelées gentes, formées des familles conquérantes, et ayant quelque rapport avec les clans d’Écosse ou les tribus arabes. Les chefs de ces familles (patres familias) et leurs membres (patricii) étaient unis entre eux non seulement par la parenté, mais encore par des liens politiques et religieux. De là une noblesse héréditaire, ayant pour marques distinctives le nom de famille, des costumes particuliers13, et les images en cire des aïeux (jus imaginum).
Les plébéiens, race peut-être antérieurement soumise, se trouvaient, à l’égard de la race dominante, dans la même situation que les Anglo-Saxons à l’égard des Normands, au xi’ siècle de notre ère, après l’invasion de l’Angleterre. C’étaient, en général, des agriculteurs exclus, à l’origine, de toute charge militaire et de tous les emplois14.
Les familles patriciennes avaient réuni autour d’elles, sous le nom de clients, soit des étrangers, soit une grande partie des plébéiens. Denys d’Halicarnasse prétend même que Romulus avait exigé que chacun de ces derniers se choisit un patron15. Les clients cultivaient les champs et faisaient partie de la famille16. Le patronage avait créé de telles obligations réciproques, qu’elles équivalaient à des liens de parenté. Pour les patrons, elles consistaient à prêter aux clients assistance dans les affaires publiques et privées, et, pour ceux-ci, à aider constamment les patrons de leur personne, de leur bourse, et à leur garder une fidélité inviolable ; ils ne pouvaient se citer réciproquement en justice, porter témoignage les uns contre les autres, et c’eût été un scandale de les voir se séparer dans une question politique. Cet état de choses avait quelque analogie avec la féodalité ; les grands protégeaient les petits, et les petits payaient la protection par des redevances et des services ; toutefois, il existait une différence essentielle : les clients n’étaient pas des serfs, mais des hommes libres.
L’esclavage formait depuis longtemps un des éléments constitutifs de la société. Les esclaves, pris parmi les étrangers et les captifs17, et associés à tous les travaux intérieurs de la famille, recevaient souvent la liberté comme récompense de leur conduite. Nommés alors affranchis, ils entraient dans la clientèle du patron, sans participer à tous les droits de citoyen18.
La gens se composait donc de la réunion de familles patriciennes ayant un ancêtre commun ; autour d’elle se groupait un grand nombre de clients, d’affranchis et d’esclaves. Pour donner une idée de l’importance des gentes dans les premiers siècles de Rome, il suffit de rappeler que, vers l’an 251, un certain Attus Clausus, appelé depuis Appius Claudius, Sabin de la ville de Régille, aussi distingué, dit Denys d’Halicarnasse, par l’éclat de sa naissance que par ses grandes richesses, vint se réfugier chez les Romains avec ses parents, ses amis, ses clients et toutes leurs familles, au nombre de cinq mille hommes en état de porter les armes19. Lorsqu’en 275 les trois cents Fabius, formant la gens Fabia, voulurent à eux seuls combattre les Véiens, ils étaient suivis de quatre mille clients20. Souvent la haute classe croyait, avec le grand nombre de ses adhérents, pouvoir tout accomplir par elle-même. En 286, les plébéiens ayant refusé d’assister aux comites consulaires, les patriciens, suivis de leurs clients, élurent les consuls21 ; et en 296, un Claudius disait avec orgueil que la noblesse n’avait pas besoin des plébéiens pour faire la guerre contre les Volsques22. Les familles d’origine ancienne formèrent longtemps l’État Welles seules. C’est à elles que s’appliquait exclusivement le nom de populus23, comme celui de plebs aux plébéiens24. En effet, quoique ensuite le mot populus eût pris une signification plus étendue, Cicéron dit qu’il faut entendre par là non l’universalité des habitants, mais une réunion d’hommes liés par une communauté de droits et d’intérêts25.
Dans un pays où la principale occupation était la guerre, l’organisation politique devait dépendre de l’organisation militaire. A un chef unique la haute direction, à la réunion de personnages importants et âgés le conseil, à ceux-là seuls qui supportaient les fatigues de la guerre les droits politiques.
