Pour la présente édition : revue et corrigée
© 2021 - Christophe Noël –
ISBN : 9782322414895
BoD - Books on Demand GmbH
Avis concernant cette réédition de 2021
Jean-Adolphe Decourdemanche (1844-1915), auteur initial : Orientaliste. - Rédacteur financier au "Globe". - A fait don de sa collection de manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, fonds turc. - Confondu dans certaines sources avec Osman-Bey.
Ses œuvres sont un peu passées dans l’oubli. Son français est assez proche du contemporain, et j’ai laissé quelques tournures idiomatiques du texte originel, me bornant à corriger ce qui était manifestement des coquilles ou fautes d’orthographe dues à l’étourderie de l’imprimeur (ou de l’auteur).
Un glossaire ne m’a pas paru indispensable, les mots turcs étant expliqués au fur et à mesure dans le texte originel ; ces mots sont en italiques et en gras.
Cette réédition est celle du Tome 4 de la série. Une première édition intégrale avait été élaborée, et suite à un litige avec le soi-disant éditeur, n’a pas été publiée (ouvrages en format A4 et contenu en gros caractères, disponibles toutefois chez l’auteur).
Cette seconde édition, entièrement revue et corrigée, résulte d’un choix : l’économie des introductions de l’éditeur originel, qui n’apportent rien de significatif au fin connaisseur de Nasr Eddin Hodja que vous êtes ; ainsi que des détails des références des suppléments, qui n’intéressent – à mon avis - que les spécialistes ou puristes. Il y avait dix suppléments au départ, réunis en un seul.
Cela se traduit par un gain d’une cinquantaine de pages, soit autant de sauvé pour l’écologie de la planète, déjà assez mal en point. Du papier en moins, c’est des arbres épargnés. Cette démarche s’inscrit dans ma politique plus globale de l’impression à la demande, qui évite des va-et-vient physiques entre l’éditeur et les libraires, les stocks et le pilon.
Enfin des économies sur les coûts d’impression, qui permettent de présenter l’ouvrage à un prix public attractif, car le livre ne doit pas être un luxe.
Je vous souhaite une bonne lecture.
Christophe Noël, mai 2021.
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- Jacques Shiteye – version anglaise – traduit par Peggy C. (Smashwords/Google)
- Ζάκ Σκατομάτης – version grecque – traduit par C. Voliotis (Smashwords/Google)
- Le Point Rouge –nouvelle - version française (Smashwords/Google)
- The Red Dot - version anglaise – traduit par Peggy C. (Smashwords/Google)
- Sue Ann – novela (Google)
Commandes – dédicaces : christophenoel 2020 [at] gmail.com
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« Les aventures de Nasr Eddin Hodja »
CHAPITRE 1er
Narration des plaisanteries du Hodja parmi le peuple
1. Un auditoire prompt à la réplique.
Un jour Hodja1 Nasr-Eddin monte en chaire pour exhorter et prêcher le peuple.
— O hommes ! leur dit-il, écoutez ! Savez-vous de quoi je dois vous parler ?
— Nous l’ignorons, effendi ! s'écrie d'une seule voix toute l’assistance.
Le Hodja s’adresse alors de nouveau aux fidèles et dit :
— Quand vous le saurez je prendrai la peine de vous adresser la parole.
Le lendemain il monte derechef en chaire et recommence son discours :
— O hommes, savez-vous aujourd'hui ce que je dois vous dire ?
L'assistance se consulte sur la réponse à faire et les uns répliquent : Nous le savons, d'autres nous l'ignorons.
— S'il en est ainsi, que ceux qui le savent en instruisent les autres, dit-il en descendant.
Le lendemain il monte de nouveau en chaire :
— Maintenant, ô hommes, savez-vous ce dont je dois vous entretenir ?
Cette fois l'assistance ne trouve rien à répliquer et reste silencieuse. Alors Hodja Nasr-Eddin — la miséricorde de Dieu soit sur lui — élève la voix et dit :
— Rendez de grandes actions de grâces au Très-Haut, car s'il avait donné des ailes au chameau, cet animal aurait parcouru les airs comme un oiseau et se serait échappé de même en volant.
