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Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne.

ISBN : 9782322228485

Dépôt légal : Novembre 2020

Tous droits réservés

CHAPITRE PREMIER

Disposition des esprits à la fin du dix-huitième siècle, concernant les faits
merveilleux et le surnaturel. — Les swedenborgistes. — Le prêtre Gassner
et le docteur Antoine Mesmer. — Débuts de Mesmer en Allemagne. —
Mesmer se rend à Paris. — Tableau du traitement magnétique. — Ses
premiers résultats.

Le dix-huitième siècle, qui compensait par une foi si docile au merveilleux, les antiques croyances que son esprit philosophique lui faisait perdre, le siècle de Montesquieu, de Voltaire et des encyclopédistes, qui fut aussi le siècle du grand thaumaturge de Saint-Médard, du rabdomante Bleton et de l’incomparable souffleur Lascaris, devait finir par une dernière merveille, qui, si elle n’éclipsa point toutes les autres, était du moins appelée à une plus longue fortune.

A l’époque dont nous parlons, la raison, ayant dit son dernier mot aux esprits, semblait être devenue impuissante à les captiver davantage elle ennuyait. Partout les instincts du sentiment réagissaient contre elle. On courait au-devant de toute nouveauté capable de complaire à l’imagination. Cette disposition était commune aux ignorants et aux lettrés. Pour se faire accepter, la science elle-même avait besoin de s’envelopper de mystères et d’affecter tout l’appareil d’une révélation apocalyptique. Il n’était pas jusqu’à l’économie politique, science qu’on veut aujourd’hui et qu’on a raison de vouloir positive et précise, qui ne reçût alors de Quesnay et de ses disciples le caractère de l’inspiration et les formes de la cabale.

« Il existe, écrivait en 1784, l’auteur de l’Anti-magnétisme, des sociétés dans Paris où l’on dépense un argent énorme à s’occuper de sciences mystiques. On est persuadé qu’il y a dans la nature des puissances, des esprits invisibles, des sylphes qui peuvent être à la disposition des hommes ; que la plupart des phénomènes de la nature, toutes nos actions, tiennent à ses ressorts cachés, à un ordre d’êtres inconnus ; qu’on n’a pas assez ajouté foi aux talismans, à l’astrologie judiciaire, aux sciences magiques ; que la fatalité, les destinées même sont déterminées par des génies particuliers qui nous guident à notre insu, sans que nous apercevions les fils qui nous tiennent ; enfin que nous ressemblons tous, dans ce bas monde, à de vrais pantins, à des esclaves ignorants et complètement aveugles. Ils impriment fortement dans toutes les têtes qu’il est temps de s’éclairer, que l’homme doit jouir de ses droits, secouer le joug des puissances invisibles, ou apercevoir au moins la main qui les régit. Ce goût pour les choses voilées, à sens mystique, allégorique, est devenu général dans Paris, et occupe aujourd’hui presque tous les gens aisés. Il n’est question que d’associations à grands mystères. Les lycées, les clubs, les musées, les sociétés d’harmonie, etc., sont autant de sanctuaires où l’on ne doit s’occuper que de sciences abstraites. Tous les livres à secrets, tous ceux qui traitent des grandes œuvres des sciences mystiques, cabalistiques, sont les plus recherchés 1. »

L’illuminisme poétique du Suédois Swedenborg, son enthousiasme ardent et sincère, avaient beaucoup contribué à plonger les esprits dans ces préoccupations des choses du monde invisible. Depuis l’année 1745, date mémorable où Swedenborg, se trouvant à table dans une auberge, avait vu apparaître, au milieu d’une vive lumière, un homme qui lui avait crié d’une voix de stentor : Ne mange pas tant ! apparition suivie, à quelques jours de là, d’une entrevue avec Dieu en personne, qui l’avait sacré apôtre d’une révélation nouvelle, ce philosophe s’était mis à l’œuvre avec toute l’ardeur que commandait une mission reçue de si haut. Swedenborg publiait, sous la dictée de Dieu lui-même, que la substance de Dieu est le type primitif de la création universelle ; que l’âme est la vie réelle de l’homme, et que le corps n’en est que la forme ; — qu’il y a deux hommes dans un homme, l’un spirituel, l’autre naturel ; — que, durant le pèlerinage de l’homme matériel sur cette terre, son correspondant, l’homme spirituel, est en commerce avec les esprits, mais sans qu’il puisse s’en apercevoir : esprits bons ou mauvais, selon ce que témoigne la conduite même de l’homme ; car, s’il vit régulièrement, c’est par le mérite des anges qui l’entourent et qui prennent soin de sa santé et de son salut ; s’il se comporte mal, au contraire, c’est par l’influence des démons ambiants qui s’acharnent à le perdre dans son corps et dans son âme.

A travers mille fantaisies folles ou sincères, il y avait dans la doctrine de l’extatique suédois deux choses qui, en tous lieux et en tout temps, ont le plus vivement intéressé les hommes : il y avait une religion et un système de médecine. L’effet produit par les prédications et les écrits de Swedenborg fut si grand que, dans la seule ville de Londres, où il se rendit pour faire imprimer un de ses livres, on put compter bientôt plus de six mille swedenborgistes réunis en société.

Cet illustre illuminé avait laissé en Suède des amis et des adeptes nombreux pour le représenter pendant son absence, si toutefois il pouvait y avoir autre chose qu’une apparence de séparation pour des êtres qui étaient en communication harmonieuse et continue, grâce à l’intermédiaire des esprits aériens. On disait même que les âmes des croyants pouvaient, à travers toute distance, se mettre en contact immédiat. On affirmait, par exemple, qu’après son départ de la Suède, où le célèbre visionnaire avait laissé, au palais de Gothembourg, une grande et noble dame, adepte de sa doctrine et unie à lui par les liens d’un mystique amour, les entrevues habituelles s’étaient continuées entre les plus platoniques des amants, malgré la distance qui les séparait ; que, lui, poursuivant à Londres ses élucubrations gnostiques, elle, s’ennuyant par bienséance à un bal de la cour de Stockholm, leurs âmes, enveloppées d’une image de leurs corps, se rejoignaient dans ce même palais de Gothembourg, et tenaient séance sur un sofa de satin parsemé d’étoiles argentées, dans un petit salon éclairé de bougies, que des serviteurs respectueux et discrets allumaient régulièrement à l’heure accoutumée de ces rendez-vous.