Le roi, élu généralement par l’assemblée des gentes26, commandait l’armée. Souverain pontife, législateur et juge en toutes matières sacrées, il rendait la justice27 dans les affaires criminelles qui intéressaient la République. Il avait pour insignes une couronne d’or, un habit de pourpre, et avait pour escorte vingtquatre licteurs28, portant les uns des haches entourées de verges, les autres de simples verges29. A la mort du roi, un magistrat appelé interroi était nommé par le sénat pour exercer durant cinq jours l’autorité royale jusqu’à la désignation du successeur. Cette fonction se conserva, avec le même titre, sous la république consulaire, lorsque l’absence des consuls empêchait de tenir les comices.
Le sénat, composé des patriciens les plus riches et les plus illustres, au nombre de cent d’abord, de deux cents après la réunion avec les Sabins, de trois cents après l’admission des gentes minores sous Tarquin, était le conseil des anciens, s’occupant des intérêts de la ville, dans lesquels se concentraient alors tous les intérêts de l’État.
Les patriciens occupaient tous les emplois, supportaient seuls le poids de la guerre, et, par conséquent, avaient seuls le droit de voter dans les assemblées.
Les gentes étaient réparties dans trois tribus. Chacune, commandée par un tribun30, devait, sous Romulus, fournir mille soldats (en effet, miles vient de mille) et cent cavaliers (celeres). La tribu se divisait en dix curies ; à la tête de chaque curie était un turion. Les trois tribus, fournissant trois mille fantassins et trois cents cavaliers, formèrent d’abord la légion. Elles furent bientôt portées au double par l’adjonction de nouvelles cités31.
La curie, dans laquelle entrait un certain nombre de gentes, était alors la base de l’organisation politique et militaire, et de la vint pour le peuple romain le nom de Quirites.
Les membres des curies étaient constitués en associations religieuses, ayant chacune des réunions et des repas solennels qui établissaient entre eux des liens d’affiliation ; lorsque leurs assemblées avaient un but politique, les votes se recueillaient par tête32 ; on décidait de la paix ou de la guerre ; on nommait les magistrats de la ville ; on confirmait ou l’on abrogeait les lois33.
L’appel au peuple34, qui pouvait infirmer les jugements des magistrats, n’était autre chose que l’appel aux curies, et c’est en y recourant, après avoir été condamné par les duumvirs, que le survivant des trois Horace trouva son salut.
La politique des rois consista à fondre ensemble les différentes races et à abaisser les barrières qui séparaient les diverses classes. Pour obtenir le premier résultat, ils divisèrent le bas peuple en corporations35, augmentèrent le nombre des tribus et en changèrent la constitution36 ; pour obtenir le second, ils firent entrer, au grand mécontentement de la haute classe, des plébéiens parmi les patriciens37, et ils élevèrent des affranchis au rang de citoyens38. De cette manière, chaque curie se trouva considérablement accrue ; mais, les votes se recueillant par tête, les patriciens pauvres l’emportaient numériquement sur les patriciens riches.
Servius Tullius, tout en conservant les curies, leur enleva leur organisation militaire, c’est-à-dire qu’il n’en fit plus la base du recrutement. Il institua les centuries, dans le double but de donner en principe le droit de suffrage à tous les citoyens, et de créer une armée plus nationale, puisqu’il y faisait entrer les plébéiens ; il voulut enfin faire peser sur les plus riches le fardeau de la guerre39, ce qui était juste, chacun s’équipant et s’entretenant à ses frais. La classification des citoyens n’eut plus lieu par castes, mais d’après la fortune. Patriciens et plébéiens furent mis sur le même rang si leur revenu était égal. L’influence des plus riches prédomina, sans doute, mais en proportion des sacrifices qu’on exigeait d’eux.
Servius Tullius ordonna un recensement général de la population, dans lequel tout le monde devait déclarer son âge, sa fortune, le nom de sa tribu, celui de son père, le nombre de ses enfants et de ses esclaves. Cette opération fut appelée cens40. Le recensement était inscrit sur des tables41, et, une fois terminé, on convoquait tous les citoyens en armes au Champ-de-Mars. Cette revue se nommait clôture du lustre, parce qu’elle était accompagnée de sacrifices et de purifications nommées lustrations. On appela lustre l’intervalle de cinq ans entre deux cens42.
