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DEUXIÈME ARÈNE

 

 

(Livre #2 de la Trilogie des Rescapés)

 

 

 

 

morgan rice

 

 

Traduit de l’anglais par Guy Rivest

Louanges pour Morgan Rice

 

« Un livre qui rivalise avec la saga FASCINATION (TWILIGHT) et JOURNAL D’UN VAMPIRE (VAMPIRE DIARIES), et un livre qui vous donnera envie de continuer à lire jusqu’à la toute dernière page! Si vous adorez l‘aventure, l’amour et les vampires ce livre est pour vous! »

--Vampirebooksite.com {concernant Transformation}

 

“Morgan Rice a prouvé une fois de plus qu’elle est une écrivaine extrêmement talentueuse….Cette histoire va plaire à une large audience, incluant les jeunes fans  du genre vampire/fantaisie. Elle s’est terminée de façon inattendue avec un cliffhanger qui vous laissera en état de choc.”

--The Romance Reviews {concernant Adoration}

 

« Une excellente intrigue et  spécialement le type de livre que vous aurez de la difficulté à déposer le soir. La fin est un cliffhanger tellement spectaculaire que vous voudrez immédiatement  acheter le prochain livre, juste pour voir ce qui arrive. »

--The Dallas Examiner {concernant Adoration}

 

« A retenu mon attention dès le début et ne l’a pas lâchée….Cette histoire est une aventure incroyable au rythme rapide et pleine d’action dès le début. Il n’y a absolument rien d’ennuyant. »

--Paranormal Romance Guild {concernant Transformation}

 

« Plein au ras bord d’action, de romance, d’aventure et de suspense. Obtenez-le et tombez en amour une fois de plus. »

--vampirebooksite.com {concernant Transformation}

 

 

Au sujet de Morgan Rice

 

Morgan Rice est l’auteure bestseller MEMOIRES D'UN VAMPIRE, une série pour jeunes adultes comprenant onze livres (jusqu’à maintenant), de la série bestseller TRILOGIE DES RESCAPÉS, un thriller post-apocalyptique comprenant deux livres (jusqu’à maintenant) et de la série bestseller fantaisie épique L’ANNEAU DU SORCIER, comprenant quinze livres (jusqu’à maintenant). Les livres de Morgan Rice sont disponibles en éditions audio et imprimée et ont été traduits en plus de 20 langues.

Morgan apprécie toujours vos commentaires, n’hésitez pas à visiter www.morganricebooks.com pour vous inscrire à la liste de distribution, recevoir un livre gratuit, recevoir un cadeau gratuit, télécharger l’application gratuite, obtenir les nouvelles exclusives les plus récentes, vous connecter sur Facebook et Twitter et rester en contact!

 

Books by Morgan Rice

 

MÉMOIRES D'UN VAMPIRE
(THE VAMPIRE JOURNALS)
TURNED (BOOK #1) -- TRANSFORMATION

LOVED (BOOK #2) -- ADORATION

BETRAYED (BOOK #3) -- TRAHISON

DESTINED (BOOK #4) -- PRÉDESTINATION

DESIRED (BOOK #5) -- DÉSIR

BETROTHED (BOOK #6) -- FIANÇAILLES

VOWED (BOOK #7) -- SERMENT

FOUND (BOOK #8) -- RETROUVAILLES

RESURRECTED (BOOK #9) -- RÉSURRECTION

CRAVED (BOOK #10) -- ENVIE

FATED (BOOK #11) -- DESTIN

 

TRILOGIE DES RESCAPÉS
(THE SURVIVAL TRILOGY)

ARENA ONE: SLAVERSUNNERS (BOOK #1) -- ARÈNE UN – LA CHASSE AUX EXCLAVES

ARENA TWO (BOOK #2) -- DEUXIÈME ARÈNE

 

L’ANNEAU DU SORCIER
(THE SORCERER’S RING)

A QUEST OF HEROES (Book #1) -- LA QUÊTE DES HÉROS
A MARCH OF KINGS (Book #2)

A FATE OF DRAGONS (Book #3)

A CRY OF HONOR (Book #4)

A VOW OF GLORY (Book #5)
A CHARGE OF VALOR (Book #6)
A RITE OF SWORDS (Book #7)

A GRANT OF ARMS (Book #8)
A SKY OF SPELLS (Book #9)

A SEA OF SHIELDS (Book #10)
A REIGN OF STEEL (Book #11)
A LAND OF FIRE (Book #12)
A RULE OF QUEENS (Book #13)
AN OATH OF BROTHERS (Book #14)
A DREAM OF MORTALS (Book #15)

 

 

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Copyright © 2014 by Morgan Rice

All rights reserved. Except as permitted under the U.S. Copyright Act of 1976, no part of this publication may be reproduced, distributed or transmitted in any form or by any means, or stored in a database or retrieval system, without the prior permission of the author.

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This is a work of fiction. Names, characters, businesses, organizations, places, events, and incidents either are the product of the author’s imagination or are used fictionally. Any resemblance to actual persons, living or dead, is entirely coincidental. Jacket image Copyright f9photos, used under license from Shutterstock.com. Copyright © 2013 Éditions AdA Inc. pour la traduction française Cette publication est publiée en accord avec Lukemon Literary Management Ltd, Larchmont, NY Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire. Éditeur:François Doucet Traduction:Guy Rivest  Révision linguistique:Féminin pluriel Correction d’épreuves:Nancy Coulombe  ISBN papier 978-2-89733-424-6 ISBN PDF numérique 978-2-89733-425-3 ISBN ePub 978-2-89733-426-0 Première impression:2013 Dépôt légal:2013 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque Nationale du Canada Éditions AdA Inc. 1385, boul. Lionel-Boulet Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7 Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC. Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Rice, Morgan  [Arena Two. Français] Arène deux (La trilogie des survivants ; 2) Traduction de:Arena Two. Pour les jeunes de 13 ans et plus. ISBN 978-2-89733-424-6 I. Rivest, Guy. II. Titre. III. Titre:Arena Two. Français. PZ23.R523Ara 2013 j813’.6 C2013-942120-3

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Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort, le brave ne goûte jamais la mort qu’une fois. De tous les prodiges dont j’aie encore ouï parler, le plus étrange pour moi, c’est que les hommes puissent sentir la crainte, voyant que la mort, fin nécessaire, arrivera à l’heure où elle doit arriver.

 

— Shakespeare, Julius César

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Il y a certains jours qui semblent simplement parfaits. Certains jours où le monde est imprégné d’une certaine immobilité, lorsque vous êtes si profondément calme que vous avez l’impression que vous pourriez disparaître, des jours où vous éprouvez un tel sentiment de paix, où vous êtes immunisé contre toutes les préoccupations du monde.

Contre la peur, contre l’avenir. Je peux compter de pareils moments sur les doigts d’une seule main.

Et j’en vis un en ce moment.

J’ai treize ans, Bree en a six, et nous nous trouvons sur une plage de sable fin. Mon père tient ma main et ma mère, celle de Bree, et nous traversons tous les quatre le sable chaud pour nous rendre à l’océan. La bruine fraîche des vagues est tellement agréable sur mon visage, atténuant la chaleur de cette journée d’août. Les vagues s’abattent tout autour de nous, et papa et maman rient, insouciants. Je ne les ai jamais vus si détendus. Je les surprends à se regarder avec tant d’amour que j’imprime l’image dans mon esprit. C’est une des rares fois où je les ai vus heureux ensemble, et

je ne veux pas oublier ce moment. Bree hurle de plaisir, excitée devant chaque vague qui s’abat à hauteur de sa poi- trine, par le ressac au niveau de ses cuisses. Maman la tient fermement, et papa resserre ma main, nous retenant contre l’attraction de l’océan.

— UN! DEUX! TROIS! crie mon père.

Il me tire par les mains dans les airs, et ma mère fait de même avec Bree. Je monte haut, au-dessus d’une vague, puis je crie tandis qu’elle s’abat derrière moi. Je suis renversée que mon père puisse se tenir ainsi, si fort, comme un roc, ignorant apparemment la puissance de la nature.

En replongeant jusqu’à la poitrine dans l’eau froide de la mer, j’éprouve un choc. Je serre davantage la main de papa au moment du ressac et me retiens fermement. En cet ins- tant, j’ai l’impression qu’il me protégera pour toujours contre tout.

Les vagues s’abattent sur la plage les unes après les autres, et pour la première fois d’aussi loin que je me sou- vienne, mes parents ne sont pas pressés. Ils nous soulèvent encore et encore tandis que Bree pousse davantage de cris de joie. J’ignore combien de temps s’écoule pendant cette magnifique journée d’été, sur cette plage paisible, sous un ciel sans nuages, la bruine me frappant le visage. Je ne veux pas que le soleil se couche, souhaite que rien de tout cela ne change. Je veux être ici, comme ça, pour l’éternité. Et à ce moment, j’ai l’impression que c’est possible.

J’ouvre lentement les yeux, désorientée par ce que j’aper- çois devant moi. Je ne suis pas à la mer, mais plutôt assise dans le siège passager d’un hors-bord qui file sur un fleuve. Ce n’est pas l’été, mais l’hiver, et les rives sont enneigées. Ici et là, des fragments de glace défilent le long de la coque.

Mon visage reçoit de l’eau, mais plutôt que la bruine fraîche des vagues de l’océan en été, ce sont les froids embruns de l’Hudson en hiver. Je cligne des yeux plusieurs fois jusqu’à ce que je sois certaine que ce n’est pas un matin d’été sans nuages, mais un après-midi d’hiver sous un ciel voilé. J’essaie de comprendre ce qui s’est produit, comment tout a changé.

J’éprouve un frisson, me redresse et regarde autour de moi, immédiatement sur mes gardes. Il y a très longtemps que je ne suis pas tombée endormie durant le jour, et ça m’étonne. Je reprends rapidement mes esprits et aperçois Logan debout, imperturbable derrière le volant, les yeux fixés sur l’eau, remontant l’Hudson. Je me retourne et vois Ben, la tête entre les mains, les yeux hagards, perdu dans son propre monde. De l’autre côté du bateau se trouve Bree, assise, les yeux clos, affalée contre son siège, sa nouvelle amie Rose blottie contre elle, endormie la tête sur son épaule. Son nouveau toutou, le chihuahua borgne, dort sur ses genoux.

Je suis surprise de m’être laissée aller à dormir aussi, mais en baissant les yeux sur la bouteille de champagne à demi pleine dans ma main, je prends conscience que l’al- cool, que je n’ai pas bu depuis des années, doit m’avoir assommée — l’alcool combiné à tant de nuits sans sommeil et tant de journées marquées par la surexcitation. Mon corps est si tuméfié, si douloureux qu’il doit s’être endormi de lui-même. Je me sens coupable:je m’étais promis de ne plus quitter Bree des yeux. Mais tandis que je regarde Logan, sa présence si rassurante, je me dis que je dois m’être sentie suffisamment en sécurité près de lui. Sous certains aspects, c’était comme si mon père était revenu. C’est peut- être la raison pour laquelle j’ai rêvé de lui.

— Content de te revoir, fait Logan de sa voix grave.

Il jette un coup d’œil dans ma direction, un petit sourire jouant au coin de ses lèvres.

Je me penche vers l’avant en parcourant des yeux le fleuve devant nous tandis que nous filons dessus à toute allure. Le rugissement du moteur est assourdissant, et le bateau remonte le courant, tanguant et roulant en de subtils mouvements, se balançant à peine. Les gouttelettes gla- ciales frappent directement mon visage, et je baisse les yeux en constatant que je porte les mêmes vêtements depuis plu- sieurs jours. Ils collent à ma peau, tachés de sueur, de sang et de poussière — et maintenant humides. Je suis trempée, j’ai froid et j’ai faim. Je donnerais n’importe quoi pour une douche chaude, un chocolat chaud, un feu de foyer et un changement de vêtements.

Je parcours des yeux l’horizon:l’Hudson ressemble à une vaste mer. Nous progressons en son milieu, loin des deux rives, Logan nous tenant sagement éloignés de tout prédateur éventuel. Les souvenirs me reviennent, et je me retourne immédiatement, cherchant un quelconque signe des chasseurs d’esclaves. Je n’en vois aucun.

Je regarde devant nous et n’aperçois pas de navire non plus. Je regarde les rives et n’y vois aucun signe d’activité. C’est comme si nous avions le monde à nous seuls. C’est à la fois réconfortant et désolant.

Lentement, je me détends. J’ai l’impression d’avoir dormi pendant une éternité, mais d’après la position du soleil, nous ne sommes qu’au milieu de l’après-midi. Je n’ai pas pu dormir plus d’une heure. Je cherche alentour quelque repère familier. Après tout, nous approchons d’où nous habitions, mais je n’en vois aucun.

Combien de temps j’ai dormi? je demande à Logan. Il hausse les épaules.

Peut-être une heure.

« Une heure », je pense avec étonnement.

Je vérifie la jauge d’essence et constate que le réservoir est à moitié vide. C’est de mauvais augure.

Tu as vu des endroits où on aurait pu trouver de l’es- sence? je demande.

Dès que j’ai posé la question, je constate à quel point elle était stupide.

Logan me regarde comme pour dire « vraiment? » Évidemment, s’il avait vu un dépôt de carburant, il s’y serait arrêté.

Où sommes-nous?

C’est la région où vous viviez, répond-il. J’allais te poser la même question.

Je regarde de nouveau le fleuve, mais n’y vois toujours rien de reconnaissable. L’Hudson est comme ça:il est si vaste qu’il est facile d’y perdre ses repères.

Pourquoi tu ne m’as pas réveillée? je demande.

Pourquoi je l’aurais fait? Tu avais besoin de sommeil.

Je ne sais trop quoi lui dire d’autre. C’est ce qu’il y a avec Logan:je l’aime bien et je sens qu’il m’aime bien aussi, mais je n’ai pas l’impression que nous ayons beaucoup de choses à nous dire. Le fait qu’il soit constamment sur ses gardes, comme moi, ne facilite pas les choses.

Nous poursuivons notre route en silence, l’écume jaillis- sant sous la coque, et je me demande jusqu’où nous allons pouvoir nous rendre. Qu’allons-nous faire quand nous manquerons d’essence?

J’aperçois quelque chose au loin. Ça ressemble à une structure dans l’eau. Au départ, je me demande si j’hallu- cine, mais quand Logan étire le cou, les yeux alertes, je constate qu’il doit l’apercevoir aussi.

Je pense que c’est un pont, dit-il. Un pont effondré.

Il a raison. Une immense pièce de métal tordu apparaît de plus en plus clairement à mesure que nous approchons, sortant de l’eau comme une sorte de monument commémo- rant un désastre. Je me souviens de ce pont:jadis, il enjam- bait magnifiquement le fleuve ; maintenant, c’est un gigantesque amoncellement de métal plongeant dans l’eau à des angles bizarres.

Logan ralentit le bateau à mesure que nous nous en approchons. Notre vitesse descend rapidement, et notre hors-bord se balance violemment. Des fragments de métal tordu se dressent dans toutes les directions, et Logan lou- voie entre eux, créant son propre petit chemin. Je lève les yeux tandis que nous passons sous les vestiges du pont. J’ai l’impression qu’il s’élève à des centaines de mètres, une sorte de témoin de ce que l’humanité a déjà été en mesure de faire avant que nous commencions à nous entretuer.

C’est le Tappan Zee, je dis. Nous sommes à environ une heure au nord de la ville. Nous avons une bonne avance sur eux s’ils nous poursuivent.

Tu peux parier qu’ils nous poursuivent, répond Logan.

Je le regarde.

Comment peux-tu en être aussi certain?

Je les connais. Ils n’oublient jamais.

Au moment où nous dépassons le dernier monceau de métal, Logan accélère, et je m’enfonce dans mon siège.

À quelle distance penses-tu qu’ils se trouvent der- rière nous? je lui demande.

Il regarde l’horizon d’un air stoïque. Finalement, il hausse les épaules.

Difficile à dire. Ça dépend combien de temps il leur a fallu pour rallier les troupes. La neige est épaisse, ce qui est bien pour nous. Peut-être trois heures? Peut-être six, si nous sommes chanceux? Ce qui est bien, c’est que ce bateau est vraiment rapide. Je pense que nous pouvons les dis- tancer, aussi longtemps que nous aurons de l’essence.

Mais nous n’en avons plus beaucoup, je dis en souli- gnant l’évidence. Quand nous sommes partis, le réservoir était plein et maintenant, il est à demi vide. Il sera à sec dans seulement quelques heures. Le Canada est encore drô- lement loin. Comment crois-tu trouver de l’essence?

Logan réfléchit, les yeux fixés sur l’eau.

Nous n’avons pas le choix, dit-il. Il faut que nous en trouvions. Nous ne pouvons pas nous arrêter.

Il va falloir nous reposer à un moment ou à un autre, je dis. Nous allons avoir besoin de nourriture et d’un abri. Nous ne pouvons pas rester à l’extérieur dans cette tempé- rature vingt-quatre heures par jour.

Mieux vaut mourir de faim ou de froid que de se faire capturer par les chasseurs d’esclaves, répond-il.

Je pense à la maison de mon père, un peu plus loin en amont. Nous allons passer tout près. Et je me souviens de ma promesse faite à mon vieux chien Sasha de l’enterrer. Je pense aussi à toute cette nourriture là-haut, dans ce chalet de pierre — nous pourrions la récupérer, et elle nous ali- menterait pendant des jours. Je pense aussi à tous les outils dans le garage de papa, à toutes les choses qui pourraient nous être utiles, sans parler des vêtements de rechange, des couvertures et des allumettes.

Je veux faire un arrêt.

Logan se retourne vers moi et me regarde comme si j’étais folle. Je vois bien qu’il n’aime pas beaucoup l’idée.

De quoi tu parles?

La maison de mon père. Dans les Catskill. À environ une heure d’ici vers le nord. Je veux y arrêter. Il y a là-bas plein de choses que nous pouvons récupérer. Des choses dont nous aurons besoin. Comme de la nourriture. Et… je veux enterrer mon chien.

Enterrer ton chien? demande-t-il en élevant la voix.

Es-tu cinglée? Tu veux tous nous faire tuer pour ça?

Je le lui ai promis, je dis.

Promis? rétorque-t-il. Tu as fait une promesse à ton chien? À ton chien mort? C’est une blague.

Je soutiens son regard, et il s’aperçoit rapidement que je ne rigole pas.

Quand je promets quelque chose, je respecte ma parole. Je t’enterrais, si je te le l’avais promis.

Il secoue la tête.

Écoute, je lui dis d’un ton ferme. Tu voulais aller au Canada. Nous aurions pu aller n’importe où. C’était ton rêve. Pas le mien. Qui sait si la ville dont tu m’as parlé existe même? Je te suis sur une intuition. Et ce bateau n’est pas seulement le tien. Tout ce que je veux, c’est arrêter à la maison de mon père, prendre des trucs dont nous avons besoin et enterrer mon chien. Ça ne sera pas long. Nous avons une bonne avance sur les chasseurs d’esclaves. Et en plus, nous avons un petit bidon d’essence là-bas. Ça n’est pas beaucoup, mais ça nous aidera.

Logan secoue lentement la tête.

Je préférerais ne pas avoir ce bidon et ne pas prendre un pareil risque. Tu parles des montagnes. C’est à une tren- taine de kilomètres à l’intérieur des terres, non? Comment proposes-tu que nous nous y rendions, une fois amarrés? En stop?

Je sais où il y a un vieux camion. Il est terriblement vieux et rouillé, mais il fonctionne, et il contient juste assez d’essence pour nous conduire là-bas et nous ramener. Il est caché près de la berge. Nous allons passer juste devant. Avec le camion, nous serons vite revenus. Puis, nous pour- rons poursuivre notre long voyage jusqu’au Canada et nous aurons bien fait d’arrêter.

Logan fixe silencieusement l’eau pendant un long moment, les poings serrés sur le volant. Finalement, il dit :

Comme tu veux. C’est ta vie que tu risques, mais je reste sur le bateau. Tu as deux heures. Si tu n’es pas revenue à temps, je pars.

Je détourne les yeux et regarde l’eau, absolument furieuse. Je voulais qu’il vienne. J’ai l’impression qu’il ne s’occupe que de lui-même, et ça me déçoit. Je le croyais meilleur que ça.

Alors, tu te soucies seulement de toi, c’est ça? je demande.

Ça m’inquiète aussi qu’il ne veuille pas m’accompa- gner jusqu’à la maison de mon père. Je n’y avais pas pensé. Je sais que Ben ne voudra pas venir et j’aurais apprécié un peu d’aide. Quoi qu’il en soit, je suis quand même décidée. J’ai fait une promesse et je vais la tenir avec ou sans lui.

Il ne répond pas, et je vois bien qu’il est agacé.

Je scrute le fleuve pour éviter de le regarder. Pendant que l’eau s’agite au milieu du rugissement constant du moteur, je prends conscience que je ne suis pas seulement furieuse parce qu’il me déçoit, mais parce que je commen- çais à avoir de l’affection pour lui, à compter sur lui. Il y a très longtemps que je n’ai pas dépendu de qui que ce soit. C’est inquiétant de dépendre à nouveau de quelqu’un, et je me sens trahie.

Brooke?

Mon cœur tressaille en entendant la voix familière, et je me retourne pour voir ma petite sœur éveillée. Rose se réveille aussi. Ces deux-là sont déjà inséparables, comme si elles ne faisaient qu’une personne.

J’ai encore beaucoup de mal à croire que Bree se trouve ici, revenue auprès de moi. J’ai l’impression de rêver. Quand elle a été capturée, une partie de moi était certaine que je ne la reverrais jamais vivante. Chaque instant que je passe avec elle me donne l’impression que le sort m’a accordé une deuxième chance et je me sens plus déterminée que jamais à la protéger.

J’ai faim, dit Bree en se frottant les yeux du dos des mains.

Le chien se redresse aussi sur les genoux de Bree. Elle n’arrête pas de trembler et elle tourne son œil valide vers moi comme pour me faire savoir qu’elle a faim aussi.

Je gèle, dit Rose en se massant les épaules.

Elle ne porte qu’une mince chemise, et je me sens triste pour elle.

Je les comprends. J’ai faim et je gèle aussi. J’ai le nez gelé, et il est presque insensible. Les friandises que nous avons trouvées sur le bateau étaient délicieuses, mais ne

remplissaient pas un estomac vide. Et c’était il y a plusieurs heures. Je songe au coffre de nourriture, au peu qu’il nous reste, et je me demande dans combien de temps il sera vide. Je sais que je devrais rationner la bouffe, mais nous sommes tous affamés, et je ne peux pas supporter de voir Bree dans cet état.

Il ne reste plus beaucoup de nourriture, je lui dis, mais je peux vous en donner un peu, les filles. Nous avons des biscuits et quelques craquelins.

Des biscuits! s’exclament-elles en même temps. Le chien aboie.

Il vaut mieux éviter ça, intervient Logan près de moi.

Je le regarde et le vois tourner les yeux vers l’arrière du bateau d’un air réprobateur.

Nous devons rationner la nourriture.

S’il te plaît! s’écrie Bree. J’ai besoin de manger. Je meurs de faim.

Je dois leur donner quelque chose, je réplique ferme- ment à Logan, comprenant sa raison, mais agacée par son manque de compassion. Je vais distribuer un seul biscuit à chacun d’entre nous.

Et le chien? demande Rose.

Hors de question de donner de notre nourriture au chien, dit Logan d’un ton brusque. Qu’elle se débrouille.

J’éprouve un autre élan de colère vis-à-vis de Logan, même si je sais qu’il a raison. Pourtant, en voyant les regards déconfits de Rose et de Bree, et en entendant de nouveau japper la chienne, je ne peux pas supporter de la laisser mourir de faim. Je me résigne à lui donner une partie de mes propres rations.

J’ouvre le coffre et examine encore une fois nos provi- sions. Il y a deux boîtes de biscuits, trois de craquelins, plu- sieurs sacs d’oursons en gélatine et une demi-douzaine de barres de chocolat. J’aimerais bien que nous ayons des ali- ments un peu plus nourrissants, et j’ignore combien de temps nous allons pouvoir faire durer ce que nous avons, comment le peu qu’il nous reste suffira pour nourrir cinq personnes trois fois par jour.

Je prends les biscuits et en distribue un à chaque per- sonne. Ben sort finalement de sa rêverie en voyant la nour- riture et il accepte un biscuit. Ses yeux sont cernés, et il ne semble pas avoir dormi. Son expression, si anéantie à cause de la mort de son frère fait peine à voir, et je détourne les yeux en lui tendant son biscuit.

Je reviens à l’avant du bateau et tends le sien à Logan. Il le prend et il le glisse dans sa poche, le gardant évidemment pour plus tard. Je ne sais pas d’où il peut bien tirer sa force. Moi, je faiblis seulement à l’odeur du biscuit aux pépites de chocolat. Je sais que je devrais imiter Logan, mais je n’y arrive pas. J’en prends une petite bouchée, résolue à mettre le reste de côté, mais il goûte si bon que je ne peux m’empê- cher de le dévorer en entier sauf la dernière bouchée que je mets de côté pour la chienne.

Ça fait tellement de bien. L’énergie du sucre envahit ma tête, puis mon corps tout entier, et je souhaiterais en avoir une dizaine de plus. J’en ai mal au ventre, alors je prends une profonde respiration en essayant de me maîtriser.

Le fleuve se rétrécit, les rives se rapprochant de plus en plus l’une de l’autre, tandis qu’il s’étire en méandres. Nous sommes proches de la terre, et tous mes sens sont en alerte alors que je scrute les berges pour y déceler un quelconque danger. Je regarde sur ma gauche et aperçois tout en haut d’une falaise les vestiges d’une ancienne fortifica- tion bombardée. Je suis renversée en reconnaissant ce que c’était jadis.

West Point1, dit Logan. (Prestigieuse académie militaire américaine.)

Il doit le reconnaître en même temps que moi.

C’est bouleversant de voir ce bastion de la puissance américaine maintenant transformé en un monceau de débris, son mât tordu pendant au-dessus de l’Hudson. Il ne reste pratiquement rien de ce qu’a été cette institution.

Qu’est-ce que c’est? demande Bree en claquant des dents.

Elle et Rose ont grimpé sur le devant du bateau, près de moi, et elle a suivi mon regard. Je ne veux pas le lui dire.

Ce n’est rien, ma chérie, je réponds. Seulement des ruines.

Je passe mon bras autour d’elle et la serre contre moi, puis fais de même avec Rose. J’essaie de les réchauffer du mieux que je peux en leur frottant les épaules.

Quand retournons-nous à la maison? demande Rose.

Logan et moi échangeons un regard. Je ne sais trop comment répondre.

Nous n’allons pas à la maison, je dis à Rose d’un ton aussi doux que possible, nous sommes en route pour trouver une nouvelle maison.

Allons-nous passer par notre ancienne maison? demande Bree.

J’hésite.

Oui, je dis.

Mais nous ne retournons pas y rester? demande- t-elle.

Non, je réponds. C’est trop dangereux de vivre là-bas maintenant.

Je ne veux pas retourner y vivre, dit-elle. Je détestais cet endroit. Mais nous ne pouvons pas laisser Sasha là-bas. Allons-nous l’enterrer? Tu l’as promis.

Je repense à ma discussion avec Logan.

Tu as raison, je lui dis doucement. Je l’ai promis. Et oui, nous allons arrêter.

Logan se détourne, clairement fâché.

Et après? demande Rose. Où irons-nous, alors?

Nous allons continuer de remonter le fleuve, je lui explique. Aussi loin qu’il va nous mener.

Où est-ce qu’il finit? demande-t-elle.

C’est une bonne question, et je l’interprète dans un sens beaucoup plus profond. Où tout cela se terminera-t-il? Par notre mort? Par notre survie? Est-ce que ça prendra fin un jour? Y a-t-il une quelconque fin en vue?

Je n’ai pas la réponse.

Je me tourne, m’agenouille et la regarde dans les yeux. Il faut que je lui donne de l’espoir. Une raison de vivre.

Il finit dans un magnifique endroit, je dis. Où nous allons, tout est revenu à la normale. Les rues sont si propres qu’elles brillent, et tout est parfait et sans danger. Il va y avoir des gens là-bas, des gens amicaux, et ils vont nous accueillir et nous protéger. Il va y avoir de la nourriture aussi, de la vraie nourriture, tout ce que tu pourras manger, en tout temps. Ce sera le plus bel endroit que tu aies jamais vu.

Rose ouvre tout grand les yeux.

C’est vrai? demande-t-elle.

J’incline la tête. Lentement, un large sourire s’épanouit sur son visage.

Dans combien de temps allons-nous arriver? Je souris.

Je ne sais pas, ma chérie.

Toutefois, Bree est plus cynique que Rose.

C’est vraiment vrai? demande-t-elle doucement.

Est-ce qu’il y a réellement un pareil endroit?

Oui, je lui réponds en essayant de paraître le plus convaincante possible. N’est-ce pas, Logan?

Logan les regarde, hoche brièvement la tête, puis détourne les yeux. Après tout, c’est lui qui croit au Canada, qui croit en une terre promise. Comment pourrait-il en nier l’existence maintenant?

Nous suivons les méandres de l’Hudson qui tantôt devient plus étroit, tantôt s’élargit de nouveau. Finalement, nous entrons dans une zone que je connais bien. Nous pas- sons des endroits que je reconnais, nous rapprochant de plus en plus de la maison de papa.

Nous contournons une étroite péninsule, et j’aperçois une petite île rocheuse inhabitée. On y voit les ruines d’un phare, sa lumière depuis longtemps éteinte, sa structure qui en est réduite à une façade.

Nous contournons un autre coude dans le fleuve, et j’aperçois au loin le pont sur lequel je me suis trouvée seule- ment quelques jours auparavant quand je pourchassais les chasseurs d’esclaves. Là, au milieu du pont, je vois l’énorme trou qu’a créé l’explosion, comme si on y avait laissé tomber un boulet de démolition. Je me souviens en un éclair du moment où Ben et moi filions à travers celui-ci sur la moto et où nous avons failli tomber. C’est incroyable. Nous y sommes presque.

Tout cela me fait penser à Ben, me rappelle comment il m’a sauvé la vie ce jour-là. Je me retourne pour le regarder. Il fixe l’eau d’un air morose.

Ben? je fais.

Il lève la tête et me regarde.

Tu te souviens de ce pont?

Il regarde, et je vois la peur dans ses yeux. Il se souvient.

Bree me pousse du coude.

Je peux donner une partie de mon biscuit au chien? demande-t-elle.

Moi aussi? demande Rose.

Bien sûr, je réponds d’une voix forte pour que Logan m’entende.

Il n’est pas le seul qui soit responsable ici, et nous pou- vons faire ce que nous voulons de notre nourriture.

Sur les genoux de Rose, le chien se redresse comme s’il avait compris. Je n’ai jamais vu un animal aussi futé.

Bree se penche pour lui donner un morceau de son bis- cuit, mais je lui retiens la main.

Attends, je dis. Si tu as l’intention de la nourrir, elle devrait avoir un nom, n’est-ce pas?

Mais elle n’a pas de collier, dit Rose. Elle pourrait s’appeler n’importe comment.

C’est votre chien maintenant, je réponds. Donnez-lui un nouveau nom.

Rose et Bree se regardent avec excitation.

Comment devrions-nous l’appeler? demande Bree.

Qu’est-ce que tu penses de « Pénélope »? dit Rose.

Pénélope! s’exclame Bree. J’aime ça.

J’aime ça aussi, je dis.

Pénélope! s’écrie Rose en direction du chien.

Étonnamment, la chienne se tourne immédiatement vers elle comme si elle avait toujours porté ce nom.

Bree sourit pendant qu’elle lui tend un morceau de bis- cuit. Pénélope l’attrape et l’avale d’une seule bouchée. Bree et Rose rient de tout cœur, et Rose lui donne le reste de son biscuit. Elle l’attrape aussi, puis je tends la main pour lui donner la dernière bouchée du mien. Pénélope nous regarde tour à tour, excitée et tremblante, et jappe trois fois.

Nous rions toutes. Pendant un moment, j’en oublie presque nos ennuis.

Mais au loin, j’aperçois quelque chose au-dessus de l’épaule de Bree.

— Là-bas, je dis à Logan en m’approchant et en poin- tant un index vers notre gauche. C’est là où nous devons aller. Tourne par là.

Je vois la péninsule où Ben et moi avons foncé à moto sur la surface glacée de l’Hudson. Mon cœur palpite en son- geant à quel point cette poursuite était folle. C’est renver- sant que je sois encore en vie.

Logan regarde par-dessus son épaule pour voir si nous sommes suivis, puis il ralentit à contrecœur et tourne en nous menant vers la crique.

Je me sens nerveuse et je regarde autour avec inquié- tude tandis que nous dépassons la pointe de la péninsule. Nous nous laissons glisser le long de celle-ci vers la terre ferme. Nous sommes maintenant très près de la rive et pas- sons un château d’eau effondré. Nous poursuivons notre route et passons bientôt le long des ruines d’une petite ville, en plein milieu de la péninsule. Catskill. On y aperçoit des immeubles calcinés de tous côtés, et il semble qu’elle ait été frappée par une bombe.

Nous sommes tous nerveux tandis que nous nous frayons lentement un chemin le long de la crique, la rive ne se trouvant plus qu’à quelques mètres. Nous sommes exposés à une embuscade, et inconsciemment, je tends la main vers ma hanche où se trouve mon couteau. Je remarque que Logan en fait autant.

Je tourne la tête pour regarder Ben, mais il est encore dans un état quasi catatonique.

Où est le camion? demande Logan d’un ton dur. Je ne veux pas aller trop à l’intérieur des terres, je te le dis tout de suite. S’il arrive quoi que ce soit, il faut que nous puis- sions retourner à toute vitesse sur l’Hudson. C’est un endroit idéal pour un piège, dit-il en regardant la rive d’un air inquiet.

Je la regarde aussi, mais elle est complètement déserte et gelée, sans aucun humain en vue aussi loin qu’on puisse voir.

Regarde là, je dis en pointant un index. Tu vois ce hangar rouillé? Il est à l’intérieur.

Logan nous conduit sur une autre trentaine de mètres, puis tourne vers le hangar. Il y a un vieux quai croulant, et Logan réussit à guider le bateau à quelques mètres seule- ment de la rive. Il éteint le moteur, agrippe l’ancre et la jette par-dessus bord. Ensuite, il attrape le câble du bateau, fait un nœud lâche à une extrémité et le lance comme un lasso vers un poteau de métal rouillé. Il atteint son but et nous tire en nous approchant de façon à ce que nous puissions monter sur le quai.

Y allons-nous? demande Bree.

J’y vais, je dis. Attendez-moi ici, sur le bateau. C’est trop dangereux pour vous. Je vais revenir vite. Je vais enterrer Sasha. C’est promis.

Non! hurle Bree. Tu m’as promis que nous ne nous séparerions plus jamais. Tu l’as promis! Tu ne peux pas me laisser seule! Tu ne PEUX PAS!

Je ne te laisse pas seule, je réponds, le cœur brisé. Tu seras ici avec Logan, Ben et Rose. Tu seras en parfaite sécu- rité. Je te le jure.

Mais Bree se lève et à ma grande surprise, elle se met à courir vers la proue, puis saute sur la rive sablonneuse, atterrissant dans la neige.

Elle se tient là, les mains sur les hanches, me fixant d’un air de défi.

Si tu y vas, j’y vais aussi, déclare-t-elle.

Je prends une profonde respiration en voyant qu’elle est résolue. Je sais que quand elle prend cette attitude, il est impossible de la faire changer d’avis.

Sa présence risque de me ralentir, mais je dois avouer qu’une part de moi est heureuse de l’avoir à l’œil en tout temps. Si j’essaie de l’en dissuader, je vais seulement perdre mon temps.

D’accord, je dis, mais tu restes près de moi. C’est promis?

Elle incline la tête.

Promis.

J’ai peur, intervient Rose en regardant Bree avec de grands yeux. Je ne veux pas quitter le bateau. Je veux rester ici avec Pénélope. Je peux?

C’est ce que je veux, je lui dis, refusant silencieuse- ment de l’emmener aussi.

Je me tourne vers Ben. Il me regarde de ses yeux tristes. J’ai envie de détourner le regard, mais je réussis à ne pas le faire.

Tu viens? je demande.

J’espère qu’il va accepter. J’en veux à Logan de rester ici, de me laisser tomber, et j’apprécierais vraiment la présence d’une autre personne responsable.

Mais Ben, de toute évidence encore secoué, se contente de me regarder d’un air impassible comme s’il n’avait rien compris. Je me demande s’il a eu pleinement conscience de tout ce qui s’est passé autour de lui.

Tu viens? je lui demande d’un ton plus ferme. Je n’ai pas de patience pour ce genre d’attitude.

Il secoue la tête lentement avec l’air de se retirer en lui- même. Il est vraiment ailleurs, et j’essaie de le lui pardonner, mais c’est difficile.

Je saute sur la rive. C’est bon de se retrouver sur la terre ferme.

Attends!

Je me retourne et vois Logan se lever du siège du conducteur.

Je savais que ça allait arriver, dit-il.

Il traverse le bateau en rassemblant ses affaires.

Qu’est-ce que tu fais? je demande.

Qu’est-ce que tu crois? répond-il. Je ne vais pas vous laisser y aller seules.

Je suis profondément soulagée. Si ce n’était que de moi, je ne m’en ferais pas autant, mais je me réjouis qu’il y ait quelqu’un d’autre pour surveiller Bree.

Il saute sur la rive à son tour.

Je te le dis tout de suite, c’est une idée stupide, fait-il dès qu’il atterrit près de moi. Nous devrions continuer d’avancer. Il fera nuit bientôt. L’Hudson peut geler. Nous pourrions nous trouver coincés ici. Sans parler des chas- seurs d’esclaves. Tu as une heure et demie, c’est compris? Trente minutes pour y aller, trente minutes là-bas et trente pour revenir. Aucune exception pour quelque raison que ce soit. Autrement, je repars sans vous.

Je me sens à la fois impressionnée et reconnaissante.

C’est d’accord, je dis.

Je pense au sacrifice qu’il vient de faire et je commence à éprouver autre chose. Derrière son attitude, j’ai de nouveau l’impression que Logan m’aime bien. Il n’est pas aussi égoïste que je le pensais.

Au moment où nous nous tournons pour partir, j’en- tends un bruit de pas sur le bateau.

Attendez! crie Ben.

Je me tourne pour le regarder.

Vous ne pouvez pas me laisser ici tout seul avec Rose. Qu’est-ce que je suis censé faire, si quelqu’un arrive?

Surveiller le bateau, répond Logan avant de se retourner pour partir.

Je ne sais pas comment le conduire! crie Ben. Je n’ai aucune arme.

Logan se tourne de nouveau, agacé, tend la main, prend un des pistolets à sa hanche et le lui lance. L’arme frappe Ben à la poitrine, et il l’attrape gauchement.

Peut-être que tu vas apprendre comment t’en servir, dit Logan d’un air méchant tandis qu’il se retourne encore.

J’examine Ben qui se tient là, l’air tellement impuissant et effrayé, avec à la main un pistolet qu’il ne semble pas pouvoir utiliser. Il paraît absolument terrifié.

Je voudrais le réconforter. Lui dire que tout ira bien, que nous serons bientôt de retour. Mais quand je regarde la vaste chaîne de montagnes devant nous, pour la première fois, je ne suis pas certaine que nous reviendrons.

 

2

 

Nous marchons rapidement dans la neige, et je regarde avec inquiétude le ciel qui s’assombrit, sentant le temps nous presser. Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, vois mes empreintes dans la neige et, là-bas, debout dans le bateau qui ondule, Ben et Rose qui nous regardent, les yeux écarquillés. Rose serre Pénélope, tout aussi effrayée, contre elle. Pénélope aboie. Je me sens mal de les laisser là tous les trois, mais je sais que notre mission est nécessaire. Je sais que nous pouvons récupérer du matériel et des pro- visions qui vont nous aider, et j’ai l’impression que nous avons une avance confortable sur les chasseurs d’esclaves.

Je m’empresse d’atteindre le hangar couvert de neige et ouvre d’un coup la porte tordue en priant pour que le camion que j’y ai caché il y a si longtemps y soit encore. C’était un vieux pickup rouillé, à bout de course, davantage un tas de ferraille qu’un véhicule, avec bien peu d’essence dans son réservoir. Je l’ai aperçu par hasard un jour, dans un fossé au bord de la Route 23, et je l’ai minutieusement caché ici, près de la rivière, au cas où j’en aurais besoin. Je me souviens d’avoir été surprise qu’il démarre.

La porte du hangar s’ouvre dans un craquement, et le camion est là, aussi bien caché qu’au premier jour, encore recouvert de foin. Je suis soulagée. Je retire la paille et sens mes mains froides quand je touche le métal. Je me rends au fond du hangar et ouvre les doubles portes, puis la lumière envahit l’espace.

Joli camion, dit Logan qui marche derrière moi en examinant le camion. Tu es sûre qu’il fonctionne?

Non, je réponds, mais la maison de mon père se trouve à une bonne trentaine de kilomètres, et nous ne pou- vons pas vraiment faire du stop.

À son attitude, il est clair qu’il ne veut pas venir, qu’il veut retourner au bateau et remonter le fleuve.

Je saute sur le siège du conducteur et cherche la clé sur le plancher. Je mets la main dessus, bien enfoncée sous le tapis, puis la glisse dans le démarreur, prends une bonne respiration et ferme les yeux.

« S’il te plaît, mon Dieu, s’il te plaît. »

Au début, rien ne se produit. Mon cœur se serre.

Mais je tourne la clé encore et encore, et lentement, le moteur se met à tousser. Au départ, c’est un son tranquille, comme celui d’un chat à l’agonie. Mais je recommence jusqu’à ce que finalement, il tourne de plus en plus vite.

« Allez, allez. »

Enfin, il démarre en gémissant. Il émet des bruits inquiétants, mais au moins, il tourne.

Je ne peux retenir un sourire de soulagement. Il fonc- tionne. Il fonctionne réellement. Nous allons pouvoir nous rendre à la maison, enterrer mon chien et prendre de la nourriture. J’ai l’impression que Sasha nous regarde d’en haut et nous aide. Peut-être mon père aussi.

La porte du passager s’ouvre, et Bree monte dans le camion, tout excitée, sautant sur le siège de vinyle près de moi tandis que Logan monte à côté d’elle, refermant brus- quement la porte, le regard fixé devant lui.

Qu’est-ce que tu attends? dit-il. Le temps file.

Tu n’as pas besoin de me le répéter, je réponds, agacée.

J’embraye, puis je pousse l’accélérateur, reculant hors du hangar dans la neige et sous le soleil de l’après-midi. Au début, les roues s’enfoncent dans la neige, mais j’accélère encore, et nous avançons en toussotant.

Nous roulons en zigzaguant sur les pneus usés à travers un champ et nous bondissons en tous sens dans la cabine. Mais nous progressons quand même, et c’est tout ce qui m’importe.

Nous atteignons bientôt une petite route de campagne. Je suis heureuse que la neige ait été fondante la majeure partie de la journée, sinon nous n’y serions pas parvenus.

Nous commençons à prendre de la vitesse. Le camion m’étonne en adoptant un bruit plus régulier tandis qu’il se réchauffe. Nous frisons les soixante-cinq kilomètres-heure tandis que nous nous dirigeons vers l’ouest sur la Route 23. Je continue d’accélérer jusqu’à ce que nous frappions un nid-de-poule et je le regrette. Nous poussons tous un gro- gnement au moment où nos têtes heurtent le plafond. Je ralentis. Les nids-de-poule sont presque impossibles à voir dans la neige, et j’ai oublié à quel point les voies de circula- tion sont devenues mauvaises.

Je trouve étrange de me retrouver sur cette route en direction de ce qui était jadis chez moi. Je roule à rebours sur la route que j’ai prise quand je poursuivais les chasseurs d’esclaves, et les souvenirs me reviennent en masse. Je me rappelle quand nous filions ici sur une moto, croyant que j’allais mourir, et j’essaie d’écarter cette pensée de mon esprit.

Nous arrivons au grand arbre couché sur la route et maintenant recouvert de neige. C’est celui qu’un survivant qui nous protégeait a fait tomber sur la route pour tenter de bloquer le chemin des chasseurs d’esclaves. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il y a d’autres personnes ici maintenant, qui essaient de survivre et nous surveillent peut-être. Je regarde d’un côté et de l’autre, scrutant les bois, mais je n’y vois aucun signe d’une présence.

Nous progressons rapidement, et à mon grand soulage- ment, tout va encore bien. Je n’ai pas confiance. J’ai l’impres- sion que c’est presque trop facile. Je jette un coup d’œil à la jauge d’essence et vois que nous n’en avons pas consommé beaucoup. Mais j’ignore à quel point elle est précise et pour le moment, je me demande si nous en aurons assez pour nous rendre à la maison et en revenir. Je me demande également si c’était une idée stupide que d’essayer ça.

Nous quittons finalement la route principale pour emprunter l’étroite route de campagne sinueuse qui nous mènera le long de la montagne jusqu’’’