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Henri Boudet (1837-1915) : La vraie langue celtique et le Cromleck de Rennes-les-Bains
first edition : 1886
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« Notice biographique sur Henri Boudet »
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Original 1886 edition: Imprimerie Pomiès, Carcassonne, France.
New 2017 edition : BoD - Books on Demand GmbH, 14 Rond Point des Champs-Elysées Marcel-Dassault, 75008 Paris, France.
Printed by Books on Demand GmbH, Norderstedt, Germany.
ISBN: 9-78-23220866-58
Le titre donné à cet ouvrage semble, au premier abord, trop prétentieux pour être rigoureusement exact. Il est facile, toutefois, d’en démontrer la vérité, puisque la langue celtique n’est point une langue morte, disparue, mais une LANGUE VIVANTE, parlée dans l’univers par des millions d’hommes.
Le langage d’une nation aussi puissante que l’était la nation Gauloise , aurait-il pu se perdre ainsi sans laisser aucune trace ? Est-il bien surprenant qu’un peuple de notre Europe se serve encore, pour exprimer ses pensées, des termes sortis de la bouche des hommes aux temps les plus reculés du monde ? Sans doute, ce peuple, qui cherche aujourd’hui avec ardeur à renouer le fil de ses traditions interrompues , ignore les diverses migrations de ses valeureux ancêtres, mais avec le secours de sa langue nationale, il peut se livrer à des recherches, qui, certainement, seront couronnées du plus heureux succès
La langue vivante, à laquelle nous faisons allusion, nous a puissamment aidé à découvrir le magnifique monument celtique existant à Rennes-les-Bains, et, de son côté, l’étude de ce monument nous a conduit avec sûreté à des déductions étymologiques qui nous semblent difficiles à réfuter.
C’est ainsi que le Cromleck de Rennes-les-Bains se trouve intimement lié à la résurrection, ou, si l’on veut, au réveil inattendu de la langue celtique.
Préoccupé de mettre par écrit quelques remarques sur la station thermale de Rennes-les-Bains, où Dieu nous avait appelé à exercer le ministère paroissial, désireux de faire revivre d’antiques souvenirs, nous pensions, à tort ou à raison, que le nom de Rennes, renfermant sans doute en lui-même l’histoire du pays dans les temps celtiques, nous découvrirait, par une interprétation exacte, bien des choses intéressantes au sujet des roches aiguës qui couronnent nos montagnes. Deux pierres branlantes, placées sur une arête de colline, nous invitaient aussi à interroger avec persévérance un passé, d’ailleurs, fort ténébreux. Mais comment pénétrer le secret d’une histoire locale par l’interprétation d’un nom composé dans une langue inconnue, lorsque l’histoire de la Gaule ancienne est encore plongée dans une obscurité désolante ? La plupart des peuples de l’antiquité ont laissé des écrits : ils ont eu des historiens, des poëtes, et de leurs récits, ou fabuleux ou fortement empreints de ce patriotisme orgueilleux qui les exagère, défaut commun à toutes les nations, on peut dégager les certitudes de leur origine et les phases diverses de leur développement. Chez les Celtes, rien de pareil : de toutes parts une nuit profonde. Des chercheurs intrépides, des historiens illustres ont poussé le plus loin possible leurs investigations passionnées. Tous les écrivains de l’antiquité ont été interrogés. La somme des connaissances acquises reste toujours fort incomplète. Où trouver le flambeau qui dissipera ces ténèbres ? N’est-ce pas dans le vieux langage que nos pères nous ont légué ?
« Les dialectes, dit J. de Maistre, les noms propres d’hommes et de lieux me semblent desmines presque intactes et dont il est possible de tirer de grandes richesses historiques et philosophiques1.»
Le dialecte languedocien parlé dans nos contrées, ne paraît pas une voie bien sûre pour que l’on puisse, en la suivant, conserver l’espoir d’arriver à un résultat important. Néanmoins, cette voie, nous l’avons parcourue avec patience, dans la ferme persuasion que la Providence Divine dirigerait nos pas et nous permettrait d’atteindre au but de nos efforts.
Lorsque le flambeau que nous cherchions avec anxiété, s’est montré à nos yeux, son premier rayon est tombé sur le nom des Tectosages, et ce rayon nous a ébloui. Il était nécessaire toutefois de ne pas se livrer pleinement à l’imagination, et dans l’intention de nous convaincre nous-même de la réalité de cette lumière, propre à éclairer les temps gaulois, nous avons tenté de la faire réfléchir par les miroirs des langues hébraïque, punique, basque et celtique. Le résultat nous a paru sérieux, et avant de nous servir du langage des Tectosages pour expliquer la signification des monuments mégalithiques de Rennes-les-Bains, objet premier de nos recherches, nous l’avons appliqué à l’interprétation des noms propres pris dans ces langues diverses. C’est pourquoi on trouvera, en premier lieu, dans ce travail ces essais d’interprétation ; car ils sont destinés à servir de preuve décisive.