Ainsi, la secte des rose-croix du dix-septième siècle renaissait en ce moment dans l’Allemagne, qui n’eut garde de se dérober à l’entraînement de ce nouvel illuminisme. Elle se faisait enseigner avidement, pour la commenter ensuite avec cette patience et cette profondeur qu’elle met en toutes choses, une doctrine qui reproduisait avec des personnages réels, vivants et connus, les plus fantastiques et les plus gracieuses légendes. Les uns se jetaient à corps perdu dans ce monde des esprits, pour y apprendre à vaincre ou à conjurer les puissances ennemies du bonheur des hommes ; les autres, plus philosophes que religieux, qui ne croyaient pas aux esprits, mais qui croyaient aux forces mystérieuses de la nature, rêvaient de secouer le joug de ces agents ou de les faire servir à quelque action réparatrice et réconfortative du corps humain. Chacun se croyait donc remis sur la voie de cette médecine universelle, que plusieurs philosophes hermétiques avaient promise comme une des propriétés du grand magistère, et dont quelques paracelsistes enthousiastes s’étaient vantés de posséder le secret.

Tout à coup on annonça que cette panacée était trouvée. Il n’était plus permis d’en douter au récit des miracles qu’elle opérait à Vienne, à Ratisbonne et en beaucoup d’autres lieux de l’Allemagne. Ce que Michel Meyer avait dit cent cinquante ans trop tôt, en parlant des rose-croix, devenait enfin une vérité, qui allait être répétée de bouche en bouche : Munera Germaniaetoti orbi communicata.

Au milieu de l’Allemagne, deux hommes, l’un prêtre, l’autre médecin, originaires tous les deux de la Souabe, avaient retrouvé en même temps l’art divin et royal de guérir les malades en se bornant à les toucher. Dans le cours de l’année 1774, on les voit à l’œuvre l’un et l’autre, disputant de puissance, de prodiges et de succès. Sur la scène où ils opèrent, chacun a ses partisans propres et son public particulier. Ailleurs on n’entend que le bruit qui se fait autour d’eux, sans discerner encore certaines nuances distinctives qui disparaissent dans le lointain, et qui expliqueront plus tard non seulement la différence de clientèle, mais encore la diversité de fortune de ces nouveaux thaumaturges. Si l’on devait reconnaître en eux les deux prophètes toujours annoncés et toujours attendus par les illuminés des anciens siècles, l’un était Élie l’artiste, l’autre était Élisée.

Le prêtre, borné à la science de son état, et se servant des pouvoirs que tout ecclésiastique de l’ordre mineur tient de l’Église, pratiquait, orné d’une étole rouge, et avec les formules ordinaires du rituel, un véritable exorcisme médical sur des malades ayant la foi dans l’esprit et le diable dans le corps. Ses cures étaient de régulières applications de la science théologique. Il faisait profession d’abandonner, et il abandonnait, en effet, aux hommes de l’art, les maladies auxquelles, après certaines opérations probatoires, il reconnaissait que l’esprit malin était tout à fait étranger ; et quoique, suivant son diagnostic, les maladies pour lesquelles il se déclarait incompétent fussent des exceptions fort rares, elles suffisaient pour ôter à son invention le caractère de médecine universelle.

Ce prêtre s’appelait Jean Gassner.

Le médecin, moins limité dans ses études, observateur sagace et même assez bon physicien pour son temps, avait également commencé par cacher ses procédés dans l’ombre d’un certain mysticisme. Il empruntait sa panacée à la nature, mais il la prenait dans ce qu’elle a de plus secret et de plus merveilleux. Avec lui, il était aussi question d’esprits, non pas, à la vérité, de ces esprits funestes qu’il faut expulser des corps malades en brandissant le goupillon et en fulminant des conjurations menaçantes, mais, au contraire, de ces esprits de vie et de salut qu’on doit y appeler à force de pratiques attrayantes et de douces caresses, secondées par certains accessoires dont quelques-uns sont encore de véritables charmes. Esprit du monde, âme de l’univers, agent général, influence des corps célestes, aimant, électricité, fluide, tels étaient les éléments divers ou les noms variables de l’agent unique par la vertu duquel le docteur souabe se faisait fort de guérir immédiatement les maladies de nerfs, et médiatement toutes les autres.

Ce médecin s’appelait Antoine Mesmer.

C’est dans les premiers jours de l’année 1775 qu’un journal danois, le Nouveau Mercure savant d’Althona, avait jeté pour la première fois au monde lettré le nom d’Antoine Mesmer. La Lettre à un médecin étranger, que Mesmer venait de publier dans ce journal, n’était pourtant que la seconde annonce de son système, car dès l’année 1766, il avait fait paraître à Vienne, comme thèse inaugurale de docteur, une dissertation touchant l’influence des planètes sur le corps humain. Mais on trouvait dans la Lettre publiée par le recueil danois, le système de Mesmer perfectionné par dix années d’expériences et d’essais.

Ce système avait fait beaucoup de bruit avant d’être né, pour ainsi dire, et ses incertitudes primitives avaient donné matière à de violentes controverses au delà du Rhin. Il prenait définitivement pour expression synthétique gravitation et magnétisme animal. Le premier terme était emprunté à la physique transcendante de Newton ; le second, déjà ancien dans la science, était rajeuni — on le croyait du moins — par l’adjonction d’une épithète. Le rapprochement et la combinaison de ces deux termes signifiaient sans doute que la médecine de Mesmer avait son principe dans l’astronomie, comme celle de Gassner avait sa source dans la théologie. Le prospectus aurait pu être plus clair, mais il n’était pas plus obscur que ne doit l’être une apocalypse : la Lettre à un médecin étranger était le manifeste apocalyptique du magnétisme animal.