Les citoyens furent divisés en six classes43 et en cent quatre-vingt-treize centuries, d’après la fortune de chacun, en commençant par les plus riches et en finissant par les plus pauvres. La première classe comprit quatre-vingt-dix-huit centuries, dont dix-huit de chevaliers ; la seconde et la quatrième, vingt-deux ; la troisième, vingt ; la cinquième, trente ; la sixième, quoique la plus nombreuse, n’en forma qu’une seule44. La première classe, qui comptait moins de citoyens, ayant cependant un plus grand nombre de centuries, devait payer plus de la moitié de l’impôt et fournir plus de légionnaires qu’aucune autre classe.
On continua de recueillir, ainsi que dans les curies, le vote par tête, mais la majorité des voix dans chaque centurie ne comptait que pour un suffrage. Or, comme la première classe en avait quatre-vingt-dix-huit, tandis que les autres, prises ensemble, n’en avaient que quatre-vingt-quinze, il est clair qu’il suffisait des votes de la première classe pour obtenir la majorité. Les dix-huit centuries de chevaliers donnaient d’abord leurs voix, puis les quatre-vingts centuries de la première classe ; si elles n’étaient pas d’accord, on appelait au vote la deuxième classe, et ainsi de suite ; mais, dit Tite-Live, il n’arriva presque jamais qu’on fût obligé de descendre jusqu’à la dernière45. Quoique, d’après sa signification originelle, la centurie dût représenter cent hommes, elle en renfermait déjà un nombre plus considérable. Chacune fut divisée en partie active, dans laquelle entraient tous les hommes de dix-sept à quarante-six ans, et en partie sédentaire, chargée de garder la ville, composée d’hommes de quarante-six à soixante ans46.
Quant à ceux de la sixième classe, que plusieurs auteurs même ne comptent pas, ils étaient exempts de tout service militaire, ou bien on ne les enrôlait que dans un extrême danger47. Les centuries de chevaliers, qui formaient la cavalerie, recrutées parmi les plus riches citoyens, tendaient à introduire dans la noblesse un ordre à part48 ; ce que prouve l’importance du chef appelé à les commander. En effet, le chef des celeres était, après le roi, le premier magistrat de la cité, comme plus tard, sous la république, le magister equitum devint le lieutenant du dictateur.
Le premier recensement de Servius Tullius donna un effectif de quatre-vingt mille hommes en état de porter les armes49, ce qui équivaut à deux cent quatre-vingt-dix mille personnes des deux sexes, auxquelles on pourrait ajouter, suivant des conjectures, d’ailleurs assez vagues, quinze mille artisans, marchands ou indigente privés du droit de citoyen, et quinze mille esclaves50.
Les comices par centuries furent chargés de l’élection des magistrats, mais les comices par curies, étant la forme primitive de l’assemblée patricienne, continuèrent à statuer sur les affaires religieuses et militaires les plus importantes, et restèrent en possession de tout ce qui n’avait pas été formellement attribué aux centuries. Solon opérait, vers la même époque, à Athènes, une révolution semblable, de sorte que les deux villes les plus fameuses du monde ancien prenaient en même temps, comme base du’ droit de suffrage, non plus la naissance, mais la fortune.
Servius Tullius promulgua un grand nombre de lois favorables au peuple ; il établit que la propriété seule du débiteur, et non sa personne, répondrait de la dette. Il autorisa aussi les plébéiens à devenir les patrons de leurs affranchis, ce qui permettait aux plus riches des premiers de se créer une clientèle semblable à celle des patriciens51.
La religion, réglementée en grande partie par Numa, était, à Nome, un moyen de civilisation, mais surtout de gouvernement. En faisant intervenir la divinité dans les actes de la vie publique ou privée, on imprimait à tout un caractère sacré. Ainsi se trouvaient sous la sauvegarde des dieux l’enceinte de la ville avec ses servitudes52, les limites des propriétés, les transactions entre citoyens, les engagements, enfin, même les faits importants de l’histoire consignés dans les livres sacrés53. Au foyer domestique, les dieux Lares protégeaient la famille ; sur le champ de bataille, l’emblème placé sur l’étendard était le dieu protecteur de la légion54. Par les oracles ou les prodiges, on entretenait le sentiment national et la pensée que Rome deviendrait un jour la maîtresse de l’Italie55 ; mais si, d’une part, le culte, avec ses imperfections même, contribuait à adoucir les moeurs et à élever les esprits56, de l’autre il facilitait merveilleusement le jeu des institutions, et conservait aux hautes classes leur influence.