— S'il avait volé, dit-on parmi les auditeurs, il aurait pu descendre sur nos maisons.
— Et que seriez-vous devenus, réplique le Hodja à ces impitoyables répondeurs, s’il en avait enfoncé le toit !
2. Fiction légale.
Certain jour un esclave du Hodja s'échappe. Malgré de nombreuses recherches il n'en découvre ni trace ni indice et rentre chez lui après avoir perdu tout espoir de le retrouver.
— Hodja, lui demande sa femme, où l'esclave est-il allé ?
— Où qu'il soit, répond le Hodja, et n'importe où il s'échappera, il sera toujours mon esclave, tandis que, s'il n'était pas parti, je l'aurais affranchi. C'est à lui qu'il a fait du tort.
3. Déménagement inattendu.
Certain jour un voleur s'introduit chez le Hodja et ramasse, recherche et emporte les effets sans apercevoir Nasr-Eddin. Celui-ci se charge du reste de ses hardes, marche derrière le voleur et le suit pas à pas. Ils arrivent enfin à la maison du larron qui s'aperçoit alors de la présence du Hodja et s'écrie :
— Que viens-tu faire chez moi ?
— Nous avons sans doute loué cette maison, réplique le Hodja en plaisantant ; aussi j'emménage. Vienne le premier du mois et nous aurons à payer le loyer en commun.
4. Leçon d'architecture.
Un jour le Hodja se tenait debout au pied du minaret d'une sainte Mosquée.
— Qu'est ceci ? lui demande-t-on. Alors le Hodja examine attentivement le minaret et dit :
— C'était autrefois un puits ; maintenant on l’a déblayé pour le mettre à sec, et on a fait sortir dehors la portion enfoncée.
Ainsi le rapportent les voisins.
5. Gosier altéré court à l’eau.
On avait volé, certain jour, un fromage salé au Hodja. Aussitôt celui-ci accourt et se place au bord de la fontaine.
— Hodja, que viens-tu donc chercher ici en si grande hâte ? lui dit-on.
— On vient y boire sans manquer dès qu'on mange du fromage salé, réplique le Hodja ; j'en use ainsi moi-même. Aussi mon voleur ne faillira-t-il point à y venir aussitôt qu'il aura mangé du mien.
6. Les crêpes battues.
Un jour le Hodja entre dans la ville de Konia ; tout en se promenant il arrive et s'arrête en face de la boutique d'un helvadji (marchand de crêpes). Celui-ci ouvrait alors et avait laissé le helva (les crêpes) sur le devant du magasin.
— Sans plus tarder le Hodja prononce la formule : Au nom de Dieu, et commence à manger du helva.
— Vas-tu finir ? crie le helvadji au Hodja.
Il s'aperçoit que celui-ci ne l’écoutait aucunement et continuait de manger. Impatienté, il commence à le frapper.
Le Hodja se lève alors et s'écrie :
— O Konia, belle Konia ! que chez toi le helvadji batte, qu'il batte sans cesse ! (Sous-entendu: le Helva en sera meilleur).
7. Bénéfice espéré d'une fâcheuse visite.
Certain jour un voleur s’introduit dans la maison absolument vide du Hodja. Des gens qui avaient vu le fait vinrent l'avertir :
— Prends garde, Hodja, un filou est entré chez toi.
— Prenez garde. Messieurs, à me laisser en paix, leur répondit- il ; qu'il entre, car tout ce qu'il pourra trouver sera un don de Dieu, et s'il arrive à découvrir quelque chose, au moins m'en reviendra-t-il une partie.
8. Leçon de botanique.
Un autre jour on posait une question à Hodja Nasr-Eddin-Effendi à propos de l'abricotier.
— Quel est cet arbre ? lui demandait-on.
— A l'origine, réplique le Hodja, il portait des œufs ; ensuite la grêle l'a frappé et en a fait tomber le blanc, voilà pourquoi le jaune est resté découvert comme on le voit à présent.