Si la capitale de l’Autriche avait servi de premier théâtre aux exploits de nos deux thaumaturges, elle ne leur avait pas conservé longtemps son hospitalière protection. Après avoir brillé quelque temps à Vienne et à Ratisbonne, le prêtre Gassner avait été exilé, par ordre de l’empereur, dans un couvent d’hommes près de cette dernière ville. Quant au docteur Mesmer, à la suite d’une aventure qui avait paru jeter sur lui un éclat trop peu favorable, l’impératrice lui avait intimé l’ordre de « finir cette supercherie. » Quelques mois après cet avis, Mesmer songeait à quitter l’Autriche. Le nouveau théâtre qu’il avait choisi, c’était Paris, qui donne seul aux grandes renommées leur consécration définitive.

Le bruit des succès de Mesmer était déjà parvenu, d’ailleurs, dans la capitale de la France, et la ville des étrangers, comme on l’avait déjà appelée, attendait le nouveau prophète avec l’impatience la plus vive. On se faisait raconter ses succès, qui émerveillaient la multitude. Ses déconvenues académiques semblaient autant de persécutions dont les littérateurs excentriques, les savants déclassés, et tous ceux qui, en France, avaient éprouvé de pareils malheurs, s’indignaient par contrecoup et par confraternité. On avait appris que, parmi les compagnies savantes dont Mesmer avait sollicité un jugement sur son système, la Société royale de Londres et l’Académie des sciences de Paris, ne lui avaient pas même répondu, et que celle de Berlin n’avait daigné lui écrire que pour lui déclarer qu’il était dans l’erreur. Tant pis pour les académies ! s’écriait-on, quoique, par une contradiction bizarre et néanmoins très ordinaire en pareil cas, on fit une gloire à Mesmer d’avoir réussi auprès de l’Académie de Munich, qui l’avait admis au nombre de ses membres, par ordre du prince-électeur de Bavière, converti à la nouvelle doctrine.

Ainsi le terrain du succès était bien préparé dans le milieu philosophique, et la disposition générale des esprits assurait d’avance à Mesmer le plus sympathique accueil dans la capitale de la France. Il allait trouver à Paris la passion du merveilleux entretenue et nourrie par les influences accumulées de toutes les grandes thaumaturgies qui avaient tour à tour étonné le dix huitième siècle, et dont aucune n’avait entièrement disparu. Les adeptes de l’alchimie, émules du grand Lascaris, réfugiés dans les taudis du faubourg Saint-Marceau, soufflaient encore de tout ce qui leur restait de foi, de charbon et d’haleine. Les affiliés des rose-croix, après avoir pendant quelque temps voilé leurs mystères, préparaient leur rentrée dans le monde par la mission du frère le plus avancé et peut-être même du chef suprême de leur secte. La baguette divinatoire, tombée des mains de Jacques Aymar, opérait en ce moment des merveilles dans les mains du sourcier Bleton, qui, en France, faisait école de rabdomantes. Les miraculés de Saint-Médard avaient laissé des successeurs qui, discrètement entretenus à l’ombre de la petite Église des jansénistes, allaient, dans la nuit du jeudi saint de chaque année, donner au milieu du chœur de la Sainte-Chapelle, une exhibition de leurs contorsions affreuses et de leurs grimaces diaboliques, aux grands applaudissements de plusieurs dames de la cour, et même de quelques philosophes, confondus avec une populace de Savoyards enfumés et de robustes portefaix, qu’on embauchait pour contenir les membres des possédés au moment du paroxysme de la convulsion. Mais une disposition qui, plus que toutes les autres, devait favoriser Mesmer, c’était celle qu’il avait créée lui-même dans le système nerveux de ses futures clientes : depuis l’apparition de son prospectus, les nerfs de tout le Paris féminin et vaporeux se crispaient d’impatience.

Enfin il arriva ! C’était au commencement de février 1778, la même année, le même mois et presque le même jour que le plus grand homme du siècle, le patriarche de la philosophie sceptique, rentrait lui-même dans Paris, après vingt-deux ans d’exil et soixante ans de gloire. Quelle coïncidence ! Dans ce Paris, théâtre des plus grands contrastes en tout genre, et des plus étonnantes vicissitudes du goût de la mode et des idées, dans ce Paris où la croyance aux miracles avait survécu à l’influence de l’Encyclopédie, Mesmer et Voltaire entraient à la fois tous les deux, Mesmer pour y régner, Voltaire pour y mourir !

Notre nouveau souverain fit toutefois une entrée des plus modestes. A l’endroit même où la place Vendôme s’encadre orgueilleusement aujourd’hui dans des magnificences architecturales presque aussi monumentales que sa colonne, il y avait, au siècle dernier, un carrefour formé par la rencontre de quelques rues sombres, étroites et silencieuses. Le voisinage du couvent des Feuillants et de celui des Capucines, déteignant sur tout le quartier, lui donnait une apparence triste, sévère et presque monastique. Ce fut là que Mesmer descendit, dans un hôtel tenu par les frères Bourret, et situé à l’un des angles de ce pauvre carrefour qui, toutefois, s’appelait déjà la place Vendôme. S’il fût venu à Paris dans l’intention d’y vivre ignoré, il n’aurait pas autrement choisi son domicile. Peut-être, en effet, entrait-il dans ses calculs de ne pas faire beaucoup de bruit au début. Son train n’était pas celui d’un charlatan qui veut commencer par éblouir le public ; il n’avait qu’une vieille voiture et point de chevaux, avec un seul valet pour le servir et l’aider à soutenir les malades dans leurs crises. Un chirurgien allemand, nommé Leroux, son disciple à Vienne, et qui l’ayant accompagné dans tous ses voyages, avait voulu le suivre jusqu’à Paris, l’abandonna au bout de quelques semaines, pour faire du magnétisme schismatique sous le titre d’électricité médicale.