La religion accoutumait aussi les peuples du Latium à la suprématie romaine ; car Servius Tullius, en leur persuadant de contribuer à l’élévation du temple de Diane57, leur faisait, dit Tite-Live, reconnaître Rome pour leur capitale, prétention qu’ils avaient tant de fois combattue par les armes.
L’intervention supposée de la divinité permettait, dans une foule de cas, de revenir sur toute décision gênante. Ainsi, en interprétant le vol des oiseaux58, la manière dont mangeaient les poulets sacrés, les entrailles des victimes, la direction des éclairs, on annulait les élections, ou bien on éludait ou l’on retardait les délibérations soit des comices, soit du sénat. Personne ne pouvait accepter de fonctions, pas même le roi monter sur le trône, si les dieux n’avaient manifesté leur adhésion par des signes réputés certains de leur volonté. Il y avait des jours fastes et néfastes ; dans ces derniers il n’était permis ni aux juges de tenir audience, ni au peuple de s’assembler59. Enfin, on pouvait dire, avec Camille, que la ville était fondée sur la foi des auspices et des augures60.
Les prêtres ne formaient pas un ordre à part, mais tous les citoyens pouvaient faire partie de collèges particuliers. En tête de la hiérarchie sacerdotale se trouvaient les pontifes, au nombre de cinq61 ; le roi en était le chef62. Ils décidaient de toutes les questions qui tenaient à la liturgie et au culte, veillaient à ce que les sacrifices et les cérémonies se fissent conformément aux rites traditionnels63, surveillaient les autres ministres de la religion, fixaient le calendrier64, ne répondaient de leurs actions ni devant le sénat ni devant le peuple65.
Après les pontifes, la première place appartenait aux curions, chargés dans chaque curie des fonctions religieuses et qui avaient à leur tête un grand turion ; puis venaient les gamines, les augures66, les vestales, chargées d’entretenir le feu sacré ; les douze prêtres Saliens67, gardiens des boucliers sacrés, nommés ancilia ; enfin les féciales, hérauts d’armes au nombre de vingt, chargés de rédiger les traités et d’en assurer l’exécution, de déclarer la guerre et de veiller à l’observation de tous les rapports internationaux68.
Il y avait aussi des confréries religieuses (sodalitates), instituées pour rendre un culte spécial à certaines divinités. Tel était le collège des frères Arvales, dont les prières et les processions appelaient la faveur du ciel sur les moissons ; telle encore l’association ayant mission de Péter les Lupercales, fondées en l’honneur du dieu Lupercus, protecteur des troupeaux et destructeur des loups. Les dieux Lares, génies tutélaires des villes ou des familles, avaient aussi leur fête instituée par Tullus Hostilius, et célébrée à certaines époques, pendant lesquelles les esclaves étaient exemptés de tout travail69.
Les rois firent bâtir un grand nombre de temples destinés à déifier, les uns la gloire70, les autres les vertus71, les autres l’utilité72, d’autres la reconnaissance envers les dieux73.
Les Romains aimaient à tout représenter par des signes extérieurs ; ainsi Numa, pour mieux constater l’état de paix ou de guerre, fit élever à Janus un temple, ouvert pendant la guerre, fermé pendant la paix ; et, chose remarquable, ce temple ne fut fermé que trois fois en sept cents ans74!
D’après ce qui précède, on peut se convaincre que la République romaine8 avait déjà acquis sous les rois une forte organisation75. Son esprit conquérant débordait au delà de ses étroites limites. Les petits États du Latium qui l’entouraient avaient peut-être des hommes aussi éclairés, des citoyens aussi courageux, mais il n’existait certainement pas chez eux, au même degré qu’à Rome, le génie de la guerre, l’amour de la patrie, la foi dans de hautes destinées, la conviction d’une supériorité incontestable, mobiles puissants inculqués avec persévérance par de grands hommes pendant deux cent quarante-quatre ans.
