
PAR GIRARD D’ORLÉANS, VERS 1358
PLANCHE 1
Cette effigie royale est en ce moment la plus ancienne peinture de ce genre connue en Europe; c’est, comme on peut très bien s’en rendre compte par la reproduction, un travail de peintre-sellier; l’artiste avait appliqué sur le panneau de bois une toile-canevas assez fine, et, sur cette toile, il avait étendu un mastic d’une certaine épaisseur, destiné à recevoir le fond d’or. Sur ce fond brillant il avait dessiné un profil au pinceau, et ensuite, avec un mélange de couleurs à la détrempe, et peut-être à l’œuf, il avait cherché les modelés de la physionomie. L’œuvre une fois terminée, les bords du fond d’or avaient été poinçonnés en creux, à l’aide de petits outils, dans le genre de ceux dont se servent encore les relieurs. Nous avons donc ici un spécimen vénérable des œuvres de la corporation des peintres-selliers, dont les statuts avaient été rédigés et promulgués dès le milieu du XIIIe siècle à Paris. C’est le procédé employé par le peintre du roi Jean, qui était courant chez nous dès le milieu du XIIIe siècle pour les travaux de peinture appliqués sur les meubles et les panneaux, d’où naquit le tableau portatif. A ce compte, le portrait dont nous nous occupons est en ce moment le document le plus considérable de la peinture mobile.
Il a son histoire: il y avait autrefois à l’hôtel Saint-Paul à Paris, habité par le roi Charles V, un tableau de famille comprenant quatre pièces: Charles V; Édouard III d’Angleterre, oncle de Charles V; Jean le Bon son père, et l’empereur Charles IV. Ces tableaux étaient reliés entre eux par des charnières, mais n’étaient peut-être pas des originaux. Lors de la démolition de l’hôtel Saint-Paul, au XVIe siècle, et l’éparpillement des collections, les Gouffier, alors très bien en cour, purent obtenir du roi François Ier le portrait du roi Jean. Ce qui est certain, c’est que le portrait dont nous nous occupons a été retrouvé par Gaignières en 1700 dans les collections du château d’Oyron provenant des Gouffier. C’est Dom Charles Conrade, moine de Saint-Jouin-de-Marnes, en Poitou, qui découvrit le portrait et l’envoya à Gaignières. (Le roi Jean avait été trop grand pour être mis dans une petite boîte avec d’autres pièces, dont le lot complet montait à 40 francs.) Lors de la vente de Gaignières, le collectionneur, en 1717, le portrait du roi Jean fut retenu par le Régent pour être placé dans les collections royales. Depuis lors, il fit partie du trésor royal; on y fit quelques retouches, dans le col de l’habit, qui portait des garnaches, au temps de Gaignières; il n’en a plus aujourd’hui.
Le roi Jean, né en 1319, paraît dans son portrait une quarantaine d’années. Il y a tout lieu de croire que si le portrait du roi Edouard III, son vainqueur, était lié au sien, c’est que ces deux œuvres avaient été exécutées en Angleterre, pendant la captivité du prince, aux environs de 1359. En ce temps, le roi avait laissé pousser sa barbe, et il avait auprès de lui son peintre Girard d’Orléans, peintre-sellier, son valet de chambre, qui ouvra de son métier en Angleterre, comme le prouvent les mentions d’un compte publié par M. le duc d’Aumale. Il se pourrait toutefois que l’œuvre ne fût qu’une répétition ou une copie de l’original. Au temps même de Gaignières, M. Joly de Blaisy, magistrat dijonnais, possédait également un portrait du roi Jean, de tous points semblable à celui-ci. Très vraisemblablement, chacun des enfants du roi avait reçu un tableau de quatre pièces pareil à celui du roi Charles V, et le portrait du roi Jean, retrouvé chez M. Joly, était celui du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Dans toutes les hypothèses, le fait pour ce panneau d’avoir passé chez le roi Charles V lui assure une authenticité dont bien peu d’œuvres anciennes peuvent se réclamer.