1 Soirées de Saint-Pétersbourg 2e entretien.
Il n’est pas sans utilité, croyons-nous, de faire précéder cette étude d’un rapide résumé des connaissances actuelles sur la célèbre nation Gauloise. La Gaule a été le point central de l’établissement définitif de la famille celtique dans les contrées occidentales de l’Europe, et le nom même de Gaule qu’elle a conservé, témoigne de la domination persistante, dans ce pays, de son peuple valeureux.
Elle était comprise entre l’Océan, les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes et le Rhin. La partie méridionale, depuis le golfe de Gascogne jusqu’a la Méditerranée, a été occupée d’abord par les Ibères et les Ligures venus de la péninsule espagnole. Les Gals, descendans de Gomer, fils de Japheth, partirent de l’Asie Mineure à une époque que l’on ne peut préciser, se répandirent dans la Gaule en refoulant les Ibères vers le Sud, les Ligures vers l’Est, et envahissant l’Espagne, se mêlèrent aux Ibères. Les Aquitains, tribu ibérienne, résistèrent aux envahissements des Gals et conservèrent leur position entre l’Océan, les Pyrénées et la Garonne. Vers le seizième siècle avant Jésus-Christ, les Gals étaient les maîtres incontestés de la Gaule.
La conquête de l’Espagne par les Gals força les Ligures à se déplacer, et, vers l’an 1400 avant Jésus-Christ, après avoir franchi les Alpes, ces derniers fondèrent en Italie la domination des Ambras ou Ombres, 647 ans avant la fondation de Rome. C’est à cette première branche de la famille gauloise, que, d’après Am. Thierry, les anciens historiens appliquent plus particulièrement le nom de Celtes. Les Kimris formaient la seconde branche de la famille gauloise Les Grecs les nommaient Kimmerioi et les Romains les appelaient Cimbri.
En l’an 631 avant Jésus-Christ, les peuples scythiques, au rapport d’Hérodote, fondirent sur les bords du Palus-Méotide et poussèrent devant eux les Kimris qui se dirigèrent vers le soleil couchant sous la conduite de Hu-ar-Bras, remontèrent le cours du Danube et envahirent la Gaule par le Rhin. Suivant les traditions kimriques, Hu-ar-Bras ne s’établit point dans la Gaule, mais il traversa l’Océan brumeux et conquit sur les Gals l’île d’Albion. Pendant ces émigrations et ces conquêtes des Kimris, Ancus roi de Rome, victorieux de ses voisins, batit la ville d’Ostie à l’embouchure du Tibre. Cependant de nouvelles tribus de Kimris inondaient successivement les Gaules, et « après une immense mêlée, la Gaule apparaît partagée entre les Kimris et les Gaels2. » Les Kimris, à l’Ouest, occupent les cotes de la mer ainsi que les plaines du Nord et du Nord-Est, et les Gaels retiennent l’Est et le centre de la Gaule.
C’est à la suite de ces mouvements des populations que les historiens placent les deux émigrations de Sigovèse et de Bellovèse neveux d’Ambigat, roi ou chef des Bituriges, en l’an 587 avant Jésus-Christ. Bellovèse prit le chemin de l’Italie ; Sigovèse se dirigea vers le Nord-Est franchit le Rhin, et traversant la forêt Hercynienne, vint s’établir sur les bords du Danube. Environ 300 ans avant Jésus Christ, une puissante confédération de Kimris, celle des Belges, envahit le Nord de la Gaule et s’en empara. Deux tribus belges, les Volkes Tectosages et, les Volkes Arécomiques traversèrent la Gaule, les armes à la main, et s’arrêtèrent dans le Midi, les Volkes Tectosages sur les bords de la Garonne, à Toulouse, dont ils firent leur capitale, et les Volkes Arécomiques, à l’Est des Cévennes, avec leur centre à Nimes.
Les Volkes Tectosages ne restèrent pas longtemps en repos dans le pays qu’ils venaient de conquérir. Vers l’année 281 avant Jésus-Christ, une forte émigration alla rejoindre, sur les bords du Danube, les tribus gauloises qui descendaient des compagnons de Sigovèses. Emportés par leur humeur guerrière, tous ces Gaulois se divisèrent en trois corps et s’abattirent comme un ouragan dans la Macédoine, l’Epire et la Thrace. Une partie de ces Tectosages, insatiables d’aventures, traversèrent le Bosphore, se partagèrent l’Asie Mineure, et, près de leur patrie primitive, fondèrent une nouvelle Gaule, la Galatie.