La société romaine était fondée sur le respect de la famille, de la religion, de la propriété ; le gouvernement, sur l’élection ; la politique, sur la conquête. A la tête de l’État est une aristocratie puissante, avide de gloire, mais, comme toutes les aristocraties, impatiente de la royauté, dédaigneuse de la multitude. Les rois s’efforcent de créer un peuple à côté de la caste privilégiée, et introduisent des plébéiens dans le sénat, des affranchis parmi les citoyens, et la plupart des citoyens dans les rangs de la milice. .
La famille est fortement constituée : le père y règne en maître absolu, seul juge76 de ses enfants, de sa femme, de ses esclaves, et cela durant toute leur vie ; cependant le rôle de la femme n’est pas avili comme dans les sociétés barbares : elle entre en communauté de biens avec son mari ; maîtresse dans sa maison, elle a le droit d’acquérir, et partage également avec ses frères l’héritage paternel77.
La base de l’impôt est la base du recrutement et des droits politiques ; il n’y a de soldats que les citoyens ; il n’y a de citoyens que ceux qui possèdent. Plus on est riche et plus on a de pouvoir et de dignités, mais plus on a de charges à supporter, de devoirs à remplir. Pour combattre comme pour voter, les Romains se divisent par classes suivant leur fortune, et, dans les comices comme sur le champ de bataille, les plus riches sont aux premiers rangs.
Initié aux pratiques apparentes de la liberté, le peuple est contenu par la superstition et le respect pour les hautes classes. En faisant intervenir la divinité dans toutes les actions de la vie, on idéalise les choses les plus vulgaires, et on apprend aux hommes qu’au-dessus des intérêts matériels il y a une Providence qui dirige leurs actions. Le sentiment du droit et de la justice entre dans les consciences, le serment est chose sacrée, et la vertu, cette expression la plus élevée du devoir, devient la règle générale de la vie publique et de la vie privée78. La loi exerce tout son empire, et, par l’institution des feciales, les questions internationales se discutent au point de vue du droit avant d’être tranchées par les armes. La politique consiste à attirer par tous les moyens possibles les peuples environnants sous la dépendance de Rome ; et, lorsque leur résistance oblige de les vaincre, ils sont, à différents degrés, immédiatement associés à la commune fortune79, et maintenus dans l’obéissance par des colonies, postes avancés de la domination future80.
Les arts, quoique grossiers encore, s’introduisent avec les rites étrusques et viennent adoucir les moeurs et prêter leur concours à la religion ; partout des temples s’élèvent, des cirques se construisent81, de grands travaux d’utilité publique s’exécutent, et Moine, par ses institutions, prépare sa prééminence.
Presque tous les magistrats sont le produit de l’élection une fois nommés, ils possèdent un pouvoir étendu et font mouvoir résolument ces deux puissants leviers des actions humaines, le châtiment et la récompense. A tous les citoyens, pour une faiblesse devant l’ennemi ou pour une infraction à la discipline82, les verges ou la hache du licteur ; à tous, pour une belle action, les couronnes honorifiques83 ; aux généraux, l’ovation, le triomphe84 et les dépouilles opimes85 ; aux grands hommes, l’apothéose. Pour honorer les morts et pour se délasser des luttes sanglantes, les citoyens courent aux jeux du cirque, où la hiérarchie donne à chacun son rang86.
Ainsi Rome, arrivée au troisième siècle de son existence, se trouve constituée par les rois avec tous les germes de grandeur qui se développeront dans ‘la suite. L’homme a créé les institutions ; nous verrons maintenant comment les institutions vont former les hommes.
8 Grandeur et Décadence des Romains.
9 Tite-Live, I, XLIV. Denys d’Halicarnasse dit en parlant de la partie du rempart qui s’étendait entre la porte Esquiline et la porte Colline : Rome est munie d’un fossé profond de trente pieds, et large de cent et davantage à l’endroit où il l’est le moins. Au-dessus de ce fossé s’élève un mur soutenu, en dedans, d’une haute et large terrasse, de sorte qu’il ne peut être ébranlé par les béliers, ni renversé par la sape. (Antiquités romaines, IX, LXVIII.)
