ON a déjà indiqué un certain nombre de faïences italiennes, réellement recouvertes d’émail stannifère, antérieures au xve siècle. moi-même j’en ai signalé quelques-unes qui paraissent appartenir au XIVe siècle et ornent l’abside du dôme de Lucques. Néanmoins, dans la plupart des cas, on ne peut assigner à ces monuments des dates absolument exactes et c’est de cette circonstance que viennent les doutes et les hésitations de certains archéologues qui se refusent encore aujourd’hui, contre toute vraisemblance, à croire que l’émail stannifère était connu en Italie avant l’invention de Luca della Robbia. Je ne reviendrai pas sur cette question qui me paraît absolument vidée. L’émail stannifére a été de tout temps connu en Orient: c’est ce que faisaient soupçonner déjà certains fragments conservés au British Museum, c’est ce dont ne permettent plus de douter les superbes frises émaillées rapportées de Suse par M. Dieulafoy; et c’est très probablement grâce à leurs relations avec l’Orient que les Italiens connurent, dès une époque fort reculée du moyen âge, non Part de recouvrir des pièces de terre cuite d’un vernis plombifère, art déjà connu et pratiqué dans l’antiquité classique, mais l’art d’orner la terre d’un émail stannifère et par conséquent opaque. Au reste, un certain nombre des monuments que je vais passer en revue dénotent une imitation directe des produits de la céramique orientale. Ce n’est donc point là une hypothèse, mais un fait qu’il faut regarder comme absolument établi et admettre sans contestation.
Je ne parlerai donc point ici de l’invention de l’émail stannifère et par conséquent je laisserai systématiquement de côté les œuvres de Luca della Robbia et de son école qui, pendant longtemps, a passé pour l’avoir découvert. Je me bornerai à énumérer, en tâchant d’en faire ressortir les caractères principaux, les poteries italiennes aujourd’hui connues, portant une date antérieure au XVIe siècle ou pouvant, grâce aux armoiries ou aux emblèmes qu’elles offrent, être avec certitude attribuées au XVe siècle.
Une remarque préliminaire est ici nécessaire. Parmi ces produits du xve siècle, il n’en est que fort peu qui puissent être rapportés à un centre déterminé de fabrication . Si nous possédons un très grand nombre de documents écrits nous décélant l’existence de fabriques dans des villes qui devinrent plus tard, au XVIe siècle, des centres importants de l’industrie céramique, nous manquons presque complètement de renseignements sur les caractères techniques qui distinguaient entre elles les diverses fabriques. Les potiers italiens n’avaient pas encore, à cette époque, adopté l’usage, qui devint plus tard presque général, de signer leurs œuvres soit en toutes lettres, soit à l’aide de monogrammes.
Il est aussi nécessaire de constater que nous ne possédons pour le xve siècle qu’un fort petit nombre de pièces de vaisselle. Il faut attribuer leur destruction d’abord à leur usage journalier, ensuite aux changements survenus dans la mode. Il est bien certain que les plats et les écuelles du xve siècle, aux parois épaisses et presque toujours émaillées d’un seul côté, durent paraître bien grossiers le jour où l’on parvint à faire ces poteries légères et brillantes du XVIe siècle, où la peinture religieuse et la peinture d’histoire, imitée des tableaux de maîtres, remplacèrent les naïves enluminures du xve siècle. Ces dernières ont pour nous autres un charme, une liberté d’exécution que je suis tout le premier à apprécier et qui sont loin de se retrouver au même degré dans les faïences fabriquées plus tard; mais je ne saurai, à coup sûr, en vouloir aux raffinés de la Renaissance d’avoir voulu posséder des assiettes d’un aspect propre, je dirai même appétissant. C’est ce que nous recherchons encore aujourd’hui; il faut bien avouer qu’à notre époque l’amour du confortable a tué l’art; les hommes du XVIe siècle avaient su, à un certain degré, concilier les deux choses, et c’est en cela, qu’au point de vue des arts industriels, ils nous sont absolument supérieurs.
La vaisselle du xve siècle étant fort rare, il ne nous reste guère en fait de faïences de cette époque que des plaques d’ornement ou de revêtement et surtout des pavages en terre émaillée; et encore un très grand nombre de ces derniers ont-ils disparu. Ces monuments valent en somme pour l’éude autant que des pièces de vaisselle. Leur décor, il est facile de s’en convaincre, est tout à fait analogue. Ils présentent même un avantage: c’est lorsqu’ils sont encore en place de nous indiquer parfois le lieu où ils ont été fabriqués. C’est là cependant une indication dont il ne faut tenir compte que dans une certaine mesure: la plupart des pavages que nous connaissons ont sans doute été exécutés dans d’autres villes que celles dont ils étaient destinés à orner les édifices; il en est toutefois quelques-uns qui paraissent bien être des produits indigènes et dans ce cas ils sont doublement précieux.
Ces considérations terminées, j’aborde l’étude des monuments dont un grand nombre sont encore inédits; quelques-uns ont été l’objet de dissertations que je mentionnerai au cours de cette étude, soit que je doive en accepter ou en combattre les conclusions; très peu ont été reproduits par la gravure. C’est là une lacune regrettable, car ce sont en général des œuvres dont il serait très désirable que nos céramistes modernes possédassent quelque connaissance: ils y trouveraient une source de modèles très féconde et dans tous les cas ils leur feraient comprendre d’une façon palpable bien des côtés de la décoration de la Renaissance.