Les Gaulois remplissaient ainsi du fracas de leurs armes le monde ancien tout entier. L’étendue de leurs possessions directes, le territoire occupé en corps de nation par les Gallo-Kimris, était immense. Si l’on jette un regard sur la carte du monde ancien vers la « première moitié du troisième siècle avant notre ère, on voit la race gauloise déployée depuis Erin, (Irlande) jusqu’à l’Estonie (à quelques marches de Saint-Pétersbourg), depuis la pointe septentrionale de la presqu’île Cimbrique (Danemark) jusqu’aux Apennins, depuis les trois Finisterre de Bretagne, de Gaule et d’Espagne jusqu’aux frontières du pont et de la Cappadoce, en passant par le Danube qu’ils tiennent « jusqu’au delà de son confluent avec la Save, par les « Car-pathes, les Alpes Illyriennes, l’Hémus et la Thrace. Les « Gaulois planent sur l’Europe, des extrémités de l’Espagne « au Pont-Euxin3. »
D’après ce rapide exposé, on voit que les historiens font intervenir dans la possession des Gaules, d’abord les Gals, puis les Kimris et enfin les Belges, dont ils font descendre, sans aucune certitude, les Volkes Tectosages et Arécomiques. On pourrait se demander pourquoi les historiens modernes nomment Gals ou Gaels les premiers habitants de la Gaule, lorsque Jules César4 nous avertit que les Gaulois, dans leur propre langue, s’appelaient Celtae et dans la langue latine Galli. Ces deux appellations sembleraient donc être synonymes et posséder une signification unique, et c’est bien là ce que prouve d’une manière péremptoire M. l’abbé Bouisset, dans son mémoire sur les trois collèges druidiques de Lacaune. Le terme Celtae – Kell – avait pour ces peuples un sens très positif désignant l’homme fait, et l’expression Galli, d’après les explications lumineuses de M. l’abbé Bouisset, renfermerait la même idée. Dans la mythologie grecque, les Gaulois étaient les sujets de Galatès, fils d’Hercule. La réputation guerrière de Galatès fut immense, ainsi que celle de sa force et de ses vertus. Nous ne dédaignons pas de recueillir, au milieu des allégories de la mythologie, ces détails en apparence fort secondaires, mais en réalité d’une utilité considérable.
A l’époque où César porta la guerre dans les Gaules, il nous la montre occupée par trois peuples : les Belges, les Aquitains et les Celtes. Ils diffèrent tous, dit-il, par le langage. Cependant cette différence ne devait pas être bien profonde. Dans un mémoire sur l’origine des langues celtique et française, Duclos, né à Dinan en 1704, secrétaire perpétuel de l’Académie Française, s’exprime ainsi : « A » défaut de monuments, c’est-à-dire d’ouvrages écrits, nous n’avons d’autres lumières sur la langue celtique que le » témoignage de quelques historiens, desquels il ressort que la langue celtique était commune à toutes les Gaules. Les Gaules étaient divisées en plusieurs états (civitates), les états en pays (pagi) qui tous se gouvernaient par des lois particulières, et ces états formaient ensemble un corps de république, qui n’avait qu’un même intérêt dans les affaires générales. Ils formaient les assemblées civiles ou militaires ; celles-ci appelées comitia armata, ressemblaient à l’arrière-ban. Donc, nécessité d’une langue commune pour que les députés pussent conférer, délibérer et former sur le champ des résolutions qui devaient être connues des assistants ; et nous ne voyons dans aucun auteur qu’ils eussent besoin d’interprètes. Nous voyons, d’ailleurs, que les Druides, faisant à la fois fonction de prêtres et de juges, avaient cou-tume de s’assembler, une fois l’année, auprès de Chartres, pour rendre la justice aux particuliers, qui venaient de toutes parts les consulter. Il fallait donc qu’il y eut une langue générale et que celle des Druides fut familière à tous les Gaulois...
Il y avait aussi plusieurs nations, dont la langue devait avoir beaucoup de rapports avec la gauloise. Il y a apparence que les Gaulois et les Germains ne devaient point différer beaucoup ces peuples ayant la même origine celtique ; des Germains étaient venus s’établir dans les Gaules et des Gaulois étaient réciproquement passés dans la Germanie, où ils avaient occupé de vastes contrées...