Mesmer, qui s’offrait au public sans le solliciter, se montrait réservé avec les médecins, et tenait pour suspectes les académies. A cet égard, du reste, les préventions étaient réciproques. Les corps savants, toujours en garde contre les nouveautés, affectaient de s’émouvoir peu, et même de ne pas vouloir s’enquérir d’un système qui, nulle part, si ce n’est dans l’électorat de Bavière, n’avait encore été reconnu par la science officielle.

Toutefois, les médecins se mirent assez volontiers en communication avec Mesmer ; il avoue lui-même que, dès son arrivée à Paris, il fut, de leur part, l’objet de quelque empressement.

« Pour répondre ; dit-il, aux prévenances et aux honnêtetés dont ils me comblaient, je fus porté à satisfaire leur curiosité, en leur parlant de mon système. Surpris de sa nature et de ses effets, ils m’en demandèrent l’explication. Je leur donnai mes assertions sommaires en dix-neuf articles. Elles leur parurent sans aucune relation avec les connaissances établies. Je sentis en effet combien il était difficile de persuader, par le seul raisonnement, l’existence d’un principe dont on n’avait encore aucune idée, et je me rendis, par cette considération, à la demande qui m’était faite, de démontrer la réalité et l’utilité de ma théorie par le traitement de quelques maladies graves. »

Il était bien difficile, en effet, aux médecins de Paris de comprendre le système de Mesmer. Dans l’esprit même de l’inventeur régnaient encore de grandes ténèbres sur sa théorie. Quant à ce qu’il appelle ses assertions, deuxième ou troisième ébauche de son système 2, on jugera quelle devait être alors leur obscurité par celle qu’on y trouvera encore, lorsque, après leur avoir donné leur formule définitive, il les livrera enfin au public, augmentées, corrigées et toujours si peu transparentes.

En attendant, voilà Mesmer à l’œuvre, car on l’appelle déjà à justifier l’existence de son agent par des cures, c’est-à-dire par ce qu’il y a de plus concluant en médecine. C’est là que cet agent méconnu et repoussé par la science officielle, va s’imposer, comme ces héros sans nom de l’ancienne chevalerie, qui prouvaient leur race par leur valeur, et leurs ancêtres par leur bras :

Seigneur, pour mes aïeux, je nomme mes exploits !

Mesmer avait trop d’intérêt à commencer ses expériences, pour qu’il n’y ait pas lieu de douter un peu que les choses se soient passées exactement comme il nous les raconte. A l’en croire, en entreprenant le traitement de ses premiers malades, il ne fait que céder aux instances des médecins de Paris, qui, après l’avoir entendu, ont besoin d’un supplément de démonstration. Mais si c’est en effet, par pure complaisance et dans le seul intérêt des médecins qu’il va faire cette leçon de clinique, il faudrait donc conclure, ce qui paraît bien difficile à admettre, qu’un novateur distingué, comme il l’était, se rendait à Paris uniquement pour y dogmatiser sur sa découverte. Au surplus, Mesmer sera formellement et même très durement démenti, dans la suite, par ces mêmes confrères, lorsque, mécontents de ses procédés, peut-être aussi irrités de ses succès extra-scientifiques, ils parleront à leur tour de leur complaisance, de leur générosité et presque de leur charité. Ils diront que, loin d’avoir sollicité Mesmer, ils furent au contraire, sans cesse obsédés par ses demandes et ses prières, si bien qu’ils auraient résolu à la fin de se saigner dans leur clientèle, pour lui procurer quelques malades comme prime d’encouragement.

Mesmer, dans ce premier moment, ne se méfia pas assez de ces présents d’Hippocrate. On le voit en effet procéder avec une intrépidité rare au traitement de ces malades, dans lesquels la Faculté pouvait avoir caché d’avance un argument à double tranchant. Le résultat, s’il faut l’en croire, répondit pleinement à sa confiance.

« J’ai obtenu, dit-il, la guérison d’une mélancolie vaporeuse avec vomissement spasmodique ; de plusieurs obstructions invétérées à la rate, au foie et au mésentère, d’une goutte sereine imparfaite, au degré d’empêcher la malade de se conduire seule ; d’une paralysie générale avec tremblement, qui donnait au malade, âgé de quarante ans, toutes les apparences de la vieillesse et de l’ivresse ; cette maladie était la suite d’une gelure ; elle avait été aggravée par les effets d’une fièvre putride et maligne, dont ce malade avait été attaqué en Amérique. J’ai encore obtenu le même succès sur une paralysie absolue des jambes, avec atrophie ; sur un vomissement habituel qui réduisait la malade à l’état de marasme ; sur une cachexie scrofuleuse ; et enfin sur une dégénération générale des organes de la transpiration. »

A ce compte, Mesmer pouvait prétendre que son agent était un remède contre tous les maux. Mais après le traitement de ces premiers malades, l’argument à double tranchant dont nous avons parlé, commença à montrer ses pointes. Mesmer assurait que tous les sujets traités par lui étaient condamnés par la Faculté ; les médecins qui les avaient fournis soutinrent, au contraire, qu’ils étaient simplement malades. De là une longue polémique entre Mesmer et les médecins de Paris, sur l’importance des cures obtenues, sur la réalité de ces cures, etc. Nous passons rapidement sur cette première dispute, plus importante par son caractère que par son sujet, car elle commence à établir entre notre novateur et les docteurs de l’ancienno aviso, une situation qui ne cessera de s’envenimer, et qui dominera, en France, toute l’histoire académique du magnétisme animal.

C’est comme circonstance propre à bien marquer cette situation que nous placerons ici la scène suivante, telle qu’elle est racontée par Mesmer, et qui se serait passée peu de temps après son arrivée à Paris.