9. Prendre est facile, s'échapper l'est moins.
Un jour le Hodja achète un foie au marché. Il s'en revenait chez lui quand un milan l'aperçoit, lui enlève le foie de la main et s'envole.
— Pour un tour, voilà un bon tour, s'écrie le Hodja !
Il court aussitôt se placer sur une hauteur, d'où il voyait les passants sur la route. Quelqu'un survient, qui tenait à la main un morceau de viande. Sans plus tarder le Hodja saute en bas, lui prend le morceau des mains et s'enfuit.
L'autre le poursuit tant et si bien qu'il l'atteint et reprend sa viande.
— Pourquoi en agis-tu de la sorte, Hodja ? lui dit-il.
— On en a fait de même envers moi, s'écrie le Hodja ; on me l'a pris de la main ; mais si un apprenti milan prend bien, il ne s'envole pas de même.
10. Songeur déçu.
Certaine nuit Hodja Nasr-Eddin dormait couché dans son lit. Il voit en rêve qu'on lui donnait neuf aspres ; il ne s'en contente point et dit : Donnez-m’en dix ! Sur ces entrefaites il se réveille et se trouve les mains vides. Il en éprouve du regret, ferme vivement les yeux, tend la main et dit : Je me repens, donnez-moi les neuf.
11. Contrat sans portée n'est point à rompre.
Hodja Nasr-Eddin savait jouer aux échecs, et donnait volontiers, à l'occasion, des conseils aux joueurs. Un jour il se fâche et fait serment de répudier sa femme s'il se mêlait encore de donner des conseils. Quelques jours après, on faisait une partie en certain endroit, le Hodja arrive là en se promenant, s'approche du jeu, regarde et voit que certain joueur devait jouer autrement qu'il ne le faisait. Aussitôt la patience lui échappe et il s'écrie :
— Hé, l'homme, mets la reine dans la case voisine et tu fais mat !
— Hodja, comment oses-tu parler, disent les assistants, n'astu point juré de répudier ta femme, si cela t'arrivait ?
— C'est en me jouant, réplique le Hodja, que de cette façon que je me suis marié 2.
12. L’arbre à fromage.
Un jour le Hodja était assis sous un grand peuplier.
— Quel est cet arbre ? lui demande-t-on.
Le Hodja regarde alors en l’air et dit :
— Quel bel arbre que celui-ci !
A ce moment un corbeau, perché en haut, fiente sur le Hodja. Il regarde et voit que quelque chose de blanc est tombé sur lui.
— Messieurs, dit-il en reprenant la conversation, vous ignorez donc quel arbre c'est.
— Nous l'ignorons, répliquent les autres.
— Eh bien, regardez-sur moi, réplique le Hodja : c'est un arbre à lait caillé3.
13. Dans les nombreuses affaires est le bénéfice.
Le Hodja achetait des œufs à raison de neuf le para, les emportait chez lui et les mettait ensuite en vente au marché à dix le para. On l’interroge à ce propos :
— Hodja, lui dit-on, pourquoi achètes-tu les œufs à raison de neuf et prends-tu de la peine à les offrir et à les vendre au marché à raison de dix ? Quel profit y trouves-tu ? Il n’y a là évidemment que de la perte.
— Je sais bien que j'y perds, réplique le Hodja ; mais je veux que mes amis, en achetant beaucoup, voient mes affaires marcher
14. La cigogne transformée.
Un jour le Hodja prend une cigogne. Il la place sur un endroit élevé, l’y laisse, se recule, la regarde et remarque la longueur de ses pattes et de son bec. Il prend aussitôt un couteau et coupe le bec et les pattes à la malheureuse bête. Il la remet ensuite sur son perchoir et se vante de l'opération :
— A présent, dit-il, lui voilà une figure d'oiseau !
Tel est ce qu'on raconte.
15. Nécessité de l’expérience.
On posait un jour une question au Hodja :
— Est-il vrai, Hodja, lui disait-on, que le milan est fait de telle sorte qu'il est mâle pendant une année et femelle l’année suivante ?
— Mes chers amis, réplique-t-il, il faut demander cela à quelqu'un qui a été milan pendant deux ans.
16. Un mélomane.
— Hodja, lui demandait-on un jour, quel instrument de musique préfères-tu ?
— J'aime beaucoup, répondit-il, la musique des plats et des casseroles.
17. Les plaisants devinés.
On raconte que des gens, en vue de faire une plaisanterie au Hodja, se disaient :
— Eh ! comment pourrons-nous lui prendre ses babouches ?
Ils se placent au pied d'un grand arbre et demandent au Hodja:
— Pourrais-tu bien monter sur cet arbre ?
Sans plus tarder, il relève les pans de sa robe, prend ses babouches, les place dans son sein et commence à grimper.
— Que feras-tu-là-haut de tes babouches, Hodja ? lui crièrent-ils. Jette-les, laisse-les ici.
— Eh ! réplique le Hodja, peut-être y a-t-il par là un chemin de préparé pour elles; il faut bien que je les aie toutes prêtes sous ma main.
18. Les approches du jugement dernier.
Hodja Nasr-Eddin-Effendi avait un agneau. Ses amis combinèrent une plaisanterie pour le lui manger. L'un d'eux le rencontre comme par hasard, et, tout en marchant, lui dit :
— Que prétends-tu faire de cet agneau ? C'est demain le jour du jugement dernier ; viens que nous le tuions et le mangions.
Le Hodja n'en croyait rien ; il écoutait à peine.
Un second compère arrive et tient le même langage ; bref, soit par petits groupes, soit l'un après l’autre, ils se succèdent tous et, comme il vient d'être dit, affirment que la fin du monde arrivait le lendemain. Le Hodja finit pour les croire.
— Puisqu'il en est ainsi, s’écrie-t-il, soyez les bienvenus, mes amis, allons aujourd’hui aux champs tuer l’agneau, et passons agréablement nos derniers moments à faire une petite débauche ensemble.
Tous acceptent ; ils prennent l'agneau et s'en vont aux champs.
— Eh ! mes amis, dît alors le Hodja, amusez-vous tous ; moi je vais faire cuire l'agneau.
Comme il se trouvait au milieu d'eux chacun ôte son bonnet et son turban, les laisse auprès de lui, et tous vont se promener dans la campagne. Sans plus tarder le Hodja allume un grand feu, y jette tous les effets et commence à faire cuire l’agneau. Quelques instants après, quelqu’un de la compagnie dit aux autres :
— Voyons de quelle couleur est venu l’agneau que le Hodja a tué ; venez que nous le mangions.
Ils s'approchent, et s'aperçoivent que le Hodja a jeté au feu tous les habits :
— Es -tu fou ? pourquoi as-tu jeté nos effets au feu ?
— Eh ! Messieurs, réplique le Hodja, vous n'ajoutez donc pas foi à ce dont vos discours m'ont persuadé ? Si c'est demain la fin du monde, qu'avez- vous besoin d'habits ?
19. Un Juif adroitement dépouillé.
On rapporte que, par aventure, le Hodja fit, à certaine époque, cette prière : Seigneur, donne-moi mille pièces d'or ; s'il en manque une seule je ne les prendrai point.
Un Juif l’entendait : Je vais, se dit-il, mettre le Hodja à l’épreuve. Ce disant, il compte neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pièces d'or, les met à instant dans une bourse et place celle-ci sur le chemin du Hodja.
Ce dernier remarque l'argent abandonné là, l'enlève, s'aperçoit qu'il y avait neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pièces et qu'il en manquait une.
— Puisque Dieu m'a donné celles-ci, dit-il, il me donnera bien l'autre !
Il s'éloigne alors de cet endroit.
Mais le Juif, qui l'épiait, le rattrape et s'écrie :
— Hodja, donne-moi cet argent ; il est à moi !
— Passe ton chemin, imbécile, réplique le Hodja. J'ai demandé cet argent à Dieu, il me l'a donné, qu'ai-je reçu de toi ?
— C'est moi, ajoute le Juif, qui l'ai à l'instant placé là. Allons chez le cadi, si tu en uses ainsi.
— Attends-moi un moment, répond le Hodja. Je suis sans manteau, il faut que j'aille en prendre un à la maison.
— Permets, répond le Juif, que j'entre chez moi ; il n'y manque point de manteaux.
Il en apporte un au Hodja et tous deux s'en vont chez le cadi.
— Monseigneur, lui dit le Juif, cet homme m'a pris l'argent que voici. Tel est le procès.
— Que réponds-tu ? fit le cadi s'adressant au Hodja. As-tu vraiment pris cette somme d'argent ?
— Non, Seigneur, je la demandais incessamment à Dieu ; il me l'a donnée. Mais écoutez la vérité, monseigneur, et remarquez la méchanceté de ce Juif : maintenant, il va jusqu'à se dire propriétaire du manteau que j'ai sur le dos.
— Par Dieu ! interrompit aussitôt le Juif, il est bien à moi.
A ce coup le cadi s'emporte et fait jeter le Juif dehors. Quant au Hodja, il s'en fut chez lui avec l'argent et le manteau.
Tel est le récit qu'on fait de cette aventure.
20. Où sont les lunes passées.
On posait un jour cette question à Nasr Eddin :
— Hodja, que deviennent les vieilles lunes, qu'en fait-on?
— Comment, s'écrie celui-ci, vous ignorez cela ! Ce n'est pourtant pas là une chose bien difficile : on coupe les vieilles lunes avec des ciseaux pour en faire des étoiles.
21. C’est aux épaulettes qu'on présente les armes.
Une noce se célébrait certain jour dans le quartier du Hodja. Il s'en fut aussi au festin.
Bientôt il s'aperçoit que des places supérieures à la sienne étaient données, par le maître de la maison, à des gens bien habillés auxquels il faisait politesse. Quant à lui, on le négligeait absolument. Sans plus tarder, le Hodja se lève, va emprunter un manteau à quelqu'un et revient de nouveau à la noce. Dès qu'on l'aperçoit avec son manteau, il est reçu avec respect : on le fait asseoir à la place d'honneur et des mets délicats et variés sont placés devant lui. Le Hodja soulève alors son manteau et en trempant les manches dans le plat, lui offre à manger.
— Que fais-tu là, et pourquoi agis-tu de la sorte ? s'écrie-t-on en voyant le Hodja en user de cette façon.
— Eh ! Messieurs, réplique celui-ci, les honneurs ne s’adressent point à moi, mais à mon manteau, il doit donc seul profiter de la soupe.
22. Avantages d'une éducation religieuse.
La tradition rapporte que le Hodja était profondément instruit dans toutes les sciences ; aussi beaucoup de gens prenaient-ils de ses leçons. Toutefois, sa coutume était que, si un écolier voulait apprendre de lui à lire dans le livre puissant (le Coran), il le lui enseignait, mais qu'il se refusait à lui enseigner la lecture dans tout autre livre.
Les élèves prenant garde à sa manière de faire, lui demandaient seulement à lire dans le livre puissant (le Coran). Une fois instruits des procédés de la lecture, ils pouvaient ensuite, s'ils le voulaient, lire dans n'importe quel autre ouvrage. Cette façon d'enseigner était vraiment la bonne4.
23. A chicaneur, chicaneur et demi.
On raconte que le Hodja avait un débiteur. Il le rencontre un jour sur son chemin, l’arrête et le prend au collet.
— Donne-moi mon dû ! lui dit-il.
A ce moment quelqu'un survient, et pour faire naître une chicane en vue de délivrer le débiteur, dit :
— Ce n'est pas lui qui te doit, mais moi.
— Ce n'est pas de toi seulement que j'ai à réclamer, réplique le Hodja détournant à son avantage la déclaration de l’intervenant, mais encore de celui-ci.
24. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.
On rapporte que le Hodja mangeait constamment du foie.
— Eh ! Hodja, lui dit-on, c'est commun de manger toujours du foie ; n’y a-t-il donc rien d’autre dont tu puisses te nourrir ?
— J’en mange, réplique le Hodja, pour devenir un hommefoie. (C'est-à-dire, pour ressembler à un objet modeste et peu prisé ).
25. Conseil médical fondé sur l'expérience.
On raconte qu'un jour un homme vint trouver le Hodja et lui dit :
— Eh ! Hodja, je souffre extrêmement de mon œil, que ferai-je?
— Retire-le, réplique le Hodja, et tu seras débarrassé.
— Mais, Hodja, jamais on n'ôte un œil.
— Je te le jure, réplique le Hodja, autrefois une de mes dents me fit mal et je n'eus point de repos jusqu'à ce qu'elle fut arrachée.
26. Mieux vaut petit inconvénient que grand dommage.
Il se trouvait une fois une telle quantité de puces chez le Hodja qu'il en était excédé et dut abandonner la place. Il aperçoit, bientôt après, sa maison dévorée par l'incendie et détruite par les flammes. Il se réjouit alors, frappe dans ses mains et s'écrie :
— La maison est brûlée ! Me voilà enfin débarrassé des puces et des souris !
Ce disant, il riait aux éclats.
27. Énigme bien devinée.
On rapporte qu'un jour un homme cache un œuf dans son mouchoir, s'approche du Hodja et dit : Si tu devines ce qui est dans ce foulard je te le donnerai pour en faire une omelette.
Le Hodja réfléchit un moment, ne devine point, et dit :
— Donne-moi au moins une légère indication.
— Ouvre-le, dit l'homme, tu le verras jaune, mais le dehors est blanc.
— J'ai compris, j'ai compris, s'écrie le Hodja : tu as creusé un navet et mis de la carotte dedans !
28. La lune tirée du puits.
Par aventure le Hodja s'en fut une nuit tirer de l'eau à son puits ; il regarde au fond et y voit la lune. Aussitôt, il va, en grande hâte, prendre chez lui une forte corde munie d'un crochet et la lance dans le puits. Le crochet accroche une grosse pierre. Le Hodja tire en vain, puis fait un second effort, tout cède alors, il tombe sur son dos et voit la lune paraître en face de lui.
29. Ablution restituée.
Un jour le Hodja trouve sur son chemin une grande rivière ; une de ses babouches tombe à l’eau pendant qu’il faisait son ablution. Aussitôt il se retourne, lâche un vent – c’est-à-dire se remet en état d’impureté légale – et dit :
– Reprends ton ablution et rends-moi ma babouche.
30. Réflexion sur le mariage.
Un jour que le Hodja voyageait d'une province à l’autre, il aperçoit une grande troupe de femmes en procession. Il s’approche de la foule et demande ce que c’est.
– Elles vont chercher une fiancée, lui répondit-on. Cette nuit, la fille et cet homme qui est là, entourés de ces femmes, doivent accomplir leur dé sir.
— Allah ! Allah ! s'écrie alors le Hodja, j'ai parcouru bien des pays, mais je n'en ai jamais trouvé aucun où il y ait autant de proxénètes que dans celui-ci.
31. Avis confidentiel d'un vendeur consciencieux.
Un jour le Hodja arrangeait son turban, il le trouvait trop court ; il le défait et recommence à l'arranger, mais cette fois encore il ne peut rejoindre les bouts. Impatienté, il confie le turban au crieur public. Celui-ci le met à l'encan et un chaland se présente pour l'acheter. Le Hodja l'aperçoit et, devant le crieur ébahi, dit à l'amateur :
— Prends garde d'acheter ce turban, il est trop court.
32. Avantage obtenu d'une prière.
Une nuit le Hodja, couché dans sa maison, aperçoit un voleur qui cherchait à pénétrer chez lui.
— Femme, dit alors le Hodja en s'adressant à la sienne, quand je veux entrer pour la première fois dans une maison, je récite telle prière, j'embrasse les rayons de la lune, et je descends commodément ainsi.
A ces mots le voleur récite la prière, embrasse les rayons de la lune et comptait encore pénétrer sans chute dans la maison, lorsqu’il tomba lourdement au milieu de la place.
— Eh ! ma femme, s'écrie alors le Hodja, lève-toi et allume la chandelle que nous prenions ce voleur.