Ces pensées judicieuses conduisent l’auteur du mémoire à affirmer que les différences de langage observées par César étaient seulement des différences dialectiques. Nous ne le suivrons pas dans ces considérations fort justes sur l’altération considérable produite dans la langue celtique par l’établissement en Gaule de la famille latine. Nous faisons remarquer néanmoins, que s’il avait tiré de ses prémices une conséquence rigoureuse, il aurait eté amené à conclure, que la langue celtique a dû conserver une intégrité parfaite dans une contrée, dont les Romains n’auront jamais foulé le sol. Il est bien avéré que les Gaulois n’ont point laissé de monuments écrits, parce qu’ils avaient peut-être plus de confiance dans les traditions, et il n’y a pas lieu d’être étonnés de cette manière d’agir, si l’on fait attention à la tenacité des traditions chez un certain peuple de l’Europe, que nous désignerons plus loin avec clarté. Cependant, il n’est pas admissible, que la nation celte n’ait point laissé aux siècles futurs le souvenir de ses mœurs, de sa religion et de son industrie. Cette histoire des Gaulois n’est point écrite dans les livres ; elle est gravée sur le sol même qu’ils occupaient. Ils ont donné aux tribus, aux terrains, aux montagnes, aux fleuves de la Gaule des noms que le temps lui-même n’a pu effacer. Là est renfermée leur véritable histoire.
Ces appellations possèdent certainement un sens précis, plein de révélations intéressantes, quoique toutes les langues semblent impuissantes à expliquer ces énigmes. La décomposition de ces noms propres de lieux, d’hommes, de tribus, a préoccupé sérieusement bon nombre d’esprits : on s’est efforcé de rechercher cette langue, qui a rempli notre sol de dénominations indélébiles, dont la signification inconnue jette à notre légitime curiosité un défi incessant. Sir William Jones, fondateur de la Société asiatique de Calcutta, avait remarqué tout d’abord une certaine affinité entre le sanscrit, le grec et le latin. Ils devaient donc avoir une origine commune et, sans oser l’affirmer, il a soupçonné que le celtique et le gothique provenaient de la même source que le sanscrit.
La grammaire comparée des langues européennes de François Bopp a expliqué ensuite, comment les lois grammaticales permettent de découvrir dans le sanscrit, le persan, le grec, le latin et le gothique, non plus une simple affinité, mais une réelle communauté d’origine. Tout récemment encore, M.Tregear a lu devant la société philosophique de Wellington, une étude sur les Maori en Asie. Il a cité la langue Hindostani moderne et la Persane en regard de la langue Maori, faisant voir nombre d’accords remarquables entre elles. Les mots cités étaient en eux-mêmes pleins d’histoire et ont fourni la preuve du grand espace de temps écoulé, depuis que les Maori ont habité l’Inde.
Parlant des langues de l’Europe, l’orateur a fait voir que des centaines de mots semblables à ceux de la langue Maori se trouvent dans les langues grecque, latine, lithuanienne, celte, etc. etc. Mais la partie la plus intéressante de son étude était celle qui constatait l’identité du Maori et de l’Anglais, en ne tenant pas compte des mots Anglo-Maori, mots fabriqués des deux langues, depuis la conquête du pays par l’Angleterre5. Toutes ces observations successives ont conduit à penser que la langue sanscrite donnera peut-être la clef de langue celtique, et on l’a cru avec d’autant plus de raison, que les Celtes sont venus de l’Asie, berceau du genre humain. Nous pouvons observer que les dialectes parlés dans la France, l’Irlande et l’Ecosse devraient nous donner cette clef plus facilement encore que le sanscrit ; car l’altération du langage n’empêche pas, même aujourd’hui de retrouver les mêmes termes celtiques dans les dialectes irlandais, écossais, gallois breton et languedocien. On pourrait faire des citations nombreuses ; mais nous nous bornerons à quelques-unes.
La pellicule du blé moulu et passé au blutoir se nomme, en dialecte languedocien, brén ; en breton bren ; en gallois bran ; en irlandais et écossais bran. La bruyère, si commune dans les Landes de la Gaule, s’appelle, en languedocien brugo ; en breton bruk et brug ; en gallois grug et brwg. Le verbe français nettoyer se traduit en languedocien par scura ; en écossais par sguradh ; en irlandais par sguradh. Le nom français de l’aune, essence d’arbres, se dit en languedocien bergné ; en breton et en gallois gwern ; en écossais et irlandais fearn6.
Il est donc certain, par quelques exemples, que des mots celtiques se retrouvent dans le langage des descendans des Celtes en Bretagne et en Languedoc ; aussi nous n’hésiterons pas à faire l’épreuve du dialecte languedocien, pour tâcher de découvrir la vraie langue celtique parlée par nos ancêtres. Néanmoins, il doit paraître bizarre que nous choisissions le dialecte languedocien plutôt que le breton pour nous mettre sur la voie ; nous invoquerons pour cela une sérieuse raison historique, et en examinant de près les émigrations des Volkes Tectosages, on se convaincra pleinement de la justesse de ce choix. À une époque fort indécise et que les historiens croient pouvoir déterminer, cependant, comme étant le quatrième siècle avant Jésus Christ, deux tribus que l’on dit appartenir aux Belges, les Volkes Tectosages et les Volkes Arécomiques traversèrent la Gaule et vinrent s’établir dans le Midi Gaulois entre la Garonne, les Pyrénées et le Rhône. Les Tectosages firent de Toulouse leur capitale et les Arécomiques se placèrent à l’Est des Cévennes avec Nîmes comme point central de leur domination. Vers l’année 281 avant Jésus-Christ, une forte émigration de Tectosages se dirigea vers le Rhin et puis descendit vers le Danube pour rejoindre leurs frères, aussi Tectosages, qui possédaient les rives du fleuve. Mettons maintenant en regard de ces faits les indications fournies par Jules César.