« Un jour, dit Mesmer, que j’avais du monde chez moi, l’on m’annonça un président d’une cour souveraine. Je vis entrer une personne dans le costume des gens de robe, qui, sans égard pour le reste de la compagnie, s’empara de moi, me consulta sur ses maladies et m’accabla de questions, en parlant à outrance et avec une familiarité que je trouvais déplacée dans un homme bien né. C’était M. Portal, médecin à Paris, qui, très satisfait de sa gentillesse, se hâta d’en tirer vanité dans le monde. Il était prouvé sans réplique, selon lui, que je n’avais aucun des talents dont je me vantais, puisque, sur sa parole, je l’avais cru malade, quoiqu’il n’en fût rien, puisque j’avais ajouté foi à l’assurance qu’il me donna d’éprouver des sensations que, dans le fait, il n’éprouvait pas, et puisque enfin ; dupe de l’habit, je n’avais pas su distinguer le pantalon du président 3. »

Mais ni ces espiègleries de la Faculté, ni les quolibets, ni même les attaques diffamatoires dont il était déjà l’objet dans les journaux de Paris, échos des gazettes de l’Allemagne, n’empêchaient Mesmer d’être un grand homme pour le public. L’hôtel des frères Fourret se remplissait d’une foule chaque jour plus nombreuse. La robe, l’armée et la finance fournissaient à l’envi leur tribut de clients et de croyants au magnétisme à son aurore. Des personnes de la plus haute noblesse, des gens de cour, arrivaient dans leurs voitures armoriées, qu’ils faisaient stationner sur le carrefour et dans les rues adjacentes. Ceux qui, non moins curieux, n’avaient pas au même degré le courage de leur curiosité, venaient dans des équipages d’emprunt, ou même attendaient la nuit pour se glisser furtivement dans le temple où s’accomplissaient de si étranges, et disait-on, de si délicieux mystères.

Le grand pontife du temple de la place Vendôme est, en effet, un fascinateur irrésistible, qui, toutefois, ne déploie que graduellement sa puissance. Son air et ses manières ont prévenu et captivé le nombreux public que la curiosité seule avait d’abord attiré à ses séances. Quelques années à peine le séparent de la maturité ; mais s’il n’a plus la fleur brillante de la jeunesse, il en a conservé toute la force, et ce qui est peut-être plus précieux que de l’avoir conservée, il a appris à la contenir. Quand il promène sur l’assistance ses yeux fixes et pénétrants, elle est déjà sous une espèce de charme. Tout en lui respire le calme et l’harmonie. Son visage est d’une sérénité parfaite. Dans sa démarche si grave et si mesurée, qu’on dirait la strophe et l’antistrophe des chœurs de la tragédie antique, il apparaît comme un nouveau Prométhée craignant, après son larcin, de perdre une étincelle du feu céleste qu’il apporte à l’humanité.

Mais quel est ce feu dont Mesmer est rempli, qu’il concentre en lui-même par sa volonté, et que sa volonté va darder en rayons invisibles dans des corps souffrants ou débiles, pour leur rendre la force ou la santé ? Hélas ! nul ne l’a jamais su, et le pontife l’a toujours ignoré lui-même, en dépit des efforts qu’il a faits pour nous l’expliquer. Ne pouvant le comprendre dans sa nature, essayons pourtant de le connaître dans ses effets. Or, voici en quoi ces effets consistent.

Mesmer prélude par certaines manipulations simplement communicatives ; c’est ce qu’il appelle se mettre en rapport avec son sujet. Assis en face de lui, le dos tourné au nord, il approche pieds contre pieds, genoux contre genoux : ensuite il porte, sans appuyer, les deux pouces sur les plexus nerveux qui se réunissent au creux de l’estomac. Ses doigts, posés sur les hypocondres, se promènent en effleurant légèrement les côtes et en se rabattant vers la rate, de telle sorte qu’ils ne fassent pas changer de place aux pouces pendant qu’ils décrivent ces deux courtes paraboles. Quelques disciples jeunes et robustes opèrent sous les yeux du maître, et s’attachent à répéter les mêmes mouvements, c’est-à-dire, pour employer leur langage, les mêmes passes, qui se continuent pendant un quart d’heure ou plus. C’est déjà une action, mais de l’intensité la plus bénigne et la plus innocente.

Tous les malades ; sans distinction, ont droit à ces attouchements préliminaires, dont Mesmer augmente l’efficacité par son regard obstinément fixé sur celui du patient. Les sons d’une musique suave disposent les malades à recevoir ces attouchements dans un calme favorable. Ils ne tardent pas à en ressentir les premiers effets : chez l’un, c’est du froid dans la partie malade, chez l’autre de la chaleur ; chez un troisième, c’est une sensation douloureuse. Suivant ces indices, ou d’après les maux divers que les sujets accusent, les passes et les manipulations varient. Si c’est une ophtalmie, Mesmer ou ses adeptes portent la main gauche sur la tempe droite du malade et la main droite sur sa tempe gauche, puis, lui faisant ouvrir les yeux, ils lui présentent les pouces à une très petite distance, et les promènent, depuis la racine du nez, tout autour de l’orbite. Si c’est une violente migraine, ils les touchent par les extrémités de leurs pouces, portant l’un sur le front, l’autre derrière la tête, à l’opposite. Ainsi de toutes les douleurs locales des autres parties du corps. Une règle fixe et constante dans ces divers attouchements, c’est que le toucheur ait une main d’un côté et l’autre du côté opposé, c’est-à-dire à l’un des pôles par où il injecte le fluide vivifiant, et au pôle contraire par où il soutire le fluide, jusqu’à ce que le courant produit par cet exercice ait établi l’équilibre et l’harmonie dans la machine électrique animale.

La maladie est-elle générale, a-t-on à l’attaquer dans toute l’habitude du corps, autre forme de passes, plus hardie et plus large. C’est alors la magnétisation à grands courants. Les premières manipulations ont été faites ; le rapport est établi entre le magnétiseur et son sujet. Alors il passe les mains, en faisant faire la pyramide aux doigts 4, sur tout le corps du malade, à commencer par la tête et en descendant ensuite le long des épaules jusqu’aux pieds. Après cela il revient à la tête, devant et derrière, sur le ventre et sur le dos ; puis il recommence, et recommence encore, jusqu’à ce que, saturé du fluide réparateur, le magnétisé se pâme de douleur ou de plaisir, deux sensations également salutaires.