Le portrait appartient aujourd’hui au Département des Estampes de la Bibliothèque nationale; en temps ordinaire, il est prêté à l’exposition des manuscrits pour être placé dans une vitrine. On pourra le comparer à divers petits portraits du duc Jean de Berry retrouvés dans les Petites heures de ce prince (ms. lat. 18014) il semblerait que le miniaturiste se fût servi du portrait du père pour exécuter celui du fils.
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, DÉPARTEMENT DES ESTAMPES.
Haut. 0m91, Larg.0m41
PORTRAIT DE JEAN II DIT LE BON
par Girard d’Orléans? 1359 ( Bibliothèque nationale Paris)

DIPTYQUE ANONYME VERS 1380
PLANCHE II
Ce petit diptyque, si heureusement conservé intact, dans son cadre de bois doré et décoré de pierres, a été légué au Musée du Bargello de Florence par le collectionneur Carrand. Son origine est inconnue; toutefois certaines mentions des comptes du duc de Berry publiés par M. J. Guiffrey nous permettent de conjecturer que l’œuvre est dans le style de divers tableaux anciens énumérés dans les inventaires. Les enchâssements de bijoux étaient fréquents alors dans les tableaux français. Un petit tableau de bois «bien ancyen» appartenant au duc de Berry en 1416 montrait une N. D. portant sur la poitrine «un petit fermail d’or en façon d’une estoille garny d’un petit ruby au milieu et de XII petites perles autour» (Guiffrey n° 61); quant à la forme du diptyque à pignons, nous la trouvons également indiquée au n° 36 du même livre de M. Guiffrey, «Item ung tableau de boys à pignons de la vie de Mgr saint Lorent, etc...». Tous ces tableaux précieux et enrichis de pierres s’enfermaient dans des étuis en cuir bouilli. On paie un étui de ce genre à Pierre du Fou coffrier, pour «mettre et porter ungs tableaux que a faiz Jehan 
«d’Orléans peintre et varlet de chambre du Roy nostre Sire.» (Arch.de l’art français V,178).Et que peut être le tableau repliant du même Jehan d’Orléans contenant deux histoires?
On voit par ces indications précises que le diptyque de la collection Carrand est de la famille des tableaux parisiens possédés par le duc de Berry ou exécutés par Jean d’Orléans. Nous nous garderons de formuler la moindre hypothèse cependant. Mais nous devons signaler l’opinion des critiques italiens les plus éminents qui se refusent à enrôler le diptyque Carrand dans les œuvres de leur pays. Pour notre compte, nous y apercevons une fois de plus l’un de ces travaux mixtes, internationaux si l’on veut, où diverses écoles ont marqué leur empreinte, et que le duc de Berry nommait «l’ouvraige de Lombardie». Nous avons signalé déjà les rapports étroits entre les peintres du duc et les praticiens milanais. C’est probablement à ces derniers que les professionnels français avaient emprunté l’ornementation des robes, et non aux Flamands, dont la personnalité ne se dégageait point nettement encore, et qui restaient sous l’influence française, témoin Broderlam.