« Bien avant, il fut un temps où les Gaulois surpassaient les Germains en valeur guerrière et ils leur ont fait la guerre jusque chez eux : les champs ne suffisaient plus à nourrir une population trop nombreuse, ils envoyèrent des colonies au-delà du Rhin. C’est donc dans les terres de la Germanie les plus fertiles, autour de la forêt Hercynie, que les Volkes Tectosages se sont établis après les avoir conquises. Ce peuple jusqu’à présent occupe ce même territoire7. »
Au temps où Cesar écrivait ces lignes, les Volkes Tectosages étaient donc établis en maîtres incontestés sur la rive droite du Rhin et autour de la forêt Hercynie, c’est-à-dire, au Nord de cette immense forêt, depuis le Rhin jusqu’à l’Oder et peut-être même au-delà ; et de plus, ils possédaient la rive gauche du Danube qui coule au Sud de la même forêt. César ne fixe point l’époque des conquêtes des Tectosages ; mais la chose la plus importante à observer, c’est que les pays situés sur le rive droite du Rhin et conquis sur les Germains, leur ont toujours appartenu. Après Jules César, les auteurs ne font plus mention des Tectosages. Ils semblent disparaître du monde, tant le silence s’est fait profond autour de leur nom. Nous les retrouverons cependant bientôt, en prenant pour guide l’étymologie de Volkes Tectosages et nous pourrons suivre encore la longue trace de leurs expéditions guerrières.
Volkes (Volcae) dérive des verbes to vault (vâult), voltiger, faire des sauts et to cow (kaou), intimider ; Tectosages est produit par les deux autres verbes to take to (téke to), se plaire à..., et to sack, piller, saccager. En réunissant les quatre verbes constituant les deux appellations, nous constatons dans leurs significations diverses, que les Volkes Tectosages effrayaient les ennemis par la rapidité de leurs évolutions dans le combat et se plaisaient à dévaster et à piller. Ne laissons point passer inaperçue cette allure bondissante, traditionnelle parmi les voltigeurs des anciennes armées Françaises, et conservée encore dans nos régiments de zouaves et de chasseurs à pied, car les Volkes sont ancêtres des Franks, comme on pourra s’en assurer lorsque nous parlerons des tribus Frankes.
Les mouvements guerriers des Volkes se distinguaient donc par une célérité portant avec elle l’effroi, ordinairement couronnée par la victoire et suivie de la dévastation et du pillage. En résumant le nom des Volkes Tectosages, nous voyons en eux de rapides et effrayants pillards.
Cette appellation n’avait rien que de glorieux pour ce peuple ; car le pillage, c’était la guerre, et on sait que les Cimmériens l’aimaient avec passion. Aussi cette signification honorable du terme Pillard s’est-elle conservée intacte dans le pays occupé par eux au Midi de la France. Lorsqu’un enfant montre une intelligence vive, une âme pleine d’énergie, et lorsque cet esprit énergique est servi par un corps dont les membres sont agiles et nerveux, les parents en parlent avec orgueil et l’appellent « un Pillard ». Ils vont même plus loin dans la signification de ce mot ; si on les interroge sur le nombre de leurs enfants, ils répondent, sans hésitation, qu’ils ont « un, deux ou trois Pillards ».
L’histoire, avons-nous dit, après César, ne parle plus des Volkes Tectosages, et ce silence est d’autant plus extraordinaire que le peuple qui avait envoyé des colonies au-delà du Rhin, autour de la forêt Hercynie, sur les bords du Danube et jusqu’en Asie ne pouvait perdre si rapidement les traditions de son génie aventureux. Toujours avides d’expéditions guerrières, ils reparaissaient avec éclat sous le nom de Saxons. Ils déclaraient ainsi ouvertement et à la face des nations, qu’ils étaient bien les fils, les descendans directs des Tectosages, — to sack, piller, — son, fils descendant. Ils est remarquable que les historiens les appellent toujours les Saxons pillards. Ce qualificatif était en réalité leur véritable nom, et, d’une manière inconsciente, ces historiens expliquent, par le terme de pillards, le sens exact de Saxons.