Dans ces passes puissantes et dans ces paraboles à grands rayons, les attouchements ne sont plus nécessaires. C’est à distance que Mesmer agit, c’est de loin qu’il produit ses effets. Et quels effets ! Grâce « au pouvoir que la nature a donné à tous les hommes, et que, par son travail sur lui-même, il a si bien perfectionné, » Mesmer verse à plein jet le fluide dont il surabonde. Armé d’une baguette de fer ou de verre terminée en pointe mousse, il l’injecte et le dirige où il lui plaît ; comme aussi, quand il le veut, il le soutire et le rappelle à lui. Mais le plus souvent cette baguette est rejetée et sa main lui suffit. Dans ses doigts rassemblés en pointe, il réunit les rayons du fluide, et les lance à dix pas devant lui. On croirait voir un pontife qui bénit, ou un bedeau superbe jouant du goupillon.

Cependant la scène s’anime, le magnétisme opère. Ici on entend des éclats de rire et des hoquets étranges ; là des sanglots, des soupirs ou des cris de douleur. On voit des magnétisés qui sont livrés à des pandiculations laborieuses ou à des bâillements longs et impossibles. Quelques femmes se sont pâmées ; d’autres se renversent et semblent prises de mouvements tétaniques. La musique est le grand secours que Mesmer applique à ces crises ; le forte-piano les accompagne, les tempère et les dirige. Mais l’instrument le plus efficace, sans doute parce qu’à cette époque il est encore très rare en France et tout à fait nouveau en médecine, c’est l’harmonica, que Mesmer a apporté de l’Allemagne, et dont il sait tirer des sons pathétiques qui, pénétrant l’âme d’une douce ivresse, augmentent ou diminuent, suivant le besoin, l’intensité du fluide magnétique et l’établissent dans chaque corps à un niveau salutaire.

O puissance de l’harmonie ! Des femmes à peine tirées de cet état violent et douloureux par la main qui l’avait fait naître, demandent instamment à y être replongées. C’est l’attrait de la crise, c’est sans doute aussi l’attrait du secours. Le piano et l’harmonica valent mieux que les bûches et les chenets qui distribuaient les secours aux convulsionnaires jansénistes. Du moins, Mesmer est humain, et d’un certain côté il l’est trop peut-être, s’il est vrai qu’il n’y eût ni supercherie ni connivence dans le fait de ces jeunes femmes qui, magnétisées par lui, se disaient invinciblement attirées par sa baguette et le suivaient par toute la salle, sans qu’aucun pouvoir autre que sa volonté pût les détacher de sa personne. Un tel prodige est de ceux qu’on peut voir sans être émerveillé. Il faut cependant accorder quelque attention au témoignage de plusieurs femmes du monde, réputées honnêtes et véridiques. Ces dames avouaient qu’il était impossible à la magnétisée de ne pas éprouver une tendre reconnaissance et même un vif attachement pour son magnétiseur. C’était déjà bien assez ; de tels aveux assuraient au magnétisme animal un bel avenir dans le monde parisien.

Mais remarquons bien que dans cette foule mêlée qu’attirent les premières représentations de Mesmer, abbés, marquises, cordons bleus, grisettes, militaires, traitants, médecins, jeunes filles, gens d’esprit, accoucheurs, freluquets, têtes à perruque, hommes vigoureux et moribonds, ceux qui éprouvaient des crises et des effets extraordinaires ne forment qu’une très petite minorité. Les trois quarts demeurent insensibles aux passes les plus puissantes et impénétrables aux plus vigoureux courants du fluide. Le reste en est affecté de diverses manières, et quelques-uns de cette catégorie se trouvent guéris ou soulagés. Ils l’affirment du moins avec tant de constance, qu’on doit croire qu’ils sont de bonne foi.

Il est certain qu’à cette première époque du magnétisme en France, le médecin allemand fit quelques cures heureuses. Ceux qui ont nié ces guérisons ne réfléchissaient point que l’état nerveux extraordinaire, les espèces d’attaques d’hystérie dans lesquels les manipulations de Mesmer jetaient certains malades, pouvaient agir efficacement sur leur organisme, quand il s’agissait d’une affection de nature spasmodique.

On peut citer, parmi les principaux personnages guéris par Mesmer à cette époque, le P. Hervier. De maladroits contradicteurs lui ayant soutenu qu’il n’avait jamais été malade, le bon religieux s’échauffa et devint bientôt un des plus fougueux prédicants du magnétisme.

Mesmer allait souvent magnétiser en ville, soit pour répondre aux sollicitations pressantes dont il était l’objet, soit pour se créer des relations et des appuis utiles à ses vues. Les journaux et les livres de l’époque ont enregistré divers effets remarquables produits par l’action de ce magnétiseur émérite.

Il prétendait pouvoir rendre magnétique tout ce qu’il touchait dans cette intention du papier, du pain, de la laine, de la soie, du cuir, des pierres, du verre, l’eau, différents métaux, du bois, des chiens, etc. Ces diverses substances ainsi préparées, c’est-à-dire saturées de fluide, opéraient sur les malades comme aurait pu faire le magnétiseur lui même. Mesmer pouvait donc se flatter de rendre aux amis du merveilleux l’équivalent des anneaux magiques, des poudres de sympathie et de tous ces talismans que Paracelse appelait les boîtes conservatrices des influences célestes. Son eau magnétisée valait au moins l’eau tirée du puits du bienheureux Pâris pour les vieux jansénistes qui la regrettaient encore ; elle purgeait mieux et pouvait voyager de même, car elle conservait partout où on l’expédiait l’entière efficacité de la vertu médicale dont on l’avait imprégnée.

