Albert Jacquemart, Edmond Le Blant

Histoire artistique, industrielle et commerciale de la porcelaine : accompagnée de recherches sur les sujets et emblèmes qui la décorent, les marques & inscriptions qui font reconnaître les fabriques d'où elle sort, les variations de prix qu'ont obtenus les principaux objets connus & les collections où ils sont conservés aujourd'hui

Publié par Good Press, 2021
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066318185

Table des matières


CHAPITRE I. INTRODUCTION A L’HISTOIRE DE LA PORCELAINE
CHAPITRE II. TECHNOLOGIE. NATURE DE LA PORCELAINE.–COULEURS QUI LA DECORENT
HISTOIRE DE LA PORCELAINE. SON NOM, SON INTRODUCTION EN EUROPE, FABLES QU’ELLE A FAIT NAITRE.
CHAPITRE III. PORCELAINE DURE ANTIQUE
CHAPITRE IV. PORCELAIE DURE ANTIQUE
CHAPITRE V. PORCELAINE DURE ANTIQUE
CHAPITRE VI. PORCELAINE DURE ANTIQUE
CHAPITRE VII. PORCELAINE DURE ANCIENNE
CHAPITRE VIII. PORCELAINE FRANÇAISE ou PORCELAINE TENDRE ARTIFICIELLE.
APPENDICE AUX PORCELAINES TENDRES FRANÇAISES.
MANUFACTURES ETRANGERES.
CHAPITRE IX. PORCELAINE TENDRE NATURELLE ou ANGLAISE
CHAPITRE X. PORCELAINES HYBRIDES OU MIXTES.
ITALIE, ESPAGNE.
ITALIE CENTRALE. DOCCIA.
ITALIE MERIDIONALE. NAPLES.

CHAPITRE I.
INTRODUCTION
A L’HISTOIRE DE LA PORCELAINE

Table des matières

L se produit, pour toutes les choies d’art &de curiosité, un fait remarquable dont il est plus facile de signaler l’existence que d’expliquer la cause.

Le goût, le désir de la possession, précèdent la notion scientifique; on aime avant d’apprécier complètement,&cet amour se manifeste assez souvent par des actes qui sentent quelque peu la barbarie.

Les planches gravées par les imagiers, incisées par l’habile burin des peintres graveurs italiens&allemands, allaient se perdre& tomber dans l’oubli, quand l’abbé de Marolles leur offrit un asile dans son cabinet&inaugura les collections chalcographiques. Il est vrai que, pour enfermer les plus grandes estampes dans son recueil au format invariable, il les rognait ou les coupait en morceaux La chalcographie n’en fut pas moins fondée.

Vers le même temps, un autre amateur recueillait des médailles antiques&les classait avec ordre. Lui aussi mutilait ses pièces pour les forcer à entrer dans les cases uniformes de son médaillier; mais les monuments étaient conservés, montrés, le goût de la numismatique grandissait&promettait un brillant avenir.

Depuis, bien des volumes ont été écrits sur la chalcographie& la numismatique; la science s’est répandue, universalisée; non-seulement on n’a plus à redouter la disparition de gravures ou de médailles précieuses pour l’histoire de l’art, mais on est assuré de ne voir déformais soumettre au caprice d’une reliure ou d’un emporte-pièce, ni la marge d’une estampe, ni les bords d’une monnaie.

Ces destinées si diverses, la poterie translucide les a subies ou va les accomplir. Les porcelaines orientales, acclamées d’abord, dédaignées bientôt pour celles de Saint-Cloud, de Saxe&de Vincennes, ont retrouvé depuis, dans le foyer de tous, un culte plus ou moins éclairé, mais incontestable; on les fait scier, on les charge de bronze pour orner nos intérieurs, on les mutile, mais on les aime.

Si le peintre Giov. Ghirardini, appelé à Canton, en1688, pour y décorer la coupole d’une église, écrit, au retour de son voyage: «Le Chinois n’a pas la moindre idée des beaux-arts; il ne fait que «peser l’argent&manger du riz;» si, un siècle plus tard, M. de Paw cite la phrase&renchérit sur l’anathème lancé contre la Chine (; si un ingénieux avocat au Parlement proscrit impitoyablement de toute collection sérieuse «les porcelaines les ouvrages de la Chine...&tout ce que nous appelons colifichets, le public ne sanctionna pas plus qu’il ne le fait aujourd’hui, ces jugements trop peu réfléchis&le plus souvent dictés par la légèreté ou l’ignorance.

Sur la foi du Père d’Entrecolles, l’Encyclopédie nous disait, &les catalogues répétaient après elle: «La vieille porcelaine «peut être ornée de quelques caractères chinois, mais qui ne mar

quent aucun point d’histoire.» Or, si les encyclopédistes&ceux qui les ont si naïvement copiés eussent pris la peine de retourner quelques-uns des vases que le commerce de la Hollande avait apportés en grande quantité dès le XVIIe siècle, ils y eussent lu de curieuses inscriptions relatant d’une manière précise les dynasties &les périodes Chinoises ou Japonaises sous lesquelles ces pièces avaient été fabriquées; ils y eussent encore retrouvé des formules d’acclamation comme en gravaient, en d’autres temps&sur d’autres matières, les artistes grecs, romains, arabes,&quelquefois des indications de l’emploi d’argiles précieuses ou de métaux pour ainsi dire historiques.

Et puisque nous avons parlé de la faveur attachée à la céramique orientale, qu’il nous soit permis de rappeler, en passant, que, sans recourir à de Paw, qui compare les Chinois aux Egyptiens; à Hager, qui les pose en parallèle avec les Grecs, Voltaire ne craint pas de constater l’une des préoccupations de son époque, en consacrant plus d’une mention dans ses ouvrages à la belle poterie du Céleste-Empire.

Un vers de Properce disait de ces inestimables vases murrhins, dont un seul, d’après Pline l’ancien fut acquis par Néron au prix de300talents:


Murrheaque in Parthis pocula cocta focis.»


Saumaise, Cardan, Scaliger, Ernesti, Oudendorp, Kœmpfer, Mariette&d’autres savants ont avancé, sur la foi de ce texte, que les murrhins étaient de porcelaine de Chine. Quel hommage plus complet eussent-ils pu rendre à l’admirable matière employée par les céramistes orientaux!

L’Encyclopédie, dont nous citions tout à l’heure quelques paroles dédaigneuses, ne peut elle-même se défendre de dire: «La «porcelaine était anciennement d’un blanc exquis&n’avait nul «défaut. Les ouvrages que l’on en faisait ne s’appelaient pas au

trement que les bijoux de Jao-Tcheou.» Puis elle constate plus loin que des vases se retrouvent parfois dans des puits où on les cachait comme des trésors, en temps de révolution.

Pendant tout le XVIIe siècle, le luxe&la mode élevèrent la porcelaine à un prix infini; les grands ne donnaient ni un festin, ni une collation recherchés, sans en étaler une certaine quantité de pièces choisies. A la cour, on l’admettait concurremment avec la vaisselle d’or&d’argent. Loret (Muse historique) décrit un festin vraiment royal que donna en1653le cardinal Mazarin&dans lequel ce ministre


Traita deux rois, traita deux reines

En plats d’argent, en porcelaines.


En France, en Italie, en Allemagne&surtout en Hollande, jusqu’à la fin du siècle dernier, plus d’une famille puissante envoyait en Chine les armoiries,&faisait exécuter des services sur lesquels les patients hoa-pei ( retraçaient avec une fidélité naïve les blasons énigmatiques, les fières devises latines&les chiffres curieusement entrelacés.

Pour le riche bourgeois qui n’avait que son goût à satisfaire, la spéculation avait prévu ses besoins; alors que l’Europe n’avait pas encore imité les produits orientaux, les sieurs Trincard, rue de la Verrerie; Lhoste, porte Saint-Germain; Aubry, près de la Comédie-Française,&Legrand, rue Saint-Denis, tenant magasin de porcelaines, lui vendaient les garnitures complètes aux brillantes couleurs ou les pièces montées de bronze, d’argent&même de vermeil.

Voilà pour les porcelaines courantes.

Quant aux vases de collection, si estimés des Chinois eux-mêmes, il serait trop long d’énumérer ici les personnages illustres qui leur avaient, dès l’abord, donné place dans leurs cabinets, au grand déplaisir de Baudelot de Dairval.

Le catalogue de la vente du duc d’Aumont, faite en1782, portait la mention suivante, à l’article Porcelaines, ancien bleu&blanc de la Chine: «Elles ont appartenu à M. le Dauphin, fils de Louis XIV, «qui aimait ce beau genre&s’en était fait une collection recommandable. Cet ensemble, qui est peut-être le dernier&le «seul existant d’élite, fournit une occasion aux connaisseurs.»

Il ne serait pas sans intérêt de rappeler quel prix les porcelaines de Chine atteignaient, au dernier siècle, dans les ventes publiques. Quelques-uns de ces prix incroyables, qui rendaient, selon Gersaint, la collection difficile, nous ont été conservés par d’anciens catalogues; mais, en les énumérant ici nous dépasserions les bornes d’une introduction. Nous traiterons ce sujet en parlant des vicissitudes commerciales qu’ont subies, selon le caprice de la mode, les poteries translucides de l’Orient&de l’Occident.

Classés ainsi forcément parmi les curiosités, les produits du Céleste-Empire devinrent un objet d’émulation pour l’industrie,& l’Europe tout entière tendit avec ardeur à se créer une fabrication semblable.

Au temps de Louis XIV, la porcelaine ordinaire de Chine ne pouvait être de la vaisselle d’usage, même dans un repas d’étiquette. L’assiette dont parle Boileau&qui, lancée à la face d’un convié, revient en roulant après avoir frappé le mur, ne peut laisser supposer une matière autre que le métal. Quatre-vingts ans plus tard, Voltaire se plaint de l’élévation du prix des porcelaines de Chine ou de leurs imitations. «Le grand secret des arts, dit-il, est que toutes les conditions puissent en jouir également. «

Les encouragements les moins équivoques, les plus illustres patronages, n’avaient pas manqué, cependant, à qui tentait d’imiter la porcelaine de Chine. Pour ne parler que de la France, Saint-Cloud, la première fabrique commercialement établie, put marquer d’abord au soleil de Louis XIV. Vincennes, transporté plus tard à Sèvres, était un établissement royal&signait ses produits du chiffre des souverains. Chantilly prospérait sous la protection du prince de Condé; Mennecy, sous celle du duc de Villeroy. Les ducs d’Orléans, Monsieur, comte de Provence, le comte d’Artois, le duc d’Angoulême, la reine Marie-Antoinette elle-même, ne dédaignaient pas de se faire les protecteurs d’usines établies à Clignancourt&à Paris. Ainsi, pendant près de cent ans, de1699à1793, des mains royales ou princières viennent en aide à la gracieuse industrie importée de l’Orient.

Le Parlement devait confirmer, après un sévère contrôle, les arrêts constitutifs des nombreuses fabriques, privilégiées ou non privilégiées, qui vécurent&s’éteignirent dans le cours du XVIIIe siècle. Leurs dessins, leurs décorations étaient réglementés de façon à ce qu’aucune d’elles ne put porter préjudice à l’industrie de ses rivales&surtout aux droits exclusifs accordés à la manufacture royale.

Chacune avait sa marque déposée à la lieutenance de police.

Puis, autour de nous, à Meissen, à Berlin, à Vienne, à Louisbourg, à Franckenthal, à Tournay, à Chelsea, à La Haye, à Saint-Pétersbourg, à Buen-Retiro près Madrid, s’établissaient mille élégantes fabriques, soutenues aussi par les souverains,&portant chacune l’empreinte d’un goût particulier, à moins qu’elles ne cessassent d’être elles-mêmes pour copier leurs émules ou la porcelaine orientale, leur éternel modèle.

Les produits de ces fabriques, toutes mortes ou transformées aujourd’hui, sont dans nos mains, sous nos yeux, matériaux épars &méconnus d’un des plus beaux monuments de l’histoire industrielle du siècle dernier. A peine quelques érudits savent interpréter leurs chiffres, reconnaître leurs types.–Les curieux hésitent. Des marchands, abusés ou servis par la ressemblance des marques, ne craignent pas de vendre la vulgaire porcelaine de la Courtille au prix&sous le nom des chefs-d’œuvre de Meissen. Pour le commerce, toute porcelaine allemande est de Saxe; toute pièce française inconnue, de la porcelaine à la Reine; toute pâte tendre, de Sèvres ou de Chantilly; les plus beaux produits font déclassés, les plus célèbres fabriques oubliées ou méconnues,&, pour substituer une valeur courante à celle qu’on n’a pu reconnaître, on déguise, en les déshonorant, les plus précieux échantillons.

Remettre à leur place ces objets que le goût public adopte de nouveau, en écrire l’histoire, en classer les types, en dire les marques, en fixer la date, en établir la valeur: voilà ce que personne n’avait tenté jusqu’à présent, voilà ce que nous espérons faire en publiant ce livre.

CHAPITRE II.
TECHNOLOGIE.
NATURE DE LA PORCELAINE.–COULEURS QUI LA DECORENT

Table des matières

RACE au progrès de la science moderne, dès qu’on touche aux matières de l’industrie&des arts, les formules tendent à affecter une allure exacte; la description disparaît, la définition prend sa place.

Nous ne nous dissimulons pas, néanmoins, ce que le cadre&la destination de notre travail nous imposent de retenue au point de vue technologique; nous parlons à des gens du monde disposés à nous sacrifier quelques loisirs, mais que rebuterait une étude laborieuse: nous tâcherons donc d’être brefs, sans cesser d’être clairs. Au surplus, notre route est tracée; depuis longtemps, le savant Alexandre Brongniart a consacré une terminologie spéciale que tout le monde s’est empressé d’adopter. Quand il faudra définir, nous n’hésiterons pas à recourir au Traité des Arts céramiques; nous renverrons encore à ce précieux ouvrage ceux qui, désireux d’approfondir les procédés d’une des plus curieuses branches de l’industrie, trouveraient dans les pages suivantes des lacunes à combler.

La porcelaine est une poterie à pâte toujours dure, c’est-à-dire non rayable par l’acier; elle est toujours translucide, tandis que les produits qu’on pourrait confondre avec elle, comme les faïences les grès, ne le sont qu’accidentellement&dans leurs parties les plus minces.

POUR LA PATE, un premier élément argileux, infusible, est fourni par le kaolin seul ou associé, soit avec l’argile plastique, soit avec la magnésite. Le kaolin est une roche feldspathique décomposée, blanche comme la craie, que l’on trouve abondamment dans la nature; en France, un gîte considérable existe à Saint-Yrieix-la-Perche, près de Limoges. Quelques roches de kaolin caillouteux permettent encore de distinguer des grains de quartz&des lamelles de feldspath, ce qui constituait la pegmatite.

Un second élément fusible est donné par le feldspath même ou par d’autres minéraux pierreux, tels que le sable siliceux, la craie, le gypse, pris séparément ou réunis de diverses manières.

POUR LA GLAÇURE, nommée couverte, on emploie le feldspath quartzeux (roche pegmatite proprement dite), tantôt seul, tantôt mêlé avec du gypse, mais toujours sans plomb ni étain. Cet enduit fusible, ce verre ou émail, reçoit, le plus souvent, la décoration peinte qui y adhère.

Tels sont, avons-nous dit, les éléments naturels de la porcelaine dure ou réelle; nous verrons plus tard qu’il existe des porcelaines artificielles, à pâte marneuse, d’une texture presque vitreuse, fusibles à une haute température, dont le vernis est transparent, plombifére, rayable par l’acier: ce sont les porcelaines tendres.

Ces poteries, dont l’invention est une des gloires industrielles de l’Europe, doivent leur nom de porcelaine à une analogie d’aspect, &leur qualification de tendres à une comparaison.

Elles sont plus dures que la faïence, la terre de pipe,&c., mais elles sont tendres comme pâte, relativement aux porcelaines chinoises, qui supportent une température de140o du pyromètre de Wedgwood,&plus tendres encore comme couverte, puisque leur vernis, composé de silice, d’alcali&de plomb, se cuit à une température inférieure au ramollissement du biscuit lui-même.

Dans la langue céramique, on donne le nom de biscuit à une pâte cuite&non vernissée, c’est-à-dire sans couverte. La pâte de porcelaine se montre, dans la fabrication, sous trois états; dans le premier, le vase tourné ou moulé, réparé avec soin, a été séché par l’action de l’air&du soleil: c’est le cru. En Chine, on exécute sur le cru les riches dessins en bleu pur&ceux où le cobalt&le rouge de cuivre se mêlent à un blanc de relief. Le second état consiste dans une cuisson au rouge, destinée seulement à rendre les pièces consistantes au contact de l’eau&à augmenter leur faculté d’absorption en vue d’un vernissage ultérieur: cette cuisson est le dégourdi. Dans le troisième état, celui de biscuit véritable, la pâte a reçu toute sa cuisson&ne doit pas être vernissée.

On exécute en biscuit des bustes, des statues, des groupes, des sujets de nature morte, que pare suffisamment la blancheur laiteuse de la matière.

La finesse de la pâte de porcelaine lui permet de se prêter à tous les procédés de façonnage; le plus ancien&peut-être le plus communément employé est le tournage; il consiste à placer la masse préparée sur le tour, à lui donner une première ébauche avec la main, puis à perfectionner sa forme au moyen d’un patron découpé ou calibre, pour la terminer ensuite avec délicatesse à l’aide d’instruments en acier nommés tournassins. Le moulage remonte aussi à une époque fort éloignée; il s’effectue souvent en coquilles séparées dont le rapprochement se fait ensuite par simple collage; bon nombre de vases chinois laissent voir la suture de leurs doubles pièces. Pour quelques porcelaines antiques à reliefs, la pâte était refoulée dans le moule par faction des doigts; l’impression en reste alors fortement exprimée intérieurement&des morceaux de renfort sont ajoutés parfois sur les parties trop amincies. C’est l’enfance de l’art.

Le coulage est un ingénieux procédé perfectionné à Sèvres depuis quelques années&répandu maintenant dans l’industrie privée; voici comment il se pratique: on verse dans un moule en plâtre, ayant la forme désirée, une pâte convenablement plastique délayée dans une quantité d’eau suffisante pour l’amener à l’état de barbotine ou de bouillie peu epaisse; cette pâte descend d’un réservoir placé à une hauteur calculée pour que, suivant la grandeur de la pièce, la pesanteur projette les molécules solidifiables avec une force égale dans toutes les parties du moule. Or, la nature absorbante de celui-ci amène promptement la barbotine en contact à un état de fermeté analogue à celui des pâtes ébauchées &déjà ressuyées. Dès que la capacité du moule est remplie on rejette donc la barbotine demeurée liquide, c’est-à-dire la presque totalité; les seules molécules adhérentes aux parois suffisent pour former le noyau de l’objet soumis au moulage. On obtient ainsi des pièces d’une ténuité extrême.

Nous passons sous silence les opérations relatives à l’extraction des moules après le retrait naturel de la pâte, au collage des pièces accessoires,&c. Ces opérations, curieuses sans doute, sont particulièrement du domaine de la technologie,&nous avons hâte de terminer, par quelques détails nécessaires sur la mise en couverte, ces préliminaires bien longs peut-être.

La couverte des porcelaines est un émail ou verre destiné à rehausser l’éclat de la pâte; on en broie finement les matières constituantes, on les délaye dans une certaine quantité d’eau, puis on plonge, rapidement&avec précaution dans le liquide agité, la pièce à vernir. Ce procédé, le plus usité&le plus facile, se nomme posage par immersion. La porcelaine, rendue poreuse&avide par sa cuisson au dégourdi, absorbe partout à la fois assez de la matière en suspension, pour que sa glaçure soit parfaite.

Le posage par arrosement ne s’emploie guère en Europe que pour les porcelaines tendres dont la pâte n’est pas absorbante. Dans cette pratique, on donne à la couverte la consistance visqueuse de la crême; on en verse sur la surface à vernir, en ayant soin de communiquer à la pièce un mouvement de balancement qui étende le liquide également sur toutes les parties.

En Chine, la couverte se met sur le cru,&l’opération, très-délicate, s’effectue à l’aide de l’immersion, de l’arrosement&même de l’insufflation à travers une gaze, selon la forme&la nature des objets à vernir.

Dans ces diverses pratiques, les bords des pièces prennent moins de couverte que le milieu; les parties par lesquelles on tient le vase n en reçoivent pas; il faut se servir du pinceau pour rétablir l’uniformité. Les Chinois appliquent même une double glaçure à leurs porcelaines; ainsi, lorsqu’au four, la matière vitrisiable a coulé formant gouttes de suif, on use au tour à polir tout ce qui fait faillie, on vernit une seconde fois&l’on remet au feu; l’émail est alors luisant «comme une couche de graisse figée.» Les Japonais paraissent aussi donner à leurs poteries, préparées d’abord au dégourdi, un vernis épais accumulé par deux immersions successives.

L’étude des couleurs qui décorent la porcelaine est indispensable à quiconque veut reconnaître, au premier coup d’œil, une œuvre chinoise ou japonaise, une pièce antique ou moderne, une peinture allemande ou française,&distinguer, surtout, un décor vieux Sèvres de fa contrefaçon.

Est-ce à dire qu’il faille pénétrer dans les arcanes de la chimie, souffler au chalumeau, essayer aux réactifs? Nullement. Les caractères saisissables de la peinture en émail font les mêmes que ceux d’une aquarelle, d’une gouache ou d’un tableau à l’huile. Nous rentrerons donc, autant que possible, dans la technique de la palette vulgaire pour exprimer les tons, les procédés manuels, les artifices de teintes que nous aurons à décrire. Les peintres sur porcelaine n’emploient que des couleurs vitrisiables, car toutes les matières colorantes organiques non susceptibles de faire corps avec la couverte disparaîtraient par volatilisation au feu de moufle le moins ardent de ceux que subit la poterie translucide.

Les matières décorantes des porcelaines ont été divisées par Alexandre Brongniart en quatre groupes.

1oLes couleurs vitrisiables proprement dites;

2o Les engobes, matières terreuses susceptibles de se fixer par un fondant vitreux;

3o Les métaux à l’état métallique;

4o Les lustres métalliques.

COULEURS VITRIFIABLES. Elles font composées de deux éléments distincts: les oxydes métalliques&les fondants. Les oxydes, partie essentiellement colorante, peuvent s’employer seuls ou se combiner pour former des tons composés.

Les fondants sont des matières fusibles, incolores, qu’on ajoute aux couleurs&aux métaux pour les faire adhérer à la porcelaine &glacer.

Les couleurs de porcelaine ne supportent pas toutes une température également élevée; on les a donc distinguées en deux groupes selon qu’elles peuvent ou non résister à un feu capable de cuire la glaçure ou couverte. Les couleurs au grand feu sont, pour la porcelaine dure, le bleu de cobalt, le vert de chrôme, les bruns de fer, de manganèse&de chroma te de fer, les jaunes d’oxyde de titane&les noirs d’urane; pour les porcelaines tendres ce font: les violets, rouges&bruns de la manganèse, de cuivre&de fer.

Les couleurs de moufles se vitrifient à un maximum de chaleur inférieur à la fusion de l’argent&s’altéreraient à une température plus élevée; on les divise en couleurs de moufles dures ou de demi-grand feu,&en couleurs de moufles tendres; les premières, une fois cuites, peuvent recevoir une surdécoration d’autres couleurs, la dorure brunie, le platinage, sans réagir&se combiner avec ces diverses matières. Les secondes, très-nombreuses, fervent à exécuter les décorations peintes. Expliquons ici certains termes céramographiques qui reviendront souvent dans cet écrit. On dit généralement une peinture en émail sur porcelaine; une porcelaine émaillée. Il faut se garder d’attribuer au mot émail une valeur toujours absolue. Appliquée sur son excipient, la peinture des porcelaines devient un émail, grâce aux combinaisons opérées dans la moufle; en esset, elle s’incorpore avec la couverte, forte d’émail blanc, qui passe ainsi à l’état d’émail coloré. Mais quand il s’agit d’émailler, c’est-à-dire de peindre en émail sur métal, sur terre non vernissée, en un mot, sur une surface impropre à céder à la couleur un élément vitreux, au lieu d’employer l’oxyde métallique avec son fondant seul, on y mêle, comme véhicule, une matière vitrifiable, susceptible de former une couche épaisse, souvent opaque, ayant sa coloration propre, comme nous le voyons dans les travaux sur cuivre ou sur bocaro; c’est là le véritable émail.

Cela posé, nous arriverons à reconnaître plusieurs sortes de peintures sur porcelaine,&nous les appellerons peintures proprement dites, peintures mixtes&peintures émaillées.

Peintures proprement dites. Sur les porcelaines européennes, la peinture a été étendue au pinceau par un procédé analogue à celui qu’on appelle aquarelle; les couleurs n’ont pas d’épaisseur appréciable, elles se fondent en glacis, de la demi-teinte à la lumière, sans autre artifice qu’une moins grande accumulation de molécules colorantes sur l’excipient dont les parties réservées forment lumière. La richesse&la variété des tons tiennent, d’ailleurs, à d’heureux mélanges de palette. L’Orient n’a pas connu ces pratiques laborieuses; il a su trouver l’harmonie&l’éclat dans des procédés plus naïfs.

Peintures mixtes. Les Chinois&les Japonais en ont fait un fréquent emploi; elles se présentent, partie à l’état de glacis, partie mélangées à un véhicule abondant formant saillie. D’ordinaire, ces couleurs sont simplement posées; quelquefois les glacis sont hachés ou pointillés au pinceau pour produire une forte de modelé rudimentaire. Les parties épaisses sont, dans le plus grand nombre de cas, étendues à plat&chatironnés, c’est-à-dire entourées&rehaussées de traits noirs ou bruns exprimant les contours, les nervures des feuilles, les divisions des pétales, les plis des draperies,&c.

Peintures émaillées. Essentiellement orientales, elles se montrent sur des produits chinois d’une époque relativement assez récente,& sur les pièces japonaises minces de pâte&d’une exécution artistique.

Les peintures émaillées forment toujours un relief très-sensible dû à la présence d’un flux vitreux si prédominant, qu’il faut une accumulation considérable du mélange coloré pour lui donner une teinte d’une certaine intensité. Souvent, pour échapper aux effets froids&désagréables d’une enluminure,&arriver, au moins dans certaines limites, à des dégradations d’ombre&de lumière, l’artiste dépose son émail en épaisseur notable dans les parties destinées à donner un ton vigoureux,&l’amincit jusqu’au point le plus clair; on a donc, pour les fleurs, les vêtements, les oiseaux, une sorte de relief qui permettrait pour ainsi dire d’apprécier, au tact seul, la nature de l’objet représenté.

Nous avons pu distinguer deux écoles bien tranchées dans les peintures émaillées; l’une emploie évidemment la couleur mêlée au véhicule vitreux; des réactions chimiques, résultant de leur fusion simultanée, donnent à tous les tons une transparence sans netteté; les rouges d’or (rose carminé) sont ternes dans les lumières&brunâtres dans les vigueurs; les bleus pâles tournent au grisâtre; les verts sont ou trop bleus ou trop jaunes; en un mot, les couleurs ont un aspect gommeux d’autant plus marqué qu’elles sont posées sur une couverte ordinairement très-blanche. Dans la seconde école, si pâle que soit une teinte, elle est assez bien déterminée pour qu’on assigne sans peine l’oxyde métallique auquel elle est due; les roses ont une fraîcheur mate dans les lumières, qui rappelle les gouaches magistrales du XVIIIe siècle; s’agit-il de passer de ce rose à la vigueur intense du rouge d’or pur (carmin), le modelé se produit avec une franchise pleine de puissance. En cherchant d’où pouvait provenir une différence aussi marquée entre les deux procédés, nous crûmes remarquer que, dans le second, l’émail intermédiaire entre l’oxyde colorant&la porcelaine était posé séparément, comme un subjectile plus favorable au développement des couleurs; celles-ci placées rapidement en glacis, obéissent sans doute mieux aux exigences de l’artiste&aux besoins de son inspiration.

Cette théorie n’a point semblé inadmissible à M. Riocreux, technologiste aussi savant qu’artiste habile; certaines pièces de notre collection où des parties boursoufflées au feu se sont déchirées violemment&retournées, lui ont montré l’émail, blanc à son revers, &vivement coloré à sa surface. Il y a là démonstration complète d’un fait curieux pour l’histoire de l’art.

ENGOBES. Nous avons dit que les engobes sont des matières terreuses appliquées avant la couverte, laquelle leur donne le lustre nécessaire; l’emploi de ce mode de décoration est encore assez restreint en Europe; les Chinois&les Japonais l’ont mis en usage sous les vernis blancs ou céladons,&les Persans l’ont aussi appliqué sur leurs porcelaines extérieurement à des glaçures colorées.

METAUX. Pour entrer à l’état métallique dans la décoration des porcelaines, il faut que les métaux soient malléables&inaltérables par l’action du feu&de l’air. Cette nécessité réduit à trois les métaux susceptibles d’être employés; ce sont, l’or, le platine& l’argent; on a même à peu près renoncé à se servir du dernier, qui noircit au contact des vapeurs sulfurées assez fréquentes dans les habitations.

L’or, si abondamment appliqué dans les poteries orientales, manque d’éclat&de solidité particulièrement sur les pièces d’époque intermédiaire; les Japonais le posent cependant mieux que les Chinois&sont arrivés à lui donner un brunissage assez parfait dans quelques vases antiques. En Europe les céramistes ont obtenu les plus heureux effets du brunissage total ou partiel de ce métal&de la superposition d’un décor de relief sur fond uni.

LUSTRES MÉTALLIQUES. C’est un genre de décoration dans lequel les couleurs, souvent chatoyantes, participent de l’éclat métallique, ou dans lequel les métaux, extrêmement divisés, s’étendent à la manière des couleurs,&doivent prendre leur éclat par la cuisson, sans avoir besoin, pour devenir brillants, d’être soumis à l’opération du brunissage.

Ces notions, toutes restreintes qu’elles soient, étaient indispensables pour l’intelligence des descriptions qui vont suivre. Si les porcelaines peuvent se distinguer entre elles, c’est moins encore par leur composition intrinsèque que par les signes extérieurs qu’y ont imprimés, dans tous les temps, les artistes auxquels leur décoration a été confiée.


HISTOIRE DE LA PORCELAINE.
SON NOM, SON INTRODUCTION EN EUROPE, FABLES QU’ELLE A FAIT NAITRE.

Table des matières

La nature de la porcelaine bien établie par ses caractères apparents&sa composition intime, il reste à examiner quelle est la valeur&l’étymologie de son nom.

Et d’abord, ce nom a-t-il été exclusivement consacré aux produits céramiques qui le portent aujourd’hui?

Evidemment non. Au XIVe siècle on le trouve appliqué à une foule d’objets renfermés précieusement dans les trésors des rois &des princes. En voici quelques exemples: «Une escuelle d’une «pierre appelée pourcelaine,&c. «(Inventaire du duc d’Anjou, de1360, fo149). «Ung tableau de pourcelaine carré de plusieurs «pièces&au milieu l’ymage de Notre-Dame garnye d’argent.»

Inventaire de Charles V, fo184.) «Ung tableau carré de pourcelaine ou, d’un costé est l’ymage de Notre-Dame en ung esmail d’azur. «(Même inventaire, fo220.) «Une petite pierre de pourcelaine entaillée à six petiz ymages garnye d’or. «(Même inventaire, fo258.) «Item, ung tableau de pourcelaine carré où d’un costé est l’ymage de Notre-Dame&les douze apôtres entour,& l’autre costé a plusieurs ymages&à l’environ treize grosses perles, six émeraudes&rubis d’alixandre, pesant quatre onces cinq estellins. (Même inventaire.) «Ung petit tableau de pourcelaine où est intaillé un crucifiement sans garnyson.»(Inventaire de Charles VI, de1399). Dans le compte des exécuteurs testamentaires de Jeanne d’Evreux, femme de Charles-le-Bel, daté de 1371, il est aussi fait mention «d’un pot à eauë de pierre de pourcelaine à un couvercle d’argent&bordé d’argent doré, pesant un marc quatre onces dix-sept estellins; prisié quatre francs d’or. Item, d’un autre pot à vin de pierre de pourcelaine plus blanche que l’autre, garny d’argent doré bien ouvré; prisié huit francs d’or.» Un inventaire plus récent, puisqu’il est de1555, relate encore «un camahieu de pourchelaine.»

La qualification de pierre souvent accolée, dans ces citations, au mot porcelaine, fait penser à MM. Labarte&Pottier qu’il s’agit d’une gemme précieuse, demi-transparente, comme une calcédoine, une alabastrite ou un jade,&non d’une matière céramique. Quant au camahieu, ce ne pouvait être qu’un camée ciselé sur coquille, si l’on en croit le passage du Trésor de Nicot, où il est dit:

Un grand os de poisson de mer dont font les graveurs des images «communément dit Porcelaine.» Pour M. le comte de Laborde ces divers objets sont en nacre de perle.

Vers le milieu du XVIe siècle, lorsque la poterie orientale commençait à se répandre, un brillant artifice de langage vient troubler la nomenclature céramique en appliquant le mot porcelaine à des produits indignes de le porter. Laissons Passeri constater le fait dans son histoire spéciale:

Guidobaldo II délia Rovere, qui arriva à la principauté en 1538, fut vraiment notre Auguste; ayant établi sa résidence habituelle à Pesaro, il prit tellement à cœur de perfectionner les peintures en majolique, soit ici, soit dans les autres endroits de son obéissance, que dès ce moment elles perdirent leur premier nom pour prendre celui de porcelaine, nom par lequel on entendait une vaisselle de choix qui, bien que faite avec les anciens matériaux, était plus fine, plus étudiée&plus élégante que l’autre.»

C’est à ce regrettable mensonge, accepté sans examen, qu’on doit attribuer les continuelles erreurs, les contradictions étranges des voyageurs&des écrivains dont les ouvrages forment en grande partie les archives de l’art oriental.

Voyons maintenant les étymologies diverses attribuées au mot Porcelaine&cherchons s’il en est une qu’on puisse adopter définitivement.

Haudiquer de Blacourt, ambitieux de lui trouver une origine antique, y voit la corruption du nom de Porsenna, «la porcelaine «pouvant bien, dit-il, être une invention des Etrusques.»

Witaker le fait venir du mot allemand pur stain ou pur slain, fleur du pourpier; le rouge pourpre de cette fleur lui paraît rappeler certaines teintes des vases de la Chine&du Japon&justifier l’étymologie.

Pierre Belon n’avait pas cherché si loin; frappé d’une simple consonnance il écrivit naïvement:

«Il y a grande quantité de vaisseaux de porcelaine que les marchands vendent en public au Caire. En les voyans nommez d’une appellation moderne&cherchans leur étymologie françoise, avons trouvé qu’ils sont nommez du nom que tient une espèce de coquille nommée murex: car les François dient coquille de porcelaine. Mais l’affinité de la diction murex correspond à murrhina. Toutesfois ne cherchons l’étymologie que du nom françois, en ce que nous disons vaisseaux de porcelaine, sachans que les Grecs ont nommé la Mirrhe de Smirna. Les vaisseaux qu’on vend pour le jourd’hui en noz pays nommés de porcelaine ne tiennent tache de la nature des anciens: Et combien que les meilleurs ouvriers d’Italie n’en font point de telz: toutesfois ils vendent leurs ouvrages pour vaisseaux de porcelaine, combien qu’ils n’ont pas la matière de mesme. Ce nom porcelaine est donné à plusieurs coquilles de mer. Et pource qu’un beau vaisseau d’une coquille de mer ne se pourroit rendre mieux à propos suyvant le nom antique que de l’appeler de porcelaine, avons pensé que les coquilles polies&luysantes ressemblans à nacre de perles ont quelque affinité avec la matière des vases de porcelaines antiques: joinct aussi que le peuple françois nomme les patenostres faites de gros vignols, patenodres de porcelaine, Les susdits vases de porcelaine sont transparans,&coustent bien cher au Caire,&disent mesmement qu’ils les apportent des Indes. Mais cela ne nous semble vraysemblable: car on n’en voirroit pas si grande quantité ne de si grandes pièces, s’il les falloit apporter de si loing. Une esguière, un pot ou un autre vaisseau pour petite qu’elle soit, couste un ducat: si c’est quelque grand vase, il coudera davantage.

Dans son enthousiasme de naturaliste, Belon aurait peut-être eu raison de comparer les vases orientaux à certaines espèces du genre porcelaine (Cyprœa de Linné); leurs coquilles harmonieusement colorées, d’un poli doux comme celui d’une intaille grecque, n’ont d’égales dans les œuvres humaines que les porcelaines les plus parfaites. Mais nous verrons plus tard qu’il n’a pas même entrevu cette ressemblance.

Quant à la signification du nom vulgaire attaché au genre Cyprœa, il faudrait, pour l’expliquer, la langue dans laquelle Pancirol écrivait son chapitre De Torcellanis. Le même caprice qui a fait donner à une autre coquille le nom de Coucha Veneris, a fait découvrir dans la porcelaine une lointaine analogie que nous n’oserions constater ni décrire en français.

Laissons parler Varron:

Nam&nostræ mulieres, maxime nutrices naturam quà fœ«mina? sunt in virginibus appellant porcum, græce XoTpov, signifi«cantes esse dignum insigni nuptiarum.»

De porcus à porcellana la distance n’est pas grande,&le nom de la coquille admis comme procédant d’une analogie, on arrive facilement à concéder cet autre rapprochement de deux produits également vitreux, éclatants, vernissés. Aussi, dans les commentaires si justement estimés de son édition du Voyage de Marco Polo, Marsden écrit: «Dans la note833je me suis efforcé d’établir que le mot porcelaine ou porcellana avait été appliqué à la vaisselle de Chine à cause de la ressemblance de son vernis&de sa glaçure&peut-être aussi de ses couleurs avec la belle coquille de «ce nom,&que la coquille elle-même tire son nom de la forme «arrondie&recourbée de sa surface supérieure, laquelle a paru «ressembler au dos d’une petite truie porcella).»

Cependant, nous devons le dire, cette étymologie, à laquelle Alexandre Brongniart a cru devoir s’arrêter, ne nous satisfait nullement. En esset, il a échappé à Marsden&à M. Brongniart lui-même que Marco Polo n’a pu connaître sous leur nom vulgaire, en1295, les grosses espèces, aujourd’hui si communes, du genre Cyprœa; 250ans plus tard, Pierre Belon entend par porcelaine le nautile flambé, dont il donne même une figure assez exacte,&il indique, sous la dénomination scientifique de murex, quelques petites espèces du genre Cyprœa, telles que la monnaie de Guinée& autres non moins éloignées de toute comparaison avec les vases de Chine. Voici ses curieuses explications:

«... Mais depuis aiant trouvé le nautilus, ie me suys mis en effort de trouver un nom ancien à la susdite coquille de porcelaine, qui ne m’a esté chose moult difficile; veu mesmement que le commun peuple la nomme vulgairement grosse porcelaine, à la différence des petites. Desquelles l’appellation n’est pas moderne. Car ie trouve des autheurs qui en ont faict mention expresse, les nommants en Latin Porcelliones: desquelles les médecins ont quelque usage, comme on peult veoir en l’autheur des Pandectes&un Nicolas. Cela m’a faict autresfois penser que les ouvriers eussent l’industrie de les scavoir accoustrer pour en faire ces beaus vases que nous nommons porcelaine. Or ces coquilles que i’ay dit estre nommées porcelaines sont moult petites, aiants quelque affinité avec celles qui ont nom murices &murex, est à dire purpura qui se resent de murrha. Parquoy sachant que les vaisseaulx qui anciennement s’appeloient murrhina surpassoient touts autres en excellence de beauté&en pris, lesquels toutessois estoient naturels: sachant aussi que ceulx que nous nommons de porcelaine sont artificiels, i’ay bien osé penser que les vases vulgairement nommés porcelaine ne soient pas vraiment murrhins. Car murrhina me semble retenir quelque affinité avec murex,&aussi la diction de murex se resent de ne scay quoy de la porcelaine. Parquoy ie ne pourroie concéder que les vaisseaulx de porcelaine artificiels faicts de terre puissent obtenir ce nom antique tant insigne&excellent de murrhina vasa: mais trop bien que les vases faicts de la grosse porcelaine en coquille de nacre de perle se pourroient obtenir: car c’estoient d’elles que tels vases estoient faicts Mais ie veoy maintenant une manière de vaisseaulx qui ie croy estre de l’invention moderne quasi correspondants aux antiques nommés en vulgaire vaisseaulx de porcelaine,&croy bien que leur nom moderne se resente quelque chose de l’antique appellation de murrhina. Ces vases de porcelaine sont les plus célèbres qu’on veoit pour le iourd’huy. Lesquels sont en ce différents aux anciens que ceulx ci sont artificiels,&les autres non. le trouve que les vaisseaulx de porcelaine sont faicts la plupart de la pierre nommée marochihus ou leucographis: de laquelle les Egyptiens se servoient anciennement à blanchir leurs linges: mais ils en ont trouvé l’usage à donner les couvertures&enduicts ou revestements aux subsdicts vaisseaulx. Et combien qu’il y ait de telle pierre au païs vicentin auprès de la tour Rousse, qu’on porte à Sallo&de là par le lac de Guarde pour distribuer es villes d’Italie, dont ils font les couvertures desdits vases de porcelaine, toutesfois il n’y ha nulle comparaison d’excellence d’ouvrage aux vaisseaulx de porcelaine faicts en Italie avec ceux qu’on faict en Azamie&Egypte, lesquels sont transparents en beaulté &dont nous scavons que la pièce pour petite qu’elle soit est vendue au Caire deux ducats comme est une escuelle ou un plat, Il y en ha au Caire qui y ont esté apportés de Azamie, c’est-à-dire Assirie&disent qu’on en faict aussi en Inde dont une grande aiguière ou coquemart est vendue cinq ducats la pièce.

Il est une dernière étymologie plus séduisante à tous égards; elle est simple, naturelle,&elle a été admise par des écrivains d’une grande érudition. Les Portugais sont les premiers navigateurs qui aient introduit commercialement en Europe les produits des Indes orientales; or, dans leur langage, le mot porcellana ou plutôt porçolana désigne la vaisselle; on peut donc supposer que l’appellation sous laquelle ils ont présenté les vases de la Chine a été accueillie partout,&qu’à partir de cette époque, les porcelaines orientales ou leurs imitations diverses ont gardé la dénomination portugaise. Cette étymologie est admise par le père d’Entrecolles; il se borne à faire observer que le mot porcellana signifie proprement une tasse ou une écuelle, tandis que l’expression loça embrassait mieux la généralité des ouvrages en poterie translucide. Cambers, Passeri adoptent purement&simplement cette étymologie basée sur un fait commercial dont la répétition a lieu chaque jour sous nos yeux.

Pourquoi donc n’y adhérerions-nous pas, puisque celle de M. Brongniart ne nous paraît pas acceptable. Voici sur quoi se fondent nos scrupules. A une époque bien antérieure aux premiers voyages des Portugais dans les Indes orientales, Marco Polo décrit les vases de Chine sous leur dénomination actuelle de porcelaines, &certes, si le mot n’eût eu cours avant lui, il expliquerait les raisons qui le lui font choisir. Du Cange, h. v. Porcellana, cite comme exemples de l’application de ce nom aux poteries chinoises, une lettre de Ciaconius datée de1570,&le Journal de Trévoux (janvier1717). D’un autre côté, les passages de Belon rapportés plus haut soulèvent bien d’autres doutes; en voyant, dit-il, ces vases (vendus au Caire) nommés d’une appellation moderne,&c. En France le mot porcelaine appliqué à la poterie aussi bien qu’à des coquilles nacrées d’une certaine dimension, était donc de date récente vers1550, tandis que, dès1295, Marco Polo l’employait pour désigner les vases orientaux&la monnaie de Guinée (Cyprœa moneta) justifiant ce que dit le naturaliste Manssois de la grosse porcelaine (Nautilus), nommée ainsi à la différence des petites, dont l’appellation n’était pas moderne.

Au XIVe siècle comme au XVe, le mot porcelaine semble abandonner le glossaire céramique&passer dans celui des gemmes, pour ne revenir à sa véritable signification qu’au milieu du XVIe siècle.

Ajoutons cette remarque facile à confirmer par un simple coup d’œil sur les collections d’histoire naturelle: les coquilles dont le vernis&les couleurs brillent d’un éclat rival de l’émail&des vitrifications, n’appartiennent pas spécialement au genre Cyprœa; toutes les enroulées participent de cet aspect; il y a plus, la feule coquille à surface blanche&polie comparable aux plus belles poteries orientales, n’est point une porcelaine, mais une ovule (ovula oviformis). Les porcelaines de grande taille (Cyprœa tigris, mauritiana, geographica,&c.) ont des teintes foncées, maculées de fauve ou de bleuâtre qui leur donnent quelque ressemblance avec les pierres siliceuses. Faudrait-il en induire, à l’inverse de Marsden& d’Alexandre Brongniart, que ces coquilles ont emprunté leur nom vulgaire aux pourcelaines mentionnées dans les inventaires? Non certes,&sans chercher à augmenter le nombre des opinions hasardées, nous conclurons ainsi:

Le mot porcelaine semble devoir être considéré comme de souche française&d’une date antérieure à la désignation sous ce nom des coquilles nacrées&vitreuses,&à l’importation des vases orientaux par les Portugais.

Aux yeux de Belon, imbu des idées de son siècle à l’égard des vases murrhins, ce qui constitue la qualité précieuse de certains tests calcaires, ce n’est pas leur couleur, leur vernis, mais le chatoyant nacré; or, en faisant dériver le mot porcelaine de l’expression antique porcum, on arrive invariablement à la petite porcelaine, monnaie de Guinée, qui ne se pouvait certes accoustrer pour en faire les murrhina vasa,&dont la teinte jaune&impure n’a rien qu’on puisse comparer à la poterie translucide, ni à la nacre de perle.

Comme pour tant d’autres, l’histoire du mot porcelaine reste à faire; son origine&ses déviations ne sont encore constatées par aucune preuve certaine.

En Chine, selon Alex. Brongniart, la poterie kaolinique le nomme tse ou tse-ki; cette dernière expression semble devoir s’appliquer à une espèce particulière; yao est, au contraire, un nom générique qui désigne en même temps l’objet fabriqué&le four à cuire. Le nom mantchou est yehere&celui adopté au Japon yaki.


Il serait fort difficile de fixer avec certitude le moment où les premières porcelaines orientales apparurent sur le sol européen. En s’aidant des rares documents épars dans l’histoire, l’induction peut à peine conduire à reconnaître comment&à quelle époque elles arrivèrent, sur le marché, comme objet de transaction, pour n’en plus disparaître.

Nous admettrons volontiers, avec un savant académicien, que les Romains, vêtus des riches étoffes de la Sérique, ont pu connaître les vases de ce pays. C’est là, cependant, une supposition non justifiée par des textes,&il faut recourir aux écrits des Arabes pour trouver des preuves positives de l’introduction des porcelaines dans le bassin de la Méditerranée. Avant l’an800de notre ère, ces hardis voyageurs avaient formé jusqu’en Chine des établissements commerciaux dont l’extension fut si rapide, qu’il fallut, dans le courant du IXe siècle, instituer à Canton un cadi arabe pour rendre la justice à ses nationaux&régler leurs transactions.

Le géographe Abou-Abd-Allah Mohammed-Ben-Mohammed-el-Edrisi, qui vivait en Sicile, à la cour de Roger Il, publia, en1154, par l’ordre de ce prince, un grand ouvrage sur la géographie, où il est parlé de Djankou, ville célèbre, dans laquelle on travaille le verre chinois. Or, M.J. Labarte voit dans cette désignation la porcelaine qui, à raison de sa translucidité, pouvait être assimilée aux vitrifications. Mendoza&Salmuth n’hésiteront pas, en effet, a comparer la poterie chinoise au très-fin crisal.

Ce même Edrisi décrivant la partie orientale de la Chine, dit, en parlant de la ville de Souza: «On y fabrique le ghazar chinois, «sorte de porcelaine dont rien n’égale la bonté; «&il ajoute:

Dans les pays que nous mentionnons, il n’y a pas de métiers plus «estimés que ceux de potier d’argile&de dessinateur.»

Lorsqu’en l’année de l’hégire567(1171), Saladin devint maître de l’Egypte, il envoya de splendides présents à Nour-Eddin; un manuscrit arabe fait connaître qu’entre autres choses rares, il s’y trouvait quarante pièces de porcelaine de Chine de différentes sortes.