Vers l’année 446 après Jésus-Christ, le chef des Bretons de l’île de Bretagne, Wor-Tigern, demanda du secours aux Saxons pour le délivrer des Pictes et des Scots qui cherchaient à l’opprimer. Les Saxons se hâtèrent de voler dans l’île de Bretagne sous la conduite des deux frères Hengis et Horsa, et, après avoir battu les Pictes et s’être rendus les maîtres de l’île, ils exterminèrent les Bretons leurs alliés. Les Angles, — to angle, pêcher à la ligne, — qui vivaient sur les bords de la mer Baltique, vinrent prendre avec leurs frères Saxons leur part du pillage et, après avoir forcé la plus grande partie des Bretons échappés au massacre de se réfugier en Armorique, ils fondèrent le royaume Anglo-Saxon connu sous le nom d’Angleterre.
Les Tectosages, suivant les historiens, étaient de race Kimrique, et les Cimbres — Kimbo, fourchu, — to harry, dévaster – les dévastateurs fourchus, allusion aux cornes d’urus dont les guerriers ornaient leur tête, – les Cimbres disons-nous, appartenaient à la famille celtique : ils devaient donc, Cimbres et Tectosages, parler le langage de leur famille.
La possession de l’île de Bretagne par les Tectosages a exercé sur eux une influence favorable à la conservation de leur langage et de leurs mœurs. L’isolement les a préservés des altérations profondes subies par les langues des autres peuples de l’Europe, tout en leur laissant la liberté la plus entière pour les colonisations lointaines, qui sont un trait spécial de leur caractère.
La généalogie des Anglo-Saxons telle que nous présentons, pourrait encore, malgré tout, paraître à quelques-uns purement hypothétique, mais il est facile de l’appuyer d’une preuve convaincante, puisque la langue des Tectosages a laissé des traces profondes dans l’idiome languedocien. Une simple comparaison entre quelques termes languedociens et leurs correspondants Anglo-Saxons suffira à démontrer la complète analogie des deux langues. Désirant cependant éviter l’ennui de comparaisons trop multipliées, nous donnerons seulement les expressions les plus connues et les plus usitées.
Dialecte Languedocien. |
Langue Anglo-Saxonne8 |
Alader, arbre vert à feuilles persistantes. | Alder, aune. |
Ander, chenêt | Andiron (anaïeurn), chenêt |
d’Arréou, à la file. | Array (arré), ordre de bataille. |
Baïssel, vaisseau, tonneau. | Vessel, vaisseau, tonneau. |
Barata, troquer, échanger | to Barter, troquer, échanger. |
Bouich, buis. | Bush (bouch), buisson. |
Bécka, sommeiller. | to Beck, faire un signe de la tête. |
Bolo, une boule. | Ball (bâul), une boule. |
Bosk, un bois. | Bosky, boisé. |
Braou, jeune taureau | Braw (braou), front, air. |
Braza, souder avec du cuivre. | to Braze (brèze), souder avec du cuivre. |
Brèn, son. | Bran, son. |
Bugado, lessive. | Buck (beuk), lessive. |
Caicho, caisse. | Cash, caisse. |
Cambo, jambe. | Ham, jambe. |
Catcha, serrer, presser. | Catch, capture, crampon. |
Clapa, frapper. | to Clap, frapper. |
Clouko, poule qui glousse. | to Cluck, glousser. |
Carreto, charreite. | Car, chariot. |
Cost, prix. | Cost, prix. |
Costo, côte, rampe. | Coast (kost), côte, rivage. |
Counta, calculer, compter | to Count (kaount), calculer. |
Crinko, sommet. | Crinkle, pli, sinuosité. |
Dérouca, ébrancher, écorcer. | to Roughcast (reuffcast), tailler grossièrement. |
Despatcha, hâter. | to Despatch, expédier. |
Escapa, échapper. | to Escape (iskepe) échapper. |
Estreït, étroit. | Strait (strète), étroit. |
Flac, sans force. | to Flag, tomber de faiblesse. |
Flasketo, poire à poudre. | Flasck, une poire à poudre. |
Franchiman, un Français. | Frenchman, un Français. |
Fresco, fraîcheur. | Fresco, fraîcheur. |
Fréta, frotter. | to Fret, frotter. |
Gat, un chat. | Cat, un chat. |
Godo, nonchalance. | Goad (gôd), aiguillon. |
Hai, terme employé pour presser le pas des chevaux. | to hie (haï), se presser, se hâter. |
Jouk, perchoir des poules. | to Juke (djiouke), percher. |
Keck, bègue. | to Keck, (peu usité) faire des efforts pour vomir. |
Leït, couchette, lit. | to Lie (laï), être couché. |
Maït, davantage, plus. | Might (maït), pouvoir, force. |
Maïré, lie. | Mire (maïre), lie. |