Ces premiers succès de Mesmer dans la capitale y mettaient tous les cerveaux en ébullition. Les empiriques, les acolytes enthousiastes de tous les chercheurs de secrets, les amants solitaires des sciences occultes, les personnes pieuses qui, sans professer ouvertement le mépris des connaissances humaines, aiment à les voir primées et humiliées de temps à autre par quelques miracles, toute cette foule d’esprits bigarrés et excentriques, se délectaient aux triomphes d’un étranger qui, d’après ses débuts, paraissait homme à réaliser des prodiges comparables à ce que l’antiquité et le moyen âge ont raconté de plus étourdissant. Quant aux médecins, dont les succès de Mesrner compromettaient les intérêts, ils s’apprêtaient à combattre pro aris et focis ; ils parlaient, avant tout examen, de mensonge et de fraude, injustice dont l’expérience n’a jamais pu les corriger, et qui leur a souvent porté malheur devant le public. Toutefois, quelques membres de la Faculté, moins fermes contre le charlatanisme, ou même assez disposés à s’accommoder d’un charlatanisme fructueux, allaient tournant autour de Mesmer dans les maisons qu’il fréquentait, et ne manquaient aucune occasion de se glisser incognito dans son traitement de la place Vendôme, afin de surprendre le secret de sa science ou de sa supercherie. Enfin, un petit nombre de savants, observateurs sérieux, estimant avec un poète, leur contemporain, que,

Croire tout découvert est une erreur profonde,

C’est prendre l’horizon pour les bornes du monde 5,

ne dédaignaient pas non plus, mais dans un but plus louable, de suivre des opérations dont les résultats étranges pouvaient révéler, sinon un agent nouveau, du moins une propriété nouvelle dans l’un des agents naturels connus des physiciens.


1 L’Anti-magnétisme. Introduction, p. 3.

2 Mesmer nous apprend dans son Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, que ces assertions sont les mêmes qui avaient été transmises en 1776, à la Société royale de Londres, par M. Elliot, envoyé d’Angleterre à la diète de Ratisbonne ; elles venaient donc un an après la Lettre à un médecin étranger, qui, elle-même, avait eu pour antécédent la dissertation de l’Influence des planètes sur le corps humain, publiée à Vienne en 1766.

3 Précis historique de faits relatifs au magnétisme animal jusqu’en avril 1781, par M. Mesmer, docteur en médecine de la Faculté de Vienne, ouvrage traduit de l’allemand. (Londres, 1781, page 29)

4 Voyez le Catéchisme du magnétisme animal, rédigé pour les adeptes de Mesmer, et que nous avons dû suivre dans ce premier tableau, quoique les procédés des magnétiseurs aient beaucoup changé après 1778.

5 Lemierre.

CHAPITRE II

Mesmer entre en relations avec les corps savants. — Ses démarches près
de l’Académie des sciences — Son conflit avec la Société royale de médecine.
— Sa retraite à Créteil.

Parmi le petit nombre de ces hommes instruits qui n’avaient pas cru devoir rejeter a priori le magnétisme animal, se trouvait le médecin Le Roy, alors président de l’Académie des sciences. Ayant suivi l’un des premiers les expériences de Mesmer, il avait été frappé de certains résultats qui s’étaient produits sous ses yeux. Mesmer n’avait pas à se louer de l’Académie des sciences, qui n’avait pas répondu au mémoire adressé par lui aux divers corps savants de l’Europe. Cependant, Le Roy lui ayant offert sa médiation auprès de cette compagnie, s’il voulait faire une seconde tentative, Mesmer accepta ses bons offices et lui remit certaines propositions qu’il appelait ses assertions relatives au magnétisme animal. Le Roy se chargea de les présenter à l’Académie des sciences, et l’on convint du jour où ce rapport serait lu, afin que Mesmer pût assister à la séance.

Le Roy tint religieusement sa parole, et Mesmer, de son côté, fut très exact. Voici comment il raconte lui-même ce qui se passa :

« J’arrivai d’assez bonne heure pour voir se former une assemblée de l’Académie des sciences de Paris.

« A mesure que les académiciens arrivaient, il s’établissait des comités particuliers, où se traitaient sans doute autant de questions savantes. Je supposais avec vraisemblance que lorsque l’assemblée serait assez nombreuse pour être réputée entière, l’attention, divisée jusqu’alors, se fixerait sur un seul objet. Je me trompais chacun continua sa conversation ; et lorsque M. Le Roy voulut parler, il réclama inutilement une attention et un silence qu’on ne lui accorda pas. Sa persévérance dans cette demande fut même vertement relevée par un de ses confrères impatienté, qui l’assura positivement qu’on ne ferait ni l’un ni l’autre, en lui ajoutant qu’il était bien le maître de laisser le mémoire qu’il lisait sur le bureau, où pourrait en prendre communication qui voudrait. M. Le Roy ne fut pas plus heureux dans l’annonce d’une seconde nouveauté. Un second confrère le pria cavalièrement de passer à un sujet moins rebattu, par la raison péremptoire qu’on l’ennuyait. Enfin une troisième annonce fut brusquement taxée de charlatanerie par un troisième confrère, qui voulut bien suspendre sa conversation particulière tout exprès pour donner cette décision réfléchie.

« Heureusement, il n’avait pas été question de moi en tout cela. Je perdis le fil de la séance, et réfléchissant sur l’espèce de vénération que j’avais toujours eue pour l’Académie des sciences de Paris, je conclus qu’il était essentiel pour certains objets de n’être vus qu’en perspective…

« …M. Le Roy me tira de ma rêverie en m’annonçant qu’il allait parler de moi. Je m’y opposai vivement, le priant de remettre la chose à un autre jour.

« Les esprits, monsieur, me paraissent mal disposés aujourd’hui, lui dis-je. On a manqué d’égards pour vous, n’est-il pas à présumer qu’on en aurait encore moins pour un étranger tel que moi. A tout événement, je désire n’être pas présent à cette lecture. » Je serais sorti si M. Le Roy avait insisté.

« L’assemblée finit comme elle avait commencé ; ses membres défilèrent successivement. Il ne resta bientôt plus qu’une douzaine de personnes dont M. Le Roy éveilla suffisamment la curiosité pour qu’on me pressât de faire des expériences. L’enfantillage de me demander des expériences avant de se mettre au fait de la question, m’en aurait fait passer l’envie si je l’avais eue. Je m’excusai maladroitement sur ce que le lieu n’était pas convenable, plus maladroitement encore je me laissai entraîner, sans savoir m’en défendre, chez M. Le Roy, où M. At***, sujet à des attaques d’asthme, voulut bien se prêter à mes essais 6. »

Prévenu comme il était contre les corps savants, dont pourtant il avait besoin de provoquer le jugement, favorable ou non, afin d’augmenter et d’entretenir le bruit que faisait déjà son système, Mesmer doit être véhémentement soupçonné d’avoir chargé la scène précédente de quelques traits de son invention. Ce qui reste établi, c’est le peu de bonne volonté que montra ce jour-là l’Académie des sciences à s’occuper, même sur la demande de son président, des assertions de Mesmer. Car, demander des expériences avant tout exposé de doctrines, c’est-à-dire sans savoir à quelle vérification ces expériences pourraient servir, c’était le renversement de tout ordre logique, et Mesmer avait raison de blâmer cette conduite. Mais s’il avait raison dans le fond, il avait tort dans la forme en prétendant que, de la part de l’Académie, exiger des expériences sans un exposé préalable de doctrines était « un enfantillage ». C’était une manière illogique de procéder, et voilà tout.

Toutefois Mesmer n’était pas, en réalité, aussi fâché qu’il voulait le paraître. L’Académie des sciences, en se donnant un tort réel à son égard, le dispensait de lui en chercher d’imaginaires, ce qu’il fit très souvent, de l’aveu même des écrivains qui sont le plus favorables au magnétisme.

« Mesmer, dit Alex. Bertrand, au sujet de la scène qu’on vient de raconter, fit encore dans la suite quelques tentatives auprès de l’Académie des sciences ; mais il est constant que, soit par maladresse, soit à dessein, il ne le fit jamais de manière à pouvoir être écouté 7. »

Il faut pourtant convenir que cette fois il parut y mettre quelque bonne volonté. Suivons-le donc chez Le Roy pour le voir procéder aux expériences qu’il a consenti à exécuter.

Quoique faites dans une maison particulière, ces expériences pouvaient avoir encore une certaine solennité, puisqu’il y avait là douze témoins, tous académiciens ou aspirants à l’Académie. Mesmer assure que la plupart de ces personnages se comportèrent comme des écoliers impertinents, et que, placés à quelque distance derrière lui, ils ne cessèrent de ricaner pendant qu’il travaillait sur M. A***, le sujet bénévole de ses expériences.

Mais ce M. A*** lui-même ne valait guère mieux que les autres. Honteux de déclarer ce qu’il éprouvait sous les manipulations magnétiques de Mesmer, il se laissait paresseusement tirer les paroles de la bouche, et n’avait pas plutôt fait un aveu qu’il cherchait à le rétracter. Impossible d’imaginer un catéchumène plus rétif et plus dur à confesser.

« Je l’interrogeai, dit Mesmer, sur la nature des sensations que je lui occasionnais. Il ne fit aucune difficulté de me répondre qu’il sentait des tiraillements dans les poignets et des courants de matière subtile dans les bras ; mais lorsque ses confrères lui firent ironiquement la même question, il n’osa leur répondre qu’en balbutiant et d’une manière équivoque. Je ne jugeai pas à propos de m’en tenir là : je procurai à M. A*** une attaque d’asthme : la toux fut violente.

— Qu’avez-vous donc ? lui demandèrent ses confrères d’un air moqueur.

— Ce n’est rien, répliqua M. A***, c’est que je tousse ; c’est mon asthme, j’en ai tons les jours des attaques pareilles.

— Est-ce à la même heure ? lui demandai-je à mon tour et à haute voix.

— Non, répondit-il, mon accès a avancé, mais ce n’est rien.

— Je n’en doute pas, repris-je froidement, et je m’éloignai pour mettre fin à cette scène ridicule 8. »

Toutefois Mesmer ne faisait là que ce qu’on appelle au théâtre une fausse sortie. Plusieurs témoins, des plus incommodes, étant partis, il offrit à ceux qui restaient une dernière expérience destinée à leur prouver que l’organisation de l’homme est sujette à des pôles. Ce fut encore M. A*** qu’on prit pour patient de cette épreuve. Mesmer pria donc M. A*** de se mettre un bandeau sur les yeux.

« Cela fait, dit-il, je lui passai les doigts sous les narines à plusieurs reprises, et changeant alternativement la direction du pôle, je lui faisais respirer une odeur de soufre ou je l’en privais à volonté. Ce que je faisais pour l’odorat, je le faisais également pour le goût, à l’aide d’une tasse d’eau 9. »

Si ces expériences, comme l’assure Mesmer, ont été bien constatées par l’aveu formel de M. A***, pourquoi donc ajoute-t-il qu’il se retira peu satisfait de la compagnie avec laquelle il avait si désagréablement perdu son temps ? » Il semble que, nonobstant les ricanements des uns, et les rétractations pusillanimes des autres, il devait rester quelque chose d’une soirée où le magnétisme se serait manifesté par des effets aussi étranges que le dernier cité par lui, et cela dans la maison et en la présence du président de l’Académie des sciences.

A la vérité, Mesmer découvrit bientôt que Le Roy, jusqu’alors si bienveillant pour lui, était aussi esclave du respect humain que M. A*** lui-même. Étant allé rendre visite à M. de Mercy, ambassadeur d’Autriche, pour lequel il avait reçu des lettres de recommandation en quittant Vienne, il le trouva fort prévenu contre la valeur des expériences dont on vient de parler. Or l’ambassadeur, qui n’en avait pas été témoin, tenait ses renseignements de l’abbé Fontana, qui lui-même n’en parlait que d’après Le Roy.