Pourquoi écrire des confessions?
D’autres l’ont déjà fait, St augustin, et J.J.
Je rêvais de Rousseau et de Mme de Warens, dans un décor pastoral où il lui apportait un bouquet de jacinthes en parfaite harmonie avec sa robe. Les chapitres sont thématiques mais ne sont pas nécessairement chronologiques. Cela reste avant tout de la recherche sur soi. Des sujets d’inspiration traversent les hommes et certains s’arrêtent entre deux peaux. La mémoire fonctionne à partir d’un filtre qu’est l’émotion. Plus elle est présente et plus cette sensation de gravure permet de choisir un sujet plutôt qu’un autre.
Ce projet peut paraitre peu original étant donné le nombre incalculable de mémoires et de pseudo-autobiographies. Pourquoi «pseudo»?
Il semble bien évidemment difficile de retracer toute la vérité sans la déformer même si l’on se veut rester sincère. Le «pacte autobiographique» de Philippe Lejeune est loin d’être une évidence.
L’écriture sert avant tout de moyen de se libérer de certaines pulsions, de se faire plaisir et de restituer sa mémoire. Un autre sujet que sa propre existence ne peut pas être meilleur support pour parvenir à mieux se connaitre et à faire également découvrir d’autres aspects de soi aux autres. Il est parfois tellement plus aisé d’écrire que de parler.
La deuxième raison qui me pousse à écrire est ma rencontre avec Jean-Jacques Rousseau en classe de première. Je ne remercierai jamais assez notre professeur de français du lycée Chanzy, pourtant dépassé, peu pédagogue, d’un physique que certains qualifiaient d’étrange, sans aucun goût du travail mais passionné par la littérature, de m’avoir fait découvrir cet auteur et de nous avoir forcés à lire la première partie, les six premiers livres. Un professeur médiocre selon les élèves, sans aucune autorité, critère qui semble définir de nos jours les qualités de l’enseignement en oubliant l’essentiel, la passion. J’emploie le verbe «forcer» car je devais sans doute être le seul à aimer cette lecture. Les autres n’étaient que dans une souffrance psychologique à enchainer des mots mentalement sans jamais les coller et encore moins les apprécier. Beaucoup trop d’élèves sont dans une conception d’un ultra pragmatisme de ce qui est expliqué en classe. Conception d’une absurdité la plus complète et la plus réductrice, ne voyant pas autre chose que d’utiliser ces connaissances pour obtenir un métier ou avoir une utilité dans la vie courante. Certains vont jusqu’à refuser de réfléchir… A bon entendeur, salut!
Chaque chapitre développe un thème. La chronologie des événements n’est pas forcément respectée. Ils se termineront sur une auto-analyse qui n’a pour seul but que de me sentir moins seul.
Les autres rencontres rejoignent la première. Ce sont celles du philosophe Kant, de Descartes et dernièrement de Thoreau qui ont peu à peu forger ma pensée, ma façon d’être et le mode de vie que je voudrais pratiquer.
Le seul dessein que ce livre aimerait atteindre est d’ouvrir à la compréhension des autres et de soi-même. Je suis très loin d’avoir abordé tous les sujets sur lesquels je réfléchis. Ceci ne reste qu’une «esquisse pyrrhonienne».
Néanmoins j’ai essayé de me limiter aux objets principaux, ceux qui déterminent progressivement mes choix puisqu’il faut apparemment en faire.
Frédéric LIENARD
Je suis mort à l’âge de vingt ans et je n’irais pas plus loin dans cette première partie. La réalité brise peu à peu mes rêves. La société humaine ne me convient aucunement. La mort ici symbolise le deuil de mes idées. La joie de pouvoir apprendre sans être obligé de travailler, ce qui représente la majeure partie d’une perte de temps. L’espoir de concilier les deux, triste utopie. Il me semble important de s’inspirer du réel pour y mettre de la fiction et inversement. Celle-ci dépasse très souvent ce que l’on essaye de démontrer. Dans ce titre, Je ne fais pas ici référence au célèbre tableau de Gustave Courbet mais plutôt à, tout simplement, celle qui a bien voulu me porter neuf mois dans ses entrailles et me donner la vie.
Après avoir parcouru quelques autobiographies africaines, Il m’est venu l’idée de ne pas commencer par moi-même, c’est à dire qu’une brève partie du livre est consacrée à ma mère.
Abandonnée par ses parents à la naissance, elle survit quelques années avant de trouver sa voie, celle du sentiment amoureux et de l’humanitaire. Nombreux sont les épisodes romanesques! Chaque instant de son enfance et de son parcours sont des pépites parfois de joie mais surtout de peines.
Elevée par des religieuses en Belgique, elle reçoit une éducation stricte, autoritaire, sans aucune liberté. La seule règle appliquée est celle de la discipline. Quatorze dans une seule chambre, elle n’apprit à marcher qu’à l’âge de trois ans. Trop souvent cloitrée dans un parc. Il arrivait assez souvent qu’elle dormait tête-bêche à quatre dans un seul lit en variant les positions pour gagner quelques centimètres de confort.