Il y aurait lieu de présenter certaines remarques et d’indiquer les rapports assez marqués entre le diptyque de la collection Carrand et le Parement de Narbonne décrit ci-après (Pl. III-V.) D’abord on voudra bien comparer les deux Christs en croix qui sont identiques et de même style expressément. Le centurion à bonnet pointu et à queue de cheveux aperçu dans le Parement (Pl. IV) est vu de face dans le diptyque Carrand, coiffé du même chapeau. Les assistants, et les quatre figures de prophètes du second étage du diptyque sont dans les données des figures de Pucelle, reprises par Jean de Bruges pour les tapisseries de l’Apocalypse. Quant à l’encadrement trilobé des pinacles du cadre, il est dans le goût des entourages architechtoniques du Parement. Les plis d’étoffe, les draperies sont de même recherche. Les anges musiciens du haut ont des tuniques plaquées sur le corps, comme ceux du Parement. Je ne parle pas du système d’architecture développé dans l’ornementation du cadre, avec gâbles rosaces, qui sont de concordance absolue avec les travaux parisiens, el le style général de la Sainte Chapelle. Ce sont là des caractères qu’on ne rencontre ni dans les contrées néerlandaises, ni dans les centres d’art italiens du XIVe siècle. Nous sommes donc fondés à attribuer à un artiste de l’Ile-de-France le diptyque Carrand, comme nous donnons à l’un d’eux le diptyque de Lord Pembroke. Quant à voir dans ce travail une ingérence de Broderlam, ainsi que l’ont voulu faire certains critiques préoccupés de mettre des noms sur les œuvres, l’opinion ne se soutient guère. Broderlam ne décorait pas les robes de ses personnages; il restait simple.
Le diptyque de la collection Carrand, gracieusement prêté par le Musée du Bargello, serait donc un des spécimens les plus intéressants et les plus probants de l’Ile-de-France à la fin du XIVe siècle. Son cadre historié et orné de pierres ne nous laisse aucun doute. Ce fut vraisemblablement l’un de ces travaux comme nous en trouvons mentionnés sous le nom de Jean d’Orléans, et d’autres aux livres des comptes royaux ou princiers. C’est un objet digne de nos plus grands respects.
MUSÉE DU BARGELLO, FLORENCE
Bois. Haut.0m90, Larg. 0m63
DYPITIQUE LA VIERGE SUR SON TRÔNE — LA CRUCIFIXION
Ecole française XIVe siècle (Musée Du Bargella Florence)

1375-1380, PAR JEAN BANDOL ET NICOLAS BATAILLE
LE DRAGON A SEPT TÊTES SORT DE L’ENFER ET MARCHE CONTRE LA CITÉ DÉFENDUE PAR LES SOLDATS FIDÈLES
PLANCHE III
Les cartons de cette tapisserie comprenant 90 sujets ont été exécutés d’après un manuscrit de l’Apocalypse aujourd’hui à la Bibliothèque de Cambrai, par Jean Bandolf ou Bandol, dit de Bruges, peintre du roi Charles V. Cette tenture en laine commandée par le duc d’Anjou Louis I, frère du Roi, fut exécutée à Paris par le tapissier Nicolas Bataille. Les initiales du duc Louis I et sa femme Marie de Bretagne sont au n° 42. Cette pièce admirable, et si française, fut vendue par le domaine en 1843. Achetée par Mgr Angebault, évêque d’Angers, elle fut offerte par lui à la fabrique de Saint-Maurice qui en est propriétaire.
L’artiste nous a montré, dans des grandissements au tiers de nature, des scènes empruntées à un manuscrit. Il sera bon de rapprocher ce tableau tissé de certaines pièces telles que le Parement de Narbonne (Pl. 4-6) la Mise au tombeau (Pl. 8). Le style en est nettement parisien et montre ce que pouvaient faire les artistes du temps pour la décoration des grandes surfaces. La scène représente la sortie du dragon à sept têtes de la gueule d’enfer. Cette gueule d’enfer empruntée à la représentation des mystères se retrouve à la Pl. 6 dans la partie de droite du Parement de Narbonne. Ce restera le thème de l’enfer jusqu’après Jean Fouquet. La tapisserie de l’Apocalypse qui couvre une surface de 120 mètres est une des «fresques mobiles» les plus précieuses dont on ait conservé un spécimen. Sa date, très rigoureusement placée entre 1375 et 1380 par M. J. J. Guiffrey, administrateur des Gobelins, à qui nous devons les renseignements les plus précis sur cette tenture, est une des plus sûres qui soient.