10 Depuis ce temps-là (Servius Tullius), Rome n’a plus été agrandie..... et si, en face de ce spectacle, quelqu’un voulait se faire une idée de la grandeur de Rome, il se tromperait certainement, car il ne pourrait distinguer jusqu’où la ville s’étend et où elle cesse, tant les faubourgs sont contigus à la ville..... L’Aventin est resté jusqu’au règne de Claude en dehors du Pomœrium, malgré le grand nombre d’habitants qu’il contenait. (Aulu-Gelle, II, XIII. — Denys d’Halicarnasse, IV, XIII.)
11 Denys d’Halicarnasse, IV, XLIX.
12 Par ce traité, les Romains et leurs alliés s’engagent à ne pas naviguer au delà du Beau promontoire (cap situé au nord et vis-à-vis de Carthage, et appelé aujourd’hui par les navigateurs cap de Porto-Farino)..... Les Carthaginois s’engagent à respecter les Ardéates, les Antiates, les Laurentins, les Circéens, les Terraciniens, enfin tous les peuples latins sujets de Rome. (Polybe, III, XXII.)
13 Lorsque Tarquin l’Ancien régla, avec la prévoyance d’un prince habile, l’état des citoyens, il attacha une grande importance à l’habillement des enfants de condition, et il voulut que les fils des patriciens portassent la bulle avec la robe bordée de pourpre, mais seulement ceux dont les pères avaient exercé une dignité curule ; les autres avaient simplement la prétexte, encore fallait-il que leurs pères eussent servi le temps voulu dans la cavalerie. (Macrobe, Saturnales, I, VI.)
14 Les plébéiens étaient exclus de toutes fonctions, et uniquement appliqués à l’agriculture, à l’élevage des bestiaux et aux industries mercantiles. (Denys d’Halicarnasse, II, IX.) — Numa encouragea les agriculteurs ; ils étaient dispensés d’aller à la guerre, déchargés du soin des affaires de la ville. (Denys d’Halicarnasse, II, LXXVI.)
15 Denys d’Halicarnasse, II, IX. — Plutarque, Romulus, XV.
16 Agrorum partes attribuerant tenuioribus. (Festus, au mot Patres, p. 246, éd. O. Müller.)
17 Denys d’Halicarnasse, IV, XXIV.
18 Ces questions ont été l’objet de savantes recherches ; mais, après une lecture attentive des ouvrages de Beaufort, Niebuhr, Gœttling, Duruy, Marquardt, Mommsen, Lange, etc. on est effrayé de la diversité des opinions ; nous avons adopté celles qui nous ont semblé les plus probables.
19 Denys d’Halicarnasse, V, XI. — Tite-Live, II, XVI.
20 Tite-Live, II, XLVIII. — Denys d’Halicarnasse, IX, XV.
21 Tite-Live, II, LXVI.
22 Denys d’Halicarnasse, X, XV.
23 On appelait décret du peuple (scitum populi) la mesure qu’avait votée l’ordre des patriciens, sur la proposition d’un patricien, sans la participation de la plèbe. (Voyez Festus, au mot Scitum populi, p. 330.) En parlant des tribuns, Tite-Live met dans la bouche d’Appius Claudius les paroles suivantes : Non enim populi, sed plebis, eum magistratum esse. (Tite-Live, II, LVI.)
24 La plèbe était composée de tout ce que dans le peuple, n’était ni sénateur ni patricien. (Voyez Festus, au mot Scitum populi.)
25 Populos autem non omnis hominum cœtus quoquo modo congregatus, sed cœtus multitudinis juris consensu et utilitatis communione sociatus. (Cicéron, De la République, I, XXV.)
26 Populus curiatis eum (Numam) comitiis regem esse jusserat. Tullum Hostilium populos regem, interrege rogante, comitiis curiatis creavit. Servius, Tarquinio sepulto, populum de se ipse consuluit, jussusque regnare legem de imperio suo curiatam tulit. (Cicéron, De la République, II, XIII-XXI.)
