Gabriel Roux

Précis d'analyse microbiologique des eaux ; suivi de la Description sommaire et de la diagnose des espèces bactériennes des eaux

Publié par Good Press, 2021
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066337209

Table des matières


TRAVAUX DU MÊME AUTEUR
A MONSIEUR LE DOCTEUR G. ROUX
AVANT-PROPOS
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
Analyse préalable des eaux
I. MÉTHODES DE CULTURE DANS LES LIQUIDES
II. MÉTHODES DE CULTURE SUR LES SOLIDES
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
INDICATIONS SOMMAIRES SUR LA RECHERCHE DES MICROBES ANAÉROBIES
DU RÔLE DE L’ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DES EAUX EN HYGIÈNE
CHAPITRE IX
1 re FAMILLE: COCCACÉES
I. Genre: MICROCOCCUS COHN
LIQUÉFIANT LA GÉLATINE, PRODUISANT UNS MATIÈRE COLORANTE
LIQUÉFIANT LA GÉLATINE, NE PRODUISANT PAS UNE MATIÈRE COLORANTE
NE LIQUÉFIANT PAS LA GÉLATINE, PRODUISANT UNE MATIÈRE COLORANTE
NE LIQUÉFIANT PAS LA GÉLATINE, NE PRODUISANT PAS UNE TIÈRE COLORANTE
II. Genre SARCINA
2 e FAMILLE: BACTÉRIACÉES
I. Genre BACILLUS
LIQUÉFIANT LA GÉLATINE, PRODUISANT UNE MATIÈRE COLORANTE
LIQUÉFIANT LA GÉLATINE, NE PRODUISANT PAS UNE MATIÈRE COLORANTE
NE LIQUEFIANT PAS LA GÉLATINE, PRODUISANT UNE MATIÈRE COLORANTE
NE LIQUÉFIANT PAS LA GÉLATINE, NE PRODUISANT PAS UNE MATIÈRE COLORANTE
II. Genre: SPIRILLUM EHRENBERG
III. Genre: LEPTOTHRIX KUTZING
IV. Genre: CLADOTHRIX COHN
V. Genre: STREPTOTHRIX COHN
3 e FAMILLE BEGGIATOACÉES
I. Genre BEGGIATOA TREVISAN
II. Genre CRENOTHRIX

CHAPITRE PREMIER

Table des matières

BUT ET UTILITÉ DE L’ANALYSE MICROBIOLOGIQUE DES EAUX

La notion des bactéries des eaux pouvant être pathogènes, substituée à celle de leur composition chimique. — Origines de l’analyse bactériologique. — École française et école allemande. — Analyse quantitative et analyse qualitative ou physiologique. — Quel est, de ces deux modes d’analyse, le plus utile? — Microbes aérobies et anaérobies, anaérobies facultatifs.

Les recherches de MM. Chantemesse et Widal, de M. Brouardel et de ses élèves sur le bacille d’Eberth et les relations existant entre la fièvre typhoïde d’une part et l’eau potable de l’autre ont rappelé, dans notre pays, l’attention sur l’analyse microbiologique des eaux, pressentie et indiquée par Pasteur, pratiquée déjà depuis longtemps par Miquel, et ont causé la vogue de ce nouveau mode d’investigations. Lorsqu’il a été prouvé, pour une des maladies les plus fréquentes et les plus graves, que c’était l’eau qu’il fallait surtout incriminer dans son étiologie (90 fois sur 100 d’après Brouardel), et que le principe nocif n’était pas telle ou telle substance chimique, mais bien un infiniment petit vivant, un microbe, tout le monde a pensé, avec assez de raison, que ce n’était plus au chimiste seul qu’il fallait, en ce qui concerne l’eau, demander la réponse à l’interrogation classique: bonne ou nuisible?

FIG. 1. — Formes des bactéries en général

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1, 2, 3, 4. Coccus de différentes formes et grosseurs; 5, court bâtonnet; 6, long bâtonnet; 7, 8, formes renflées; 9, 10, filament; 11, 12, 14, formes spiralées; 13, forme spiruline; 15, filament ramifié.

Puisque le corps du délit était une de ces innombrables bactéries (fig. 1), les unes utiles ou banales, les autres, les mêmes parfois, pathogènes, c’était le Bactériologue qui devait être consulté, et qui le fut en effet.

Et alors parmi les microbiologistes qui durent, tant la nouvelle science avait marché vite, se spécialiser dès le début, quelques-uns se consacrèrent presque exclusivement à ces sortes d’analyses pour lesquelles, en raison de leur nouveauté, tout ou à peu près était à créer: principes, méthodes et technique.

Malgré les difficultés inhérentes à une telle entreprise les choses allèrent assez vite et les résultats furent dès le début satisfaisants, grâce aux méthodes générales inventées et préconisées en France par Pasteur, en Allemagne par Koch.

Ce dualisme de noms et de nationalités, nous allons le rencontrer constamment, chemin faisant, dans l’exposé des procédés de recherches, et c’est en combinant, somme toute, avec un sage et impartial éclectisme, les errements des deux écoles: française et allemande, que nous arriverons, sinon à la netteté et à l’absolutisme des analyses chimiques, tout au moins à une approximation suffisante pour être utile, assez sérieuse pour rester indiscutable.

Mais qu’on le sache bien, si les progrès accomplis à l’heure actuelle sont assez importants pour justifier l’apparition de ce livre, nous n’en sommes pas moins à l’aurore seulement d’une science qui va se perfectionnant chaque jour et donnera bientôt, nous en avons la conviction sincère, de magnifiques et surprenants résultats.

Je ne saurais trop le répéter, il ne faut au temps présent demander à l’analyse microbiologique des eaux que ce qu’elle peut donner; ce quelque chose est à la fois beaucoup et fort peu: beaucoup si l’on considère la jeunesse de la Microbie, le peu de temps qui nous sépare du jour où pour la première fois elle a commencé à compter dans l’encyclopédie des connaissances humaines, fort peu si nous réfléchissons aux problèmes que nous voudrions lui voir résoudre et qui restent encore insolubles. Bientôt je montrerai les lacunes, car j’estime que, dans un ouvrage loyalement écrit il faut proclamer bien haut et hardiment ce qui est acquis, ce qui est vrai, mais ne point céler non plus les défauts ni les imperfections.