Neït, nuit. | Night (naït), nuit. |
Nouzé, un nœud. | Noose (nouze), nœud coulant. |
Panno, poêle à frire. | Pan, poêle à frire. |
Pasta, pétrir. | to Paste (peste), pétrir. |
Penteno, filet pour prendre | Pent, enfermé, serré. |
les lapins de garenne. | |
Pickasso, hache, cognée. | te Pick, percer et Axe, hache. |
Préfaïthié, mercenaire | Prizefighter (praïzefaïteur), qui se bat pour de l’argent. |
Raït, adv. à la bonne heure. | Right (raït), adv. à la bonne heure. |
Raja, couler. | Rash, éruption. |
Raouba, voler. | to Rob, voler. |
Raspa, limer, râper. | to Rasp, limer, râper. |
Régna, rendre un son | to Ring (rigne), rendre un son. |
Rocko, un rocher. | Rock, un rocher. |
Rodo, une roue. | Roâd (rôde), baie, rade. |
Round, rond, cercle. | Round, rond, cercle. |
Rank, qui boite. | Shrank, prétérit de to shrink, se raccourcir. |
Scalféto, chauffe-pieds. | to Scald, chauffer, feet, pieds |
Scaouda, échauder. | to Scald (skauld), échauder. |
Scoutos, espion. | Scout (skaout), espion. |
Scruma, écumer. | to Scum, écumer. |
Scura, nettoyer. | Sot cour (skaour), nettoyer. |
Seït, assis. | to Sit, s’assoir. |
Sembla, ressembler à. | to Semble, ressembler à. |
Senshorno, sans intelligence. | Sense, intelligence et horn, privé de. |
Shakad, mis en pièces. | to Shake, tomber en pièces. |
Shankad, déhanché. | Shanked, qui à des jambes. |
Shépad, mal ajusté. | to Shape (chepe), ajuster. |
Sigur, sûr. | Secure (sikioure), sûr. |
Sillo, sourcils. | to Seel (sil), fermer les yeux. |
Skaïsha, écacher, déchirer. | to Squash (skouoch), écacher, écraser. |
Spatarrad, jeté à terre tout de son long. | to Spatter, éclabousser, couvrir de boue. |
Spillo, une épingle. | Spill, un petit morceau de bois. |
Tasta, goûter d’une liqueur. | to Taste, goûter d’une liqueur. |
Trapa, surprendre. | to Trap, surprendre. |
Trounko, tronc d’arbre. | Trunk (treugnk), tronc d’arbre. |
Trullo, amaigrie. | Trull, perdue de mœurs. |
Up, en haut. | Up, (eup), en haut. |
Yé, vraiment. | Yea (yé), oui, certainement. |
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Cette parenté indiscutable entre les termes languedociens et leurs correspondants Anglo-Saxons, démontre mieux que tous les raisonnements que les Tectosages du Midi gaulois, émigrés au-delà du Rhin, et les Anglo-Saxons sont bien le même peuple, et elle conduit à cette conséquence absolue que la langue Anglo-Saxonne est bien la langue parlée par la famille Cimmérienne.
L’explication d’une tradition soi-disant druidique rapportée par César fait ressortir encore cette conséquence. « Les Gaulois, dit il, se glorifient de descendre tous de Pluton et ils assurent tenir cette croyance de l’enseignement des Druides : c’est pourquoi ils comptent le temps, non par les jours, mais par les nuits et ils sont attentifs à indiquer les jours de naissances, les commencements de mois et d’années, de telle sorte que le jour suive la nuit9. » César se trompe évidemment en disant que les Gaulois se glorifiaient de descendre de Pluton, dont les Druides se souciaient aussi peu que de Proserpine : les Cimmériens, enfants de Gomer, avaient apporté de l’Orient cette coutume de compter les jours par le soir et le matin, et les Juifs l’ont conservée jusqu’à leur dispersion comme corps de nation : l’origine de cette coutume nous est dévoilée dans ces paroles de la Genèse : « et du soir et du matin se fit le premier jour10. » Cependant, César ne se trompe pas en avançant que les Gaulois comptaient le temps, non par les jours, mais par les nuits ; les descendans des Tectosages disent encore fortnight (fortnaït) quatorze nuits, pour exprimer le temps écoulé en deux semaines, et se'nnight (sennit) sept nuits, pour compter les jours d’une seule semaine.
L’identité de la langue celtique avec celle des Tectosages devient tout à fait évidente par la décomposition des appellations données aux diverses parties du sol gaulois et surtout par la décomposition des noms de tribus transmis par l’histoire ; ces noms renferment, en effet, en les interprétant par la langue Anglo-Saxonne, des indications justes, précises et confirmées par l’histoire.
Ces dénominations, qui affectent tout le pays celtique, ne sont pas certainement l’œuvre du peuple ; on ne pouvait point livrer, abandonner la composition sérieuse, exacte et fidèle de ces noms essentiels, à des caprices sans nombre et sans fondement. Il y avait assurément un corps savant chargé de ce soin ; et ce qui le rend manifeste, ce sont les appellations semblables imposées à des pays placés aux deux extrémités de la Gaule. Pour en donner quelques exemples assez frappants, pourquoi un Aleth existait-il anciennement dans la tribu des Curiosolites, et un autre Aleth existe-t-il encore dans le Languedoc ? Ou ces deux localités exerçaient la même industrie, ou encore elles possédaient un sol bien ressemblant. Pourquoi la ville de Rennes en Bretagne et la station thermale de Rennes-les-Bains du département de l’Aude portent-elles le même nom ? C’est évidemment à cause de la similitude qu’offraient les deux pays par leurs ménirs et leurs pierres branlantes. Pourquoi encore la ville de Rennes, portant, d’après Strabon, le nom de Condate, trouvait-on un autre Condate dans la tribu des Allobroges, et un troisième chez les Santones, si ce n’est qu’on devait enseigner dans ces villes les mêmes sciences, les mêmes vérités et les mêmes traditions ?
Cela ne démontre-t-il pas qu’un corps savant et fortement constitué était chargé de donner à chaque cité et à toutes les parties du terrain celtique des dominations, justifiées par la vérité et l’exactitude des objets signifiés ? Selon les traditions irlandaises, dit H.Martin, Gadhel ou Gaël, personnification de la race, est fils de Neimheidh. Qu’est-ce que ce Neimheidh, cette mystérieuse figure qui plane sur nos origines ? L’histoire ne peut répondre11.
Neimheidh n’est point le nom d’un chef gaulois ; il signifie celui qui est à la tête, commande, conduit et donne les dénominations, — to name (néme), nommer, — to head (hèd), être à la tête, conduire, — et il était matériellement impossible à un seul homme de donner à tout le pays celtique les noms que portent les cités, les tribus, les rivières et les moindres parcelles de terrain : c’était là l’œuvre d’un corps savant et le terme de Neimheidh, appliqué à ce corps d’élite composé des Druides, présente une expression de vérité indéniable, puisque les Druide étaient à la fois prêtres, juges, chefs incontestés des Gaulois et chargés de la transmission de toutes les sciences.
Les Druides du Neimheidh savaient former excellemment les noms propres d’hommes ou de lieux : ils employaient surtout les termes monosyllabiques de leur langue et les plaçaient dans un agencement tel, que les son de ces monosyllabes accolés les uns aux autres, ne pouvaient blesser l’oreille la plus délicate. La décomposition des mots celtique désignant les villes et les tributs gauloises fera le jour le plus complet sur la manière de faire de ces savants, ainsi que nous le verrons plus loin, lorsque nous parlerons des Armoricains et des autres peuples de la Gaule.
2 Histoire de France. H. Martin.
3 Histoire de France. H. Martin.
4 De bello gallico. lib. 1.
5 The advocate, 5 sept. 1885, journal de Melbourne, Australie.
6 Les noms bretons, irlandais, écossais et gallois sont pris de l'ouvrage de M. A. de Chevallet: Origine et formation de la langue française. Ier Vol
7 Lib. VI. 24. de bello gallico.
8 Les mots saxons sont empruntés au dictionnaire anglais-français de Percy Sadler. Nous tenons ce dictionnaire de l'obligeance de M. William O'Farrel. M. William O'Farrell est auteur d'une grammaire anglaise, admirable d'ordre et de clarté.
9 Lib. VI. 18, de bello gallico.
10 Genèse. chap. I. v. 5.
11 Histoire de France, note 1 de la page 1.
Désirant indiquer les rapports de ressemblance entre les langues celtique et hébraïque, nous nous voyons exposé à des longueurs considérables et néanmoins nécessaires. On nous les pardonnera ; les récits bibliques sont en eux-mêmes d’un intérêt saisissant, et de nature à captiver l’attention la plus rebelle. Les commencements de l’humanité y sont racontés avec une exactitude admirable. L’historien sacré accomplit son œuvre avec fidélité et sincérité : il n’exagère point les faits généreux, il ne jette point de voile sur les actions criminelles. Dans son langage concis et grave, les paroles divines apparaissent pleines de grandeur et de majesté ; les faits humains s’y déroulent avec la plus grande netteté, sans discours, sans digression, présentant des traits sublimes qui ne sont point étudiés et recherchés. Nous aurions vivement souhaité de les faire remarquer ; mais nous avons dû nous borner simplement à signaler, dans notre essai d’interprétation, la concordance parfaite des récits bibliques avec la signification renfermée dans les noms propres des hommes dont ils retracent le caractère et la vie.