27 Les prédécesseurs de Servius Tullius évoquaient toutes les causes à leur tribunal et prononçaient comme ils l’entendaient sur toutes les contestations qui regardaient l’État ou les particuliers. Pour lui, il sépara ces deux choses, et, ne se réservant que la connaissance des affaires où l’État était intéressé,il abandonna à d’autres juges les causes des particuliers, avec ordre néanmoins de régler leurs jugements sur les lois qu’il avait portées. (Denys d’Halicarnasse, IV, XXV.)
28 Les consuls, comme les anciens rois, ont douze licteurs portant des haches et douze licteurs portant des verges. (Appien, Guerre de Syrie, XV.)
29 Depuis ce temps-là, Tarquin l’Ancien porta, tout le reste de sa vie, une couronne d’or, une toge de pourpre brodée, un sceptre d’ivoire, et son trône était aussi d’ivoire ; lorsqu’il rendait la justice ou qu’il marchait par la ville, il était précédé de douze licteurs qui portaient des haches entourées de verges. (Denys ne compte pas les douze autres licteurs ne portant que des verges.) Après que les rois eurent été chassés de Rome, les consuls annuels continuèrent à s’en servir, excepté de la couronne et de la robe à lisérés de pourpre. On leur ôta seulement ces deux insignes, parce qu’ils étaient odieux et désagréables au peuple. On ne les leur retrancha pas pourtant entièrement, puisqu’ils se servent des ornements d’or et des habits de pourpre brodés, lorsque, après quelque victoire, le sénat leur décerne les honneurs du triomphe. (Denys d’Halicarnasse, III, LXII.)
30 Les soldats de Romulus, au nombre de trois mille, furent divisés en trois corps, appelés tribus. (Dion Cassius, Fragm. XIV, éd. Gros.) — Denys d’Halicarnasse, II, VII. — Plutarque, Romulus, XXV. — Le nom de tribun des soldats vient de ce que les trois tribus des Ramnes, des Lucères et des Tities en envoyaient trois chacune à l’armée. (Varron, De la Langue latine, V, § 81, p. 32, éd. O. Müller.)
31 Denys d’Halicarnasse, II, XXXV. — On a cherché à expliquer de diverses façons l’origine du mot curie. On le fait venir du mot curare, ou du nom de la ville de Cures, ou de κύριος, seigneur ; il semble plus naturel de le faire dériver du mot quiris (curis), qui signifiait lance (Denys d’Halicarnasse, II, XLVIII. — Plutarque, Romulus, XLI), car ainsi nous arriverons à un terme identique à celui du moyen âge, où lance signifiait un homme d’armes, accompagné de six ou huit suivants armés. Et, comme le but principal de la formation de la curie était de fournir un certain nombre de citoyens armés, il est possible qu’on ait donné au tout le nom de la partie. On lit dans Ovide, Fastes, II, vers 477-480 :
Sive quod haste curie priscis est dicta Sabinis, Bellleus a telo venit in astra Deus : Sive suo regs nomen posuere Quirites ; Seu quia Romanis junxerat ille Cures.
32 Tite-Live, I, XLIII.
33 Denys d’Halicarnasse, II, XIV, et IV, XX.
34 L’appel au peuple existait même sous les mis, comme le montrent les livres des pontifes. (Cicéron, De la République, II, XXXI.)
35 Plutarque, Numa, XVII. — Pline, Histoire naturelle, XXXIV, I.
36 Servius Tullius ne se réglait plus comme autrefois d’après l’ordre ancien des trois tribus distinguées par origine, mais d’après celui des quatre tribus nouvelles qu’il avait établies par quartiers. (Denys d’Halicarnasse, IV, XIV.)
37 Denys d’Halicarnasse, III, XLI. — Tite-Live, I, XXXV.
38 Denys d’Halicarnasse, IV, XXII.
39 Denys d’Halicarnasse, IV, XIX. — Servius Tullius rejeta, par ce moyen, sur les plus riches tout le poids des frais et des dangers de la guerre. (Denys d’Halicarnasse, IV, XX.)