Confesser notre ignorance est en ce cas, je le crois, faire œuvre, non pas seulement d’honnêteté scientifique, mais encore de progrès, puisqu’en appelant l’attention sur des desiderata nous pouvons avoir l’espoir de susciter des recherches qui les feront disparaître. C’est dans cet esprit que ce modeste volume a été écrit et peut-être, s’il est appelé à être utile à quelqu’un, servira-t-il autant par les inconnues qu’il indiquera que par les faits acquis qu’il s’efforcera d’enseigner.

Comme l’analyse chimique, l’analyse microbiologique en général est quantitative et qualitative; mais tandis qu’en Chimie la première est la plus estimée et aussi la plus utile, c’est le contraire en quelque sorte qui s’observe en Microbie.

En Chimie, au reste, la quantitative ne peut pas aller sans la qualitative; on ne peut doser des composants de corps que lorsqu’on connaît leur nature, tandis qu’il est possible de déceler celle-ci et de ne point s’inquiéter des proportions dans lesquelles chaque élément fait partie du composé ; et lorsqu’on demande à un chimiste si telle substance renferme oui ou non du plomb la réponse faite aura toujours une certaine valeur, que la quantité de plomb existant ait été oui ou non déterminée.

En tout cas, le chimiste procède toujours ainsi: il cherche si le plomb existe, d’abord: analyse qualitative; il évalue ensuite, la réponse étant, je suppose, positive, la quantité du métal: analyse quantitative. On procède un peu différemment en analyse microbiologique; et pour prendre un exemple parmi les problèmes qui doivent surtout préoccuper le médecin et l’hygiéniste nous supposerons la double question suivante:

Telle eau renferme-t-elle le bacille de la fièvre typhoïde?

Quelle est la teneur de cette même eau en bactéries quelconques (aérobies)?

En résolvant le premier problème nous aurons bien en réalité fait une analyse qualitative, puisque nous aurons cherché à déterminer la qualité d’un microbe: celui qui est lié à la dothiénentérie; mais en répondant à la seconde question posée, nous serons bien inférieurs au chimiste; nous dirons en effet: il y a, par exemple, 1500 bactéries par centimètre cube de l’eau analysée, mais sans préciser, tout d’abord, l’espèce à laquelle appartient chacun de nos 1500 individus. Nous aurons fait une analyse quantitative, mais dans laquelle les éléments comptés nous sont absolument inconnus quant à leur nature et à leurs propriétés. Nous nous trouvons ici dans le cas d’un chimiste qui déclarerait que dans tel échantillon il y a cinq éléments différents, mais qui ne les nommerait pas; et encore, lui, saurait qu’il a bien cinq corps distincts, tandis que nous, dans la supposition précédente, ne sommes pas censés savoir si nos 1500 individus appartiennent à une, dix, vingt ou cent espèces. Nous avons, que l’on me permette l’expression, compté des cailloux et non pas des roches ou des minéraux, ces derniers pris dans leur acception pétrographique.

Afin de déterminer avec exactitude à quelle espèce connue appartient chacun des 1500 individus que notre analyse quantitative a décelés, il va falloir nous livrer à toute une série d’opérations qui seront décrites bientôt et dont l’énumération seule démontre la longueur et la complexité : formes et dimensions, mobilité, réactions colorantes, aspect des colonies sur les milieux de cultures les plus variés, action chimique de ces mêmes colonies sur certaines substances (sucre, lait, albumine, etc.,) action biologique sur les animaux, sont autant de caractères qu’il est parfois indispensable de passer en revue les uns après les autres, avant d’en arriver à se faire une opinion absolue sur l’identité de l’organisme considéré.


L’analyse microbiologique de l’eau consiste en somme dans la recherche et la mise en évidence des microorganismes auxquels on donne le nom de Schizomycètes, Schizophytes, Bactéries, Microbes (fig. 1), que cette eau renferme.

Comme l’analyse chimique, nous venons de le voir, elle peut être quantitative ou qualitative, quantitative lorsqu’elle a pour but de compter purement et simplement les microgermes contenus dans un volume déterminé : comme 1 centimètre cube, qualitative lorsqu’elle s’efforce de séparer les unes des autres les diverses espèces microbiennes et de les déterminer spécifiquement.

Cette seconde variété de l’analyse bactériologique pourrait être appelée encore physiologique ou biologique parce qu’elle doit, pour rendre tous les services que l’on attend d’elle, constater de quelle façon chacune des espèces bactériennes isolées se comporte vis-à-vis l’organisme animal, nous instruire sur ses propriétés pathogènes ou seulement saprogènes, ou encore zymogènes.

On a beaucoup discuté et on discute toujours, plus encore peut-être aujourd’hui qu’à l’origine, sur l’utilité réelle, au point de vue de l’hygiène publique, de l’analyse microbiologique des eaux.

Les chimistes surtout, qui seuls étaient autrefois consultés sur la potabilité d’une eau et se trouvaient être, en cette matière, des oracles indispensables et tout puissants, ont protesté contre cette nouvelle branche de la Microbie.

Quelques-uns ont voulu lui dénier toute espèce d’importance ou bien, comme M. Denaeyer, au Congrès international d’Hygiène de Paris en 1889, revendiquer pour eux seuls le droit exclusif de pratiquer ces analyses biologiques en même temps que les chimiques.

D’autres cependant, plus circonspects, se contentent de considérer comme ayant peu de valeur les numérations pures et simples.

«Aussi longtemps, écrit M. Ch. Girard dans la Revue d’Hygiène, en 1887, que les hygiénistes compteront des bactéries sans savoir si elles sont pathogènes ou non, je considérerai leurs travaux comme une statistique intéressante peut- être, encombrante à coup sûr .»

Ce dernier membre de phrase est de trop, car toutes les recherches scientifiques, quelles qu’elles soient, à condition d’être consciencieusement poursuivies, sont intéressantes et utiles, si ce n’est à bref délai, tout au moins à une échéance plus ou moins longue. Les bactériologues de profession sont, au reste, absolument d’accord avec les chimistes sur l’intérêt prédominant de l’analyse qualitative, et notamment sur celui de la recherche des microbes pathogènes; pas un seul parmi eux ne soutiendra aujourd’hui le contraire.

Mais est-ce à dire que l’autre, la quantitative, soit absolument inutile et doive être considérée comme une collection de faits sans valeur et encombrants? Je ne le crois pas.

Indépendamment de l’intérêt d’ordre purement scientifique, qui n’est pas tant à dédaigner que cela, ces sortes d’analyses nous apportent souvent des éclaircissements précieux et inattendus, qu’elles seules peuvent fournir, sur des causes de pollution entre tel point et tel autre dans le parcours d’une canalisation, ou nous mettent sur la voie d’une source d’infection qu’il était impossible sans elles de soupçonner; elles nous renseignent encore sur les qualités ou les défectuosités d’une masse filtrante naturelle ou artificielle et présentent ainsi un intérêt de premier ordre.

Je connais, pour ma part, bien des exemples (il serait trop long de les rapporter ici) de semblables services rendus par l’analyse quantitative, exemples que j’ai signalés ailleurs ; et il est peut-être sage, pour ne rien préjuger de ce que les découvertes futures pourront nous apporter, de dire tout simplement, avec Meade-Bolton : «La détermination exacte de la qualité des espèces de bactéries trouvées dans une eau offre peut-être des résultats hygiéniques plus utilisables que la détermination du nombre total des bactéries.»

A. Lustig, qui, tout récemment, a publié un petit traité du diagnostic des bactéries des eaux, écrit, avec raison, en tête de sa préface, ces lignes que je reproduis textuellement parce qu’elles expriment de façon complète l’opinion de tous les bactériologues: «L’examen bactériologique de l’eau qui consiste uniquement à déterminer le nombre des germes vivants contenus dans un centimètre cube de liquide ne correspond pas entièrement aux exigences de la science moderne. On exige davantage; il est nécessaire d’obtenir, isolées en cultures pures, les diverses espèces de bactéries et d’indiquer leurs propriétés biologiques ainsi que toutes celles qui contribuent à la connaissance de l’action qu’exerce chaque forme déterminée sur les différentes substances nutritives...»

Ajoutons à la phrase précédente: «et sur les différents animaux soumis à leur action», et nous aurons ainsi la formule générale des services que l’on doit demander à l’analyse bactériologique des eaux.

Pasteur , on le sait, a depuis longtemps divisé, au point de vue de leur biologie générale, les microorganismes en deux grandes catégories: les Aérobies et les Anaérobies, les premiers ayant besoin, pour vivre et se développer, d’oxygène libre, les autres redoutant, au contraire, l’action de ce gaz; les recherches modernes ont fait découvrir des êtres intermédiaires entre les deux groupes précédents et qui peuvent vivre tour à tour avec ou sans oxygène: ce sont les Anaérobies facultatifs.

Jusqu’à présent, en raison des difficultés de technique qui arrêtent ceux qui veulent s’occuper de la culture systématique des Anaérobies, l’analyse bactériologique des eaux a porté surtout sur les Aérobies, et les divers procédés que j’aurai à décrire s’appliquent exclusivement à ces derniers. Il y a là une regrettable lacune qui ne tardera pas, je l’espère, à être comblée, mais que j’ai cru devoir, devant l’imperfection des moyens proposés, laisser telle qu’elle.

Ce manuel aura donc pour objet la recherche quantitative ou qualitative des Bactéries aérobies des eaux. (J’y ajouterai cependant quelques indications sommaires sur la façon dont on peut cultiver et isoler les Anaérobies.)

J’étudierai successivement: la provenance de ces bactéries, les différents procédés d’analyse quantitative, les méthodes suivies pour isoler les unes des autres les espèces rencontrées, faire leur diagnose et savoir surtout reconnaître certaines d’entre elles éminemment intéressantes pour l’hygiéniste et le médecin, comme l’est, par exemple, le bacille de la fièvre typhoïde; l’ouvrage enfin se terminera par une nomenclature des différentes espèces microbiennes qui ont, à l’heure actuelle, été rencontrées dans l’eau, nomenclature qu’accompagnera, pour chaque espèce, la description morphologique des cultures, sur plaques et dans le bouillon, empruntée aux auteurs qui, comme Eisenberg, Lustig, Weichselbaum, R. Mori, Adametz, Tils, etc, se sont plus particulièrement occupés de ces questions de diagnose.



CHAPITRE II

Table des matières

ORIGINE DES MICROBES DES EAUX

Aseptieité théorique des eaux de source. — Origine des eaux atmosphériques et des eaux telluriques. — Circulation atmosphérique. — Circulation terrestre, superficielle et profonde. — Nappe souterraine. — Pureté microbique des atmosphères marines et de montagne. — Comment la pluie se charge de germes. — Pollution du sol superficiel. — Epuration par filtration. — Pureté ordinaire de la nappe souterraine. — Eaux de surface, leur richesse microbienne.

Il est certes bien difficile de se figurer un milieu cosmique absolument dépourvu de microorganismes, puisque ces derniers sont connus même à l’état fossile, dans les houilles ou certaines roches des âges paléozoïques. Cependant l’idéal d’asepticité parfaite existe, et précisément dans l’eau.

Pasteur et Joubert ont démontré depuis longtemps déjà que les eaux de certaines sources étaient pures au sens microbique du mot, que, puisées convenablement, elles ne renfermaient aucun germe vivant et restaient indéfiniment infertiles si on les conservait à l’abri des souillures accidentelles.

Nous pouvons donc, dans l’étude que nous allons entreprendre de l’origine des microbes des eaux, avoir une base solide d’orientation et un point de départ qui n’a rien de conventionnel ni de théorique.

Etant donné ce fait acquis: que les eaux de la nappe souterraine, à une certaine distance de la surface du sol, sortent de ce sol dépourvues de tout germe vivant, il sera plus facile de nous rendre compte des causes essentiellement nombreuses et variées de leur pollution.

Un rapide coup d’œil sur l’origine même de nos eaux potables est nécessaire ici.

On sait qu’une circulation incessante de l’eau sous ses différentes formes existe: entre la terre d’une part et l’atmosphère de l’autre, et réciproquement, de façon à représenter un circuit fermé.

Par évaporation, laquelle est plus ou moins intense suivant les lieux, les saisons et les climats, suivant aussi l’état de la température et de la pression barométrique, l’eau, sous forme de vapeur, est constamment restituée à l’atmosphère et cela surtout dans le voisinage des grandes masses liquides telles que les océans, les mers, les lacs, etc. Cette vapeur, qui peut acquérir une tension plus ou moins forte, persiste en cet état jusqu’ au moment où, rencontrant un condensateur, lequel est représenté ordinairement par une montagne d’élévation variable, elle passe à l’état de nuages (forme vésiculaire) lesquels, emportés par les vents, vont bientôt se résoudre en pluie ou en neige suivant la température. Comme la neige, sauf sur les plus hauts sommets, est toujours destinée à fondre tôt ou tard et à donner de l’eau liquide, c’est cette dernière que nous allons maintenant suivre à la surface ou à l’intérieur du sol.

Toute eau qui atteint la surface émergée du globe terrestre s’y divise dès l’abord en deux parts d’inégale valeur, suit deux routes différentes qui, en fin de compte, aboutissent, comme nous le verrons, dans un laps de temps plus ou moins long, à un réservoir commun: l’Océan.

De ces deux trajets terrestres l’un est superficiel, l’autre profond; une partie de l’eau tombée ruisselle en effet à la surface suivant les pentes et tend à gagner les portions les plus déclives, le thalweg de la vallée par exemple et le ruisseau ou la rivière qui l’occupent ordinairement; l’autre partie imbibe les couches superficielles du terrain, pénètre dans son intérieur et après un trajet qui varie d’un point à un autre, suivant la nature géologique du sol, vient se collecter enfin au-dessus d’une couche imperméable pour constituer ce que l’on nomme: la nappe d’eau souterraine qui peut elle-même être superficielle ou profonde. Le contenu de celle-ci revient à l’air libre, soit naturellement par l’intermédiaire des sources qui ne sont autre chose qu’un des affleurements de la nappe souterraine, soit artificiellement au moyen de puits de différents systèmes forés par l’homme ou jaillissant spontanément. Aussitôt rendue à la surface, l’eau qui avait été momentanément emprisonnée sous terre suivra le sort et partagera les vicissitudes microbiques de celle que nous avons vue ruisseler dès le début.


Les petits filets d’eau devenant des ruisseaux, puis formant des rivières qui se jetteront elles-mêmes dans les fleuves, notre eau de pluie tant superficielle que profonde reviendra enfin à son lieu d’origine: la mer, d’où partira un nouveau cycle entièrement analogue à celui qui vient d’être décrit sommairement.

Il est aujourd’hui facile, grâce aux documents déjà nombreux que nous possédons, de suivre dans ses différentes étapes les variations de cette eau au point de vue microbiologique, et l’enquête ainsi poursuivie nous donnera de précieuses indications sur l’origine même des microbes habituels des eaux.

L’appréciation exacte du lieu et du moment où s’opère la contamination sera d’autant plus aisée qu’indépendamment de la nappe souterraine que nous avons déjà vu être dépourvue de germes vivants, à condition qu’elle soit suffisamment profonde et protégée, nous allons constater de suite qu’à l’origine même de sa circulation atmosphérique l’eau sous forme de vapeur est d’une pureté microbique presque idéale.

Nous démontrerons du reste par des expériences précises empruntées à Miquel qu’il n’en peut guère être autrement.

Laissons de côté pour le moment les eaux océaniques qui réalisent cette conception mystique d’être en même temps le commencement et la fin, le point de départ et celui d’arrivée.

Leur étude bactériologique ne nous intéresse que médiocrement.

Nous pouvons en tous cas affirmer que l’eau de mer est riche en microorganismes de toutes sortes. Or la question se pose en ces termes: les tranches superficielles des Océans qui cèdent à chaque instant à l’atmosphère des torrents de vapeur d’eau laissent-elles s’échapper en même temps les infiniment petits qu’elles tiennent en suspension?

Pour répondre à semblable interrogation il s’agissait tout simplement de pratiquer de nombreuses analyses de l’atmosphère marine à différentes époques de l’année, au large et sur les côtes, en temps calme et au moment des grosses mers ou des tempêtes.

MM. le commandant Moreau et le docteur Miquel ont exécuté ces analyses en nombre tel et avec de si grandes garanties d’exactitude que je ne saurais mieux faire que de placer sous les yeux du lecteur quelques-uns de leurs résultats dont j’ai, pour plus de clarté, condensé les chiffres.

Du 26 novembre au 20 décembre 1884, lors de son sixième voyage de Bordeaux à la Plata à bord du paquebot des Messageries maritimes l’Amazone, M. le commandant Moreau pratique au moyen des tubes à bourres solubles 15 analyses d’air puisé un peu partout dans le parcours, le long des côtes ou en pleine mer; il aspire ainsi 27.041 litres d’air dont il capte, recueille et fait germer tous les organismes microscopiques susceptibles de se développer dans les conditions ordinaires. Or, ces 27.041 litres d’air lui donnent 26 bactéries et 5 moisissures, et, dans 5 analyses le résultat fut négatif quant aux schizomycètes, c’est-à-dire que dans 9980 litres, près de 10 mètres cubes d’air, il ne se rencontra pas une seule bactérie; les moisissures furent encore plus rares puisqu’elles firent défaut dans 11 analyses.

Dans un septième voyage de Bordeaux à la Plata à bord du Sénégal, 16 nouvelles analyses des atmosphères marines furent encore effectuées par le commandant Moreau et les résultats obtenus concordent absolument avec ceux que nous venons de faire connaître.

Du 3 au 24 mars 1885, 36.190 litres d’air furent aspirés sur les côtes du Brésil, à Rio-de-Janeiro, sur les côtes d’Afrique, aux Iles Canaries, en pleine mer et dans le golfe de Gascogne; ils donnèrent 34 bactéries et 5 moisissures. Trois fois le résultat fut entièrement négatif quant aux schizomycètes, soit 6865 litres qui furent trouvés microbiologiquement purs.

Les opérations bactérioscopiques doivent être singulièrement facilitées et sûres dans une semblable atmosphère!

En somme, et pour ne pas accumuler des documents qui sont semblables les uns aux autres, nous dirons que la totalité des analyses effectuées par MM. Moreau et Miquel à la date de 1886 est représentée par le nombre respectable de 112.855 litres d’air marin, soit, en chiffres ronds, environ 113 mètres cubes qui ont fourni 102 bactéries, c’est-à-dire à peu près 1 par mètre cube. Ces chiffres ont par eux-mêmes une trop grande éloquence pour qu’il soit nécessaire d’insister; ils constituent la meilleure et la plus probante réponse à la question posée ci-dessus.

Il n’est pas sans intérêt cependant de savoir que la richesse bactérienne de l’atmosphère des océans varie quelque peu suivant le voisinage ou l’éloignement de la terre ferme. Ainsi dans les analyses effectuées à au moins 100 kilomètres du continent la proportion des microbes descend à 0,6 par mètre cube, elle monte au contraire, lorsque la distance de la terre est inférieure à 100 kilomètres, à 1,8; enfin la proportion est un peu plus forte en pleine mer, lorsque celle-ci est grosse et houleuse (1 au lieu de 0,6), et diminue quand la mer est calme (0,3 au lieu de 0,6), d’où cette conclusion, formulée par Miquel:

En temps normal les océans ne cèdent pas à l’air les bactéries qu’ils renferment; cependant, quand la mer est grosse et houleuse, l’air marin se charge de bactéries, mais dans une très faible proportion.

Nous avons dit plus haut qu’un semblable résultat était à prévoir, étant données certaines expériences de laboratoire faites sur ce sujet.

Ces expériences, des plus intéressantes à bien des points de vue, sont encore dues à Miquel et sont rapportées dans son livre sur les Organismes vivants de l’atmosphère.

Elles ont pour but de démontrer la pureté microbique de la vapeur d’eau échappée des infusions putrides par le simple phénomène de l’évaporation. Le dispositif de l’expérience peut paraître quelque peu compliqué à la lecture, il est en réalité très simple . L’appareil se compose: d’une cloche tritubulée dont la base parfaitement rodée s’applique exactement sur un plateau de verre dépoli, d’un ballon suspendu au centre de la cloche, destiné à produire l’eau de condensation, et enfin d’un cristallisoir qui contiendra les liquides ou les substances putréfiées. Une des tubulures latérales de la cloche est munie d’un tube de verre recourbé qui servira en même temps à renouveler l’atmosphère de l’appareil et à introduire le liquide putréfié dans le cristallisoir; la seconde tubulure latérale, située en face de la première, reçoit un tube de verre recourbé en sens inverse du précédent et un thermomètre. L’appareil ainsi constitué est mis dans une étuve; un courant d’eau froide, grâce à un dispositif très simple, parcourt incessamment le ballon dont la calotte inférieure et extérieure se recouvre rapidement de fines gouttelettes qui grossissent, puis ruissellent et viennent enfin tomber dans une capsule de platine parfaitement flambée, qu’on a eu soin de placer sur un trépied, au-dessus de l’infusion septique.

De l’eau de Seine, de l’eau d’égout, des eaux saumâtres, des solutions absolument fétides et à odeur repoussante, distillées par ce procédé de façon à obtenir 50 centimètres cubes et même 100 centimètres cubes d’eau condensée, n’ont jamais présenté la moindre bactérie.

Dans un cas même l’eau de condensation avait conservé une odeur des plus nauséabondes et malgré cela, ensemencée à la dose énorme de 60 centimètres cubes dans des conserves nutritives variées, elle ne donna lieu à aucun développement microbien.

D’où Miquel conclut avec raison: «Cette expérience décisive ne laisse plus le moindre doute sur l’impuissance absolue de la vapeur à soulever des infusions le microbe le plus ténu, même quand son action est secondée par les courants d’air déterminés par le refroidissement incessant de l’atmosphère d’une enceinte très circonscrite.»

Et ce fait de l’asepticité de la vapeur provenant d’une masse d’eau quelconque est vrai aussi en ce qui concerne les portions émergées; l’eau évaporée de la surface du sol, dit encore Miquel, n’entraîne jamais de schizophytes.

De toutes ces assertions basées sur des expériences maintes fois contrôlées nous devons déduire cet axiome fondamental pour l’étude de la question qui nous préoccupe en ce moment, à savoir que, au début de sa circulation atmosphérique, l’eau est dépourvue de tout germe microbien vivant; nous représenterons cet état d’asepticité par le signe conventionnel 0.

De la surface des océans nous avons vu la vapeur d’eau s’élever suivant la direction des vents régnants jusqu’au contact de sommets plus ou moins hauts, lesquels jouent le rôle de condensateurs.

Il est bien évident que, chemin faisant, cette vapeur s’enrichit de quelques germes rencontrés çà et là, puisque nous savons qu’ils deviennent moins rares dans le voisinage de la terre ferme; cependant, étant donné, d’une part, que la condensation, c’est-à-dire la formation des nuages, s’opère sur les hauts sommets et que, d’autre part, l’atmosphère des montagnes élevées est microbiquement très pure, comme en témoignent les nombreuses analyses de M. de Freudenreich, le collaborateur alpin du docteur Miquel, l’eau, à l’état de nuages, doit être encore relativement très pauvre en microorganismes.

Les chiffres suivants donnés par M. de Freudenreich en font foi:

NOMBRE DE BACTERIES DANS 10 MÈTRES CUBES D’AIR (10.000 LITRES)

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Il n’est pas nécessaire au reste de s’élever beaucoup, même au-dessus d’une ville populeuse, pour voir le nombre des bactéries décroître singulièrement; c’est ainsi qu’en ce qui concerne Paris Miquel a trouvé : à la mairie du IVe arrondissement, 462 germes de microbes par mètre cube et 28 seulement au Panthéon, tandis qu’il y en a 5500 dans la rue de Rivoli et 760 dans le parc de Montsouris.

Les nombres précédents sont pour nous très instructifs, parce qu’ils nous indiquent que la quantité des microbes de l’atmosphère augmente au fur et à mesure que l’on se rapproche du sol, et, bien que les germes aériens soient beaucoup moins nombreux qu’on ne le croyait à une certaine époque, ils représentent cependant pour l’eau un élément d’approvisionnement qui est loin d’être négligeable.

C’est en traversant sous forme de pluie ou de neige l’air atmosphérique que notre eau va commencer à s’enrichir de particules organisées et vivantes, et pour bien faire comprendre quelle est l’importance de cette source de germes peut-être est-il nécessaire de citer ici encore quelques chiffres.

En 1889, Miquel a trouvé à l’Hôtel de Ville de Paris, par mètre cube d’air, une moyenne de 9780 bactéries et de 1420 moisissures; le mois qui a fourni la plus forte proportion de schizomycètes est septembre avec 19.300 par mètre cube, celui dans lequel a été observé le minimum est février avec 3345.

A la place Saint-Gervais, la moyenne de neuf années, de 1881 à 1889, a été de 4520 par mètre cube.

A Lyon, dans une cour de l’Hôtel-Dieu où l’air est relativement stagnant, le docteur Rossi, au cours de recherches entreprises sous ma direction, dans le laboratoire de M. le professeur Bondet, pour sa thèse inaugurale , a constaté 1084 bactéries et 833 moisissures par mètre cube, et cela au mois d’octobre, alors que la température très basse était à peine de 5° C.

Au parc de Montsouris enfin, pendant sept ans, de 1881 à 1887, la moyenne des microbes récoltés par mètre cube d’air a été de 390 seulement.

Plus on s’éloigne des grands centres d’agglomération et plus l’air devient microbiquement pur, sans toutefois atteindre l’asepticité presque absolue des hauts sommets ou des atmosphères maritimes.

Cette courte digression, quelque peu étrangère à notre sujet, avait pour but de nous montrer d’où doivent provenir les nombreux germes que nous allons maintenant rencontrer dans l’eau de pluie et même dans la neige; nous réservons pour le moment l’origine de ceux qui ont été rencontrés dans la grêle.

C’est à partir de 1879 que Miquel a commencé à s’occuper de l’analyse systématique des eaux météoriques, et depuis 1880 le volume annuel de l’Observatoire de Montsouris nous apporte de précieux renseignements sur cette branche de la Microbie analytique. Dès la première année il put déduire de ses expériences multipliées une série de conclusions intéressantes, parmi lesquelles je citerai plus particulièrement celles-ci:

L’eau de pluie renferme à volume égal un nombre d’espèces moindre que les eaux qui circulent à la surface du sol; en toutes saisons la pluie, la grêle, la neige sont chargées d’organismes microscopiques, la neige toutefois est moins riche que les pluies d’été.

En tout cas, les eaux de pluie ont une richesse en microorganismes assez notable pour qu’il en soit tenu, dès à présent, grand compte dans l’étude des différents processus de pollution des liquides de boisson.

Au parc de Montsouris, des analyses pratiquées pendant trois années, de 1883 à 1886, on a pu déduire une moyenne de 4346 bactéries et de 4000 mucédinées par litre d’eau de pluie; or, la hauteur annuelle de pluie, à Montsouris, étant d’environ 60 centimètres, il y a donc, chaque année, déposés sur le sol, par mètre carré de surface, 4.500.000 germes, et ce chiffre est bien certainement inférieur à la réalité !

Les pluies les plus chargées en microorganismes sont celles des mois les plus chauds de l’année ou encore les premières averses des orages et celles qui succèdent à une suite de jours secs, mais il est inexact de dire que la pluie recueillie à la fin d’une journée pluvieuse est plus pauvre en germes que celle prise au commencement ou au milieu. Enfin, la richesse microbienne de ces eaux météoriques varie essentiellement avec les localités, même voisines; ainsi, à la caserne Lobau, les eaux de pluie sont plus chargées en germes que celles de Montsouris, mais il est juste de dire que l’air lui-même est, à ce point de vue, bien différent dans ces deux stations.

Voilà donc l’eau ayant terminé son trajet aérien et qui, partie avec 0 bactérie arrive à la surface du sol avec plus de 4.000 microbes par litre; son impureté est donc déjà bien manifeste, et en admettant même, ce qui n’est pas, que le substratum qui va recevoir ce liquide pollué soit, lui, parfaitement aseptique, il n’est pas difficile de comprendre comment le degré de pollution va aller en s’accentuant de plus en plus.

Deux conditions, essentiellement favorables à la végétation et à la pullulation des schizophytes, sont, en effet, réalisées dès que l’eau touche terre: un état de repos relatif et l’apport, en quantités notables, de matériaux nutritifs,

D’après Léone, il est vrai (Recherches sur les microorganismes de l’eau potable, etc., Rev. sanit. de Bordeaux et de la province, octobre 1886), l’agitation ne s’opposerait pas à la reproduction des microorganismes des eaux.

Il résulte, d’autre part, des quelques expériences instituées par M. V. Despeignes (Etud. expérim. sur les microbes des eaux, th. de Lyon, p. 22, 1891) qu’aucune différence sensible n’a pu être notée dans la pullulation des bactéries des eaux de Lyon dans les cultures au repos ou animées de mouvements rotatoires horizontaux.

Je pense néanmoins que les bactéries ont plus chance de pulluler une fois arrivées à la surface du sol que pendant le temps de chute de la pluie, fort court au reste.

Les conditions de cette pullulation sont, en ce cas, d’autant meilleures qu’il se rencontre toujours, çà et là, quelques tranches d’eau stagnante qui deviennent le centre d’une très active reproduction de la part des petites cellules qui s’y sont réfugiées.

Ces processus de biogénèse sont d’autant plus actifs que l’eau relativement pure du météore aqueux s’est chargée, chemin faisant, de principes azotés ou minéraux qui en ont fait un bouillon de culture, sinon excellent, du moins très suffisant. Nous verrons, au reste, bientôt combien, au point de vue alimentaire, sont peu exigeants les êtres infimes que nous étudions.

Il n’est donc pas étonnant que les 4346 germes primitifs soient bientôt représentés par des milliers et des millions d’individus issus des premiers et que l’eau puisée à la surface du sol soit déjà plus riche en microbes que celle qui provient directement de la pluie.

Mais, dans la réalité, l’eau du ciel est loin de rencontrer, lors de sa chute, un sol vierge de toute souillure. La croûte terrestre, sur une épaisseur plus ou moins considérable, très minime toutefois, mais en tout cas à sa surface même, contient des quantités énormes de germes de toutes sortes, microscopiques artisans des opérations incessantes d’analyse ou de synthèse dont la terre végétale est en même temps le laboratoire et l’objet.

Quelques chiffres vont nous donner une idée de l’importance de ce microcosme des couches superficielles du sol.

NOMBRE DES BACTÉRIES AÉROBIES PAR GRAMME DE TERRE

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Tous ces chiffres s’appliquent à la surface seulement; au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la profondeur les microorganismes deviennent moins abondants, non pas progressivement, mais bien, ainsi que cela résulte des remarquables recherches de C. Frankel, tout d’un coup vers 1m,25 environ, de telle sorte que l’on trouve à ce niveau 100 fois moins de germes qu’à 25 centimètres au-dessus. En tout cas, toujours d’après C. Fränkel et la plupart des autres auteurs, les ensemencements avec de la terre prise à 4 et 5 mètres, même alors que cette profondeur appartient à la zone de la nappe souterraine, ne donnent plus de colonies ou n’en donnent que très exceptionnellement.

Le sol, en effet, qui dans ses couches superficielles constitue, dans la plupart des cas, un excellent milieu de culture pour les microbes aérobies perd, dans ses portions profondes, la majeure partie de ses qualités et notamment celle de pouvoir servir de milieu respiratoire. Aussi, les bactéries aérobies perdent-elles assez rapidement, à une certaine profondeur, le pouvoir de végéter et de pulluler. C. Frankel , étudiant plus spécialement à ce point de vue quelques bacilles pathogènes, a vu que le Bacillus anthracis perdait l’aptitude au développement à 3 mètres de profondeur, alors qu’à ce même niveau le bacille du choléra asiatique était encore capable de vivre, mais, circonstance curieuse, seulement pendant les mois d’août, septembre et octobre.

Quant aux bacilles typhiques placés dans les mêmes conditions, ils ne seraient réfractaires à la culture que pendant les mois d’avril à juin.

D’autre part, MM. Grancher et Deschamps, expérimentant sur la façon dont se comporte le bacille typhique dans le sol, sont arrivés aux résultats suivants: le bacille d’Eberth peut pénétrer à une distance maxima de 40 à 50 centimètres dans l’intérieur du sol et y vivre pendant un laps de temps de cinq mois et demi; il se conserve même mieux dans la terre que dans les cultures à l’air libre.

Mais tous les expérimentateurs sont d’accord pour admettre qu’au delà d’une certaine limite, la vie cesse absolument dans les profondeurs du sol, et c’est ainsi que s’expliquerait la pureté microbiologique parfaite de la nappe souterraine et des eaux de source.

Il est vrai que de semblables assertions ne peuvent que viser les bactéries aérobies, les seules qui dans le sol aient été convenablement étudiées jusqu’à présent. 11 se pourrait fort bien, ainsi que Macé l’insinue, que les anaérobies existassent là où les autres font défaut, et que les véritables frontières de la région aseptique dussent, de ce fait, être plus ou moins reculées.

Quoi qu’il en soit, ce qu’il nous importe d’enregistrer actuellement, c’est le fait de la disparition des germes aérobies dans la profondeur du sol et la pureté ordinaire de la nappe souterraine et des eaux de source, ce qui fait que, pour la seconde fois, nous constatons chez notre eau un état tel que sa richesse microbiologique peut être représentée par 0.

En écrivant plus haut: pureté ordinaire, au lieu de pureté absolue, j’ai eu l’intention d’indiquer quelques réserves. Il peut arriver, en effet, assez exceptionnellement il est vrai, mais peut être cependant plus fréquemment qu’on ne le croit, dans certains pays de contexture géologique spéciale, que des eaux de sources bien captées et recueillies avec toutes les précautions d’usage ne se montrent pas microbiquement pures, tant s’en faut, et cela malgré une épaisseur considérable de terrain filtrant.

C’est ainsi que, en 1889, M. Thoinot constata dans l’eau des sources qui alimentent la ville du Havre, lesquelles sont à 48 mètres en contre-bas du plateau calcaire de Gainneville à la surface duquel avaient été répandues des matières de vidanges provenant du Havre, 42.000 germes par litre dans une analyse et dans une autre 470.000; d’où cette conclusion qui, bien que s’appliquant à un cas particulier, est néanmoins susceptible d’être généralisée: que le terrain crétacé est parfois un filtre imparfait et que même une forte épaisseur de ce terrain ne saurait fournir aux nappes souterraines qu’une protection illusoire contre les microorganismes déposés à la surface du sol.

Nous voici revenus aux eaux de surface dont l’origine et aussi la composition biologique sont bien différentes, tout au moins à leur point de départ. Nous avons, d’une part, les eaux souterraines émergeant à l’air libre sous forme de sources qui, nous l’avons vu, sont, sauf quelques exceptions assez rares, absolument aseptiques au lieu de leur émergence, et, d’autre part, les eaux qui dès l’instant de leur chute ont ruisselé à la surface du sol et sont restées superficielles. Ces dernières sont constamment très riches en microbes; elles possèdent tout d’abord ceux qui préexistaient en elles à l’état de pluie ou de neige, plus les générations issues de ceux- ci dès qu’une stagnation relative a été obtenue, et enfin les espèces nouvelles déjà acclimatées à la surface du sol sur lequel la pluie est venue tomber. Cette triple addition donne un total considérable et il serait fastidieux de vouloir donner des chiffres, pour l’établissement desquels peu d’analyses, du reste, ont encore été faites.