Elle tenta de se construire en parallèle à sa sœur jumelle, nettement favorisée par sa nouvelle «famille», famille dite «d’accueil». Sœur jumelle qui mourra précipitamment vers la cinquantaine, tombée dans les griffes de l’alcoolisme. Sœur sans sentiment, cynique et égoïste. Nous pourrions débattre ici longuement sur la définition du mot «famille» tant les sujets d’actualité y font référence abusivement. Ils confondent milieu affectif dans lequel on se construit, avec «liens du sang» qui sont absolument tout, sauf des liens. J’abhorre ce terme. Il ne représente rien qu’un ramassis d’absurdités et de règles sans intérêt en rapport avec des êtres difformes et méprisables. Il faut choisir sa famille, c’est un concept fondamental et se détacher de toute personne qui freine sa progression.
Elle quitta l’école à douze ans, retenant comme culture principale, les rudiments du calcul, de la lecture et de l’écriture. Complexée par l’écrit et surtout par l’orthographe, elle développa peu de confiance en elle dans ces domaines. Cela ne l’empêchera pas de participer à de nombreux projets très différents.
Elle consacra une partie de son enfance à trier des pommes de terre dans une cave et découvre de ce fait le monde impitoyable du travail. Elle enchainera toute sa vie des tâches professionnelles très différentes, n’hésitant pas à faire plusieurs dizaines de kilomètres à pied pour atteindre le lieu de son exécution. Devient caissière dans un supermarché, propose son aide chez des vendeurs de meubles belges…
La rencontre de mon père mettra fin à ses souffrances. Ses souvenirs forgeront une hypersensibilité. Père assez peu présent dans les souvenirs de mon enfance, la gendarmerie lui grignote le peu de temps qu’il peut nous consacrer, moi et mon frère. On fait souvent allusion au fait qu’après être parti en déplacement, je pris peur lorsque je le revis. Je ne le reconnaissais. Cependant, ces souvenirs ne sont pas significatifs étant donné l’âge que j’avais, à peine quelques mois. Cependant les souvenirs avec lui sont plus intenses et souvent plus déterminants dans mon parcours. Ma mère me donna son goût pour la musique et sa sensibilité. Mon père, celui de la nature.
En outre, ma personnalité est toute entière. Je ne connais personne dans mon environnement proche me ressemblant étrangement. Ma mère évoque ce fait ironiquement et me dit régulièrement : « C’est moi qui est fait ça!». Je reste pour eux une énigme tout autant qu’aux autres et surtout à moi-même. J’ai trop souvent des difficultés à me poser et à ne pas réfléchir. Je vis à un rythme effréné. Tout doit devenir intérêt. Je pense. Chacun instant doit m’apporter quelque chose, c’est pourquoi j’éprouve sans doute autant de mal à travailler et parfois à concrétiser mes projets. Je peux paraitre velléitaire. Quand je faisais mes études, mon voisin de chambre me comparait à Frédéric Moreau, personnage issu du roman L’Education sentimentale de Flaubert, incarnant la création mais surtout l’inconstance. Je me refuse parfois à faire des choix mais au fond de moi, je rêverai sans doute toute mon existence de tout concrétiser. Arrêter de rêver, d’apprendre et de réfléchir, plutôt mourir. Ma femme m’a dit encore récemment: «Quand fais-tu des pauses?». Il arrive parfois que je lui parle d’esprits en référence à la grammaire du grec ancien, des théories de Konrad Lorenz, du symposium de l’encyclopédie Universalis ou du boson de Higgs, à des heures tout à fait adéquates, vers minuit par exemple.
Les premiers instants dont je me souviens se limitent à quelques photos mnésiques de l’école maternelle de Flize, petit village des Ardennes françaises. Bien souvent et il est vrai que les premiers souvenirs sont un mélange de ce que nous racontent nos parents, de ce que l’on imagine et de ce dont on se souvient réellement. Les premiers souvenirs sont photographiques, c'est-à-dire que nous n’avons en tête que des images. De plus la mémoire passe au travers du filtre sentimental qui fige les souvenirs. Plus le sentiment lié au moment est intense, mieux on se souvient de cet instant. L’amour traverse déjà les premiers instants de ma vie et sera à jamais un leitmotiv essentiel. Trouver «l’âme sœur » a toujours été un but, dans l’espoir de combler ce manque, cette incompréhension face à la société.
Peu de souvenirs. Comme diraient certains, les premiers instants avant l’âge de six ans ne sont que de très floues photographies que l’on essaye de recoller, de rassembler pour en arriver peu à peu à ce qui définit notre enfance. Mélanges hétérogènes, de discours oraux, de vieilles images commentées par les parents ou d’autres par d’autres membres et de nos propres souvenirs qui représentent une proportion bien faible.