40 Si Numa fut le législateur des institutions religieuses, la postérité proclame Servius le fondateur de l’ordre qui distingue dans la République les différences de rang, de dignité et de fortune. C’est lui qui établit le cens, la plus salutaire de toutes les institutions pour un peuple destiné à tant de grandeur. Lee fortunes, et non plus les individus, furent appelées à porter les charges de l’État. Le cens établit des classes, des centuries, et cet ordre qui fait l’ornement de Rome pendant la pais et sa force pendant la guerre. (Tite-Live, I, XLII.)
41 Denys d’Halicarnasse, IV, XVI.
42 Lorsque Servius Tullius eut achevé le recensement, il ordonna à tous les citoyens de se réunir en armes dans la plus grande des plaines situées près de la ville, et, ayant rangé les cavaliers par escadrons, les fantassins en phalanges, et les hommes armés à la légère dans leurs ordres respectifs, il les soumit à une lustration par l’immolation d’un taureau, d’un bélier et d’un bouc. Il ordonna que les victimes fussent promenées alentour de l’armée, après quoi il sacrifia à Mars, auquel ce champ est dédié. Depuis cette époque jusqu’à présent, les Romains ont continué de faire accomplir la même cérémonie par la plus sainte des magistratures, à l’achèvement de chaque recensement ; c’est ce qu’ils nomment lustre. Le nombre total de tous les Romains recensés donna, d’après ce qui est écrit dans les tables du cens, 86.000 hommes, moins 300. (Denys d’Halicarnasse, IV, XXII.)
43 Ce bon ordre du gouvernement (sous Servius Tullius) s’est maintenu chez les Romains pendant plusieurs siècles, mais de nos jours il a été changé, et, par la force des choses, a fait place à un système plus démocratique. Ce n’est pas qu’on ait aboli les centuries, mais on ne convoquait plus les votants avec l’ancienne exactitude ; leurs jugements n’ont plus la même équité, comme je l’ai observé en assistant souvent aux comices. (Denys d’Halicarnasse, IV, XXI.)
44 Les plus pauvres citoyens, malgré leur grand nombre, étaient les derniers à donner leur voix, et ne faisaient qu’une centurie. (Denys d’Halicarnasse, IV, XXI.)
45 Tite-Live, I, XLIII.
46 Dès l’âge de dix-sept ans, on était appelé sous les drapeaux. La jeunesse commençait à cet âge et se prolongeait jusqu’à quarante-six ans. Alors, commençait la vieillesse. (Aulu-Gelle, X, XXVIII. — Denys d’Halicarnasse, IV, XVI.)
47 Tite-Live ne parle que de cent quatre-vingt-douze centuries ; Denys d’Halicarnasse en compte cent quatre-vingt-treize. Dans la plèbe romaine, les citoyens les plus pauvres, ceux qui ne déclaraient pas au cens plus de quinze cents as, furent appelés prolétaires ; on appelait capite censi ceux dont l’avoir ne dépassait pas trois cent soixante et quinze as, et qui ne possédaient ainsi presque rien. Or, la fortune et le patrimoine du citoyen étant pour l’État une sorte de garantie, le gage et le fondement de l’amour de la patrie, on n’enrôlait les gens des deux dernières classes que dans un extrême danger. Toutefois la position des prolétaires était un peu plus honorable que celle des capite censi : dans les temps difficiles, la jeunesse venait-elle à manquer, on les incorporait dans une milice formée à la hâte, et on les équipait aux frais de l’État : leur nom ne faisait pas allusion à leur simple recensement par tête ; moins humiliant, il rappelait leur destination de donner des enfants à la patrie. L’exiguïté de leur patrimoine ne leur permettant pas de venir en aide à l’État, ils contribuaient du moins à peupler la cité. (Aulu-Gelle, XVI, X.)
48 Tarquin l’Ancien donna ensuite aux chevaliers l’organisation qu’ils ont conservée jusqu’aujourd’hui. (Cicéron, De la République, II, XX.)
49 On dit que le nombre des citoyens inscrits à ce titre fut de 80.000. Fabius Pictor, le plus ancien de nos historiens, ajoute que ce nombre ne comprend que les citoyens en état de porter les armes. (Tite-Live, I, XLIV.)
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