Préface de Gilles Nuytens ©2021. EDICO
Édition : JDH Éditions
77600 Bussy-Saint-Georges. France
Imprimé par BoD – Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
Réalisation graphique couverture : Cynthia Skorupa
ISBN : 978-2-38127-143-9
Dépôt légal : mars 2021
Qu'il s'agisse d'œuvres du vingtième siècle, du dix-neuvième, du dix-huitième ou encore plus tôt...
Qu'il s'agisse d'essais, de récits, de romans, de pamphlets...
Ces œuvres ont marqué leur époque, leur contexte social, et elles sont encore structurantes dans la pensée et la société d'aujourd'hui.
La collection "Les Atemporels" de JDH Éditions, réunit un choix de ces œuvres qui ne vieillissent pas, qui ont une date de publication (indiquée sur la couverture) mais pas de date de péremption. Car elles seront encore lues et relues dans un siècle.
La plupart de ces atemporels sont préfacés par un auteur ou un penseur contemporain.
Malgré son âge respectable de presque 500 ans, ce texte intemporel résonne tout particulièrement en moi aujourd’hui. La « servitude volontaire » de nos sociétés, je l’avais déjà constatée depuis longtemps, à différents niveaux, mais depuis le printemps de cette année maudite de 2020, elle est devenue une évidence brutale. Il m’est impossible de ne pas faire de parallèle avec cette situation délirante que nous vivons à l’heure où j’écris ces lignes. La servitude, qu’elle soit volontaire ou non, a existé, existe et existera toujours tant que l’humanité elle-même existera, il ne faut pas se leurrer. Et ce texte d’Étienne de La Boétie la décrit de façon percutante. La situation a changé, certes, mais le principe reste le même.
Par ce pamphlet « coup de poing » pour son époque, Étienne de La Boétie démontre donc qu’accepter de perdre ses libertés, c’est accepter sa servitude. Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Depuis des années, nos libertés nous sont retirées au compte goûte, ci et là, petit à petit, insidieusement. Lentement mais sûrement, elles nous sont grappillées dans l'indifférence quasi générale. Une indifférence que je qualifierais d’assourdissante tellement elle me semble omniprésente : je la vois, je la sens, je la respire. Elle est là, elle est bien là, ancrée dans les mœurs de ce 21ème siècle. En comparaison avec le Moyen-Âge ou l’Antiquité où la population vivait sous le joug de « tyrans » tout puissants qui avaient souvent droit de vie ou de mort sur tout un chacun, nous jouissons d’un mode de vie beaucoup plus aisé. Pourtant, paradoxalement, nos sociétés « modernes » ont tellement été habituées à vivre cette « grande liberté » (toute relative) que je reste halluciné par tant d’apathie face à cette érosion progressive de ces mêmes libertés. Ne devrions-nous pas nous offusquer vigoureusement de perdre ce que nous considérions comme acquis, nous serrer les coudes, nous révolter ? Alors pourquoi cette indifférence ? Selon moi, il y a de très nombreux facteurs qui la justifient. Et parmi ces facteurs, celui qui me paraît le plus pertinent est celui de la « perte infime », car il s’agit bien souvent de pertes de libertés tellement infimes qu’elles passent inaperçues. De l’ordre du détail. Nous, cette « masse populaire » malléable que nous sommes, nous grognons un coup, nous râlons puis nous passons à autre chose et nous nous y habituons. Et surtout nous oublions. C’est dans l’ordre des choses car la société aura bien pris soin de nous occuper l’esprit avec de nouveaux soucis et de nouveaux plaisirs. Dans l’antiquité et au Moyen-Âge, c’était la religion et les jeux. Aujourd’hui, en cette période de « surconsommation » de l’information, notre esprit est tellement sollicité et submergé par tout un tas d’informations anecdotiques et inutiles qu’il est comme noyé dans ce flux d’informations en continu. Notre cerveau doit ainsi faire le tri dans toutes ces informations à traiter et il privilégiera en toute logique les informations « directes », les nouvelles, celles qui ont une influence immédiate et celles qui « font du bien ». Nos « préoccupations » sont ainsi « orientées » sur des choses souvent sans intérêt (Il ne faut surtout pas que je rate l’émission d’untel ce soir à la TV !). Jusqu’à la « perte » suivante et ainsi de suite. Mais à un moment donné, toutes les petites pierres ainsi perdues auront contribué – sans que l’on ne s’en aperçoive – à l’érosion de la montagne… C’est l’effet d’accoutu-mance.
Alors, lorsque cela se produit à plus grande échelle, par exemple la perte soudaine des droits fondamentaux (comme dans cette période sombre de « dictature sanitaire »), une grande partie de ces libertés ainsi perdues – les plus « visibles » – nous sont finalement rendues une fois la « crise » passée. Mais il ne faut pas être naïf, certaines de ces libertés perdues ne sont généralement jamais retrouvées. Bien entendu, la majorité de la population applaudira le « retour de ses libertés » sans réaliser qu’en fait, elle applaudit sa « servitude gagnée » ! Car d’après moi, il s’agit bien de ça, nos libertés fondamentales nous sont retirées de façon flagrante et brutale pour mieux « faire passer la pilule » de la perte définitive des moins « indispensables » : les plus petites, les plus anecdotiques, les moins « vitales ». Je ne prétends bien sur pas qu’il s'agisse là d’un « plan machiavélique » comme le fantasment certains, il s’agirait plutôt d’une dérive opportuniste générée par un inconscient collectif métastasé et alimenté par une ignorance et une incompétence généralisée, tant des dirigeants que des dirigés.
Pour ma part, la citation qui suit résume à elle seule les grandes lignes du livre : « Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise (ndlr : liberté), qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir, servant si franchement et tant volontiers qu’on dirait, à le voir, qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude. » La Boétie démontre ainsi que de petites acceptations en petits compromis, la soumission prend la forme et la couleur d’un choix d’apparence involontaire. Mais en réalité, selon sa thèse, il s’agirait plutôt d’un choix inconsciemment volontaire forcé par l’aliénation sociétale dont la grande majorité du peuple n’a pas conscience. Lorsqu’un pouvoir s’impose par la force, celui-ci ne peut perdurer dans le temps et dans une société sans que celle-ci ne collabore, de façon active ou résignée. Car ils se soumettent à « un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endu-rer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire ». À cet égard, La Boétie suggère la désobéissance pour se libérer : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres ». On peut ainsi le considérer comme le précurseur du concept de désobéissance civile.
La jeune génération ne comprend pas la colère des plus anciens face à l’évolution du monde car elle a grandi dans une société déjà accoutumée à la perte des libertés. « La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude ». C’est le premier facteur de servitude volontaire. Or si vous avez grandi dans une société ou par exemple la vie privée « c’est dépassé », vous ne comprendrez sans doute pas les réactions des « vieux » qui vous sembleront être des « réacs ». Pour moi qui ai grandi dans les années ‘80, le monde d’aujourd’hui est juste devenu invivable. Le ressenti des pertes de libertés est phénoménal et tellement palpable que j’ai l’impression de vivre dans un autre monde. Mais pour autant, je ne sombrerai jamais dans l’acceptation de cette servitude aliénante. Je n’ose imaginer ce que cela doit être pour les plus anciens, la génération « Mai ‘68 ».
Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie.