Rudolf Erich Raspe

Gulliver ressuscité, ou les Voyages, campagnes et aventures extraordinaires du Baron de Munikhouson

Publié par Good Press, 2021
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066303815

Table des matières


La première de couverture
Page de titre
PRÉFACE.
GULLIVER RESSUSCITÉ, OU LES VOYAGES, CAMPAGNES ET AVENTURES EXTRAORDINAIRES DU BARON DE MUNIKHOUSON. SECONDE PARTIE.

PRÉFACE.

Table des matières

PARMI les Écrivains qui s’amusent à faire imprimer des mensonges, on ne peut refuser aux Voyageurs un rang très-distingué: la manie de passer pour un homme extraordinaire, pour avoir vu ce que d’autres n’ont pas rencontré, est un travers de l’esprit, que l’amour-propre tourne à son avantage. On ne peut guères attaquer, que par le ridicule, un égarement de cette espèce. L’orgueil est une passion d’enfans; les punitions de l’enfance sont les seules qui lui conviennent; la soumettre à la censure, grave &sérieuse, ce serait la traiter avec une importance dont elle n’est pas digne.

Tout le monde connaît cette anecdote d’un Voyageur, qui prétendait avoir vu à la Chine «un choux à l’ombre duquel un Régiment de Cavalerie pouvait se ranger. J’ai vu, dit un témoin de ce récit j’ai vu au Japon trois cents Cavaliers manœuvrer dans une marmite.–A quoi pouvait servir cette marmite, dit le premier conteur?–A cuire votre choux, lui répondit l’autre».

L’Auteur du Gulliver ressuscité, travaille à-peu-près dans ce genre; il a voulu faire le procès aux imposteurs de profession, soit Voyageurs, Conteurs de société,& autres qui composent cette innombrable tribu.

Le Baron de Munikhouson, principal personnage de cette histoire, grand parleur, est un peu ivrogne en même temps; à mesure que sa bouteille se vuide, sa tête se remplit d’idées singulières: on distingue, à chaque trait, les effets progressifs du vin sur son imagination,& l’on peut mesurer, aux extravagances de son récit, les gradations de l’ivresse.

Trois éditions, dans un espace de temps très-court, ont assuré le succès de cet ouvrage en Angleterre. Si le peuple penseur s’en est amusé, il est naturel de croire qu’il ne déplaira pas à la Nation, dont la gaieté est presque le caractère distinctif.


GULLIVER RESSUSCITE,
OU
LES VOYAGES, CAMPAGNES
ET AVENTURES EXTRAORDINAIRES
DU BARON DE MUNIKHOUSON

Table des matières

Ce fut au milieu d’un rigoureux hiver que je partis pour la Russie, persuadé que la neige&la gelée auroient réparé les chemins qu’on dit être si mauvais dans les parties septentrionales de l’Allemagne, dans la Pologne, le Duché de Courlande &la Livonie, J’étois à cheval, attendu que c’est, selon moi, la meilleure manière de voyager, quand la monture&le cavalier sont en bon état. A mesure que j’avançois vers le nord, je sentis que j’etois vêtu un peu légérement: cette réflexion me vint en considérant un vieillard étendu sur la route, frissonnant&transi, ayant à peine de quoi cacher sa triste nudité.

Le pauvre homme me fit pitié,&quoique je souffrisse beaucoup de la rigueur du temps, je me dépouillai de mon manteau pour l’en couvrir, Tout-à-coup une voix du ciel fit entendre ces mots; mon fils, votre charité ne sera pas perdue, vous en serez récompensé en temps& lieu.

Je poursuivis mon chemin. La nuit me surprit, sans que je pusse distinguer de toute la portée de ma vue, soit un village, soit une chaumière; la neige couvroit tout le pays,&les chemins m’étoient absolument inconnus. Accablé de fatigue, je mis pied à terre; j’attachai mon cheval à une espèce de branche qui s’élevoit au-dessus du sol: par précaution je mis mes pistolets sous mon bras,&m’étendis sur la neige. Bientôt le sommeil me gagna,&déjà il étoit grand jour quand j’ouvris les yeux. Quel fut mon étonnement lorsque, portant mes regards autour de moi, je me vis au milieu d’un village, couché dans un cimetière. Je cherchais par-tout mon cheval; mais inutilement: je l’entendis enfin hennir à quelque distance de moi; je levai machinalement la tête,&je l’apperçus pendu à la flèche du clocher. Un moment de réflexion me mit au fait de ce qui s’étoit passé: le vent avoit changé pendant la nuit; le dégel était survenu; alors descendant moi-même par degrés insensibles avec l’écoulement des eaux, je me trouvai, à mon réveil, au milieu d’un village qui, la veille était enseveli sous la neige,&ce que j’avais pris dans l’obscurité pour une branche, n’étoit autre chose que la pointe du clocher, à laquelle mon cheval était demeuré suspendu.

Sans perdre de temps en réflexions, je fis fauter la bride d’un coup de pistolet; mon cheval tomba; je remontai dessus,& je continuai ma route.