CATHÉDRALE D’ANGERS
Haut. 1m35, Larg. 2m15
FRAGMENT DE LA TAPISSERIE DE L’APOCALYPSE
par Henri Bandol et Nicolas Butaille vers 1380 ( Cathedrale d’Angers )

PAR JEHAN D’ORLÉANS, 1374-1380
PLANCHES IV, V, VI
C’est ici, pour l’art français du XIVe siècle, une des œuvres les plus intéressantes qui nous soient restées. Ce n’est plus une miniature el ce n’est pas une peinture, c’est l’ouvrage intermédiaire de l’un de ces artistes modestes pour lesquels aucune besogne n’était négligeable. L’homme qui a dessiné à l’encre, au pinceau, sur cette pièce de soie de près de trois mètres de large, les scènes concurrentes de la Passion était un maître qui eût tout aussi bien composé le carton d’une tapisserie avec figures dans la dimension de la nature, ou les miniatures réduites d’un manuscrit. Sans aucun doute il s’inspirait de ces représentations de mystères que des acteurs naïfs jouaient aux jours de fête, et les costumes de ces personnages rappelaient ceux des gens chargés d’un rôle. Divers caractères graphiques nous permettent de reconnaître en lui un Parisien, ou tout au moins un peintre travaillant sous les influences des gens de l’Ile-de-France. La croix du Christ très grêle, les nimbes, la décoration architectonique trilobée, l’aigle à deux têtes servant à désigner les Romains du temps de Ponce-Pilate, la figure de la Vraie foi rencontrée cent ans auparavant dans le cahier de croquis de Villard de Honnecourt, ne nous laisseraient aucun doute, si les portraits du roi Charles V et de Jeanne de Bourbon ne confirmaient l’attribution. On a pensé à Jean Bandol, dit de Bruges, pour ce travail précieux, qu’on assimilait au manuscrit du Musée Meermann-Vestreen à la Haye, où le roi Charles V est représenté par Jean Bandol, recevant un livre des mains du sieur de Vaudétar son chambellan; mais plusieurs raisons s’opposent à cette opinion. D’abord la gracilité des figures, leur allongement, les physionomies qui ne rappellent guère les travaux de Jean Bandol, témoin la tapisserie reproduite (Pl. III). Ensuite une circonstance particulière démontre que le Parement dont il est question eut, au temps même où il fut exécuté, une importance particulière, puisqu’il est transcrit à peu près textuellement dans les Petites Heures du duc d’Anjou (dites du duc de Berry sans raison plausible) par un artiste qui pourrait être justement Jean de Bruges. (Voir Exposition des Manuscrits n° 69.)
On appelait Parement tout ou partie d’une décoration d’autel pour une fête déterminée. Les Parements en blanc et noir comme celui-ci étaient ordinairement réservés pour les fêtes du Carême ou des Jours Saints. Or, nous savons par diverses mentions d’inventaire que Girard d’Orléans exécuta de ces parements de demi-deuil. Un d’entre eux est cité dans un inventaire du roi Charles V de 1379, publié par Labarte. Mais à la date approximative du Parement dont nous nous occupons, entre 1374 et 1380, Girard d’Orléans était très vieux; il mourait en 1378, un peu retiré de ses travaux et ayant laissé son emploi à la Cour à son fils Jehan d’Orléans. Nous inclinerions donc à attribuer à ce dernier, — qui fut, dans son temps, un personnage considérable et qui signa les premiers statuts des peintres parisiens — l’œuvre ici reproduite; c’était du reste l’opinion du regretté Paul Mantz dont les intuitions sur ce point ont un particulier intérêt.
Une mître prêtée par le Musée de Cluny est exposée non loin du Parement; elle est d’un style plus archaïque, et pourrait peut-être se rapporter aux travaux de Girard d’Orléans. Elle aussi faisait partie d’une «chapelle quotidienne», c’est-à-dire de la réunion d’objets du culte employés dans le carême pour les cérémonies, mais elle est d’un art très inférieur.
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