Ce qu’il nous importe davantage de connaître, c’est la composition microbique de quelques eaux courantes qui ne sont que le mélange des eaux profondes et superficielles réunies les unes aux autres, tôt ou tard, pour gagner à nouveau le grand gouffre commun.

Ici les documents ne manquent point et nous ne pouvons que choisir parmi quelques-uns des plus récents d’entre eux.

BACTÉRIES DES EAUX COURANTES; PAR CENTIMÈTRE CUBE

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Les écarts sont, on le voit, fort considérables ici. Certains bactériologues, je le sais, m’accuseront d’avoir groupé ensemble des valeurs non comparables, étant donné que les chiffres précédents sont le résultat d’analyses faites avec des procédés différents.

Je ne veux certes pas esquiver ce reproche et je discuterai bientôt en toute impartialité la question des méthodes d’analyse et des résultats obtenus. Mais pour le moment cette distinction ne me semble pas avoir grande importance, puisqu’il s’agit de démontrer simplement que les eaux courantes sont toujours plus ou moins riches en microorganismes: ce qui est fait.

Il me faudrait peut-être maintenant faire pour les eaux dormantes, lacs, étangs, et pour les puits, ce que je viens de tenter pour les eaux courantes, mais ceci nous entraînerait par trop en dehors du cadre qui m’est tracé et je me contenterai de dire que, comme pour les rivières, le nombre de bactéries est ici infiniment variable et soumis à des oscillations dont les causes très multiples commencent à être connues. Ainsi d’après Bujwid les puits de Varsovie renferment de 80 à 50.000 bactéries par centimètre cube.

Je voulais dans ce chapitre faire connaître quelle était l’origine réelle des microbes des eaux; je pense y être parvenu.

L’air, le sol sont les deux grands facteurs de la contamination, auxquels viennent s’ajouter dans les contrées peuplées les déjections de l’homme et des animaux, les détritus de toutes sortes résultant de l’alimentation et de l’industrie, et jusqu’aux débris d’origine végétale qui, le long des cours d’eau surtout, viennent à chaque instant apporter non seulement de nouveaux germes vivants, mais encore les éléments de la nutrition de ces infiniment petits.



CHAPITRE III

Table des matières

LE LABORATOIRE D’ANALYSES MICROBIOLOGIQUES DES EAUX

Matériel indispensable. — Four Pasteur. — Autoclave de Chamberland. Entonnoir à filtrations chaudes. — Etuves à incubation — Régulateurs. — Appareils de verrerie. — Instruments divers. — Réactifs et matières colorantes. — Stérilisation de l’eau.

Je veux, dans ce très court chapitre, établir l’inventaire du laboratoire du bactériologue qui désire pratiquer des analyses d’eau. La plupart des appareils, des instruments ou des objets de verrerie dont il aura à faire usage étant décrits avec détail dans le Traité de bactériologie du professeur Macé, de Nancy, comme dans les autres manuels de microbie, je serai très bref à leur sujet.

La condition essentielle qu’il s’agit de réaliser ici est l’asepticité parfaite, absolue, des récipients et des milieux de culture.

Il est aujourd’hui facile de répondre rapidement et sûrement à ce double desideratum.

Tous les récipients de verre: ballons, flacons, tubes à essai, pipettes, etc., seront, après avoir été munis à leur extrémité libre d’un fort tampon de ouate ordinaire, flambés au four Pasteur (fig. 2), dont on peut en quelques minutes élever la température à 150° et même 200° C. Avant d’y être placés, tous les objets de verrerie doivent, au préalable, avoir été lavés avec grand soin à l’eau acidulée, puis à grande eau et égouttés.

FIG. 2. — Four de Pasteur, pour flamber les ballons.

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Les bouillons ou les substrata solides qui constitueront es milieux nutritifs de culture des bactéries, l’eau distillée qui servira à faire les dilutions devront toujours être placés dans des récipients flambés, comme il vient d’être lit, et seront stérilisés à l’autoclave de Chamberland fig. 3), sorte de marmite de Papin dont l’usage est aujourd’hui généralisé dans tous les laboratoires. La température peut, dans cet appareil, être élevée sous pression à 115°-120° C.; elle suffit, maintenue pendant quinze à vingt minutes pour détruire toutes les bactéries à la phase végétative et même à l’état de spores.

FIG. 3. — Autoclave de Chamberland.

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Il est parfois nécessaire, lorsqu’il s’agit, par exemple, des milieux à la gélatine, de ne pas dépasser, dans l’opération de la stérilisation, une température de 100° et d’éviter des pressions supérieures à la pression atmosphérique. C’est dans ce but qu’ont été inventés les poêles à vapeur de Koch (fig. 4), de Chantemesse, etc. Il est possible de se passer de ces nouveaux appareils et d’utiliser, dans ces cas spéciaux, l’autoclave, en ayant soin de maintenir ouvert le robinet qui existe sur son couvercle pour permettre à la vapeur de s’échapper au fur et à mesure de sa production. L’autoclave se trouve alors transformé, à condition que l’ouverture du robinet soit assez large, en un véritable poêle à vapeur, où la température ne dépasse guère 100° C., tandis que la pression intérieure reste égale à celle de l’air ambiant.

FIG 4. — Stérilisateur à vapeur de Koch

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FIG. 5. — Etuve de Pasteur.

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FIG. 6. — Nouvelle étuve auto-régulatrice de d’Arsonval.

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La description et le mode de fonctionnement de ces deux instruments fondamentaux étant donnés dans tous les livres de bactériologie, je renvoie à ceux-ci le lecteur, et particulièrement à l’excellent Manuel de Macé.

Il faudra encore dans le laboratoire du bactériologue analyste, parmi les grosses et coûteuses pièces, deux ou trois étuves à incubation.

fig. 5fig. 6fig. 7